Une partie de jeu de paumes, ça vous tente ?

Louis XIV lui-même ? Non, on dit qu’il préférait le billard. En ces temps de jadis, les riches et les ultrariches ne dédaignaient pas taper dans la baballe. Au jeu de la courte-paume, qui se jouait en intérieur, contrairement à celui de la longue-paume, réservé aux ploucs en extérieur, on se lançait une balle de part et d’autre d’un filet. Avec la main, éventuellement gantée de cuir, avec une raquette, dès lors qu’elle fit son apparition en France, au tout début du XVIème siècle pense-t-on. Oui, cela ressemble au tennis, et c’est normal, car il vient tout droit de là.

Sous une forme primitive, on en trouve trace chez Homère – peut-être né au VIIIème avant Jésus-Christ -, chez Hérodote, chez les Romains, qui avaient créé à cet effet des sphéristères et plus tard, celui qui n’était encore que roi de Navarre – le futur Henri IV – installa dans son château de Pau une salle entièrement dédiée au jeu.

En 1686 – Louis le quatorzième – à 48 ans, il est au faîte de son règne -, fait construire une salle à Versailles, au sud-est du château, dans la ville, pour que son paumier – joueur – préféré, Nicolas Creté, puisse s’y entraîner. Et l’on tape allègrement dans ce qu’on appelle encore un éteuf – une balle – pendant 103 années sans se poser trop de questions sur la marche du monde, que l’on sache du moins.

Et puis arrive l’année sans pareille. 1789. Le printemps de 1789, qui annonce, sans qu’on le sache encore, la prise de la Bastille et l’emballement général. Ce gros balourd de Louis XVI, qui n’a rien compris ni ne comprendra rien, fait fermer la salle parisienne où se tenaient les travaux des États généraux. Sous le prétexte hénaurme d’y réaliser des travaux . On se fâche, on refuse, on se rend en masse à Versailles où se trouve la salle du Jeu de paume, pour une raison qui s’est perdue en route.

À l’arrivée, 300 députés du Tiers état, soutenus par quelques députés de la noblesse et du clergé, s’émancipent à jamais du vieux régime. Il faut dire qu’ils ont un peu peur. Le roi n’a-t-il pas l’intention – non, il n’a aucune intention – de les faire arrêter ? Alors le courage, autre nom de l’état gazeux, s’impose à tous. Ils vont faire le serment collectif de ne se séparer qu’après le vote d’une Constitution. C’est sérieux. Très. Mirabeau, qui ne manquait jamais une occasion d’un bon mot, aurait prononcé cette phrase que j’ai apprise dès l’école primaire : « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ». La vraie phrase supposée aurait eu plus de mal à être retenue par ma mémoire de gosse : « Cependant, pour éviter tout équivoque et tout délai, je déclare que si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes ».

Bon, nous y voilà. Cette si longue introduction était-elle nécessaire ? Je le crois, car il s’agit de s’extraire de nos êtres patauds et de laisser entrer un peu de la lumière cinglante des événements historiques. Or, envers et malgré toutes les critiques que l’immense show en cours m’inspire, je gage que ce temps de coronavirus nous offre l’occasion de lancer un mouvement neuf. Enfin différent des pathétiques formes politiques – j’y inclus la totalité de celles existant, désolé, la totalité – qui n’ont jamais été capables de prendre en charge la défense immédiate et totale de tous les êtres vivants, arbres et souriceaux compris.

Nous devons faire serment. Le serment solennel de rompre enfin, et pour de vrai, avec l’ancien monde, ses représentations, ses bouffées délirantes de consommation, la télé, la bagnole, le portable, le net, les vacances à la neige, les vacances à Saint-Domingue ou à Djerba, etc. En somme, d’arracher un à un les milliers de liens qui nous tiennent prisonniers. Et nous éloignent d’autant d’une vision neuve et conquérante, seule capable de réorganiser en profondeur les sociétés humaines.

Attention, mes amis, je ne crois pas délirer encore. Un tel mouvement, une telle torsion du cœur et de l’âme n’est pas à notre portée. En tout cas, pas en bloc, et sûrement pas en quelques jours. L’important, le décisif même, c’est de créer un espace où se mouvoir. C’est d’avancer ensemble sans trembler, en se tenant la main, conscients que nous brûlons tous nos vaisseaux. Non, il n’y a pas de retour en arrière possible.

Il n’y en a pas, car nous attend un double collapsus – déjà tragiquement entamé – qui effacera en un quart de seconde, qui efface d’ores et déjà la pandémie actuelle de coronavirus. Vous le savez comme moi, le dérèglement climatique et la sixième crise d’extinction des espèces – elles se combinent – déferlent chaque jour un peu plus. Elles sont lourdes de la dislocation de toutes les sociétés humaines, portant dans leurs flancs la perspective insoutenable d’une barbarie totale.

Eh bien oui, c’est l’heure du grand serment. Ne faisons plus jamais confiance à qui ne contresignerait cette évidence : tout, la totalité, doit être repensé dans ce cadre. Quiconque n’adopte pas cette position est fatalement un charlatan de la pensée. Tout, c’est-à-dire l’économie, la politique, le transport, les retraites, la pauvreté, le tourisme, la police, l’armée, la mort. Voter aujourd’hui pour des gens qui ne proclament pas cet horizon certain de l’aventure humaine, c’est un crime. Certes insignifiant au regard d’autres, mais réel néanmoins. Rompre, c’est aussi envoyer aux pelotes ceux qui osent encore nous faire perdre un temps décisif en nous parlant – exemple pris absolument au hasard – des élections municipales quand tout flambe déjà. Désolé pour vous qui y croyez encore, mais s’inquiéter du score de madame ou monsieur Dugenou à Paris, Lyon ou Nevers, c’est réellement danser sur le pont du Titanic sombrant dans les abysses.

Oui, que le coronavirus soit un grand début fraternel et planétaire – mais pour de vrai -, ouvrant la voie à une révolution morale et intellectuelle immédiate. Pensons au pangolin et aux réfugiés et à tous ceux qui croupissent à dix dans une pièce, sans accès à l’eau, tandis que nous montrons à tous le visage hideux de l’angoisse et de la fermeture. J’écris après d’autres que le coronavirus doit être pris comme un ultime avertissement. Si nous reprenons le cours de nos égoïsmes respectifs après cette pandémie, alors c’est que nous méritons le sort que notre folie nous promet. Mais je ne veux pas le croire.


J’écris sur la crise climatique, que j’ai appelé jadis la mère de toutes les batailles humaines depuis trente années. Oui. Voyez ce petit texte paru le 23 mars 1995, pour le journal Politis.

Avis de tempête

On envie leur bonne humeur et leur goût de la plaisanterie. C’est à qui sera le plus joueur : monsieur Balladur assure qu’il vaincra les méchants, monsieur Chirac qu’il aime l’Europe; quant à monsieur Jospin, il propose, vingt ans après un programme socialiste qui exigeait les 35 heures, 37 heures de travail hebdomadaire dans deux ans. Quelle drôlerie !

Pendant ce temps, le climat change. Pas celui du microcosme ni même celui de la France éternelle, mais plus gravement peut-être celui de Gaïa, notre terre, notre mère. Du 28 mars au 7 avril, une conférence des Nations-Unies – sorte de nouveau Rio – doit décider à Berlin de mesures pour lutter contre l’effet de serre. Certes, on est très loin d’être sûr de tout dans ce domaine pourtant décisif. Mais les lobbies à l’oeuvre n’ont quant à eux aucun doute sur la marche à suivre : il faut et il suffit de saboter toute politique de prévention.

L’Arabie saoudite notamment, qui redoute comme la peste une diminution de la consommation de pétrole, aura tout tenté, dans les coulisses, pour que la conférence échoue. On peut imaginer les moyens utilisés, dans ce monde où tout s’achète. Caricatural, le royaume wahabite n’est pourtant pas isolé : Texaco, Shell, Amoco, BP et compagnie – c’est le cas de le dire – sont allés jusqu’à créer une organisation spéciale, Global Climate Coalition, pour défendre le intérêts de la boutique.

Le malheur, c’est que tous les gouvernements, peu ou prou, sont d’accord avec les boutiquiers. Le nôtre n’a guère besoin d’aller à Berlin, car il a déjà fait connaître sa position.Un seul exemple : le transport par poids lourds produit cinq fois plus de CO2 au km que par train. Dans la vallée d’Aspe, il y a une voie de chemin de fer, inutilisée depuis 25 ans. Il y aura demain un tunnel, pour y faire passer les 38 tonnes. Quand viendront les tempêtes climatiques, Chirac, ou Balladur, ou encore Jospin nous trouveront bien une solution. Un parapluie, peut-être ?

1 réflexion sur « Une partie de jeu de paumes, ça vous tente ? »

  1. merci Fabrice
    oui crise agricole, bétonnage etc.
    Ci-dessous un mouvement naissant: en Vaucluse des citoyens ont décidé de s’unir pour dresser un inventaire des terres menacées et interpeler les citoyens et les candidats aux élections sur la façon dont ils comptent agir pour arrêter cette destruction patrimoniale dont trop n’ont aucune conscience
    la vidéo de la conférence de presse à Avignon fin février 2020
    https://www.youtube.com/watch?v=KcHrwh1QzRE
    contact du collectif:
    sauvonsnosterres84@ecomail.fr

    voir aussi cet article de Reporterre à garder à l’esprit pour agir en conséquence
    car ces grands entrepôts « répondent à une demande de consommation »
    https://reporterre.net/Pour-Amazon-le-coronavirus-est-une-affaire-tres-profitable

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