Je sors de mes cartons électroniques quelques vieilleries écrites ici, sur Planète sans visa, à propos de François de Rugy, notre nouveau ministre de l’Écologie.
Jean-Vincent Placé, François de Rugy et le dégoût de la politique
6 mai 2015
Je l’ai déjà dit plusieurs fois, de différentes manières : le parti appelé Europe Écologie-LesVerts (EELV) est parfaitement lamentable. Libre à ceux qui croient en lui de le présenter comme un pauvre oiselet à peine sorti du nid, et qui apprendrait encore à voler. Ce parti, né en 1984 – il y a trente-et-un ans – est adulte et montre ce qu’il a à montrer, c’est-à-dire un spectacle pitoyable et des chefaillons tantôt ridicules, tantôt crétins, tantôt salauds, et souvent les trois. Y a-t-il quelque chose à sauver ? Du point de vue de la défense de la vie et de ses formes, absolument rien. Cela ne m’empêche pas de saluer – je l’ai fait, et continuerai de le faire – de vaillantes individualités qui restent, envers et contre tout, à bord.
Le temps de faire disparaître un mot
Je n’aborde pas les causes de ce naufrage, que je crois, que j’espère définitif. Ce qui m’ennuie et me navre, c’est de ne pas savoir inventer un mot nouveau qui puisse s’imposer. D’évidence, s’ils sont écologistes, je ne le suis pas. Et inversement. Bien sûr, dans mon intérieur mental, je sais bien que ce mouvement n’est en aucune manière écologiste, mais à quoi bon le clamer ? Ils ont le label, ils ont préempté la belle maison que je souhaitais si fort habiter. Le mal est fait, et je sais bien qu’il est irréparable. Au reste, il faut une bonne raison pour qu’un mot s’impose. Et beaucoup de temps pour que son usage disparaisse. Je vous laisse réfléchir sur la destinée des mots socialiste et communiste. Et Dieu sait que le mot communiste est superbe, si sa réalité fut ignoble.
Je vous parle ci-après de deux personnages extravagants, qui représentent fort souvent dans l’univers médiatique le parti EELV. Il s’agit de Jean-Vincent Placé, autoproclamé chez suprême, et de François de Rugy, député de Loire-Atlantique, qui semble prêt à beaucoup de reptations pour devenir sous-ministre d’un Hollande soudain paré de vertus toutes imaginaires. On n’est pas obligé d’être d’accord avec ce qui suit, et je sais d’avance que cela déplaira à certains lecteurs. Je leur demande d’au moins croire que je fais cela dans l’espoir d’apporter une minuscule contribution au devoir impérieux de comprendre.
Le beau drapeau tricolore du grand écologiste
Commençons par Placé, qui n’a jamais été écologiste et ne le sera évidemment jamais. Si j’écrivais ce que certains responsables d’EELV m’ont confié parfois sur son compte, on ne le croirait pas. Comme je n’ai pas de moyen de vérifier, je m’abstiens donc, mais j’ai ma petite idée. Commençons par un portrait de lui, paru dans le journal Le Monde du 7 décembre 2011. Un portrait. Il a accepté de recevoir la journaliste Anne-Sophie Mercier, et on peut donc penser qu’il aura souhaité lui proposer un visage disons appétissant. Or, écrit-elle, « Lui-même n’en n’est peut-être pas conscient, mais en deux heures de temps, interrogé sur son parcours et ses passions, il ne parle jamais… écologie ».
Étonnant, ou non ? La suite est presque mieux, car on apprend au passage que ce monsieur est un véritable nationaliste – il dirait sans doute patriote -, qui « doit être le seul membre de la direction d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) à avoir le drapeau tricolore dans son bureau, ainsi qu’un coffret contenant un petit soldat représentant Napoléon de retour de l’île d’Elbe ». Ce n’est plus étonnant, mais directement stupéfiant, car enfin, le drapeau ! Pour un écologiste, c’est grotesque. Pour un Placé, c’est de toute beauté. Et Napoléon, en plus. Le délirant conquérant, qui a saigné la France et une partie de l’Europe est donc, pour el Jefe, un beau personnage.
De profundis pour Margerie
La suite, toujours sur Placé. Nous sommes le 20 octobre 2014, et le patron de Total vient de mourir dans un accident d’avion. Un écologiste comme moi tâche de ne surtout rien oublier des activités criminelles, légales ou non, de Total (ici). Mais Placé ose la phrase incroyable ci-dessous, encore en ligne sur son compte twitter. Un grand capitaine d’industrie, presque un frère de combat. C’est plus inouï encore que scandaleux. Voici :
« Jean-Vincent Placé : Hommage à un grand capitaine d’industrie francais très lucide sur la situation de la planète et de l’avenir de l’ humanité #Margerie
Enfin, pour conclure sur notre grand Manitou, cet extrait d’un sien article paru dans l’édition du 24 décembre 2014 du Nouvel Observateur. Il s’agit d’un hommage appuyé au coureur cycliste Thibaut Pinot. Placé est un fan de cyclisme, et comme je l’ai été entre 9 et 13 ans, je peux comprendre, un tout petit peu comprendre. Mais certainement pas ceci, sous sa plume : « Je connais beaucoup de passionnés de la petite reine. Mais je n’en connais qu’un qui voue un tel culte au tour: Christian Prudhomme, son extraordinaire directeur général, qui met sa gentillesse et son professionnalisme au service de ce , admirable chef d’orchestre de notre Tour de France, sans lequel le Tour ne serait plus le Tour. Vive le Tour et vive la France! Il ne manque plus qu’une victoire finale française… »
Quel commentaire trouver ? L’immonde foire commerciale du Tour, qui caricature les travers les plus terribles de la pub et de la manipulation, est donc un « patrimoine exceptionnel ». Tout le monde sait, et Placé lui-même – évidemment ! – que les 4 000 kilomètres du Tour de France ne peuvent exister sans des cames de plus en plus sophistiquées, qui supposent des dealers, des médecins marrons, des escrocs, des truands, des chantages, de la violence au moins psychologique. Placé s’en fout, car il rêve – décidément, une obsession – de voir flotter l’oriflamme tricolore.
Martin Bouygues est-il bien mort ?
Voyons maintenant le cas distrayant de François de Rugy, ce député écologiste qui réclame à cor et à cris qu’on vienne à bout – policièrement parlant – des zadistes de Notre-Dame-des-Landes et d’ailleurs (ici). Je dois avouer que c’est un excellent client de Planète sans visa. L’une de ses dernières facéties m’a fait rire aux éclats, ce qui n’est pas rien. Nous sommes le 28 février 2015 et Martin Bouygues vient de mourir. Un couple d’heures seulement, car la nouvelle, propagée par l’AFP, est fausse.
M. de Rugy, qui est si pressé d’obtenir un poste digne de son dévouement, décide, dans le très court laps de temps imparti, d’imiter grossièrement son chef bien-aimé – ou bien-détesté ? -, Jean-Vincent Placé. Ce dernier pleurait en octobre la mort de Margerie, grand capitaine d’industrie. Eh bien, n’écoutant que son grand cœur tendre, de Rugy écrit sur son compte twitter :
« Ecologistes et groupe Bouygues, c’est évidemment des visions souvent divergentes mais Martin Bouygues était un vrai capitaine d’industrie
— François de Rugy (@FdeRugy) 28 Février 2015 »
Bon, il est bien amusant, ce cher homme. Mais en réfléchissant, que penser de ce brevet donné à l’un des plus grands bétonneurs de la Terre ? Je dis bien : de la Terre. On doit à Bouygues, entre mille autres belles constructions, un palais des Congrès à Hong Kong, la mosquée Hassan II au Maroc, un complexe immobilier géant au Qatar, et si j’en avais le temps, je vous dirais tout le bien qu’il faut penser du fondateur, Francis, qui prétendait en son temps employer des truands un petit peu tueurs pour impressionner les récalcitrants.
La belle invention pourrie des PPP
Faut-il ajouter un mot sur TF1 Bouygues, cette gigantesque entreprise de décérébration nationale ? Je pense que vous en avez assez, et je n’y insiste donc pas. Mais monsieur de Rugy voit loin, bien au-delà de ces mesquines considérations morales qui gênent la marche des affaires. Monsieur de Rugy est un grand admirateur des Partenariats-Public-Privé ou PPP pour les intimes. Créés par le mémorable Jean-Pierre Raffarin en 2004, quand cet athlète de la politique était Premier ministre, ils sont très simples à comprendre. Une entreprise, de préférence très grosse, réalise une construction qui intéresse le domaine public. En échange, l’État lui accorde la gestion du machin pendant des décennies et perçoit un loyer annuel.
Les PPP peuvent servir à construire des prisons, des hostos, des équipements militaires, des routes, des lignes de chemin de fer ou des canaux, etc. Le funeste projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes est lui aussi un PPP, imaginé au vaste profit de l’entreprise Vinci. Mais le Bouygues de monsieur de Rugy n’est jamais très loin des contrats, car ils sont juteux. Ainsi du projet nommé le « Pentagone français », qui vise à faire du quartier parisien de Balard un haut lieu de nos vaillantes armées. Bouygues y a gagné un chantier majeur. Je précise, parce que c’est somptueux, qu’une collectivité – l’État et tout autre structure publique – qui s’engage dans un PPP qui s’étend pourtant sur des dizaines d’années, n’a pas le droit de le remettre en question. Faut réfléchir. Faudrait.
Éloge écologiste des transnationales du BTP
Et quand je dis que monsieur de Rugy est un grand admirateur, ce n’est pas moi qui le dis, c’est lui. Dans une vidéo tournée par le très sérieux club PPP (ici) au cours de ses journées de 2012, notre parfait écologiste vante la complémentarité, maître-mot selon lui des relations entre public et privé. Et il affirme nettement la supériorité du privé quand il s’agit de bâtir un équipement public servant à plusieurs fonctions. Selon lui, les élus ne sauraient pas faire. Bouygues ou Eiffage ou Vinci si.
Monsieur de Rugy aurait-t-il été abusé par quelque ami peu regardant ? Ayant découvert la malignité des PPP et leur éminente contribution à la destruction du monde existant, peut-être aura-t-il juré qu’on ne l’y reprendrait plus. Eh bien, à la vérité, non. L’année suivant son passage aux Journées PPP, il donne un entretien au Journal des PPP numéro 23 (octobre 2013). On y taquine de très près le sublime. Comme on lui demande – à lui ! – comment faire évoluer les PPP, il répond aussitôt, avec des trémolos dans la voix qu’on ne peut qu’imaginer : « Il faut tout d’abord dépasser l’idée que privé = profit et profit = de l’argent sur le dos des élus (…) Je pense qu’il n’y a pas de fossé ni de barrière infranchissable entre les élus et les acteurs privés et qu’on peut très bien avoir différentes formes de coopération, en tout cas des projets menés en commun, au service des citoyens ». Rappelons, car c’est le rôle des emmerdeurs : des prisons, des routes et canaux, un ministère de la Défense, Notre-Dame-des-Landes.
Ma foi, qu’en pensez-vous, très sincèrement ? Placé et de Rugy, grands inspirateurs du dégoût en politique.