L’histoire est superbe. M. Christian Streiff est un héros de la France. Ce capitaine d’industrie hors pair a commencé sa carrière de patron à Saint-Gobain, fleuron de notre patrimoine. Il y aura tout fait, ou presque, passant du secteur canalisations à celui de la fonderie, de la fibre de verre aux céramiques et aux plastiques. En 2005, au moment de son départ, il est directeur général délégué de cette multinationale. Encore bravo.
Mais, mais un détail est caché dans le paysage. Plus qu’aucune autre entreprise française, Saint-Gobain, c’est l’amiante. « La compagnie Saint-Gobain a occupé un rôle leader sur le marché français et même au-delà, grâce à ses filiales, aux Etats-Unis et au Brésil en particulier, où elle avait acquis des mines d’amiante (1) ». Jusqu’à l’interdiction définitive du matériau en France, en 1997, après des dizaines d’années de désinformation, le groupe a fabriqué et vendu des milliers de tonnes d’objets contenant ce minéral cancérigène. Chez nous, pas besoin de dessin : les ouvriers – car ce crime est social – tombent comme des mouches. Et continueront.
Peut-être vaut-il la peine, aussi, d’aller voir ailleurs. Pour le seul premier trimestre de l’année 2005 – notre excellent Streiff est alors encore en poste -, 6 000 litiges liés à l’usage de l’amiante par Saint-Gobain ont été enregistrés aux États-Unis (2). À cette date, le « stock de litiges », comme disent mes amis boursiers, atteignait 102 000. Je simplifie : 102 000 personnes avaient déposé plainte aux États-Unis contre Saint-Gobain. À cause de l’amiante. Merci qui ?
En 2006, reprenons le cours de la vie exemplaire de M.Streiff, notre homme est nommé membre du Comité exécutif d’EADS et Président exécutif d’Airbus. Vous savez, les gros navions, dont l’A380, qui sera fatalement une « bombe climatique », pour reprendre l’expression de Jean-Marc Jancovici.
Enfin, en février 2007, M.Streiff remplace Jean-Martin Folz à la tête de PSA-Peugeot Citroën. Pendant quelques mois, ce qui est bien normal, l’ami Christian réfléchit à la manière de vendre plus de voitures dans un monde qui rencontre pourtant quelques autres problèmes. Il y a deux jours, eurêka. PSA se fixe, à l’horizon 2010, trois objectifs majeurs. Un d’un, faire passer les ventes de ouatures à 4 millions d’unités par an, soit 700 000 de plus qu’en 2006. Marchés visés : la Russie, l’Amérique du sud, la Chine. Et de deux, atteindre une rentabilité sur chiffre d’affaires comprise entre 5,5 % et 6 %. Et de trois, devenir le numéro 1 de la voiture « propre ». Je mets des guillemets, car bien entendu, personne ne sait ce qu’est une voiture « propre ». Celles qu’on passe au kärcher, peut-être ?
N’empêche. M. Streiff est un modèle sarkozien comme on n’aurait osé inventer. Ainsi que dirait madame Lagarde – elle l’a fait le 10 juillet 2007, devant l’Assemblée nationale -, « assez pensé ! », désormais. Il faut avancer, foncer, défoncer. Les peuples, les pays et leurs territoires, le climat, et créer au passage des embouteillages jusqu’au fond de la forêt amazonienne, dans la moindre bourgade chinoise, au milieu de la taïga. M. Streiff, chantre du développement durable. Je suggère de créer une nouvelle expression plus hip, plus peps, plus entraînante : le développement éternel. Comme la mort du même genre.