Ci-dessous, des articles publiés sur Charlie.
Pourquoi suis-je monté à bord de cette nouvelle galère ? Parce que. Pendant des centaines de siècles, des centaines de millénaires même, le poisson et ses nombreux commensaux ont été les rois de la mer. De toutes les mers. Et puis sont arrivées les longues lignes, vers 1815, qui sur des kilomètres de fils alignaient des milliers de hameçons. Et puis est venu – 1892 – le chalut-poche. Et puis s’est répandu le moteur. L’industrie de la pêche commençait, et comme l’industrie de l’agriculture, elle aura tout ravagé. Les côtes et les hauts fonds pour commencer, avant de s’attaquer aux monts sous-marins et à ces poissons très singuliers qui vivent à 1000 mètres de profondeur, et plus.
Le plus grand chalutier au monde, un ancien pétrolier, mesure 228 mètres de long et peut stocker dans ses cales jusqu’à 14 000 tonnes. Devenu Chinois sous le nom de Damanzaihao, il a failli faire disparaître le chinchard au large du Chili. La France semble n’avoir, en comparaison, que de tout petits bras, mais elle se bat, la valeureuse. Le 25 septembre dernier, à Concarneau, on a inauguré sous haute protection policière un nouveau navire, le Scombrus, long de 81 mètres. En un passage de ses chaluts, il peut ramasser entre 50 et 120 tonnes de poissons, et de tout le reste. Des chalutiers de cette sorte, il n’en existe chez nous qu’une dizaine, qui pillent allègrement ce qui reste en vie sous la ligne de flottaison. Un tiers des prises mondiales servent à fabriquer de la farine, essentiellement destinée à nourrir les porcs, poulets et bovins de l’élevage concentrationnaire.
En face de ces monstres, la pêche artisanale, qui fait vivre des familles et fait tourner l’économie des ports. 85% des chalutiers battant pavillon français ont moins de 12 mètres et devraient en bonne logique avoir la priorité dans toutes les politiques publiques. Mais on connaît la chanson, qui fait pleurer strophe après strophe. Est-ce que cela peut changer ? Pardi, oui.
Le 25 septembre, je devais être à Concarneau, et seul un pépin de dernière minute m’en a empêché. Mes amis de l’association Pleine Mer – l’épatant Charles Braine – et ceux de Bloom – Claire Nouvian je t’embrasse, Sabine et Frédéric, bonjour – ont sur place mis les pieds dans le filet dérivant. Organisant tant bien que mal – malgré les flics – les « funérailles de la pêche artisanale ».
Qu’ont-ils dit ? L’évidence. Le groupe France Pélagique, qui arme le Scombrus, « est une filiale française du géant néerlandais Cornelis Vrolijk, dont l’empire tentaculaire étend son emprise bien au-delà de l’Europe, de la France, au Nigéria, en passant par le Royaume-Uni ». Des responsables de chair et d’os, il en est, comme « l’ancien directeur général de France Pélagique, Antoine Dhellemmes (…), vice-président du Comité national des pêches ». Enfin, « les tendances à l’œuvre au niveau mondial, que ce soit la crise climatique, plus intense et rapide que dans les pires scénarios, ou encore l’effondrement de la biodiversité, appellent à des prises de position fortes de la part de nos décideurs politiques. L’industrialisation de la pêche appartient au passé ».
Et c’est là que je réapparais. Depuis longtemps, je pense que seule une interdiction mondiale de la pêche industrielle – couplée dans mon esprit à celle du plastique, peut encore sauver une part de nos océans. À la suite de discussions, nous sommes tombés d’accord pour une campagne grandiose et planétaire, exigeant que cet infernal outil de destruction soit enfin détruit. Un collectif est sur les rails, et on peut bien entendu, sous une forme ou une autre, le rejoindre (1).
Ce que j’ai dans la tête, c’est une alliance entre le Nord et le Sud. Entre les petits pêcheurs d’ici et ceux du Sénégal, désespérés de voir le poisson d’antan happé par les machines de guerre russes, chinoises, coréennes, européennes. Et ceux de Sri Lanka. Et ceux de l’inde. Et ceux de l’Amérique latine. Bref. Je rêve comme jamais d’un sursaut historique, qui mettrait au premier plan de toutes les sociétés humaines l’extrême bonheur des mers. Qui est contre ?
(1) Pleine mer : https://associationpleinemer.com. Bloom : bloomassociation.org
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Quand la science devient la leur
Ah ! je n’ai pas encore tout lu, j’avoue. Mais la durée de vie des livres est désormais un éclair dans le ciel, et je serais navré que celui-là ne trouve pas les lecteurs qu’il mérite. Dans Les gardiens de la raison (La Découverte) – titre un peu bizarre -, Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurent sortent un projecteur. Il s’agit pour eux de raconter ce qu’est devenue la science. Ce qu’est devenu certain usage d’une certaine science à l’heure où les transnationales ne respectent plus aucune frontière.
D’emblée, on est plongé dans le grand bain de la désinformation. Nous sommes dans un quartier chic de Paris, au sous-sol d’un petit palais de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture. On y tient colloque, et la maîtresse de cérémonie n’est autre que Delphine Grey, directrice générale de l’Union des industries pour la protection des plantes (UIPP), le lobby des pesticides.
On retrouve dans la même salle tous les acteurs français d’une vaste entreprise « d’information » : outre Guey, des gens de Bayer et autres philanthropes, des journalistes comme les enragés Géraldine Woessner (Le Point), Emmanuelle Ducros (L’Opinion), Marc Menessier (Le Figaro), la FNSEA, le lobbyiste professionnel Serge Michels, le larouchiste Rivière-Wekstein, les « scientifiques » de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS), l’ANIA – lobby de l’agro-alimentaire -, ses think-tanks, comme l’institut Sapiens ou Fondapol.
Tout défile, jusqu’au sociologue Gerald Bronner, aimé du Point et de nombreuses autres gazettes, qui est savamment remis en cause dans ce qu’il affectionne le plus : l’objectivité, la raison, la science. Ne loupez pas l’histoire édifiante de l’AFIS, créée, mais oui, par un militant communiste, Michel Rouzé.
Ce qu’on ne trouve pas dans le livre, et ce n’est pas un reproche, c’est l’explication. Qu’y a-t-il dans la tête de tous ces gens ? Certains, sans nul doute, profitent sans aucun doute d’une manne. On ne peut rien exclure. Rien. Mais bien d’autres, visiblement, croient ce qu’ils disent. Disons que ça fait réfléchir.
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Ce que nous devons tous au Pakistan
Saisissant papier dans le New York Times (1) du 27 septembre. Son auteure, l’écrivaine et journaliste Fatima Bhutto, y parle de Karachi, la plus grande cité du Pakistan. Sa ville, qui a résisté à tout : les affrontements sectaires, le terrorisme, les gangs armés de lance-roquettes, sa police, plus redoutée que ses voleurs les plus retors.
Mais d’évidence, ce n’était encore à peu près rien. Karachi et ses 20 millions d’habitants sont face à un monstre autrement redoutable : le dérèglement climatique. Le 27 août, la ville a reçu d’un coup 230 mm de pluie. Dévastatrice, on s’en doute. Des milliers de maisons pauvres ont été emportées, car il n’existe aucun système de drainage ou de récupération des eaux de pluie. Ça tombe, point.
Les pertes économiques, en fait inchiffrables compte tenu de l’économie informelle, se chiffrent en centaines de millions de dollars. La Banque mondiale, cette amie des peuples, estime que 15% du PIB pakistanais disparaissent déjà, chaque année, à cause du dérèglement climatique et des dégâts écologiques.
Fatima Bhutto : « La liste des désastres climatiques qui affectent mon pays n’a pas de fin. Les glaciers de l’Hindu Kush, de l’Himalaya et du Karakoram au nord du Pakistan fondent à une vitesse accélérée (…) Après la fonte, la sécheresse et la famine suivront. À l’avenir, la terreur viendra de la chaleur, du feu et de la glace ».
Et de rappeler que le Pakistan est en toute première ligne, lui qui émet si peu de gaz à effet de serre. Combien de terroristes naîtront-ils de cette si totale injustice ?
(1) nytimes.com/2020/09/27/opinion/pakistan-climate-change.html