Merci à l’ami Christian Berdot, qui me fait découvrir une personnalité d’exception : Christian Pèes. Je ne sais pas combien de temps le lien magnifique qui suit fonctionnera (ici). Et donc, vite, vite, lisez l’entretien réalisé par le quotidien Sud-Ouest avec Pèes, « maïsiculteur » émérite du Béarn.
Pèes, disons-le tout de suite, semble parfaitement sincère. Ce qu’il dit, il paraît le penser. Eh bien, croyons-le donc. Pèes pousse ce que nous sommes censés prendre pour un coup de gueule, sous ce titre évocateur : « Trop, c’est trop ! ». Tout est trop, chez notre leader paysan. Le Grenelle de l’environnement d’octobre 2007 promet de faire passer les cultures bio en France à 20 % du territoire agricole en 2020 ? Ce n’est pas seulement trop, c’est « hyper dangereux ». Pourquoi ? On repassera un autre jour.
Ce n’est pas comme les pesticides, tenez. Les pesticides, on les accuse de tout, mais que ferait-on sans eux ? Hein, répondez, vous les petits malins. Pèes vous rétorquera de toute façon que les pesticides sont « un sauf-conduit pour la vie. Il faut traiter, alimenter une plante pour qu’elle vive. Regardez ce qui se passe avec le développement de la rouille brune sur le blé en Iran et en Afghanistan ». Et que répondre à un homme qui parle aussi bien de la rouille ?
Et caetera, et caetera. Faut faire gaffe à l’agriculture vivrière, faut pas prendre les paysans pour des imbéciles, faudrait voir à produire massivement. Ce penseur aura-t-il lu Sarkozy dans le texte ? Cela se pourrait. Lisez plutôt : « Je propose que l’on se mette au travail. Que l’on produise pour alimenter les gens et faire de la biomasse. Donnons-nous les moyens d’y parvenir proprement. C’est là qu’il faut parler de développement durable. Mais en tenant compte de ses trois piliers : le social – c’est-à-dire l’homme et les salaires -, l’économie et l’environnement.
Or, le problème, c’est qu’on ne traite aujourd’hui les questions de développement durable que par le biais de l’environnement. Le Grenelle qui s’est tenu à ce propos en est la caricature ».
Mais au fait, qui est ce Pèes ? Eh bien, après une maîtrise de géographie à l’université de Pau, cet excellent agro-manager est retourné sur la ferme béarnaise de son père, où il mène depuis une fascinante carrière. Président du Groupe Euralis depuis septembre 2 000, vice-Président de Coop de France, trésorier de l’AGPM (Association générale des producteurs de maïs), Pèes n’est pas ce qu’on pourrait appeler un petit paysan. Euralis a réalisé en 2007 un chiffre d’affaires de 1 milliard 26 millions d’euros, en augmentation de 23,7 % d’une année sur l’autre. L’effet prix des céréales. Oui, Euralis gagne beaucoup d’argent avec la flambée actuelle du cours des céréales. Celle-là même qui pousse les gueux du Sud à se révolter.
Euralis est le premier producteur mondial de foie gras, le premier opérateur européen sur le marché européen du maïs, le cinquième semencier européen dans le domaine du maïs et des oléagineux. Mais Euralis se plaint, par la bouche avisée de son président, Christian Pèes. Lequel a la tâche redoutable de changer radicalement de discours sans descendre de son tracteur. Rude : l’agriculture industrielle a toujours promis qu’elle nourrirait le monde, et voilà que, tonnerre !, elle l’affame. Il faut expliquer.
Que dire ? Oui, que raconter pour continuer à maintenir les liens affectueux avec le ministère de l’Agriculture, et ses mannes providentielles ? Fichu métier que président d’Euralis, je vous jure. D’autant qu’en 2005, Euralis s’est lancé dans une opération de haut vol et d’immense moralité : l’industrie des biocarburants. Car, sachez-le au cas où vous l’ignoreriez encore, si l’on triture comme il faut le maïs de M.Pèes, il donne un excellent bioéthanol, carburant végétal de première qualité.
Ah, le cri de colère du « maïsiculteur » ! Au début de 2006, Euralis attend des droits supplémentaires qui lui permettraient de produire au total 100 000 tonnes par an de biocarburants (ici). Une grande usine, à Lacq, s’apprête à cracher les flammes. Sauf que ces basses crapules du Nord – la Champagne-Ardenne par exemple, avec son colza et ses betteraves – ont pris de l’avance sur le Sud. Alors, Christian Pèes tonne : Euralis, dit-il, « n’admettra pas que toute la production soit concentrée au Nord de la Seine et que le maïs n’ait rien ».
À ce moment de l’histoire, tout baigne encore. La moisson des biocarburants s’annonce prodigieuse. Pèes, qui a un blog (voir) – si -, y écrit le 25 août 2006 : « D’ores et déjà, d’autres mutations prometteuses voient le jour, j’en veux pour preuve toutes les initiatives réconciliant (enfin !) agriculteurs et citoyens, comme le développement des biocarburants et des biomatériaux face à l’épuisement des réserves en pétrole ». Un visionnaire.
En décembre, il publie un livre : L’arme alimentaire, les clés de l’indépendance (Cherche Midi). Les biocarburants y sont à nouveau présentés comme un thème réconciliateur. Entre le maïs intensif et la bagnole individuelle, il est vrai que les sujets de fâcherie demeurent rares. Mais à la rentrée de septembre 2007, le climat se dégrade pourtant. Je ne veux à aucun prix en exagérer l’importance – hélas, trois fois hélas ! -, mais c’est à ce moment-là que sort mon pamphlet contre les biocarburants : La faim, la bagnole, le blé et nous. Je crois sincèrement y avoir rassemblé l’essentiel de ce que tout le monde pouvait savoir. Y compris la menace immédiate de famines de masse provoquées par cette criminelle industrie.
Mais un Christian Pèes a ses sources, et au cours d’un colloque qui se tient en octobre 2007, il affirme haut et fort : « Tout le monde sait que les biocarburants ne peuvent pas en ce moment être responsables de la hausse des prix des céréales ». Tout le monde, soit Christian et ses potes. Il n’empêche : l’heure des comptes approche, mais il n’est pas question qu’Euralis en paie le moindre. Ce serait injuste, cela ferait trop plaisir aux Américains, et à ces étranges et étrangères institutions qui paraissent faire la loi dans l’agriculture mondiale.
Je vous invite pour conclure à vous rendre sur le blog de monsieur Pèes, où il a une manière bien à lui (le 15 avril 2008) d’expliquer les émeutes de la faim en cours. Les biocarburants n’y joueraient pas le moindre rôle. La véritable explication est ailleurs, et la voici : « On croyait la spéculation sur les matières premières agricoles révolue, elle s’avère l’une des causes premières des émeutes de la faim. Trompés par l’illusion d’une mondialisation libérale apportant une nourriture abondante et accessible pour tous, partout dans le monde, les français découvrent avec stupeur que la famine s’abat sur les populations les plus pauvres en Egypte, à Haïti, au Cameroun, au Mexique, en Indonésie…».
Les émeutes de la faim, démontre brillamment Pèes, « se décident à Chicago ». Là-bas au loin, dans ce pays maudit soumis au « rôle insidieux de la spéculation ». La France n’y est pour rien, ballots que nous sommes, nous les critiques perpétuels. La France ne peut y être pour rien. Car autrement, le système industriel défendu par notre noble esprit serait absurde et un tantinet pervers. Non ? Car sinon, ne vaudrait-il pas mieux – horresco referens – se tourner vers l’agriculture biologique ? Et non pas sur 20 % du territoire, mais sur 100 % ? Et au plus vite ?
Par bonheur, Pèes a tous les pouvoirs.
On dirait du Kervasdoué ou du Allègre. Même tonneau, mêmes arguments.
Pourquoi ne formeraient-ils pas un club de « pensée », les 2 cités par miaou + L. Cabrol ?
Sérieusement, quelques dizaines de milliers de Birmans auraient-ils été victimes du réchauffement climatique ? Pas sûr, disent certains experts, il faudrait confirmer la chose…
Voui, le maïsiculteur, c’est un ptit gars bravache qui ne s’en laisse pas conter et qu’est rude à la tâche, faut voir comme, sacrebleu…Mais le mâïsiculteur lorsqu’il retrousse ses manches vers la fin du mois pour faire sa comptabilité, devrait avoir une petite pensée émue pour le contribuable européen qui lui offre gracieusement (et de sa poche) une grosse partie- mais alors là une bonne grosse partie- de son bénéfice net d’exploitation. Quant au contribuable français, dans sa grande mansuétude, il lui offre de surcroît un bonus : l’eau que le maïsiculteur-ce-fier-entrepreneur balance sur son produit fétiche ( 500 litres, voire plus pour obtenir un kilo de maïs)ne lui coûte pas grand-chose, à vrai dire. C’est cadeau, ne nous remerciez pas, ça nous fait plaisir…Voilà une bien intéressante industrie : elle vit en permanence sous perfusion, gavée de subventions toute l’année.Et le robinet à subventions s’ouvrira encore plus largement pour notre ami maîsiculteur-ce grand rebelle- lorsqu’il décidera de fabriquer du maîs combustible pour faire rouler les quatre quatre de ses voisins.
En ce qui concerne les amis des OGM zé des biocarburants zé des fantastiques technologies qui vont dès demain offrir un avenir encore plus radieux à la paysannerie française » qui ne veut plus travailler comme Jacquou le croquant » ( dixit un autre maïsiculteur révolté dans « Libération ») je recommande la lecture hilarante de ce site nommé benoîtement et contre toute vraisemblance : » agriculture et environnement ». Si.
http://www.agriculture-environnement.fr/
Bon courage à tous.
je ne sais pas si c’est bon signe ou pas, mais meme ce fada de Jeffrey Sachs (l’economiste personnel d’un Kofi Anan ou d’un Bono) dit molo sur les biocarburants
http://www.democracynow.org/2008/5/6/headlines#8
Un club de pensée… pas mal. Ou plutôt un club de non-pensée.
C’est pour ça que j’avais mis des guillemets. C’est comme la politique de « civilisation » de qui vous savez – sponsorisée par TF 1, non ?
Bonjour,
20 % de blé bio en Europe d’ici 2020 ( objectif d’une directive européenne)entraînera une baisse de production d’au moins 3,8 millions de tonnes, d’après Scoop infos.
Au revoir.
Les émeutes de la faim, démontre brillamment Pèes, « se décident à Chicago ». Là-bas au loin, dans ce pays maudit soumis au « rôle insidieux de la spéculation ».
Pees, que vous traitez avec un mépris de petit bourgeois, n’est pas une éminence visionnaire, vous avec sûrement raison. Cependant, 10 mois aprés votre post, aprés la crise qui se précise et la dépression qui se profile, Pees avait sans doute raison, la spéculation est á l’origine de tous nos maux…
Patrick Nottret ne sait pas de quoi il parle au sujet de l irrigation ni des subventions agricoles.