Publié en mai 2021
Tout le monde s’en contrefout. (Presque) tout le monde. À peine si des travaux isolés, sans envergure et sans allant ont été menés sur la présence des pesticides dans l’eau de mer (1). On sait ainsi que des cocktails de pesticides peuvent s’attaquer à des espèces de plancton marin, jusqu’à modifier des équilibres écosystémiques fragiles. On a appris également qu’en mer Baltique, en mer de Norvège, en mer du Nord, on pouvait retrouver des traces dans l’eau de médicaments, de pesticides, d’additifs alimentaires.
On ne savait pas, jusqu’ici, que la France est touchée de même, et que la situation y est grave. Sans pour autant souffler dans le clairon, l’institut français IFREMER vient de rendre publics des résultats qu’on qualifiera de flippants (2). 10 lagunes françaises de Méditerranée ont été explorées. Ce qu’est une lagune ? Un étang, une pièce d’eau séparée de la mer par un cordon sableux ou rocheux, où se mêlent à des concentrations variables eau salée et eau douce.
Sur les dix, au moins un est connu de toute la France : l’étang de Thau est en effet un haut-lieu de production d’huiles et de moules – 600 établissements, 12 000 tonnes d’huîtres par an – qui emploie environ 2000 personnes. Pas touche au grisbi ! On comprend dans ces conditions la prudence de Sioux de l’IFREMER, qui prend soin de dire et répéter que Thau est l’un des moins pollués aux pesticides des dix étudiés. Et pourtant ! On peut lire par exemple : « Le risque chronique lié à la présence de pesticides y est néanmoins jugé fort », ou encore – à propos des pesticides irgarol et métolachlor – que des études « rapportent des effets d’embryotoxicité chez les larves d’huîtres à des concentrations chroniques proches de celles retrouvées dans notre étude ». Traduction : les larves d’huîtres dégustent. Mais pas nous, bien sûr.
Cela ne serait rien encore si ce n’était un sinistre commencement. L’étude IFREMER note ainsi : « Sur les 72 pesticides recherchés, 49 substances différentes ont été quantifiées au moins une fois au cours de l’étude (dont 6 substances prioritaires sur les 9 recherchées). Parmi celles-ci,on retrouve en moyenne 29 substances différentes simultanément lors de chaque prélèvement ». Bien que ce jargon rebute, retenons que l’on trouve beaucoup des pesticides recherchés.
Mais c’est le détail qui fait le plus mal, car l’étude constate « un risque jugé “fort” pour la santé des écosystèmes de 8 lagunes sur 10 », car « entre 15 et 39 pesticides [ont été] retrouvés dans chaque lagune ». Pas si grave ? Si. Car « le cumul des pesticides constitue une problématique à part entière ». Même si l’on réussissait à réduire la présence de chaque substance, « l’effet du cumul des pesticides entraînerait encore un risque chronique pour 84 % des prélèvements réalisés dans le cadre de cette étude ». Commentaire désabusé de la chercheuse Karine Bonacina, qui a participé au travail : « Avant cette étude, l’état chimique de ces lagunes était considéré comme “bon” ».
Bien entendu, nulle autorité n’a le moindre intérêt à considérer de tels résultats. Ni les préfets, ni le ministère de l’Écologie, ni même et peut-être surtout les conchyliculteurs, qui ont tant à perdre à reconnaître l’étendue de la contamination des huîtres et des moules. Question : dans une France qui se jette à corps perdu dans la consommation de produits bio, est-il durablement possible que l’on continue à boulotter des fruits de mer farcis au métalochlore ou au glyphosate ?
Annexe mais redoutable : dans quelle tambouille chimique se baignent les gentils estivants de juillet et d’août ? Fait-on des analyses chimiques des eaux de baignade, notamment au débouché de nos grands fleuves, surchargés de chimie de synthèse et de cocktails médicamenteux ? Le fait-on à Trouville, qu’arrose si gentiment la Seine, après avoir drainé tant de régions agro-industrielles ? Le fait-on à la Baule, où la Loire dépose sans jamais s’arrêter ce qu’elle trimballe au long de son cours ? Euh, non. Combien de pesticides en bouche quand bébé boit la tasse ?
(1) Il faut citer le décevant Planction marin et pesticides : quels liens ? De Geneviève Azul et Françoise Quiniou (éditions Quae). Et quelques notations issues du programme européen Jericonext/
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Jean Lassalle dans le rôle du pyromane
C’est sûr, le niveau est très relevé, mais enfin, Lassalle est bien placé. Dans le concours de la phrase la plus conne de l’année, et même de la décennie. Précisons pour commencer qui est Lassalle. Grand zozo devant l’Éternel, maire de Lourdos, dans la vallée d’Aspe, pendant vingt ans, député depuis 2002, candidat à la présidentielle, Jean Lassalle est aussi un pote historique de François Bayrou. Sa spécialité : la plainte. Les Pyrénées sont menacées par les élites parisiennes, qui préfèrent l’ours au berger, et le glorieux Béarn fera face comme il le fait depuis au moins Henri IV.
Comment ? C’est là que ça devient drôle. Au Pays basque – il fait partie comme le Béarn des Pyrénées-Atlantiques – le feu court les crêtes, et il est volontaire. Personne n’est pressé de faire les comptes, mais les attentifs locaux savent que la montagne basque est en grand danger. Genofa Cuisset, présidente de l’association Su Aski (suaski.wordpress.com)- « halte aux feux – n’est pas seulement en colère, elle en pleure : « Je reviens d’un pèlerinage en montagne. C’est abominable, j’ai vu un arbre de 20 mètres calciné, et la terre à nu, à cause de ces fameux écobuages ».
Technique contrôlée, et limitée en surface pendant des siècles , l’écobuage consiste à brûler un terrain jusqu’à ses souches pour laisser place à des cultures ou des pâturages. Mais les paysans et bergers sont rares tandis que se déchaînent des chasseurs de primes – la PAC européenne – qui reçoivent du fric pour « nettoyer » les pentes au lance-flammes. Lassalle les soutient d’une manière qui serait effarante si elle n’était surtout délirante : selon lui, sans les écobuages, « ça en serait fini du pastoralisme, mais aussi d’une certaine idée d’un tourisme qui va être de plus en plus amené à se développer à travers nos montagnes. Il faut qu’elles restent verdoyantes, au lieu d’être des ronces, des futaies ou même des forêts (1)».
En somme, notre grandiose entend sacrifier la forêt en la cramant. Pour faire venir des Parisiens par ailleurs honnis. Lassalle, champion du monde.
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Le désert espagnol à nos portes
Un livre inattendu (Les Quichottes, par Paco Cerdà, éditions La Contre Allée, 20 euros). Un journaliste espagnol décide de visiter une région immense, moins peuplée au km2 que la Laponie des Samis. Mais nous sommes 4000 km plus au sud, dans une Espagne que nul ne connaît. Cette Serranía Celtibérica court sur 65000 km2, 1355 communes, 10 provinces et ne compte en moyenne que 7,34 habitants au km2. En moyenne, car très souvent, on peut avoir du mal à dépasser deux, ou même un. Grossièrement entre Madrid, Valence et Saragosse, le travail est parti, et les hommes aussi.
Dans une sorte de road movie, Cerdà nous emmène là où plus personne ne va. Là où, comme à Guadalajara ou Teruel, la République s’est battue jadis contre Franco. Ici, José Luis, qui quitte tout après des années de chômage, et devient gardien d’un village fantôme pour 400 euros par mois. Là, le magnifique Marcos – 72 ans – qui a quitté la ville pour un village qui n’a jamais connu l’électricité, remuant ciel et terre pour faire revenir au moins un service public essentiel. Les personnages sont beaux et suffiraient à recommander le livre. Mais au-delà, il plonge dans des abîmes de réflexion. Jusqu’où se féliciter du recul de l’homme et du retour de la nature ? Faut-il vraiment aider ces quelques valeureux qui s’acharnent contre l’évidence d’un désert qui avance ?
On ne peut manquer davantage de penser à cette France qui disparaît, elle aussi. Combien d’habitants en Creuse, en Lozère, dans l’Aveyron, en Haute-Loire, dans la Loire profonde ?