Lettre ouverte de Bhaskar H. Save (sur l’agriculture de l’Inde)

La lettre qui suit m’a été envoyée par un ami lointain, très proche pourtant, de Planète sans visa. Laurent Fournier, que je salue, vit en effet en Inde. Ce courrier public d’un vieil homme qui se se penche sur le passé et le futur d’un seul mouvement m’a beaucoup touché. Il date de 2006, mais il est surtout de notre temps. Les interrogations de Bhaskar H. Save devraient être discutées dans les écoles, elles devraient être dans tous les journaux et sur toutes les lèvres. Mais enfin, puisque c’est ainsi, soyons donc seuls encore.

« Kalpavrushka » Farm
Village Dehri, Via Umergam, District Valisad, Gujarat – 396 170 (INDIA)

http://www.savesanghavi.com/

To : Shri M.S. Swaminathan,
The Chairperson, National Commission on Farmers
Ministery of Agriculture, Government of India

Juillet 29, 2006

Objet: Augmentation de Suicides et Politique Agricole Nationale

Cher Mr Swaminathan,

Je suis un fermier de 84 ans, pratiquant l’agriculture naturelle/organique depuis plus de six décades, et la culture d’une grande diversité de plantes alimentaires. J’ai, au cours des ans, mis en pratique plusieurs systèmes de culture, incluant la méthode chimique dans les années cinquante – dont j’ai bien vite vu les pièges.

J’affirme que c’est seulement par l’agriculture organique, en harmonie avec la Nature, que l’Inde peut fournir à sa population, de façon durable, une nourriture abondante et saine – et couvrir l’ensemble des besoins pour vivre sainement, dignement et en paix.

Vous, Mr. Swaminathan, êtes considéré comme le « Père » de ce qu’on appelle la « Révolution Verte » de l’Inde, qui a délibérément laissé la porte ouverte aux produits toxiques de l’agrochimie qui ont ravagé les terres et les vies de millions de fermiers indiens au cours des cinquante dernières années. Plus qu’aucune autre personne au cours de notre longue histoire, c’est Vous que je tiens pour responsable de la dramatique situation de nos sols et de nos fermiers accablés de dettes, poussés au suicide en nombre croissant chaque année.

Ironie du sort, vous voilà devenu à présent le Président de la « National Commission on Farmers », chargée de définir une nouvelle politique agricole. Je vous demande de saisir cette opportunité pour apporter des modifications pour le bien des enfants, présents et à venir. Sachant que votre Commission sollicite les avis des fermiers pour définir la nouvelle politique, et puisqu’il s’agit d’une consultation ouverte, j’adresse une copie de ma lettre : Au Président, au Premier Ministre, au Ministre de l’Agriculture, au Président du Conseil et aux médias, pour une plus ample diffusion. J’espère que cela provoquera une prise de conscience et un débat ouvert à tous les niveaux sur les enjeux extrêmement vitaux en question. Ceci afin d’éviter que se reproduise le même genre d’erreur stupide qui nous a conduit à l’actuel désordre, profond et généralisé.

Le grand poète Rabindranath Tagore évoquait, il n’y a pas si longtemps, notre « sujhalam, sufalam » pays, qui était, en effet, une région remarquablement fertile et prospère, avec des sols riches, de l’eau et du soleil en abondance, des forêts épaisses, un trésor de biodiversité … Et un peuple cultivé et pacifique, disposant d’un vaste fonds de connaissances agricoles et de sagesse.

Nous sommes fermiers dans le sang. Mais cela m’attriste que notre génération (aujourd’hui grisonnante) de fermiers indiens, ait accepté d’être dupée en adoptant le mode d’agriculture, à courte-vue et dévastateur au plan écologique, qui a été importé dans ce pays – Par ceux, comme Vous, qui n’ont aucune expérience agricole !

Depuis d’innombrables générations, cette terre a pourvu aux besoins d’une population parmi les plus nombreuses de la planète. Sans aucun « fertilisant » chimique, aucun pesticide, aucune de ces quelques variétés de céréales exotiques, ni aucune de ces chimériques nouveautés « biotechnologiques » dont vous semblez appuyer le transfert. Les nombreuses vagues d’occupants dans notre pays, au cours des siècles, ont beaucoup pris. Mais la fertilité de notre pays n’a pas été affectée pour autant.

Les Upanishads disent :

« Om Purnamadaha
Purnamidam Purnat Purnamudachyate
Parnasya Purnamadaya Purnamawa Vashishyate »

« Cette création est totale et complète.
Du Tout émergent des créations, chacune totale et complète.
Chacune prend tout du Tout, mais le Tout subsiste encore,
Non diminué, complet ! »

Dans nos forêts, les arbres comme her (jujubier), jambul (jambolan), manguier, umbar (figuier sauvage), mahua (Maduha indica), imli (tamarinier), … fructifient si abondamment à leur saison que les branches ploient sous le poids des fruits. La charge annuelle de chaque arbre est souvent de plus d’une tonne, année après année. Mais la terre alentour demeure entière et non amoindrie. Il n’y a pas de trou béant dans le sol !

D’où les arbres – y compris ceux des Montagnes Rocheuses, obtiennent-ils leur eau, leur NPK [azote, phosphore et potassium, FN], etc. ? Bien qu’immobiles, la Nature pourvoit à leurs besoins, efficacement, là où ils se dressent. Mais les scientifiques et les technocrates comme Vous – avec un entêtement borné et déplacé – paraissent aveugles à cela. Sur quelle base prescrivez-vous ce qu’un arbre ou une plante requiert ? Et combien ? Et quand ?

Comme on le dit : « Quand il y a manque de connaissance, l’ignorance se déguise en « Science » !  Or, la Science, que vous avez épousée, trompe les fermiers et les envoie vers les gouffres de la misère.

Alors qu’il n’y a pas de honte à être ignorant, la prise de conscience de cette ignorance est le nécessaire premier pas vers la connaissance. Mais le refus de la voir procède d’une vaine arrogance.

Ce pays compte plus de 150 Instituts d’Agronomie et nombreux sont ceux  qui disposent de vastes propriétés de plusieurs milliers d’acres. Ils ne manquent ni d’infrastructure, ni d’équipement, ni de personnel, ni de moyens financiers … Et pourtant, aucun de ces Instituts fortement subventionnés ne réalise le moindre bénéfice, ne produit quelque quantité significative d’aliments, ne serait-ce que pour nourrir son propre personnel et ses étudiants. Mais chaque année, chacun d’eux lâche plusieurs centaines de « diplômés », inemployables car formés seulement pour fourvoyer les fermiers et pour semer la dévastation écologique.

Au cours des 6 années que l’étudiant y passe pour obtenir un Master d’agronomie, le seul objectif, à court terme et assez vague, est la « productivité ». Pour cela, on presse le fermier de faire et d’acheter cent choses différentes. Mais on n’a pas une pensée pour ce que le fermier doit ne jamais faire pour que la terre demeure indemne pour les générations futures et toutes les autres créatures
Il est temps pour notre peuple et notre gouvernement de réaliser que ce mode industriel de pratique agricole – prôné par nos institutions – est foncièrement criminel et suicidaire !

Gandhi a dit : « Quand il y a soshan, ou exploitation, il ne peut pas y avoir poshan, ou éducation ! »

Vinoba Bhave a ajouté : « La Science unie à la compassion peut quasiment apporter un paradis sur la terre. Mais divorcée de la non-violence, elle ne peut que causer une immense catastrophe qui nous avalera tous dans ses flammes ! »

Tenter d’augmenter la « productivité » de la Nature est bien la gaffe fondamentale qui met en évidence l’ignorance des tenants de l’agriculture scientifique.

La Nature, quand elle n’est pas spoliée par l’Homme, est déjà plus généreuse dans ses rendements. Quand un seul grain de riz peut en reproduire une centaine en quelques mois, où se situe le besoin d’accroître la productivité ?

Nombreuses sont les variétés d’arbres fruitiers qui produisent aussi, chacun au cours de son existence, plusieurs centaines de milliers de kilos de nourriture ! Ceci, à condition que le fermier ne répande pas poison et désastre autour de l’arbre, dans son avidité pour un profit rapide ! Un enfant a le droit de se nourrir du lait de sa mère. Mais si nous épuisons aussi le sang et la chair de la Terre-Mère, comment pouvons-nous lui demander de continuer à nous alimenter ?

La mentalité d’ « asservissement au commerce et à l’industrie » qui ignore tout le reste, est la racine du problème. Mais l’industrie ne fait guère que transformer les « matières premières » issues de la Nature en produits commerciaux, en commodities. Elle ne peut rien créer de nouveau. La Nature seule est véritablement créative et capable de s’auto-régénérer par synergie avec le frais influx quotidien de l’énergie solaire.

Les Six Paribals de l’auto-renouvellement de la Nature.

Il y a sur la Terre un jeu constant entre les six paribals (facteurs-clé) de la Nature, en interaction avec le soleil. Les trois premiers sont l’air, l’eau et le sol. Opérant en alliance avec eux, sont les trois ordres de la vie : « vanaspati srushti » (le monde des plantes), « jeev srushti » (le royaume des insectes et des micro-organismes) et « prani srushti » (le règne animal). Ces six paribals maintiennent un équilibre dynamique. Ensemble, ils harmonisent la grande symphonie de la Nature, et tissent du neuf !

L’Homme n’a aucun droit de perturber ainsi les Paribals de la Nature. Mais la technologie moderne, unie au commerce, plutôt qu’à la sagesse et à la compassion – s’est révélée désastreuse à tous les niveaux … Nous avons spolié l’eau et pollué le sol, l’eau et l’air. Nous avons effacé la plupart de nos forêts et tué leurs créatures … Et, sans relâche, les fermiers modernes répandent des poisons mortels dans leurs champs. Ce faisant, ils massacrent le jeev srushti de la Nature – ces modestes mais infatigables petits travailleurs qui maintiennent le sol aéré et recyclent la biomasse fanée en nutriments pour les plantes. Les produits chimiques toxiques empoisonnent inévitablement l’eau, et le prani srushti de la Nature, qui inclut les êtres humains.

La durabilité est un concept actuel, à peine évoqué à l’époque où vous défendiez la « Révolution Verte ». Pouvez-vous nier que sur plus de 40 siècles, nos ancêtres ont cultivé sur le mode de l’agriculture organique – sans aucun déclin notable de la fertilité du sol, comme au cours des 4 ou 5 dernières décennies ?

Ce n’est pas une nouveauté que l’utilisation intensive des produits chimiques et de l’irrigation appliquée à la monoculture commerciale constitue le premier responsable de la dévastation écologique largement répandue dans ce pays, sur la durée d’une seule génération !

Erosion industrielle de la diversité des cultures, pénurie de matière organique et dégradation du sol.

Ce pays pouvait être fier de son immense diversité de cultures, adaptées depuis des millénaires aux conditions locales et aux besoins – Notre grand nombre de variétés indigènes de céréales fournissaient plus de biomasse et protégeaient le sol du soleil, et contre les fortes pluies de mousson. Mais dans le but d’augmenter le rendement des récoltes, un petit nombre de variétés étrangères ont été introduites et Vous vous êtes efforcé de les promouvoir. Cela a conduit à de plus vigoureuses levées de mauvaises herbes, qui pouvaient désormais concurrencer avec succès pour la photosynthèse les nouvelles herbes chétives. Les fermiers devaient donc dépenser plus d’efforts et d’argent pour désherber ou répandre des herbicides.

La paille obtenue avec les cultures de céréales chétives a carrément perdu un tiers du volume des pailles des espèces natives des céréales ! Au Penjab et en Haryena, elle était même brûlée, comme conseillé afin de détruire les germes « pathogènes » (en fait, elle était trop toxique pour nourrir les animaux de la ferme qui étaient progressivement remplacés par des tracteurs). En conséquence, il y avait beaucoup moins de matière organique disponible pour restaurer la fertilité du sol, forçant au besoin artificiel d’apports extérieurs. Inévitablement, les fermiers ont été obligés d’utiliser plus de produits chimiques, et sans cesse, la dégradation du sol et l’érosion ont progressé.

Pestilence industrielle.

Les variétés exotiques, cultivées à l’aide des engrais chimiques, ont été plus sensibles aux fléaux et aux maladies, obligeant à l’emploi d’encore plus de poison (insecticides, etc.). Mais les insectes combattus ont développé des résistances et se sont multipliés. Leurs prédateurs (araignées, grenouilles, etc.) qui se nourrissent de ces insectes, opérant ainsi le « contrôle biologique » de leurs populations ont été exterminés. Ainsi l’ont été plusieurs espèces bénéfiques comme les vers de terre et les abeilles.

L’agrobusiness et les technocrates, ont conseillé des doses plus fortes et, à nouveau, des produits chimiques plus toxiques (et plus coûteux). Cependant, les problèmes de « pestes » et de « maladies » n’ont fait qu’empirer. La spirale des coûts écologiques, financiers et humains s’est enclenchée.

Le développement de la pénurie d’eau et la mort des sols salinisés.

Avec l’utilisation des fertilisants de synthèse et le développement des cultures commerciales, les besoins d’irrigation se sont considérablement accrus. En 1952, a été construit le barrage de Bhakra au Penjab, un Etat riche en eau car traversé par 5 rivières venant de l’Himalaya. Plusieurs milliers de plus grands et moyens barrages ont suivi, dans tout le pays, culminant avec l’énorme Sardar Sarovar. Et, à présent, notre gouvernement joue avec des projets grandioses, à la hauteur de 560 Milliards de roupies, visant à détourner et à relier le cours de nos rivières. C’est de la pure « Tuhglaqian » mégalomanie sans une pensée pour les futures générations !

L’Inde, après l’Amérique du Sud, est la région du monde qui reçoit les plus fortes précipitations. Le niveau actuel est d’environ 4 pieds (plus de 1200 mm). Là où une épaisse végétation couvre le sol, et où le sol est vivant et poreux, au moins la moitié de cette eau de pluie est absorbée et conservée dans le sol et les strates du sous-sol. Une bonne quantité s’infiltre profondément et recharge les aquifères et les nappes phréatiques. Le sol vivant et les nappes phréatiques constituent des réservoirs naturels gratuitement offerts par la Nature. Particulièrement efficaces pour absorber la pluie, sont les terres couvertes de forêts et d’arbres. C’est ainsi qu’il y a un demi-siècle, la majeure    partie du territoire de l’Inde disposait d’assez d’eau fraîche tout au long de l’année, longtemps après la saison des pluies. Mais, à l’évidence, les forêts et la capacité de la terre à absorber la pluie ont chuté de façon dramatique. Les cours d’eau et les puits sont à sec. C’est déjà ce s’est passé dans trop d’endroits.

Alors que la recharge de l’eau du sol s’est considérablement réduite, son utilisation a augmenté. L’Inde puise chaque jour plus de 20 fois plus d’eau dans le sol qu’elle ne le faisait en 1950 ! Ce véritable gaspillage est le fait d’une minorité. Car, la majorité de la population de l’Inde – qui vit en puisant ou en pompant l’eau manuellement et qui pratique l’agriculture pluviale – continue à utiliser la même quantité d’eau souterraine par personne, comme elle l’a fait au fil des générations.

Plus de 80 % de la consommation d’eau en Inde sert à l’irrigation, et la plus grande partie est monopolisée par les cultures commerciales traitées chimiquement. Maharastra, par exemple, réunit le plus grand nombre de grands et de moyens barrages dans ce pays. Mais, à elle seule, la canne à sucre, qui pousse sur tout juste 3 à 4 % de la sole cultivable, engloutit près de 70 % des eaux d’irrigation. 1 acre de culture chimique de canne à sucre nécessite autant d’eau qu’il en faut pour 25 acres de jowar, bajra ou maïs. Les fabriques de sucre aussi en consomment d’énormes quantités. De la culture à la transformation, chaque kilo de sucre raffiné demande 2 à 3 tonnes d’eau. Avec cela, on pourrait cultiver sur le mode traditionnel de l’agriculture organique, environ 150 à 200 kg de nourrissant jowar ou bajra (variétés natives de millet).  Alors que le riz se prête bien à la culture pluviale, la vaste extension des cultures irriguées, pratiquées aussi bien en hiver qu’en été, a englouti de la même façon nos ressources en eau et épuisé les nappes phréatiques. Comme avec la canne à sucre, cela entraîne de façon irréversible la ruine des terres par l’effet de la salinité.

La salinisation des sols est le plus grand fléau lié à l’irrigation agricole intensive, en raison de la croûte de sels qui se forme à la surface des sols et s’épaissit progressivement. Des millions d’hectares de terres cultivées ont ainsi été ruinées. Les problèmes les plus graves sont apparus là où des plantes gorgées d’eau comme la canne à sucre ou le riz basmati sont cultivées à longueur d’année et où ont été abandonnés les anciens systèmes traditionnels de cultures mixtes et de rotation des cultures, qui demandent un minimum d’arrosage ou pas du tout.

Comme au moins 60 % de l’eau utilisée pour l’irrigation actuellement en Inde est excessive, donc néfaste, la première chose à faire est de contrôler cela. Ainsi, non seulement le grave dommage causé par trop d’irrigation sera stoppé, mais un bon quota de l’eau épargnée peut ainsi devenir utilisable localement, en priorité pour les zones qui subissent une grave pénurie.

Irrigation normale et recharge des nappes phréatiques à Kalpavrushka

Efficace, la culture organique nécessite très peu d’irrigation – beaucoup moins que ce qui est communément utilisé en agriculture moderne. Les rendements des récoltes sont meilleurs quand le sol est juste humide. Le riz est la seule exception car il pousse même sur les terres inondées, ce qui en fait une culture de mousson des zones de plaine naturellement vouées à l’inondation. L’excès d’irrigation dans le cas de toutes les autres cultures expulse l’air contenu dans les interstices du sol – absolument nécessaires pour la respiration des racines – et l’arrosage prolongé cause le pourrissement des racines.
L’irrigation sur ma ferme ne représente qu’une petite fraction de celle qui est apportée actuellement aux fermes modernes. De plus, le sol poreux sous l’épaisse végétation du verger est comme une éponge qui absorbe et infiltre l’eau vers les aquifères et la nappe phréatique, une énorme quantité d’eau de pluie lors de chaque mousson. La quantité d’eau ainsi retenue dans le sol à Kalpavrushka dépasse de beaucoup la quantité totale de l’eau tirée du puits pour l’irrigation dans les mois où il ne pleut pas. Ainsi ma ferme apporte plus d’eau à l’écosystème de la région qu’elle n’en consomme ! A l’évidence, la bonne voie pour sécuriser l’approvisionnement en eau et en aliments de cette nation passe par la pratique de cultures mixtes, adaptées au contexte local, de plantes et d’arbres, sur le mode organique, suivant les lois de la Nature.

La nécessité de 30 % de couvert forestier.

Nous devons restaurer au moins 30 % du couvert forestier d’espèces indigènes d’arbres et de forêts variées, au cours de la prochaine ou des 2 prochaines décennies. Telle est la tâche centrale de la collecte écologique de l’eau, la clé pour restaurer l’abondance naturelle des réserves d’eau dans le sol. D’exceptionnels avantages peuvent en être tirés, pour un coût comparativement minime. Malheureusement, nous n’arrivons pas à comprendre que le potentiel de captation naturelle de l’eau dans le sol est plusieurs fois supérieur à la capacité totale de l’ensemble des grands et moyens projets d’irrigation en Inde – opérationnels, en cours d’exécution ou encore sur le papier ! Un tel stockage souterrain décentralisé est plus efficace qu’un stockage de surface à protéger de la forte évaporation.

La plantation d’arbres permettrait également de disposer d’une diversité de produits utiles favorisant le bien-être d’un grand nombre de personnes. Même les déserts peuvent être reverdis en moins d’une décade. En intercalant des cultures et des arbres de courte, moyenne et longue durée de vie, il est possible pour un fermier d’assurer une disponibilité continue de nourriture au cours d’une période de transition jusqu’à ce que les arbres fruitiers de longue durée soient assez développés pour commencer à produire. La plus grande disponibilité de biomasse et une complète couverture du sol accélèreront aussi la régénération de la fertilité du sol.

Production, Pauvreté et Population.

Après le départ des Anglais, après 250 ans de vol de notre revenu agricole, l’agriculture indienne s’est rapidement récupérée. Il n’y avait pas de pénurie des divers aliments dans nos campagnes où vivaient les trois-quarts de la population de l’Inde.

La vraie raison pour impulser la « Révolution Verte » était un objectif beaucoup plus étroit : Celui d’augmenter les excédents commerciaux de quelques céréales relativement moins périssables afin d’alimenter l’expansion urbaine – industrielle favorisée par le gouvernement. Le nouveau système parasitaire d’agriculture que vous avez vigoureusement promu n’a guère profité qu’aux industriels, aux marchands et aux hommes de pouvoir. Les coûts des fermiers ont augmenté massivement et les marges ont fondu. Avec l’érosion de la fertilité naturelle de leur terre, on les laisse quasiment les mains vides, quand ils n’accumulent pas les dettes sur leurs sols détruits. Nombreux sont ceux qui ont cessé de cultiver. Plus nombreux encore sont ceux qui veulent le faire, pressionnés par les coûts qui n’en finissent pas de grimper.

C’est d’autant plus tragique que la Nature nous a généreusement offert tout ce dont nous avons besoin pour l’agriculture organique qui, elle, produit une nourriture saine, et non des aliments empoisonnés.

Restaurer la santé naturelle de l’Agriculture Indienne est la voie pour résoudre les problèmes interconnectés de la pauvreté, de la désoccupation et de la croissance démographique. Un maximum de gens peuvent devenir autonomes par la pratique agricole, seulement si les apports nécessaires sont réduits au strict minimum.

Une telle pratique agricole doit requérir un minimum de capital financier et d’achats, un minimum d’équipement agricole (charrue, outils, etc.), un minimum de travail indispensable et un minimum de technologie importée. Ainsi, la production agricole augmentée sans augmentation des coûts, la pauvreté diminuera et le mieux-être de la population sera bien visible.

La pratique agricole autonome – avec peu ou pas d’apports extérieurs – était notre mode d’agriculture qui nous réussissait, par le passé. Sauf dans les périodes de guerre et d’excessive oppression coloniale, nos fermiers étaient largement autosuffisants, et même ils produisaient des excédents, bien que généralement en moindres quantités et de produits beaucoup plus variés. Ces produits, particulièrement périssables, pouvaient difficilement fournir les marchés des villes. C’est ainsi que les fermiers de la nation ont été amenés à pratiquer la monoculture chimique d’un petit nombre de produits commerciaux comme l’avoine, le riz ou le sucre, plutôt que leur polyculture traditionnelle qui ne nécessitait pas d’achats extérieurs et qui réussissait aux fermiers des régions à faibles précipitations, avec plus de diversité et plus de continuité de récoltes tout au long de l’année – Sans aucune irrigation et sans apport extérieur.

En conclusion :

Je souhaite que vous ayez l’honnêteté d’appuyer un vaste changement de cap vers la pratique de l’agriculture organique diversifiée, le reboisement et la régénération des forêts (ainsi que les ressources naturelles et les droits des populations locales) – dont l’Inde a grandement besoin.

Je serai heureux de répondre à toute question (ou inquiétude) qui me sera posée, par écrit de préférence.

Je vous invite également à visiter ma ferme et d’autres fermes qui sont cultivées selon mon système, sous réserve d’en être informé à l’avance. Depuis de nombreuses années, nous avons lancé une invitation ouverte à quiconque s’intéresse à l’agriculture organique / naturelle pour visiter la « Sanghavi Farm » de 10 h à 12 h et la « Kalpavrushka Farm » de 14 h à 16 h, tous les Samedi. Cette invitation est toujours d’actualité.

J’ajouterai finalement que cette lettre a été transcrite en Anglais par Bharat Mansata, à partir de nos entretiens en Gujarati.

Pour en savoir plus, visitez le website : www.savesanghavi.com

Que vous coïncidiez ou non avec mes points de vue, j’attendrai votre réponse.

Sincèrement Vôtre,

Bhaskar H. Save

Comparaison entre Agriculture Chimique et Agriculture Organique

par Bhaskar Save

1-    L’agriculture chimique fragmente le réseau du vivant ; L’agriculture organique le nourrit dans sa totalité.
2-    L’agriculture chimique dépend des combustibles fossiles ; l’agriculture organique du sol vivant.
3-    L’agriculture voit sa terre comme un substrat inerte ; l’agriculture organique sait que la sienne foisonne de vie.
4-    L’agriculture chimique pollue l’air, l’eau et le sol ; l’agriculture organique les purifie et les renouvelle.
5-    L’agriculture chimique utilise de grandes quantités d’eau et épuise les nappes phréatiques ; l’agriculture organique demande beaucoup moins d’irrigation et recharge l’eau du sol.
6-    L’agriculture chimique pratique la monoculture et détruit la diversité ; l’agriculture organique pratique la polyculture et nourrit la diversité.
7-    L’agriculture chimique produit des aliments empoisonnés ; l’agriculture organique produit de la nourriture saine.
8-    L’agriculture chimique a une courte histoire et elle porte la menace d’un futur sombre; l’agriculture organique a une longue histoire et elle est promise à un brillant avenir.
9-    L’agriculture chimique est une technologie exogène, importée ; l’agriculture organique a évolué de façon indigène.
10-    L’agriculture chimique est propagée au moyen d’une information scolaire et institutionnelle dévoyée ; l’agriculture organique s’apprend de la Nature et de l’expérience des fermiers.
11-    L’agriculture chimique profite aux marchands et aux industriels ; l’agriculture organique bénéficie aux fermiers, à l’envir@onnement et à la société dans son ensemble.
12-    L’agriculture chimique vole l’autonomie et l’auto-estime des fermiers et des populations villageoises ; l’agriculture organique les restaure et les renforce.
13-    L’agriculture chimique conduit à la ruine et à la misère ; l’agriculture organique libère des dettes et du malheur.
14-    L’agriculture chimique est violente et entropique ; l’agriculture organique est non-violente et synergique.
15-    L’agriculture chimique est une fausse « révolution verte » ; l’agriculture organique est une véritable « révolution verte ».
16-    L’agriculture chimique est crûment matérialiste, sans ancrage idéologique ; l’agriculture organique est durablement enracinée dans la spiritualité et la vérité.
17-    L’agriculture chimique est suicidaire, allant de la vie vers la mort ; l’agriculture organique est la voie de la régénération.
18-    L’agriculture chimique est le véhicule du commerce et de l’oppression ; l’agriculture organique est le chemin de la culture et de la coévolution.

Bhaskar Save Open Letter (Juillet 2006)
Transcription en Anglais à partir d’entretiens en Gujarati : Bharat Mansata
Traduction Anglais – Français : Duval Gil Garcin (Mars 2013)

24 réflexions sur « Lettre ouverte de Bhaskar H. Save (sur l’agriculture de l’Inde) »

  1. Merci a vous deux pour cette belle lettre !
    Ce que dit cet homme est exactement ce que j’enseigne à mes élèves.Ils se sont d’ailleurs prit de passion pour les vers de terre…
    Un sol de prairie permanente peut absorber jusqu’à
    170 mm d’eau à l’heure,mais c’est parce qu’il contient 10 fois plus de vers de terre qu’un sol cultivé chimiquement.
    Je me rappelle une séquence du film « Solutions locales pour un désordre global » où l’on voyait un paysan indien sur sa ferme biologique foisonnante, c’est peut-être lui ?

  2. Tant de sagesse, de bon sens, de savoir faire ancestral piétinés par l´avidité et la folie. Quelle tristesse !
    Merci à l´un et l´autre de nous avoir donné la possibilité de lire cette lettre.

  3. Une lettre morte, une de plus. Là-bas, ici, les mêmes aveuglements. 2006, 2013, rien n’a changé.
    J’ai lu cette lettre avec beaucoup de détresse.

    Tout à l’heure, je recevais un message de Kokopelli. Il est question de la « cotisation volontaire obligatoire » applicable aux agriculteurs qui utilisent des semences produites à partir de leur récolte. Admirons au passage l’oxymore !

    « Les gouffres de la misère » n’ont jamais été aussi béants. « Nous avons spolié l’eau et pollué le sol, l’eau et l’air. Nous avons effacé la plupart de nos forêts et tué leurs créatures. »
    L’école a mieux à faire que de parler de ça, la priorité est au numérique.
    Quant aux grands médias et aux politiques, on ne va pas fâcher les marchands de mort.

  4. « L’école a mieux à faire que de parler de ça, la priorité est au numérique »

    Vous avez-vu ça ? Moi ça me débecte quand j’entends ces idiots ânonner la ritournelle du retard sur le numérique à l’école.
    Ouhhhh!! La France a trois ans pour prendre le virage du numérique sinon un gros malheur va s’abattre sur nos t^tes blondes, ils ne pourront pas s’intégrer dans la société du bonheur par le travail…

    Alors que c’est l’inverse. Les décideurs de la Silicon Valley et autres promoteurs de ces technologies numériques, eux payent cher pour mettre leurs enfants dans des lieux privés d’écran, avec des livres de papier et des activités physiques. (lu dans l’Emprise numérique de Cédric Biagini, ed. L’échappée 2012)

    Dans la loi d’orientation pour l’école, présentée par Vincent Peillon, en numéro 1 est indiqué : « L’école privilégie le numérique ». Un ministre socialiste français en 2013 sait fixer les priorités !

    -Commentaire de Bombix sur le site l’Agitateur :

    « On lira, en s’amusant beaucoup, cet article du Monde qui explique comment et pourquoi les « branchés » se « débranchent ». Le numérique, c’est bon pour les pauvres, raison pour laquelle la gauche française le privilégie . Les riches, eux, plus malins, auraient plutôt tendance à se passer de ce privilège-là. En somme, une nouvelle version de la fracture numérique, mais à l’envers …
     »

    http://www.agitateur.org/spip.php?article1870

  5. Le paysan indien que l’on voit dans le film « Solutions locales pour un désordre global » se nomme Narayan Reddy.

  6. Dans les mots de grande sagesse écrits par Bhaskar H. Save, je revois le visage d’un vieux jardinier. Il venait au grand marché des Lices, à Rennes. Assis sur une chaise pliante, il avait autour de lui les richesses de son jardin. Trois fois rien de légumes, avec encore un peu de terre. Des pommes ridées, tachées par endroits. Des carottes fourchues parfois, des choux incroyables, se moquant bien des calibres officiels.
    Longtemps, j’ai imaginé son potager. Des allées de paille et de feuilles, des arrosoirs en zinc, un épouvantail avec un grand chapeau, une parcelle d’orties, une colline de compost au pied d’un vieux chêne, des tiges de poireaux et de laitues qui s’envolent vers le ciel ; dans mon idée, il cultivait aussi ses graines.
    Parfois, il me donnait une pomme, pour découvrir et lui en dire des nouvelles.
    L’héritage qu’il me laisse, c’est son regard rêveur, son sourire quand je prenais le temps de regarder ses beaux légumes, quand je lui expliquais que je retrouvais le goût des choses et des saisons.
    Je crois qu’il m’a pollinisé.

  7. « Danse avec le Diable »
    Pierre Fournier, fondateur du premier journal écologiste La Gueule Ouverte, l’appelle « bible anti-pollution ».

    « Le Diable, sous les traits d’un homme d’affaires, leur explique : « J’ai imprégné tous les domaines de la vie humaine de mes principes. Dans tous les services, les administrations, les ministères, les sociétés, les associations, quelle que soit la fonction qu’ils remplissent, j’ai placé mes agents, mes délégués, mes collaborateurs et mes hommes de confiance. J’empoisonne méthodiquement tout ce dont l’homme a besoin pour son existence : l’air respirable et l’eau, l’alimentation humaine et le sol qui la produit. J’empoisonne les animaux, les plantes, les campagnes, toute la Nature sans laquelle l’être humain ne peut vivre. » Et, précise-t-il, « Je fais passer cette misère criante pour de la prospérité, et les hommes ne remarquent pas qu’ils sont bernés. » Le Diable fait ensuite venir différents démons qui, chacun à leur tour, font un exposé circonstancié de leurs activités. …
    passionnant

    « L’homme obtiendra le succès qu’il a si longtemps cherché à atteindre en violant la Nature dans tous les domaines, avec son prétendu « Progrès » ! A la fin, l’humanité ne sera plus qu’un immense troupeau de milliards d’individus bornés, tarés, infirmes, malades, faibles et idiots (…). Une misère sans nom, les épidémies, les souffrances et la faim seront la récompense de votre belle humanité. » [Le Diable]

  8. Tout ce qu’écrit là ce Monsieur Bhaskar H. Save, c’est le fondement de notre vie sur cette terre : le respect du vivant, l’interdépendance des milieux et des organismes, leur diversité indispensable, le savoir être et faire local, la sensibilité des êtres, la transmission des savoirs : tout ce qui est balayé, broyé, ridiculisé par le gigantesque système industriel et financier maintenant généralisé à la planète entière : l’économie globalisée qui porte si mal son nom. Pourtant, on ne peut pas dire que le bilan de ce système soit bien transcendant, même évalué avec ses propres critères et instruments de mesure, par ses propres et pléthoriques analystes cravatés : dettes, chômage, crises en sont les maux quotidiens. Alors où est-ce que ça cloche, pourquoi « la révolution intellectuelle et morale » (appelée de vos vœux ici-même Fabrice) est-elle si loin de la préoccupation générale ?
    Il me semble que cette révolution soit bien au-delà de nos possibilités actuelles. Elle nécessite un effort hors de portée. L’évolution telle qu’elle est menée induit, célèbre même, le comportement « presse-bouton ». La lumière, la chaleur, la bouffe, le divertissement, la relation à autrui doivent couler dès lors que le robinet adéquat est actionné. La tendance va même jusqu’à demander au robinet de deviner à quel moment il doit s’ouvrir. C’est loin des préconisations de Bhashar H. Save. L’humanoïde ne tendant pas vers ce modèle est taxé d’obscurantiste rétrograde. Il ennuie, il est marginalisé, donc en voie de disparition. Alors que c’est lui qui a le plus de chances de mener à bien la fameuse révolution.
    Cependant, le système industriel et financier mondial, assis sur un système de dettes abyssal, engoncé dans un modèle de production inadaptable aux aléas, est au bout du rouleau. Il craque de toutes parts (Grèce, Chypre en sont quelques exemples mineurs). Son effondrement ne fait aucun doute, seule la date reste incertaine. C’est à ce moment peut-être qu’une reconstruction sur un autre modèle sera possible. Dans la douleur, avec ce qui aura subsisté.

  9. Suite du message précédent(…)Le sondage, réalisé du 28 février au 1er mars auprès de 1.508 personnes, a été commandité par EcorpStim, une entreprise qui propose une technologie injectant du propane et non de l’eau pour extraire le gaz de schiste.

    (©AFP / 27 mars 2013 16h00)

  10. les 18 points sont annulés par celui ci, l’agriculture chimique rapporte beaucoup d’argent a beaucoup de gens.

  11. Nous avons eu droit au nucléaire, nous aurons droit aux gaz de schiste et ,cette fois, avec la bénédiction d’une majorité de la population.

  12. Cela fait des semaines que mes messages s’évaporent au moment de l’envoi. J’espère que cela va fonctionner correctement ce soir.

    Merci pour ce magnifique partage. Tant de sagesse et de bon sens dans les propos de cet homme, j’en suis bouleversée.

    Un projet « d’écovillage balnéaire » soumis à la loi du littoral à la proximité immédiate de la sortie du tunnel sous la Manche.
    En clair, cela signifie 161h. transformés en complexe golfique, hôtelier et résidentiel haut de gamme sur la commune de Sangatte ( ça fait moins tâche que les sans-papiers!), proche du site des deux Caps.
    Eurotunnel promet un bilan environnemental très performant: tonte de gazon du golf pour produire de l’énergie, un écoquartier de 40 hectares et un golf écoresponsable de 121 h., de nombreux emplois….
    Un joli coin de nature piétiné et détruit à jamais, un de plus….. pour quelques privilégiés.

    Cathou

  13. Bonsoir,

    Magnifique, magnifique lettre. Merci a vous.

    Depuis 2006, quel changement?

    http://www.planetoscope.com/mortalite/163-nombre-de-fermiers-indiens-suicides-par-an.html

    Quelques miettes pour les pauvres.

    Le combat solitaire d’un journaliste pour alerter sur les innombrables suicides de paysans en Inde. Édifiant.

    Damoclès ‘s insight:
    « Près de 200 000 agriculteurs endettés et désespérés se sont suicidés en Inde depuis 1997. » C’est sur ce constat tragique que débute ce documentaire. Un état de fait contre lequel s’insurge Palagummi Sainath, journaliste spécialiste des questions rurales au quotidien The Hindu. Indigné par l’absence de couverture médiatique, il remue ciel et terre pour sensibiliser la nouvelle classe moyenne et alerter les décideurs sur ce drame.

    Sludog farmers

    La réalisatrice Deepa Bhatia filme la croisade d’un homme en colère, sillonnant depuis plus vingt ans la région de Vidarbha pour rapporter les témoignages de proches de paysans endettés, qui se sont suicidés en ingurgitant des pesticides. Une manière de lever le voile sur la face sombre de l’Inde, pays émergent marqué par des inégalités croissantes, et de dénoncer l’indifférence des autorités face à un phénomène d’une ampleur sans précédent. Le journaliste épingle le cynisme des multinationales agroalimentaires qui fixent le prix des matières premières, quand les agriculteurs occidentaux toujours plus subventionnés font aux paysans indiens une concurrence déloyale. Et face caméra, il interpelle les téléspectateurs sur leur part de responsabilité dans cette tragédie, produite par la mondialisation, qui « tue son peuple ». Un film coup de poing.

    Bien a vous, tous et toutes.

    PS. Il est trop tard! Le point de non retour est franchi … Vu l’aveuglement et le nombrilisme quasi général. Mais comme nous partons tous et toutes, tôt ou tard, les pieds devant, continuons a informer, oeuvrer pour le meilleur. 🙂

    Optimistement vôtre,

  14. l’inde l’afrique etc…ok ok
    mais pourquoi JAMAIS sur ce qui se passe en europe ! ras le bol; la Sardaigne se fait pirater sa biodiversité syngenta a aussi agi là bas sur ces tomates merveilleuses; les gens y sont bien malmenés mais rien! jamais rien pas assez exotique…sans doute

  15. Si beaucoup d’éléments de cette lettre ont pu être abordés par ailleurs, je trouve particulièrement touchant la façon dont il fait le lien entre agriculture et compassion.

  16. Merci surtout a Bhaskar Save pour, au dela de la pratique agricole d’une vie entiere, ses efforts d’education du public, a Bharat Mansata (de la librairie et maison d’edition « Earth Care Books » a Kolkata) pour la transcription en Anglais, et a Duval Gil Garcin pour avoir pris l’initiative de cette belle traduction en Francais!

    J’ajoute que comme la plupart de ses confreres technocrates en Inde et ailleurs, M.S. Swaminathan a certes une formation scientifique, mais il n’est pas un scientifique au sens ou il ne fait pas de recherche, et il ne publie pas non plus dans des revues a comite de lecture.

  17. Quelques mots du traducteur de cette « Lettre Ouverte de Bhaskar Save à Swaminathan » (Juillet 2006)à l’intention de ceux (nombreux!) qu’elle a touché et pour remercier Laurent et Fabrice d’en relayer la diffusion:

    Ce texte est unique. Il est né dans une ferme de l’Etat du Gujarat en Inde, au cœur d’une immense cocoteraie qui abrite un verger sous lequel foisonne un jardin d’Eden. Il a été conçu dans le murmure de l’eau, le bruissement des feuillages et le chant des oiseaux qui peuplent en nombre ce paradis. Il a été pensé par l’ensemble des créatures qui donnent vie à cet oasis de fertilité. Il a été exprimé , phrase après phrase, en gujarati par le Maître des lieux, octogénaire alerte, bienveillant et précis, noté avec application par l’ami qui le visite aussi souvent qu’il peut, puis transcrit par lui en anglais, la langue des affaires publiques et commerciales de ce pays, et de tant d’autres.

    Ce texte est puissant. Il s’adresse frontalement à un homme de pouvoir, chargé une fois de plus par ses pairs de décider du sort des millions de fermiers indiens, de leurs cultures et de leurs produits, des familles et de leur cheptel. Il le fait avec autorité et compassion, fort du plein droit à l’existence des êtres, sans restriction. Il tire sa force de tout ce qu’une vie d’homme a su, avec sagesse, patience et engagement, faire surgir de la terre nourricière, en vertu de l’alliance millénaire entre l’Humanité et la Nature, renouvelée jour après jour, année après année. Les plus hauts gouvernants de l’Inde, ainsi que les médias, ont eu copie de cette Lettre Ouverte, aussitôt traduite dans six des nombreuses langues de cette grande nation.

    Ce texte est précieux. Il ouvre la voie à une nouvelle forme d’invective des responsables du bien public, qui associe l’accusation directe pour des méfaits commis en toute légalité et dans le cadre de leurs fonctions officielles, à la révélation des bienfaits qu’ils sont encore à temps de répandre sur la multitude des campagnes productives, comme des baumes sur des plaies. Inspiré des principes de Gandhi, il est inflexible, non-violent et libérateur. De quels méfaits s’agit-il ? De quels bienfaits ? Prenons le temps de le découvrir dans ces pages. Ce texte est précieux et utile, prenons-en de la graine : « Semence de vie, fruit de la Nature, ce grain d’or est sacré » !

    Adressons, pour information, cette Lettre Ouverte de Bhaskar Save, digne fermier indien du Gujarat, à tous les décideurs des politiques agricoles des pays francophones, de métropole et d’outremer, d’Europe, d’Afrique, d’Amérique, d’Asie et d’ailleurs, afin qu’ils sachent, le cas échéant, qu’ils pourraient être ainsi tenus pour responsables du désastre total, écologique, économique, social et culturel, propagé par la forme aberrante d’agriculture qu’ils ont promu et qu’ils soutiennent au service, non pas des paysans ni des consommateurs, mais des puissantes firmes qui fabriquent à la fois les intrants chimiques et les produits pharmaceutiques et qui en contrôlent le marché.
    Quant au fallacieux prétexte d’avoir à nourrir des multitudes de peuples affamés, eux qui n’ont probablement jamais semé en terre une salade ou un radis, créé un jardin ou un verger, subsisté grâce aux produits de leur ferme et à la vente des excédents, qu’ils sachent que cet alibi ne tient plus face aux dégâts visibles de trop de gaffes stupides et de décisions cyniques ! Renvoyons-les simplement à l’Annexe de la Lettre Ouverte dans lequel Bhaskar Save établit en 18 points un imparable comparatif entre l’agriculture chimique et l’agriculture organique (à faire lire aux enseignants et aux élèves des écoles primaires, des collèges et des lycées, aux étudiants des Universités et aux chercheurs des Instituts et des Laboratoires).

    Avec le souhait d’être nombreux désormais à donner à ce texte unique, puissant, précieux, sept ans après sa création, une seconde vie utile dans l’espace francophone. Cordialement, et en lien avec les auteurs, naturellement. Duval Gil Garcin, Salta (Argentine), Mars 2013

  18. Valérie Quilis a écrit le 09 Avril 2013 (message dans la rubrique Chasse / Qui veut la peau des 24 loups?) :

    « Encore une chose : si la lettre de B. H. Save a tant de force, c’est, à mon sens, parce qu’elle se sert de mots véritables, sans les remplacer par leurs ersatz technologiques — qui sont au vocabulaire ce que les céréales “modernes”, c’est-à-dire altérées par l’intervention d’une technologie délétère, sont aux semences.
    On sent, dans votre traduction, le souci de rester au plus près de cette parole qui elle-même ne s’éloigne jamais des choses fondamentales »

    Il aurait été dommage que la Lettre Ouverte de Bhaskar Save à Swaminathan ne bénéficie pas de témoignage, ce qui me fait la transférer dans cette colonne.
    Etonnante et très juste réflexion qui valorise les mots vivants (qui ont du sang et de la sève) et se méfie des termes conceptuels (abstraits et
    parfois loin, non pas du sens mais des sensations qui le porte)!
    Le rapprochement entre ces mots de remplacement ou ersatz et les céréales d’ingénierie est intéressant voire saisissant … Car c’est bien avec des mots que commencent les tromperies qui deviennent à l’usage des désastres.
    La problématique ou plutôt l’offense fondamentale des « produits de substitution » qui visent au remplacement systématique (programmé, planifié, cynique)des produits de la nature par les produits des industries humaines, au profit des dominants,au moyen des ouvriers asservis et des soldats commandés, a fait l’objet d’une étrange révélation d’une lucidité chamanique évidente dès la fin de la seconde guerre mondiale. En 1947, Antonin Artaud (comédien, poéte, écrivain) a enregistré un message radiophonique d’une force inouïe (dont le ton de voix grinçant de chamane et d’oiseau peut surprendre, voire incommoder!):
    « Pour en finir avec le jugement de Dieu » regroupe la lecture de plusieurs textes dont un sur les indiens Tarahumaras du Mexique et l’autre sur la finalité des ersatz de l’époque moderne. Bonne audition (vous les trouverez sur Youtube / vidéos d’Antonin Artaud). J’en reporterai le texte ici, car il s’accorde bien avec l’expression de la Lettre Ouverte de Bhaskar Save. A +

  19. Duval Gil

    Encore beaucoup à dire sur tout cela, mais impossible pour l’instant. A bientôt j’espère
    Valérie

  20. Le texte d’Artaud auquel je fais référence (écrit en 1947) peut être lu sur le site:
    Respire asbl, « vers une poétique de la décroissance ».

    Extrait:
    « Car de plus en plus les américains trouvent qu’ils manquent de bras et d’enfants,
    c’est à dire non pas d’ouvriers ,
    mais de soldats,
    et ils veulent à toute force et par tous les moyens possibles faire et fabriquer des soldats
    en vue de toutes les guerres planétaires qui pourraient ensuite avoir lieu,
    et qui seraient destinées à démontrer par les vertus écrasantes de la force
    la surexcellence des produits américains,
    et des fruits de la sueur américaine sur tous les champs de l’activité et du dynamisme possible de la force.
    Parce qu’il faut produire,
    il faut par tous les moyens de l’activité possible remplacer la nature
    partout où elle peut-être remplacée,
    il faut trouver à l’inertie humaine
    un champ majeur,
    il faut que l’ouvrier ait de quoi s’employer,
    il faut que des champs d’activité nouvelle
    soient créés,
    où ce sera le règne enfin de tous les faux produits fabriqués,
    de tous les ignobles ersatz synthétiques
    où la belle nature vraie n’a que faire,
    et doit céder une fois pour toutes et honteusement la place à tous les triomphaux produits de remplacement …

    …Plus de fruits, plus d’arbres, plus de légumes, plus de plantes pharmaceutiques ou non et par conséquent plus d’aliments,
    mais des produits de synthèse à satiété, dans des vapeurs, dans des humeurs spéciales de l’atmosphère, sur des axes particuliers des atmosphères tirées de force et par synthèse aux résistances d’une nature qui de la guerre n’a jamais connu que la peur.
    Et vive la guerre, n’est-ce pas ?
    Car n’est-ce pas, ce faisant, la guerre que les Américains ont préparée et qu’ils préparent ainsi pied à pied.
    Pour défendre cet usinage insensé contre toutes les concurrences qui ne sauraient manquer de toutes parts de s’élever,
    il faut des soldats, des armées, des avions, des cuirassés …  »

    Vous découvrirez un texte fort, voire choquant mais qui l’est finalement moins que la réalité des zones où fait rage la guerre chimique et biotechnologique de la « Révolution verte », en Inde et partout ailleurs!

  21. Duval Gil

    (Car il faut s’adresser à ceux qui répondent)

    Le texte d’Artaud est bien de la lucidité chamanique que vous disiez. Il rejoint parfois mot pour mot, ou plutôt il est rejoint par le livre de B. de Bodinat ici plusieurs fois cité, « La vie sur terre, réflexion sur le peu d’avenir que contient le temps où nous sommes ».
    Par d’autres aussi, avant et après, traversés par la même lucidité « chamanique ». Qui, j’en ai peur, n’a d’autre aboutissement qu’elle-même.
    Ce n’est pas une raison pour s’en priver. Au contraire.

    Ce mot, chamane, et tout un tas de choses qui lui sont liées, les Indiens, entre autres, ne me parlent pas depuis si longtemps que ça ; mais je commence à ne plus entendre qu’eux.

    Pour revenir au sang et à la sève — si ce mot n’était pas pour moi inutilisable aujourd’hui je vous dirais combien je suis heureuse d’avoir été si exactement comprise — à mon tour de faire un court récit.

    Ce n’est pas qu’il fait froid, mais il fait marin, c’est-à-dire un crachin méditerranéen, qui n’a rien à envier au breton. L’air dehors est doux et incroyablement parfumé, mais dans la maison il fait très froid (c’est une vielle maison en pierre). Comme je n’ai plus de bois sec, je viens, une hotte de vendangeur sur le dos, d’aller ramasser du bois mort.
    Cette courte excursion m’a fait du bien, non seulement à cause de l’air mouillé et des odeurs printanières, du plaisir enfantin à trouver et à casser le bois et à l’entasser dans ma hotte, mais parce les mots sont encore frais dans ma mémoire que j’ai lu récemment, en Bretagne, justement, mots d’Indiens d’Amérique expliquant qu’ils ne ramassaient pour se chauffer que du bois mort.
    J’abrège, je suis en retard. Mais cette impression de faire juste, comme on pense juste, m’accompagnait et c’est elle qui m’a fait le plus de bien.
    On n’a pas quitté la lettre de B. H. Save, n’est-ce pas ?

  22. Valérie, votre collecte de bois mort « à l’indienne » c’est-à-dire en toute conscience de l’importance d’un geste (autant qu’il soit simple et fécond, donc)et avec, en retour, le gain naturel des sensations de vie que nous partageons volontiers avec vous (l’air marin fait toujours du bien!), sont en effet un prolongement évident de la Lettre de Bhaskar Save à Swaminathan, écrite, précisons-le, dans la Ferme de Kalpavruksha, pépinière de cocotiers, proche de l’Océan Indien, dans l’Etat du Gujarat. Bon vent!

  23. « Et maintenant que la raison économique a tout subjugué ; si rien n’existe plus qu’en raison de ses objectivités, de son industrie et de ses laboratoires; si a elle fait disparaître de la surface du globe tout ce qui ne rentrait pas au format dans ses ordinateurs et si c’est elle l’inventeur et le fabricateur de tout ce qu’on voit ; si tout ce qui existe, et même les pensées au moyen de quoi on s’efforcerait de la concevoir, et même les ouvrages avec l’explication que cela finirait comme ça, si tout lui est interne ; c’est elle tout entière, en conséquence, qu’il faudrait élucider. »

    Baudoin de Bodinat
    « La vie sur terre
    Réflexions sur le peu d’avenir que contient le temps où nous sommes » (2008)
    page 123

    Page 125 :
    « Et que l’on dispose ainsi au choix de deux sortes d’insatisfactions : celle ne ne croiser partout que la camelote des marchandises neuves, du simili, des contrefaçons et des gadgets de l’économie intégrale, et celle de ne trouver jamais à pouvoir s’en procurer assez. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *