On ne me croira pas, mais j’aime ce qui marche. Je préfère les histoires qui se terminent bien. J’adore boire un coup en terrasse, éclater de rire, déconner avec un ami de passage. Il m’arrive même de me demander si mon rôle de Cassandre n’est pas un contre-emploi. Cela devient rare, j’en conviens.
Bref, Jean-Claude Pierre. Ce Breton est l’incarnation vivante de la volonté positive. Je l’ai brièvement connu il y a plus de quinze ans, perdu de vue, retrouvé. La vie même. Au cours de nos premiers échanges, il m’avait parlé de comptabilité patrimoniale. Le premier, il m’avait fait comprendre que le calcul officiel de la richesse d’un pays était une aberration. Il fallait, disait-il, changer les règles de la comptabilité nationale, de manière à ce qu’une marée noire, par exemple, ne signifie plus, au passage, une augmentation du Produit intérieur brut, ce damné PIB. Disait-on PIB en 1991 ? Je ne sais plus.
Cela n’a l’air de rien, mais à cette époque, peu de gens voyaient aussi clair. J’ai retrouvé Jean-Claude il y a trois ans, et nous avons désormais des projets communs. Cela n’est pas loin d’être un miracle, car il semble être mon opposé. Je vous résume, pour que vous puissiez juger. Jean-Claude a connu une autre Bretagne, du côté de Tréguidel, un village des Côtes d’Armor. Coulait non loin de chez lui un ruisseau, le Languidoué. Voilà comment Jean-Claude en parle (dans un entretien qu’il m’a accordé) : « Je me rappelle la limpidité de l’eau, la beauté du sable au soleil. Je vous le jure, on y voyait des paillettes d’or et d’argent. Et quand j’apercevais par dessus une truite fario, dans sa livrée à points noirs, rouges et jaunes, il m’arrivait de rester allongé vingt minutes, la tête dépassant au-dessus de la berge, à seulement admirer. Ses opercules s’ouvraient, un martin-pêcheur se posait à quelques pas, l’écureuil s’arrêtait sur sa branche, tout étonné de rencontrer un humanoïde. Mon enfance a été marquée par le fantastique, qui est la communion avec la nature ».
Nous étions dans les années cinquante du siècle passé, inutile de s’appesantir. Plus tard, devenu Parisien, Jean-Claude travaille dans un magasin du réseau des Coop. Et parvient à revenir à Lorient. En 1968, il reprend ses activités de prime jeunesse, et (re)devient pêcheur de truites et de saumons. Un jour de 1969, longeant la rivière Laïta, il découvre un spectacle fou. Des goélands et des corneilles se partagent les restes de saumons crevés, qui dérivent le ventre en l’air. L’oeuvre d’une papeterie de Quimperlé, à l’amont. Jean-Claude, qui est un catholique fervent, songe à l’Apocalypse.
Mais ce sera le début d’une autre vie. Le 25 novembre 1969, à Carhaix, il fonde avec son ami Pierre Phélipot l’Association pour la protection et la promotion du saumon en Bretagne (APPSB), devenue plus tard Eau et Rivières, l’une des plus nobles associations françaises de protection de la nature.
N’écrivant pas – pas encore – la biographie de Jean-Claude, j’accélère. Il apprend à parler en public, y prend goût, se lance dans d’innombrables lectures, entraîne à sa suite. En 1984, il quitte la présidence d’Eau et Rivières, convaincu qu’il faut passer de l’autre côté de la route. Il convient désormais, pense-t-il, de convaincre les acteurs réels, en chair et en os. Les pêcheurs, les paysans, les technocrates, les élus.
Il crée une nouvelle association, Nature et Culture, et se transforme en un missus dominicus, un envoyé spécial permanent de l’écologie sur le terrain. Il arpente. Partout, sans relâche. Il parle, conférence après conférence, dans les lieux les plus improbables, aux publics en apparence les plus rétifs. À des agents d’une Direction départementale de l’équipement ou de la Sécu. À des adhérents du Lions Club. À des maires ruraux. Partout, il fait salle comble. Mais réellement.
Que prêche-t-il ? Ce qu’il nomme le « développement durable et solidaire ». Une manière de penser la production qui n’oublie ni l’avenir, ni le Sud, ni les pauvres d’ici. Car Jean-Claude, outre qu’il est catholique, est de gauche. D’une gauche simple et généreuse, fort éloignée des palais. Il sait le prix des choses, il n’aime pas le visage de la misère.
Au fil des décennies, il a probablement parlé à des centaines de milliers de Bretons. En privilégiant le concret, en vantant les réalisations dans le domaine de l’économie, de l’eau, de l’énergie, de l’habitat. Il est ainsi devenu le guide inspiré de voyages d’études dans la ville allemande de Fribourg, étonnante réussite écologique. Je ne sais combien d’élus bretons de droite et de gauche l’ont accompagné là-bas. Disons beaucoup. Ils en reviennent soufflés. Grâce à lui.
Chemin faisant, il a également créé – avec d’autres, cela va de soi – le réseau Cohérence, qui rassemble une centaine d’associations du grand Ouest autour des objectifs du « développement durable » (www.reseau-coherence.org). Impressionnant, n’est-ce pas ? J’ajouterai pour finir quelques mots sur le miracle de Lorient. En 1976, la terrible sécheresse de l’été conduit le maire de la ville à imaginer un barrage sur le Scorff pour anticiper l’augmentation de la consommation d’eau. Les technocrates poussent à la roue, à commencer par le Directeur départemental de l’agriculture.
Mais Jean-Claude, présent à une réunion d’urgence, propose un vaste programme d’économie d’eau, qui fait hurler de rire une partie de l’assemblée. Contre toute évidence, le maire finit par l’écouter, et renonce au barrage. On se retrousse les manches, on cherche, on trouve. De 1978 à aujourd’hui, la consommation d’eau dans les bâtiments municipaux passe de 330 000 m3 à 72 000 m3, alors que le patrimoine immobilier a augmenté de 50%. Il n’y aura pas de barrage.
Grâce à un autre brave moins connu, Paul Cornic – mais Jean-Claude n’a jamais été loin -, Lorient chauffe en outre ses bâtiments publics grâce à une chaudière à bois centrale, mairie et stade compris. Et d’où vient ce bois ? Des rebuts. Une communauté d’Emmaüs récupère alentour jusqu’aux palettes des supermarchés, et fournit à la fois du travail pour les exclus du monde et de l’énergie renouvelable à la ville.
Assez causé. Jean-Claude Pierre est étonnamment différent de moi. Pour tant de raisons que je préfère même ne pas en dresser la liste. Je ne crois pas, et j’en resterai là, au « développement durable ». Pourtant, j’admire profondément cet homme. Et je l’applaudis. Et j’ai en effet des projets concrets avec lui. Cela ressemble à une contradiction. C’en est peut-être une, qui sait ? Elle est en ce cas féconde, car Jean-Claude crée du mouvement, de l’action, du changement. Comment vous dire ? Il est synonyme à mes yeux du mot espoir.
Fabrice,merci une fois de plus de nous faire connaitre un homme, un vrai, un humain qui s’engage et lutte au quotidien pour nous tous de manière désintéréssée.
Pour paraphraser un auteur classique, c’est encore plus beau lorsque c’est utile…
Oui, entièrement d’accord avec le commentaire de Frédéric. Cela dit, j’aimerais bien savoir ce que Fabrice pense, dans le droit fil de ce qu’il écrivait dans son avant-dernier texte, du livre suivant : « Les prêcheurs de l’apocalypse » de Jean de Kervadoué (Editions Plon). Je viens d’entendre quelques bribes de lui sur France Inter…
Bon, ça y est, la lecture de quelques articles sur ce bouquin m’a suffi. Il me semble qu’il faudrait en changer le titre, en fait, pour un autre du genre « Tout va très bien, Madame la marquise (à quelques détails près) » ou bien « Comment imiter les autruches en dix leçons ».
merci pour ce temoignage.
A mon humble avis, les actes comptent plus que les etiquettes ou les oppositions, droite ou gauche, developpement durable ou simplicite volontaire …
La connerie ou la sincerite n’ont pas de bord.
Je prefere me concentrer sur des gens comme ca plutot que perdre mon energie et mon « espoir » a trop cotoyer le gaspillage, la mauvaise foi et le foutage de gueule habituels et quotidiens.
encore merci pour ce blog.
@ JG, je suis d’accord avec vous , et c’est effectivement très épuisant la mauvaise foi et les foutages de gueules qui ressemblent plus à de grandes opérations brassage de l’air . sauf que ces foutages de gueule sont volontairement provoqués . Tout le monde sait que nous consommons trop, sans réfléchir suffisamment à long termes, et que nos modes de conso si confortables sont entièrement à revoir, ce qui signifie contraintes, travail . alors dès qu’un doute , concernant les alertes écologistes, est émis, cela permet de ne rien changer . Tout le monde est content : producteurs, consomateurs .et la vie , ou plutôt son assassinat, continue . J’aimerai ne jamais avoir à débattre sur ces thèmes dont nous possédons tous les réponses depuis longtemps . mais avons nous le choix ?
Je vois que Jean-Claude Pierre arrive encore a se faire mousser.
Fausse piste Fabrice.
A Jean-Yves (?) Morel : et pourquoi donc ?
Jc Pierre a failli couler Eau et Rivières de Bretagne qu’il avait créé avec quelques autres.
Il avait développé ses propres réseaux.
Il n’a pas supporté d’être remis en cause.
Il a été très bon mais aussi très décevant quand cela lui a monter à la tête.
Il a déçu beaucoup de monde en Bretagne.
Je passe sur les détails.
Réponse à JY,
Franchement, est-ce que cela valait la peine d’écrire cela ? C’est rempli de choses vagues, alors qu’un fait est certain : Jean-Claude a oeuvré. Il est l’un des deux fondateurs d’Eau et Rivières – triple hourra ! -, il poursuit une route pleine d’enthousiasme et de réussites. Aucun chemin n’est de roses, c’est l’évidence. Qu’il ait pu décevoir ou irriter – et les deux, même – tel ou tel me paraît probable. Et alors ? Je maintiens la totalité de mon propos. Jean-Claude Pierre est un être rare. Et précieux.
Fabrice Nicolino
J’ai été très proche de Jean-Claude Pierre on peut même dire que j’ai bossé pour lui et l’on aime pas être déçu par ceux que l’on a admiré.
Je te précise que cela n’a pas été un problème personnel mais la survie de Eau et Rivières
Depuis je suis prudent.
Le problème dans les assos ce sont les égaux.
Il faut s’en tenir à travailler sur des dossiers, établir des stratégies en commun.
Le seul combat qui vaille est celui de l’amitié.
jy,
Il n’y a que les gens qui agissent qui sont critiquables….
Je reviens d’une conférence proposée par Jean-Claude…. et j’ai trouvé ça très intéressant!
Si ses idées font avancer les choses, ça me suffit: l’heure est grave! Il n’est plus temps de polémiquer!
France
Jean claude Pierre bonjour,
Je n’ai plus ton numéro de téléphone.
Peux-tu me joindre au 06 32 28 58 60.
J’aimerais bien que nous puissions convenir d’une rencontre même si toi en Bretagne et moi à La Seyne sur mer ne facilite pas une belle discussion sous un figuier.
A bientot.
Louis Soufflot
Bonjour,
Juste un petit mot ici, pour vous dire qu’au delà de son engagement citoyen et humaniste, Jean Claude Pierre reste ce voisin passionné qui m’a accompagné sans le savoir, dans la construction de mes valeurs portées sur un monde d’humanité positive. J’étais enfant, notre maison jouxtait la sienne à Quéven, rue des primevères.
Mon père ne l’appréciait guère. J’ai compris bien plus tard que ces convictions perosnnelles, et ses engagements écologistes dérangeaient ce père aux convictions idéologiques dogmatiques.
Je n’oublierais jamais cette fois, ou mes parents ont pourtant accepté que j’accompagne Jean Claude Pierre sur les bords du scorff et ma surprise quand il m’invita à jeter proprement un sachet de papier contenant la peau d’une banane qu’il venait de m’offrir en gouter. Combien de fois cette situation a résonné en moi dans la recherche de repères écologistes.
Puis ce fut ces dossiers de classe sur le Scorff (primaire ou secondaire?) ou il m’appris à connaitre la vie de ce magnifique cours d’eau,les dangers qui le menaçaient et les obligations données à l’homme pour lui redonner vie …et tout cela en m’autorisant à utiliser son matériel de diapositives en fondu enchainé !!.
Plus tard, il y eu un chantier de nettoyage auquel il m’invita.
Aujourd’hui quelques décennies ont passé J’ai croisé Jean Claude Pierre une fois à Lanester, il y a une quinzaine d’années, à l’issue de l’une de ses conférences.
Son engagement s’est déplacé dans une lecture plus globale des problématiques environnementales et de survie de l’espèce humaine.
J’apprécie énormément cette démarche qui prend de la hauteur pour promouvoir une réflexion permanente sur nos actes, même si je doute de son efficacité sur une planète ou tout se « globalise », ou les aspirations positives de ceux qui ont disposé de tout, ne peuvent être celles de ceux qui aspirent à en disposer aujourd’hui.
Je me suis installé depuis peu à Pont Scorff. Quand je descends sur ces rives, le Scorff me parle toujours, en tout lieu. Le saumon qui avait disparu avec la truite lorsque je suivais Jean Claude Pierre est revenu. La promesse de cet homme a été tenue. Et aujourd’hui ce cours d’eau est comme le fil de mon histoire.
vous m’avez offert ici une tribune pour remercier cet homme. Je lui dois cette merveilleuse attache à mon lieu de vie, et à mes nouveaux engagements pour améliorer de façon raisonnée et durable la qualité de vie de mes concitoyens.
Didier LE PRIOL