Je n’ai jamais rencontré madame Laurence Tubiana, et je dois avouer que cela ne m’a pas trop manqué. Qui est-elle ? Qui n’est-elle pas, plutôt. La totalité de ses titres, auxquels elle semble tenir avec fermeté, dépasse le cadre de cet article. Choisissons, élaguons : elle est la directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), prof à Sciences Po et siège dans un grand nombre de commissions et de conseils d’administration divers et variés.
Elle serait de gauche que je n’en serais pas autrement étonné. Elle a en effet été conseillère de notre excellent Jospin quand il était Premier ministre de la France, ce que des insolents comme moi finissent par oublier. Qu’il a été Premier ministre, je veux dire. Et de gauche, bien sûr. En somme, Laurence Tubiana est une considérable personne, au confluent de la politique, de l’économie, de l’écologie et des relations internationales.
Venons-en aux faits. Cela faisait un moment que l’Iddri et madame Tubiana, ce qui est bien leur droit, préparaient le terrain pour un machin de plus. Un machin sur la biodiversité. Un truc international, sur le modèle plus ou moins fidèle du Giec, ce groupe d’experts sur le climat qui a reçu le Prix Nobel de la paix. C’est vrai, quoi, il n’y a pas que le climat, tout de même. Et les éléphants, et les baleines, et les forêts tropicales ? Pour être complet, l’idée a été exprimée la première fois au cours de la farce grandiose organisée par Jacques Chirac à l’Unesco, en janvier 2005. Je vous en rappelle l’immortel intitulé : « Biodiversité, science et gouvernance ».
Donc, un lobbying intense autant que durable. Parallèlement, un Borloo et une Kosciusko-Morizet, ministre et secrétaire d’État chargés de l’écologie et du développement durables. Mal en point depuis qu’il apparaît cette évidence que le Grenelle de l’environnement fut une mise en scène dépourvue du moindre acte, ce qui est toujours fâcheux au théâtre.
Des lobbyistes, des ministres en mal de reconnaissance, une idée qui ne mange pas de pain : l’étincelle ne pouvait être très loin. Le résultat des courses s’appelle IMoSEB. Je vous jure que je n’invente pas : l’IMoSEB est né, alleluia ! Il s’agit de l’acronyme anglais de Mécanisme mondial d’expertise scientifique sur la biodiversité. Je ne galèje pas davantage. Tel est notre petit nouveau.
Je ne doute pas qu’il grossira, car toutes les occasions sont bonnes de réunir son monde et de voyager pour la bonne cause. Madame Valérie Pécresse, ministre de la Recherche, a en tout cas confié à madame Tubiana une mission décisive de « pilotage et de coordination ». On verra ce qu’on verra. Dès 2009, l’IMoSEB devra être « opérationnel ». Pour cela, madame Tubiana aura pour tâche, comme l’indique sa fort sérieuse lettre de mission, « d’organiser la contribution de la recherche française au projet d’expertise » et de préparer « les négociations au plus haut niveau avec les gouvernements, les partenaires institutionnels et les ONG ».
Où est le problème ? Je vous le demande. Et j’y réponds dans la foulée. Au moment même où était annoncée cette (petite mais réelle) loufoquerie, on apprenait le résultat d’une étude du Muséum sur l’état des espèces protégées en France. 200 espèces animales et 100 espèces végétales, légalement protégées je le rappelle, ont été étudiées, ainsi que 132 espaces naturels.
Le résultat est simplement fou. 36 % de ces espaces sont dans le rouge, statut dit « défavorable mauvais ». Les espèces qui y vivent voient leur avenir compromis. 29 % sont dans l’orange, statut « défavorable inadéquat », inquiétant mais réversible. Le comble de tout est que le loup est l’un des seuls animaux à sortir son épingle du jeu. Le loup, qui vient de revenir seul chez nous, sans demander son avis à aucune commission !
Je résume et synthéthise : l’état réel de la biodiversité ordinaire d’un pays comme le nôtre est lamentable. Et parmi les causes les plus évidentes, il faut citer, sans surprise, l’agriculture intensive et les projets industriels. Voilà pourquoi il était si urgent de confier une mission à madame Tubiana.
Et en effet ! Le 19 octobre dernier, l’Iddri qu’elle dirige invitait à Paris, pour une conférence, Blairo Borges Maggi, gouverneur de l’Etat du Mato Grosso (Brésil). Titre de la conférence : « Production agricole, commerce et environnement, le cas de l’État du Mato Grosso ». Maggi, directeur du Groupe Amaggi, est considéré comme le roi du soja. Son empereur même. C’est dans son État que sont en train de mourir, encerclés par le soja transgénique, les Enawene Nawe, un minuscule peuple indien de la forêt défunte. Maggi est aussi et fatalement l’un des défenseurs les plus acharnés de la route BR-163, longue de près de 1700 km, qui permet l’acheminement du soja jusqu’à Santarém, un port du fleuve Amazone, via la forêt tropicale. Faut-il être plus explicite encore ? Je doute.
Bien sûr, l’Iddri de madame Tubiana a le droit d’inviter qui elle veut, même des coupables de crimes écologiques. Bien sûr. De même que l’Idri a bien le droit de compter dans son conseil d’administration le cimentier Lafarge, Véolia Environnement, et même Coca-Cola, Arcelor-Mittal, EDF, Rhodia, Dupont de Nemours, Solvay, Renault, Sanofi-Aventis, etc, etc.
Mais oui, je vous le dis : madame Tubiana a tous les droits. Dont celui de faire croire qu’elle luttera efficacement pour la biodiversité sans jamais toucher à l’industrie – qui finance gentiment ses activités – ou à l’agriculture industrielle. Quant à moi, je me réserve le droit des bras d’honneur, et du rire dévastateur, en attendant mieux. L’écologie officielle, celle des salons dorés et des conférences endimanchées, je vous la laisse volontiers, madame.
PS : dans la série Rions un peu sait-on jamais, je vous signale ce compte-rendu (involontairement) hilarant d’une réunion au cours de laquelle madame Tubiana estime que « la biodiversité est un concept difficile à saisir » (www.lapeniche.net).
je viens de tomber sur votre site par l’intermédiaire de l’ASPAS, qui vous a décerné le trophée de plume, et ayant lu cet article je me me sens heureuse de savoir qu’il existe des gens comme vous, engagé et militant (j’ai très envie de lire votre livre sur les biocarburants) et en même temps révoltée par ce qui se passe « officiellement » concernant l’écologie en france et dans le monde. vous consolidez mon opinion optimiste que j’ai, que le monde bouge petit à petit et que de plus en plus de monde seront touchés et se mobiliserons. merci de faire passer les informations, de synthétiser et vulgariser d’une certaine manière, pour rendre plus accessible tout ça.
bonne continuation =) !
Chirac aussi est en danger de mort (de ridicule) avec sa Fondation – quelle honte ! Ces gens-là ne reculent vraiment devant rien !
et c’est avec ce type de projets que l’on avance …
http://www.lemonde.fr/sciences-et-environnement/article/2008/03/03/grand-tetras-contre-teleski-en-ariege_1018143_3244.html#ens_id=1018248
La Beste de Neuilly, Borloo, NKM, Allègre, et maintenant Tubiana… ça se bouscule au portillon. Mais lequel sera LE (la) messie qui nous sauvera ?
Merci cet article intéressant et permettant de savoir ce que devient cet IMoSEB.
quelques précisions à ce sujet, d’ailleurs : car si L Tubiana a bien une mission de « pilotage » pour créer cet « imoseb », une consultation internationale mené à la fois par des scientifiques , des représentants de gouvernements, des Organisations Internationales, des ONGs, des communautés locales et autochtones a été conduite pendant prés de deux ans pour définir ce que devrait être les finalités de cet imoseb ( que faire? vers qui? et comment?)
des résultats sont disponibles sur leur site (imoseb.net)
Aprés donc, tout dépend donc de la mise en oeuvre de ces résultats qui l’a fait, de son contexte et pour quels objectifs (politiques ? )
Loin de tout ce tumulte politique et financier, je vous propose une pause planétaire en découvrant le vrai message que la nature nous amène, pas de bla-bla-bla , un message authentique qui vient du plus profond des racines dans la terre, dans le beau et le rare!
À découvrir sur: http://www.herbettes.fr