Amis d’Orsenna, bonjour

Je n’ai rien contre Érik Orsenna. Rien de personnel, je veux dire. Je ne l’ai jamais croisé, nul n’en a dit du mal près de moi – au contraire -, puis un homme armé d’une telle bouille ne peut être qu’une très brave personne. N’est-ce pas ?

Eh bien, je ne suis pas sûr. Je découvre en effet ce matin un article de Jérôme Garcin paru la semaine passée (http://bibliobs.nouvelobs). Orsenna a écrit un livre de commande à la gloire de l’Airbus 380, qui sera distribué gratuitement à tous les employés de l’entreprise. Pour les autres, le prix est du genre prohibitif : 37 euros, pas moins.

Garcin, se moquant, constate que ce prix est proche de celui d’une action EADS quand le jeune Lagardère a décidé, au printemps 2006, d’en vendre un énorme paquet à la Caisse des dépôts, censée représenter l’intérêt public. On le sait, le prix des actions devait chuter brutalement après l’annonce d’importants retards dans la livraison de l’avion-roi. Mais le PDG lui-même, Noël Forgeard, miraculeusement inspiré, avait vendu avant la débâcle assez d’actions pour réaliser une plus-value de 3,7 millions d’euros. Croyez-moi, il y a sur terre de beaux métiers.

Et cet Orsenna ? Je dois vous avouer que je n’ai pas lu son livre à la gloire de l’A380. Je ne le ferai pas. La lecture de Garcin, journaliste sérieux, écrivant sous le regard de 500 000 lecteurs au moins, me suffit. Voici d’ailleurs un extrait, qui me semble clore toute discussion : « Avec un lyrisme qui évoque l’enthousiasme de Sartre pour l’exceptionnelle productivité des vaches laitières cubaines et rappelle les odes paysannes au maréchal Tito, Orsenna célèbre ici, outre le sacerdoce du « pèlerin » Noël Forgeard, la geste immémoriale des « compagnons de l’A380 », animés par « cette fièvre joyeuse qu’on appelle le goût du travail » et attelés, jour et nuit, entre Saint-Nazaire et Hambourg, à la sculpture d’un « chef-d’œuvre »».

Je suis bien certain que monsieur Orsenna a touché beaucoup d’argent, car la brosse à habits d’un Académicien, estampillé de gauche, vaut tout de même assez cher. Mais tel ne sera pas mon commentaire principal. Pour commencer, je constate, c’est l’évidence, qu’Orsenna se soucie comme d’une guigne de la crise écologique. Le vraisemblable, c’est qu’il la connaît de fort loin. L’avéré, c’est qu’elle ne l’empêche pas de vivre et de profiter des dernières miettes du festin.

L’A380 est en effet une bombe climatique de plus. Tout le projet, basé sur une multiplication par trois du trafic aérien mondial au cours des 20 prochaines années, mise sur le pire. C’est une aberration écologique absolue. Donc une impasse politique. Donc un crime, il faut parfois dire les choses simplement.

Mais Orsenna choisit pendant ce temps d’écrire une ode désuète à la gloire des ingénieurs et des gros moteurs. Est-ce si étonnant ? Ce qui me surprend beaucoup, vraiment beaucoup, c’est l’image que cet homme continue d’avoir dans une bonne partie de l’opinion « cultivée ».

Car il n’a jamais varié d’un pouce, au long d’une carrière totalement vouée à la défense de ce monde-ci. Ami de Jacques Attali dès les années 70, il enseigne longtemps les arcanes de la finance internationale, à l’époque où d’autres que lui envisageaient sérieusement de la détruire. Puis il se met au service du roi, François Mitterrand lui-même. Et à celui de Roland Dumas, prince des chaussures Berluti.

Cet homme, habile comme peu le sont, parvient à échapper à l’opprobre qui s’attache tout de même un peu au clan mitterrandien. Pensez ! il n’est pas un valet, puisqu’il est un romancier. On le voit donc, année après année, sautiller de prix en prix, et de radio en télé, entrer à l’Académie, et se donner les gants, au passage, d’être un grand ami de l’Afrique.

Ainsi que des Africains ? C’est un peu plus confus. Car l’amitié pour Attali ne s’est pas démentie. Or Attali a tout de même été mis en examen dans l’affaire Falcone – un marchand d’armes destinées à l’Angola martyr -, pour trafic d’influence. Certes, cela ne concerne en rien Orsenna. Mais démontre tout de même qu’on peut avoir été mêlé à ça, comme Attali, et demeurer un très proche de notre grande et noble conscience.

Encore deux points sans importance, ou presque. Orsenna a commis un livre sur le coton, qui a ajouté à son prestige, et qui lui a valu, au passage, les félicitations enthousiastes des libéraux (http://blogs.lesechos.fr). Officiellement, ce livre est un hommage au Sud. En réalité, c’est une défense et illustration de la mondialisation. Comme le dit d’ailleurs, avec obligeance, Orsenna lui-même, ce voyage de deux années lui a permis de tirer deux enseignements (http://clubobs.nouvelobs.com) : « Le premier, c’est que, franchement, dans les pays comme la France, on est des enfants gâtés. J’ai choqué certains de mes amis en disant que nous ne travaillons pas assez. Mais, pour moi, le travail est une valeur de gauche, contrairement à la rente, qui est de droite. L’ascenseur social, c’est travailler plus pour en tirer plus de bénéfices. Et puis le deuxième enseignement, c’est que la mondialisation profite à des millions de gens dans des pays en développement. On a longtemps vécu sous la protection de barrières douanières, ou grâce à la colonisation. Il faut affronter le monde ».

Affronter le monde. Demandez donc cet effort au paysan malien, en concurrence quotidienne avec le planteur de la vallée du Mississipi, gorgé de subventions fédérales américaines. Demandez-le lui (http://www.monde-diplomatique.fr). Mais enfin, mais voyons, il n’y a pas d’autre solution, puisqu’un Orsenna le dit. La preuve par neuf, c’est-à-dire par la commission Attali, celle qui propose de tout libéraliser en France, terre médiocre, pleine d’entraves et de corsets administratifs.

Je vous l’ai dit : Érick Orsenna, grand homme de gauche, écrivain grandiose, immense figure morale de notre monde chancelant, est aussi un ami fidèle. Quand Jacques Attali, dûment mandaté par son ami Nicolas Sarkozy, a dû dresser la liste de sa future Commission, il n’a pas retenu que des noms de patrons et de hauts fonctionnaires. Que non ! Que faites-vous de l’âme, amis du désordre ? Bien entendu, il a aussi proposé à son ami Orsenna d’en faire partie. Et son ami Orsenna a bien entendu accepté. Parce qu’il le vaut bien.

4 réflexions sur « Amis d’Orsenna, bonjour »

  1. Voilà bien l’inconvénient majeur des manipulations génétiques. On peut clôner des tas de petits Talleyrands. Là dessus Napoléon avait vu juste.

  2. Eric Orsenna n’a plus d’imagination littéraire depuis longtemps: voir ses derniers titres.Je ne savais pas qu’il écrivait sur commande. Quant à Jacques Attali…
    Triste gauche qui n’arrive pas à réfléchir sur les transformations en cours.

  3. Le livre d’Orsenna sur le coton n’est-il pas co-estampillé du groupe autoproclamé « cercle des économistes » ? Ite missa est. Au suivant.

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