Je vais essayer de cacher ma peine, qui est immense. Et je vais tenter de parler d’un vivant qui fut beau. Je ne prétendrai pas être un intime de l’homme qui vient de mourir, mais je le connaissais bien. Et j’aimais Henri Pézerat, cela ne fait aucun doute.
Henri vient d’y passer. J’en ai le frisson. Ce n’est pas un deuil, c’est la vraie grande douleur du manque. Je ne pourrai plus l’appeler au téléphone. Je ne pourrai plus passer le voir dans son appartement de Fontenay. Merde, ce n’est pas seulement insupportable, c’est incroyable. Quel âge avait Henri ? Je pense 77 ou 78 ans, j’ignore au juste. Il était fatigué. Non pas de vivre. Son esprit était fait pour durer des siècles. Hélas le corps ne suivait plus. Son cœur lâchait. Mais son esprit !
J’ai rencontré Henri en 1994. À cette époque, il était encore directeur de recherche au CNRS, à Jussieu (Paris). Il était toxicologue. Ce jour-là, grâce à lui, j’ai tout compris du drame absolu de l’amiante. Il ne faut pas commettre d’anachronisme. En cette année 1994, Henri bataillait seul. Seul en France, où des milliers de scientifiques travaillent pour l’armée ou l’industrie. Seul, il avait démonté le dossier de l’amiante, de l’exposition des prolos à cette fibre assassine. Il disait déjà les milliers de morts par an. Tout ce qu’il m’a dit ce jour fabuleux – pour moi – a ensuite été confirmé.
Mais il était seul. Contre les institutions, les ministères, les officiels, et même un peu et beaucoup les syndicats. Henri connaissait d’autant mieux l’amiante qu’il avait bataillé dans les années 70, dans cette fac de Jussieu devenue tombeau pour tant de salariés, contre le flocage des plafonds à l’amiante. À la différence de cet atroce personnage appelé Claude Allègre, il savait, il gueulait.
Non, il ne gueulait pas. Henri était finalement un homme discret, mais un combattant qui jamais ne lâchait prise. Moi qui l’ai tant poussé à raconter sa vie, j’ai fini par en connaître des bribes. Ce chercheur rarissime était proche du peuple. Il avait été un militant ardent du Parti Communiste, puis un opposant interne au stalinisme, et s’était finalement rabattu sur le syndicalisme. Mais Henri sera toujours resté, à mes yeux, un communiste à l’ancienne, un communiste d’avant la glaciation, un Juste. Il n’aimait pas que j’emploie ce mot pour parler de lui. Il n’aimait pas qu’on parle de lui. C’était un Juste.
Le combat pour l’interdiction de l’amiante, obtenue en 1997, lui doit à peu près tout. Certes, sans certains autres, cela aurait traîné un peu plus. Mais sans lui, nul ne sait si nous aurions obtenu cette fragile victoire. Il a été l’âme, le centre, le moteur de cette terrible bataille au couteau contre les salopards de ce monde malade. Je suis fier – et non pour moi, je l’assure -, je suis fier d’avoir obtenu que le journal Le Monde fasse une page entière sur le sujet, le 31 mai 1995, avec un dessin du visage de Henri en une. Je salue au passage, d’ailleurs, l’ami Jean-Paul Besset, sans qui cela aurait été impossible. Vous ne le savez pas, mais le journaliste que je suis a ramé des mois entiers, à cette époque, pour faire circuler de maigres informations sur ce qui était pourtant un drame national. Si je racontais tout dans le détail, et le nom des journaux qui m’ont alors ri au nez, je pense que vous seriez surpris. J’en suis sûr.
Henri ne s’est pas arrêté là. Il est devenu au fil des ans, surtout après son départ à la retraite, le spécialiste tous terrains de quantité de causes essentielles. Je lui ai souvent dit : « Henri, tu es un service public à toi tout seul ». Il riait, j’adorais cela. C’était vrai : un service public installé dans son appartement, d’où il envoyait études et analyses à tous ceux qui le sollicitaient. Des ouvrières, des ouvriers, des êtres méprisés, ignorés, sans pouvoir, lui passaient un coup de fil, ou lui envoyaient un fax, et alors tout commençait.
Je ne peux citer tous les exemples. Il y en a vraiment trop. Henri avait compris ce qu’aucun ponte ne saurait admettre. Que les liens entre la santé et la contamination chimique, environnementale en général, sont massifs et constants. En une douzaine d’années, Henri aura éclairé de son savoir des tragédies qui seraient restées obscures à jamais. Dans le désordre, je citerai l’école de Vincennes, sur le site des anciennes usines Kodak, les cancers d’enfants de Mortagne-au-Perche, le sous-marin Clemenceau, l’air de Gaillon, la maladie de Paul François, l’insoutenable affaire de l’atelier A de l’usine Adisseo de Commentry, le danger des fibres céramiques réfractaires, la qualité des eaux et la pollution par l’aluminium, et tant d’autres. Je me souviens de la tendresse singulière qu’il avait pour Josette, une ouvrière de l’usine Amisol de Clermont-Ferrand. Une usine qui avait tué massivement, où les femmes surtout avaient lutté avec vaillance et un brin de désespoir.
Je maintiens : Henri était « un service public à lui tout seul ». Un homme si rare qu’il ne sera pas remplacé. J’écris cela alors que j’ai toujours pensé que nous tous étions aisément remplaçables. Mais sincèrement, je crois qu’il était une fantaisie de l’évolution, qui ne repasse pas nécessairement les plats. On ne trouve pas chaque jour un scientifique rigoureux qui aime le peuple et prend au sérieux la crise écologique. Oh ! je ne souhaite pas en rajouter. Nous n’étions pas d’accord sur tout, de loin. Mais c’était un homme unique.
Je pense à lui, bien sûr, espérant contre toute évidence qu’il saura le vide qu’il laisse dans nos âmes. Nous sommes en effet nombreux à le pleurer à chaudes larmes. Henri est de ces êtres qui permettent de croire encore à la beauté du monde. Qui démontrent que la liberté, l’égalité, la fraternité brillent de tous leurs feux au fond de quelques esprits. Qui interdisent de perdre pied. Henri, mon petit père Henri, je t’embrasse.
Je m’associe à votre peine. Je connaissais aussi son travail et son rôle dans le scandale de l’amiante. Je vous embrasse dans votre peine, faible soutien cependant…
Fabrice, je t’adresse mes condoléances, témoignage de vraie sym-pahie, ainsi qu’à tous ceux qui le connaissaient bien et viendraient à nous lire…
Merci de votre beau témoignage. Membre de l’AFVS (Association des Familles Victimes du Saturnisme), je ne peux qu’en rajouter une couche quant à l’incroyable perspicacité dont cet homme a fait preuve dans le domaine de la toxicologie, et ce jusqu’en ses derniers jours.
Au coeur de notre association, au-delà de sa mort humaine, il restera une lumière précieuse pour poursuivre notre lutte contre le saturnisme et toutes les pollutions dont souffre notre si belle planète au nom du profit et de la rentabilité à tout prix.
Le plus bel hommage que je saurais personnellement lui rendre serait d’avoir pris conscience que la toxicologie n’a pas seulement pollué la matière mais aussi nos esprits, pour autant qu’on peut se permettre de les différencier.
Au coeur de l’AFVS (Familles Victimes du Saturnisme), au-delà de sa mort humaine, Il restera une lumière précieuse pour notre lutte et toutes pollutions ont souffre notre planète.
Son combat a pu faire prendre conscience que la toxicologie n’est pas seulement une pollution de la matière, mais aussi de nos esprits, pour autant qu’on peut se permettre de les différencier
Si cet être était un Juste à vos yeux, alors je sais combien doit être votre peine. Recevez mon soutien monsieur Nicolino pour traverser ce difficile moment et qu’il vous grandisse dans votre croisade qui est la vôtre.
Fabrice,
Ne sois pas triste, il vit en toi de la plus belle manière!
A Eugène. Entièremeznt d’accord, car tellement vrai. A Fabrice, à toi de transmettre et de veiller, maintenant, sur la petite lumière…
Je m’associe à votre peine . Maintenant, je pense qu’il serait important de faire un dossier au moins récapitulatif de toutes ses alertes et découvertes en matière de toxicologie s’il n’existe pas déjà.
@ babacool, soyez plus cool avec un homme en peine. Après tout, ce travail peut être fait par nous même. Laissons souffler Fabrice de temps en temps ne serait ce que pour se recueillir à sa manière.
un grand vide qu’il nous laisse.
Qui maintenant va nous transmettre son savoir et son aide si précieuse. Beaucoup de combats sont malheureusement perdus sans lui
J’étais voisine d’Henri. Je connaissais ses travaux, ses “combats” mais surtout l’homme et admirais sa GRANDE MODESTIE et son HUMANITE si palpable qui manquent tant à beaucoup.
Nous avions pris l’habitude de nous taquiner comme le font des copains malgré notre différence d’âge, ce qu’il a encore fait peu de temps avant son départ…. C’est vrai que ta grande pudeur en surprendra plus d’un en découvrant qui tu étais vraiment. J’ai une pensée toute particulière pour ta famille.
Aurevoir Henri. Avec ma plus chaleureuse amitié. Evelyne.
Merci à vous pour ce bel et touchant hommage
Evelyne qui côtoyait Henri au quotidien a souligné deux des nombreuses qualité de cet homme juste : « sa grande modestie et son humanité » ! Tout est là. En ces quelques mots. L’humanité et la modestie. Deux qualités qui vont de paire et qui révèle la véritable dimension de l’homme. Je ne connaissais pas cet homme avant de lire ton hommage, Fabrice. Mais j’éprouve de la peine en constatant l’affliction de ceux et celles qui le connaissaient et qui pleurent son départ. Alors oui, sachons garder Henri présent en honorant sa mémoire et en poursuivant une oeuvre, un combat et une attitude de vie qui l’aurait fait sourire et plaisir.
Un homme qui mérite un hommage.
Le sens de cette vie, permet qu’elle agrège ce qu’il y a de meilleur dans l’humain ! Merci de l’avoir mis aussi clairement en évidence !
J’ai travaillé avec Henri Pézerat pour le film que j’ai tourné en 2004 « la mort lente de l’amiante ». Au départ, rien ne (me) prédisposait à en faire le fil rouge du film mais, petit à petit, il s’est imposé avec son verbe à la fois drôle, incisif, sans concession. Du coup, le film est frappé de sa marque, et j’en suis vraiment fière. Une semaine avant son décès, je continuais comme beaucoup d’entre nous à recevoir ses emails d’information et de dénonciation. Il avait toute sa tête et une indignation intacte. Une très, très belle leçon de « savoir vivre » au sens propre du terme. C’est toute une époque qui part avec lui : celle où l’on avait pas honte du militantisme, et surtout, celle où le mot COURAGE voulait dire quelque chose. Sa mort me touche énormément
J’ai découvert le travail d’Henri Pézerat en me documentant sur le scandale de l’amiante. J’ai été marqué par la justesse de ses analyses, son impartialité, son courage, son indépendance. Au service de l’Homme et non du profit à court terme d’une minorité. Beaucoup de qualités qui manquent aux milieux scientifiques de notre pays. Une grande perte assurément, d’autant plus que les combats auxquels il a participé sont loins d’être gagnés. Un exemple à suivre.
Un Juste, en effet .Il faut impérativement le faire connaître.Son courage et son dévouement méritent mieux que la confidentialité . Bien des notoriétés devraient être déboulonnées et la sienne magnifiée.Mais les lobbies sont hélas trop forts .Pourtant , il faudra bien les faire plier . Y a t’il un ou plusieurs Henri Pezerat aujourd’hui?
Et merci à France Culture qui ces 31 mars et 1er avril 2010 m’a permis de découvrir ce grand homme.
Henri Pezerat était un homme exeptionnel, très rigoureux dans ses recherches, il allait au fond des choses.
Nous avons eu l’honneur de le recevoir chez nous à Commentry,d’abord avec son équipe de Jussieux. Quelle journée! Puis il est revenu, alors qu’il était malade, pour dénoncer les problèmes de la vitamine A. Mon mari, le docteur Claude Chupin, entretenait une correspondance suivie avec lui, ils étaient du même âge, ça rapproche évidemment. Henri Pezerat l’homme de sciences, l’homme que nous estimions le plus, l’homme qui se faisait respecter est parti mais le souvenir reste et restera pour ce qu’il était pour ce qu’il a fait.
henri pezrat etait un homme exeptionel trés rigoureux dans ses recherces il alait profond des choseous avons eu lhoneur de le recevussieuxoir chez nous a commentry d’abord avec son equipe de jo
Bonjour à tous ceux qui ont connu HENRI PEZERAT
Des gens comme lui sont rare de nos jour, il est juste exceptionnel.
J’ai eu la chance de travailler avec lui, c’est un homme qui sort du commun.
quelques inexactitudes..à Jussieu pendant les 4 ans où jy ‘ai bossé ( responsable snau-fen 4 éme étage tour centrale…poussière d’amiante dans les bureaux .94/98..)…j’ai fait partie du comité anti amiante à ses côtés avec la FEN la CGT et la CFDT
donc plutôt front commun( un livre a d’ailleurs été écrit ensemble)
merci de le prendre en compte et de ne pas stigmatiser
martine