Quand une journaliste fait son boulot

Cet article a été publié par Charlie Hebdo, le 13 août 2014, sous un autre titre

Les journalistes sont comme les boulangers. Il y a les bons et les autres. Mais quand on tombe sur une enquêteuse comme Stéphane Horel, on est obligé de regarder son documentaire. Horel fait aimer la télévision. Affreux.

On a le droit de rendre hommage sans donner dans le cirage de pompes. La journaliste Stéphane Horel (http://www.stephanehorel.fr), discrète comme une violette, est l’une des meilleures. Ses révélations à répétition sur le fonctionnement réel de l’Europe auraient déjà dû lever des armées, mais pour l’heure rien, ou presque.

Samedi passé – le 9 août -, France 5 a passé en catimini, à 19 heures, un documentaire d’une rare qualité, qui raconte une histoire essentielle dont tout le monde se fout. Celle des perturbateurs endocriniens. Stéphane Horel y décrit par le menu la manière concrète dont les institutions européennes sabotent tout ce qui peut gêner la marche triomphale de l’industrie. Or les perturbateurs endocriniens sont au cœur de la machine, ce qui explique le jeu criminel des transnationales.

Mais un point d’histoire. En 1991, la grande scientifique américaine Theo Colborn réunit dans un bled du Wisconsin – Racine – une poignée d’hérétiques et de marginaux, dont des biologistes. Avant tout le monde, ces pégreleux ont compris que les êtres vivants, humains compris, sont attaqués par un nouvel ennemi, qu’ils nomment aussitôt « perturbateur endocrinien ». C’est (presque) simple : des molécules chimiques de synthèse, présentes dans d’innombrables produits – cosmétiques, pesticides, plastiques, médicaments -, déséquilibrent des fonctions de base, provoquent cancers, infertilité, troubles neurologiques, favorisent l’obésité et le diabète. Comme le dit le film, ils « piratent le système hormonal et jouent avec la testostérone ou les oestrogènes ». Sur une liste à vrai dire interminable, les phtalates, le bisphénol A, les produits ignifuges utilisés pour les télés ou les ordinateurs.

Ce n’est pas grave, c’est dramatique. Car comme le montre Horel, l’Europe, infiltrée en profondeur par des lobbies amoraux, refuse d’agir. Et sabote même les efforts de ceux qui réclament des actes. On se contera ici de deux exemples, aussi écœurants l’un que l’autre. D’abord l’affaire Kortenkamp. En 2011, la Commission européenne, experte en rapports oubliés, en commande un au professeur Andreas Kortenkamp, bon spécialiste des perturbateurs endocriniens. Début 2012, il remet un texte aussi solide qu’honnête, qui est aussitôt placé en quarantaine. Parallèlement, un autre rapport – classique contre-feu – est demandé à un panel de « spécialistes ». Horel enquête et découvre que huit experts du groupe sur dix-huit ont des liens avec l’industrie transnationale. Et que onze d’entre eux n’ont jamais rien publiÈ sur les perturbateurs endocriniens.

L’autre histoire est plus folle. Entre juin et septembre 2013, 18 responsables de 14 revues de toxicologie et de pharmacologie européennes publient le même texte incendiaire. Ces pontes mettent en garde l’Europe, qui s’apprêterait – plus de vingt ans après l’alerte de Colborn ! – à prendre de timides mesures contre les perturbateurs endocriniens. En clair, il ne faut surtout pas, car selon eux, aucune étude ne serait concluante. Mais Horel publie le 23 septembre 2013 un article sensationnel dans Environmental Health News. 17 des 18 signataires « ont des liens passés ou actuels avec l’industrie ».

Son principal rédacteur, Daniel Dietrich, a conseillé une structure des industriels de la chimie, des pesticides et du pétrole, et même réalisé des études avec des employés de Dow Chemical ou Bayer, ces grands philanthropes. L’un des plus lobbies industriels de la planète, International Life Sciences Institute (ILSI), est aux manettes, financé par les secteurs agroalimentaire, chimique, pharmaceutique et des biotechnologies. Et toute velléité de santé publique est de nouveau oubliée par les agences européennes.

Est-ce ainsi que les hommes meurent ? On dirait bien. Malgré l’exemplaire boulot de Stéphane Horel, nul ne bouge. Que fout chez nous Marisol Touraine, ministre de la Santé ? Chaque jour pourtant, on comprend un peu mieux comment agissent les perturbateurs endocriniens, et l’on sait maintenant qu’ils sont toxiques à des doses infinitésimales. Bien au-dessous des normes officielles. Il est déjà très tard.

10 réflexions sur « Quand une journaliste fait son boulot »

  1. C’est comme dans le nucléaire : quad les normes sont impossibles à respecter, on change les normes !
    Fukushima le prouve tous les jours…
    Notre société de casseurs de thermomètre part à la dérive…

  2. @fabrice
    A propos des « experts », bien sur ils n’ont aucune moralité et un seul dieu:Mammon…
    mais quand aux méthodes des lobbys, elles sont rodées depuis longtemps, grâce aux innovations du lobby du tabac aux USA dans les années 50 (notamment SEMER LE DOUTE)
    Pour information:
    http://blogs.mediapart.fr/blog/marc-tertre/091012/les-vendeurs-de-doute-23-la-guerre-du-tabac-mere-de-toutes-les-bataille
    et tous les documentaires à ce sujet, ne serait-ce que pour ne plus JAMAIS être dupe!!!

  3. « .Il est déjà très tard. »

    Mais je le sais M’sieur que tout le monde ou presque s’est couché depuis longtemps !

    Arf, j’ai craqué !

  4. On a vu encore récemment avec l’amiante comment ce genre d’affaire se traite en France . La juge Marie-Odile Bertella-Geffroy qui a eu l’idée de mettre cette « chère » Martine Aubry en examen a été dessaisie du dossier et s’en ai suivi une levée de la mise en examen…
    MO Bertella-Geoffroy ne croit plus en la justice de son pays
    http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/marie-odile-bertella-geffroy-je-ne-crois-plus-en-la-justice-independante-7758489142

    Et vous espérez encore quelque chose de cette caste politique au service des lobbies de la mort
    ?
    Ouvrons les yeux en grand même si c’est pour voir l’horreur et Révoltons nous !
    Ah oui je sais, la révolte n’est pas politiquement correcte…
    Désolé !

  5. Je suis tombée par hasard sur ce documentaire qui a retenu toute mon attention. Je trouve que, depuis quelques années, certaines chaînes télé (Arte surtout) ont contribué à informer/éduquer le grand public (dont je fais partie) sur les questions écologiques majeures : le problème de l’eau potable, la toute-puissance de l’agrobusiness, l’empoisonnement des sols et des populations, la dévastation des mers et des océans…Faire l’autruche va devenir de plus en plus difficile.

  6. Il est trop tard pour beaucoup de ceux qui sont déjà partis d’un cancer.
    Les maladies auto-immunes, orphelines ou rares pullulent mais que fait la police ?
    Certes il n’est jamais tout à fait trop tard mais enfin ! Ce serait bien d’agir rapidement.
    Inverser la machine qui fait que les produits empoisonnés par les pesticides sont moins chers que les bons produits bio et tellement de choses insupportables

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