Il nous faudrait une bonne guerre

Publié par Charlie-Hebdo je ne sais plus quand, mais il n’y a guère.

Les ancêtres Robert Schuman et Jean Monnet ont construit l’Europe pour en chasser la guerre. Mais ils ont oublié en route les peuples. Faute de mieux, des petites crevures nationalistes ne rêvent que de s’en prendre aux migrants. Avant d’éventrer le voisin de palier.

On hésite entre naphtaline, rogaton ou préhistoire. Les images dudit père de l’Europe Robert Schuman, le 9 mai 1950 (www.ina.fr/notice/voir/VDD09016192), font penser aux Actualités de la guerre sur le front russe. On croirait Pétain faisant « don de [sa] personne à la France ». Qu’annonce le vieux tromblon de sa voix chevrotante ? Que faute d’avoir construit l’Europe, nous avons eu la guerre. Mais que cela va changer grâce au splendide projet de Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), qui verra le jour en juillet 1952.

Le mal est là, qui n’en partira plus : l’Europe, c’est l’économie, le flouze, les subventions et les budgets, les comptes d’apothicaire. On va pas être plus salauds que cela pour les fondateurs : ils croyaient sûrement éviter le retour des grands massacres. De ce point de vue, et quoi qu’on pense de ces deux vieux renards, la « réconciliation » entre l’Allemagne et la France, via de Gaulle et Adenauer, est un sommet.

Pour le reste, la chienlit organisée. On crée en 1957 la Communauté économique européenne (CEE) – six membres -, puis dans la foulée la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA). Suivent la suppression des droits de douane – 1968 -, l’adhésion des Britiches, du Danemark et de l’Irlande – 1973 – l’entrée de la Grèce – 1981 -, l’arrivée de l’Espagne et du Portugal -1986 -, le fameux traité de Maastricht, en 1992. On se souvient que ce dernier a bien failli être refusé en France, mais par la grâce de Mitterrand et de ses sbires, a finalement été accepté. On pouvait donc continuer cette apothéose bureaucratique, avec ses fonctionnaires surpayés et sa novlangue de derrière les fagots.

Les grandes dates s’enchaînent, comme les traités, comme les adhésions : on en était à 12, on se retrouve à 15, à 25, puis 27 et 28. Dans cette soi-disant Union européenne (UE), dans cet authentique bobinard, plus rien n’est contrôlable, plus rien n’est réformable. L’Albanie, la Serbie, la Turquie, la Macédoine, le Monténégro grelottent et s’usent les pognes à cogner à la porte. Mais Bruxelles n’a plus un rond.

Plus un rond ? La crise de 2008 a révélé l’extrême fragilité de la Grèce, et de l’Espagne, et de l’Italie. Il a fallu en catastrophe lancer un Mécanisme européen de stabilité (MES), capable de mobiliser au total l’extraordinaire montant de 750 milliards d’euros. Mais le spectre d’une explosion financière générale, revenu à grande allure depuis la fin de l’année 2015, fait d’autant plus flipper les petits gars de l’Union que tout est train de se barrer en morceaux. Pardon, en couilles.

On commence par le Royaume-Uni ? Toujours le cul entre le continent et les Amériques, Londres voudrait bien le beurre et l’argent du beurre. Le Premier ministre Cameron s’est engagé à organiser un référendum – au plus tard en 2017 – sur le maintien du pays dans l’Union. Un éventuel départ signifierait a British exit. Un Brexit. Une fin certaine du projet de 1957.

Plus haut, l’Écosse prépare un autre référendum, prévu en septembre, qui décidera de son éventuelle indépendance, accompagnée d’une possible adhésion à l’Europe. Mais les pontes autodésignés de l’UE ne veulent pas en entendre parler, de même qu’ils refuseraient, du moins pour l’instant, une Catalogne indépendante de l’Espagne, en projet. Ne surtout pas croire que ces poussées nationales et nationalistes seraient isolées. Sur le mode répugnant du populisme d’extrême-droite, une vingtaine de partis s’emploient chaque jour à disloquer la construction européenne rêvée par Monnet, De Gasperi, Spaak, Adenauer et Schuman. Qu’ils s’appellent Parti national slovaque, Ligue du Nord, Front national, Aube dorée, UKIP, FPÖ, les Vrais Finlandais, Jobbik ou encore Parti de la grande Roumanie, ils veulent tous retrouver les bonnes vieilles frontières d’antan. Et les guerres qui allaient si bien avec. Ce que veulent au fond ces joyeux lurons, c’est le champ de bataille, et l’étripage du voisin. On s’en rapproche.

Et d’autant que revoilà les Sarrazins, aubaine pour tous nos amis fascistes et apprentis. La déstabilisation en chaîne du Maghreb et du Machrek provoque des migrations si massives que la gentille Europe commence à fourbir ses fusils d’assaut. Au passage, un merci éternel à George W.Bush et Nicolas Sarkozy pour leur rôle si précieux de guest stars en Irak et en Lybie.

Que faire des réfugiés ? Faisons le compte. Après avoir ouvert son portail, l’Allemagne de Merkel le referme à la gueule des Syriens, et envisage de foutre en l’air Schengen, ce réseau européen qui veille aux frontières. L’Autriche, patrie d’un homme politique mort en 1945, termine une barrière métallique à la frontière slovène. Ce que voyant, la Slovénie dresse à son tour des barbelés à la frontière croate. Ce que voyant, la Croatie envisage de faire de même à la frontière serbe. Ce que voyant, la Macédoine clôture sa frontière avec la Grèce avec du fil de fer crochu, etc.

Est-ce bien tout ? Que non. La Hongrie de Viktor Orbán a terminé à l’automne sa barrière de 175 km à ses frontières sud – Serbie et Croatie – juste après avoir adressé un long questionnaire imprimé à 8 millions d’exemplaires envoyés dans chaque foyer. Parmi les douze questions, celle-ci : « Etes-vous d’accord avec le fait que les migrants menacent l’existence et l’emploi des Hongrois ? ». L’ombre des Croix Fléchées, parti hongrois nazi fondé en 1939, s’étend de jour en jour. Et de même à Varsovie, où le pouvoir ultracatho de Jaroslaw Kaczynski vient de réussir un putsch à froid sur les médias et le tribunal constitutionnel, annonçant d’autres mesures. Va-t-on vers le retour des octrois et des douanes sur chaque pont et à chaque croisement ?

L’Europe dérisoire de Juncker, perdue dans ses infinies contradictions, a décidé pour le moment de regarder dans l’autre direction. Que pourrait-elle faire, cette petite chérie ? Un excellent sous-fifre dont on ignore le nom vient quand même de souffler une idée à Merkel : appeler l’Otan à l’aide pour mieux empêcher les migrants de passer. Hollande, qui s’apprête en catimini à réintégrer l’Otan, applaudit sûrement. Rappelons que l’Organisation du traité de l’Atlantique nord est une vaste coalition militaire destinée à mener la guerre. L’Europe de papa Schuman est morte. Vive l’Europe des barbelés, vive la guerre qui vient !

6 réflexions sur « Il nous faudrait une bonne guerre »

  1. Un peu de biblio sur les pères fondateurs de l’Europe ne vous ferait pas de mal Fabrice. Votre travail – immense – de déconstruction des mythes du modernisme devrait maintenant passer par la déconstruction du mythe des origines de l’Europe.

    Ici, dans le Chiapas, nous parlons presque chaque jour de souveraineté (alimentaire, énergetique), mot presque tabou (à cause du souverainisme? ) en France. Il serait temps de se réaproprier ce concept.

    Salutations

  2. Le tableau est hélas correct, confirmé de tous cotés, et même, parfois et de manière décalée, mais de plus en plus, par la presse otanienne. Il faut quand même se demander si l’image d’Épinal des « pères de l’Europe », Monnet, Schumann etc. n’est pas une simplification de la réalité et si nous n’assistons pas, tout simplement, a une levée du voile, a un éclaircissement du brouillard d’illusions dont nous nous sommes entourés. La guerre vient ? Mais alors, les génocides (pardon, les « printemps ») Libyens, Syriens et Irakiens, avec leurs centaines de milliers de morts, leurs millions de réfugiés, ne sont pas des guerres ? Et les milliards d’euros que nous avons investis dans la conduite de ces guerres n’impliquent pas notre participation, ou bien pas « réelle », pas « pour de vrai » ? Et l’Europe se découvre soudainement « militarisée » à nouveau, (oui, « à nouveau » dit-on), mais a-t-elle vraiment jamais cessé de l’être ? Quelle année, entre 1945 et 2016, l’Europe n’a pas mené une opération militaire, un bombardement, des « assassinats ciblés » hors de ses frontières ? Il n’y en a pas une seule. Dans ses frontières, surtout dans sa partie occidentale, ce fut bien moins intense, mais pas inexistant. On parle aujourd’hui de « Gladio 2 ». Mais, de la gare de Bologne à l’aéroport de Bruxelles, n’est-ce pas simplement exactement le même « Gladio », seulement adapté à l’évolution des perceptions ? Je me souviens de textes, de bandes dessinées même, qui dans les années 1970 dénonçaient Gladio et l’OTAN, et je les trouvais exagérés, mais maintenant je comprends qu’ils visaient pile au milieu de la cible, et de plus en plus de gens le comprennent.

  3. Merci Fabrice,

    Avec grand respect.

    Petite, mon admiration pour mémé tricotant avec plusieurs pelotes, était sans borne. Cela donnait de très belles chaussettes chaudes. Pour pères fondateurs de l’Europe, plus l’on tire sur les fils, plus les pelotes sont dévidées, plus les chaussettes sont moches!

    En 1922, il fonda le mouvement “Pan-Européen” à Vienne. Pan-Europe est la base de notre Europe contemporaine et cet homme, Richard de Coudenhove-Kalergi, serait finalement le premier véritable père fondateur de l’Europe. Les idées qu’il a transmises au cours de la première moitié du 20e siècle ont révolutionné l’Europe.

    Parmi les premiers soutiens, on trouve les politiciens tchèques Tomas Masaryk, Edouard Benes et le banquier Max Warburg qui a financé les 60 000 marks de départ. Le chancelier autrichien Ignaz Seipel et le futur président autrichien, Karl Renner, eurent la responsabilité de diriger le mouvement “Pan Européen”. Plus tard, les politiciens français, comme Léon Blum, Aristide Briand, Alcide de Gasperi, etc, proposèrent leur soutien.

    Pan-Europe fut donc écrit en 1923 et à sa suite le mouvement paneuropéen commença. En 1926, le premier congrès paneuropéen se réunit à Vienne au Konzerthaus et rassembla plus de 2000 participants. De nombreux intellectuels lui témoignèrent leur soutien, tels Guillaume Apollinaire, Albert Einstein, Sigmund Freud, Thomas Mann, mais aussi des personnalités politiques comme Edouard Herriot, Aristide Briand, qui présenta en 1929 un projet d’association européenne à la SDN, et plus tard Konrad Adenauer, Robert Schuman, Winston Churchill, qui furent eux les pères fondateurs de l’Europe de l’après-guerre.

    En effet, Churchill s’est inspiré de Pan-Europe pour lancer son appel de septembre 1946 à l’unité du continent sous la bannière des Etats-Unis d’Europe. Il en est de même quant à la déclaration Monnet-Schuman.

    Avec la montée du fascisme en Europe, le projet fut abandonné et le mouvement “Pan Européen” obligé de s’auto-dissoudre, mais après la seconde guerre mondiale, Kalergi, grâce à une activité frénétique et inlassable et au soutien de Winston Churchill, des grands journaux comme le New York Times, réussit à faire accepter son plan par le gouvernement américain.

    Bien qu’aucun livre d’histoire ne mentionne Kalergi, ses idées sont les principes directeurs de l’Union Européenne.

    ——-

    Konrad Adenauer (Allemagne)
    Joseph Bech (Luxembourg)
    Johan Willem Beyen (Pays-Bas)
    Winston Churchill (Royaume-Uni)
    Alcide De Gasperi (Italie)
    Walter Hallstein (Allemagne)
    Sicco Mansholt (Pays-Bas)
    Jean Monnet (France)
    Robert Schuman (France)
    Paul-Henri Spaak (Belgique)
    Altiero Spinelli (Italie)

    Ben dites donc! En fouillant bien, y’a de quoi avoir la chair de poule! M’en va empiler des chaussettes. 🙂

    Bien a vous,

  4. Le libéralisme économique des années 20 a entraîné la grande dépression de 1929, puis la montée des nationalismes et la guerre.
    Le néo-libéralisme a entraîné la crise de 2008, et les nationalismes sont en train de monter. La suite ? L’être humain a une mémoire de poisson rouge ?
    Le fait est que l’idéologie libérale promeut une concurrence de tous contre tous, au lieu de la coopération; la guerre économique, qui est une autre forme de guerre. Et chaque pays essaye de tirer la couverture à lui pour avoir le plus d’emplois, etc…alors que le sous-emploi (chômage ou temps partiel subi) est majoritairement dû aux niveaux de productivité atteints, couplés à la surproduction qui ne correspond pas aux besoins réels.
    Et nos chefs d’état veulent augmenter le temps de travail ?

    Après c’est aussi à nos concitoyens européens de s’acheter un cerveau pour se rendre compte que cette situation « due à l’Europe » est le résultat d’une Europe mal fichue bâtie par ceux-là même qu’ils élisent et qui se retrouvent comme chefs d’états au Conseil européen, ou comme députés européens. Quelque part on a ce qu’on mérite, et à raisonner avec l’intelligence d’un troupeau de moutons, on finit comme eux, à l’abattoir.

    Concernant l’Irak, la Lybie et la Syrie : OK pour l’Irak. Pour la Lybie et la Syrie, je suis beaucoup plus dubitatif.
    La Lybie était partie en conflit interne avant les interventions extérieures. Il ne faut pas oublier que la Lybie a une structure clanique, comme l’Afghanistan, avec des alliances variables, comme la France au temps de la féodalité. Les pays européens ne l’ont pas compris et Sarkozy a dû être motivé à intervenir car il se trouvait très con d’avoir flirté avec Kadhafi. Mais d’un autre côté, lors de l’attaque de Benghazi par les troupes de Kadhafi, tout le monde avait en tête les massacres de Srebrenica en Bosnie, où on a assez reproché aux pays européens et à l’ONU de rester le cul sur la chaise. Alors ?… La vérité est ailleurs ?
    La déstabilisation de la Syrie remonte aussi avant les interventions extérieures. Elle aurait même pour partie une cause climatique : des études récentes de dendrochronologie (étude des cernes d’arbres) montrent que la sécheresse de la Méditerranée orientale, qui sévit depuis les années 2000, est la plus grave depuis 5000 ans. L’agriculture intensive, gourmande en eau, ayant épuisé les nappes phréatiques, des populations de paysans ont été ramenées vers les villes. Sans oublier bien sûr l’exemple des soulèvements en Tunisie et Egypte qui ont motivé ceux qui ne supportaient plus le dictateur en place.
    De là à dire que ces 2 pays ont été déstabilisés par les interventions extérieures, il me semble que c’est caricaturer une situation beaucoup plus complexe. Par contre, pour l’Irak, il n’y a pas photo.

    1. Ca c’est sur que reagir a un probleme de secheresse en financant des hordes de mercenaires c’est « caricaturer une situation »!!! On est tres, tres forts en caricatures.

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