C’est décidé, aujourd’hui vendredi, je fais maigre. Pas de coup de griffe, nulle lamentation, aucune colère. Il le faut bien, ne serait-ce que par souci d’équilibre. Ce matin, je pense fort, réellement très fort, à la mer. Depuis toujours, et à jamais, elle me foudroie sur place. Je la vois danser et battre le granit, au moment même où je vous écris, dans ma tête tout au moins. Du haut de la pointe de Castelmeur (Finistère). Ou près de la maison des tempêtes, à Ouessant. Ou encore dans le dédale des îlots de l’archipel de Molène, où j’ai eu le bonheur de me perdre. J’ai besoin, j’éprouve le besoin physique de la voir plusieurs fois chaque année.
Mais il ne s’agit pas de moi. Connaissez-vous le CoML ? Si oui, tant mieux. Et sinon, je vous présente. Le Census of Marine Life est un programme mondial de recherche de la vie marine, qui rassemble 2 000 scientifiques de 80 pays (www.coml). Il s’agit d’un grand oeuvre collectif de dix ans, commencé en 2000, et qui devrait s’achever en 2010. Le but, grandiose, est de recenser l’extrême diversité de la vie marine, en décrivant si possible la bagatelle de dix millions d’espèces à l’arrivée. Une tâche folle, impossible, démesurée. Encore plus que je ne saurais dire, puisque le but officiel est « d’expliquer la diversité, la distribution et l’abondance de la vie marine dans les océans passés, présents et futurs ». Bon, il existe des discussions savantes sur le fond des choses, car selon certaines estimations, il n’y aurait que moins de deux millions d’espèces vivant dans les mers, dont 230 000 déjà connues.
En s’appuyant sur les archives accumulées par l’humanité, en explorant davantage qu’il n’a été fait jusqu’ici, le CoML entend néanmoins « prédire ce que sera la vie marine de demain ». Mais il faut pour cela visiter les pôles et leurs fabuleuses marées de plancton; étudier le lion de mer comme les vers des abysses; approcher les sources hydrothermales comme les monts sous-marins. Fouiller en somme ces 95 % des océans dont nous ne savons rien.
Ah ! si une autre vie m’était donnée, je crois bien que j’en serais, je vous le jure. Jules Verne et son capitaine Nemo sont passés par là, et ont semé des graines fertiles dans ma tête de mioche. Comme j’aimerais plonger avec les Nautilus d’aujourd’hui ! D’ici quelques années, les équipes du CoML auront, entre autres, réalisé une extraordinaire Encyclopédie des populations animales marines (History of Marine Animal Populations, HMAP), que je me jure de placer au devant de ma bibliothèque.
Des milliers d’espèces nouvelles ont d’ores et déjà été recensées, parmi lesquelles le crabe-yéti, découvert à 2300 mètres de profondeur par des biologistes français. Ou Clione limacine, un gastéropode capable de jeûner une année. Ou Aphyonus gelatinosus, un poisson semi transparent aux reflets roses et bleus, recouvert d’un manteau de gélatine. Ou encore Aulococtena sp., un cténophore de la taille et de la couleur d’une orange, trouvé à 1100 mètres de fond, dans l’Arctique canadien.
Tenez, je suis à ce point ébloui que je ne vous raconte pas l’autre versant de l’entreprise. Le désespoir des chercheurs, l’angoisse indicible de ceux qui voient de leurs yeux la vie disparaître avant d’être seulement observée. J’arrête, car je me lancerais aisément dans un propos que vous commencez à connaître. Allons, j’ai promis de faire maigre, et je m’y tiens, à peu près. La vie est grande, la vie est belle, la diversité est un plat de roi. Mais gaffe !
bonjour
tu as raison, il y a des choses incroyables et merveilleuses. j’ai vu dans une émission télé (le jardin extraordinaire sur la télé belge je pense), des poissons vus pour la première fois suite à la descente d’un engin à une descente en profondeur impossible jusqu’à ce jour et il y avait des poissons incroyables avec plein de couleurs lumineuses comme s’il était électrifié, j’en restais béate d’admiration et étonnée qu’on connaisse aussi peu de choses sur les profondeurs de nos océans . je me retiens un peu aussi car ils seront certainement moins tranquilles maintenant que l’être humain les découvre …..
Fabrice,
Où en es-tu du programme de travail que tu te donnais en conclusion de « La faim, la bagnole le blé et nous » concernant l’analyse des relations de la politique et de la morale, pour ensuite parvenir à modifier en amont toutes ces pratiques délirantes que tu dénonces?
N’était-ce pas, ou n’est-ce pas la priorité sur laquelle il nous faut agir pour modifier les comportements dans le sens d’un plus d’exigence concernant ces hommes et femmes politiques sensés nous représenter, mais qui objectivement ont perdu le sens du Bien Public?