Cette industrie qui prétend sauver le monde

publié en mai 2021

Un simulacre. Un formidable simulacre planétaire, comparable à l’immense foutaise connue sous le nom de « développement durable ». Cette dernière expression a été imaginée pour le profit d’industriels menés par l’insurpassable Maurice Strong (1), puis propulsé par le même avec l’aide conséquente de…l’ONU. Oui, l’ONU n’est pas exactement au service des peuples et des écosystèmes.

La même lance une vaste opération qui sera débattue en octobre en Chine, au sommet de la Convention sur la diversité biologique. Il s’agirait de créer d’ici 2030 des « aires protégées » couvrant au moins 30% des surfaces terrestres et marines. Tel est leur nouveau truc : protéger le tiers du monde. Ce serait presque risible – on jette le reste ? -, mais bien sûr, un tel objectif légitimera dans le monde réel quantité de politiques atroces. Et d’autant que de grandes structures comme l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) sont pour.

Au vrai, l’origine de cette affaire est ailleurs. Le milliardaire suisse Hansjörg Wyss, qui a fait fortune dans la vente de matériel médical, est devenu sur le tard philanthrope, après de graves démêlés avec la justice américaine (voir encadré). Il « pèserait » environ 6,5 milliards de dollars, et en a refilé deux à une fondation créée en 1998 The Wyss Foundation, laquelle, comme c’est mignon, veut sauver le climat et le monde. En injectant un milliard dans le grandiose « Campaign for Nature » (2).

Ce sont ces gens, rejoints par National Geographic, via sa fondation, et une centaine d’organisations diverses, qui ont imaginé ce plan des 30% d’aires protégées, repris depuis par les Nations unies. Ce qui frappe dans l’affaire, c’est l’omniprésence du mot finance. La clé serait semble-t-il le fric, mais avec qui ? Avec des philanthropes aussi convaincants que Wyss ou le Premier ministre britannique Boris Johnson – adeptes de toutes les dérégulations – , qui déclare sur le site du machin : « Nous ne pouvons plus nous permettre de tergiverser et d’attendre, car la perte de biodiversité, c’est maintenant ». Et de même Justin Trudeau le Canadien, qui ose : « Nous devons agir de concert pour protéger la biodiversité ». Et de même le patron de la transnationale Unilever ou le secrétaire général de l’ONU Guterres, ou Antoine Sire de BNP-Paribas.

Tiens, un seul représentant des « peuples autochtones », dont on parle à chaque page ou presque. Y aurait-il problème ? Y a. La grande et merveilleuse association Survival International, qui défend depuis 1969 ces oubliés définitifs que sont les peuples indigènes, a décidé de lancer une grande bagarre, que Charlie soutient sans hésitation. Pour les feignasses, signalons une vidéo de moins de trois minutes, très remarquable, avec la voix de la comédienne Audrey Vernon (3).

Le point de vue de Survival, qui s’oppose sur le terrain aux « protecteurs » façon WWF, notamment en Afrique, est net. L’opération des 30% s’apparente à un accaparement des terres géant, le plus grand de l’histoire des hommes. Ses promoteurs oublient comme ils l’oubliaient au temps de colonies que ces terres qu’il s’agirait de « protéger » sont habitées par des peuples.

Écoutons : « Qui va souffrir si 30 % de la Terre est « protégée » ? Ce ne seront pas les principaux responsables de la crise climatique, mais plutôt les peuples autochtones et les autres populations locales du Sud qui ne participent que peu ou pas du tout à la destruction de l’environnement. Les chasser de leurs terres pour créer des aires protégées n’aidera pas le climat : les peuples autochtones sont les meilleurs gardiens du monde naturel et une part essentielle de la diversité humaine, qui est primordiale pour protéger la biodiversité ».

Dans les faits, car seuls comptent les faits, la « protection de la nature » vue par de richissimes associations du Nord, comme le WWF, exige de faire le ménage. Les peuples forestiers, les peuples autochtones qui habitent ce qui reste de nature depuis des milliers d’années sont des gêneurs. Qui doivent laisser place au fantasme. Le Grand Mensonge Vert est sur les rails.

(1) J’ai longuement expliqué cette saisissante affaire dans « Qui a tué l’écologie ? », paru en 2011 chez LLL. Et : https://fabrice-nicolino.com/?p=1256

(2) https://www.campaignfornature.org/unga-hub-page

(3) survivalinternational.fr/campagnes/mensongevert

Quand la philanthropie copine avec le crime

Mais qui diable est Hansjörg Wyss, le promoteur de Campaign for Nature (voir article principal) ? Il y a au moins deux façons de le décrire. Un, c’est un capitaine d’industrie devenu milliardaire. Suisse, il a fait de l’entreprise  Synthes un (très) grand de la vente de matériel médical et d’implants divers. Et comme il a grand cœur, il est devenu un philanthrope universel, soutenant de nobles causes dans les domaines de la médecine, de l’art, de la nature.

Deux, c’est un capitaliste, qui a mené la société Synthes de 12 employés à 8500 entre 1976 et 2012. Et il a eu de très gros ennuis avec la justice. Le 16 novembre 2011, Georgia Baddley reçoit un coup de fil officiel : la mort de sa mère, huit ans plus tôt, pourrait être liée à un acte illégal : l’injection d’un ciment médical dans sa colonne vertébrale, le Norian XR (1). Sur le papier, cette invention est simplement géniale, car le ciment se comporte comme de l’os. Le remplace. Et il rapporte des millions à l’entreprise qui en a déposé le brevet, Synthes bien entendu.

Mais les autorités n’ont jamais donné l’autorisation pour cet usage. Bien pire : la boîte a été prévenue à plusieurs reprises qu’il ne fallait surtout pas utiliser ce « comblement osseux » dans la colonne vertébrale, au risque de provoquer la formation de caillots sanguins. Au moins cinq personnes sont mortes dans cette petite aventure industrielle. La plainte qui suit traînera quatre responsables de Synthes au procès, puis à une peine de prison. Synthes sera poursuivie pour des dizaines d’infractions lourdes, dont celle d’avoir mené des essais cliniques interdits sur des humains. De quoi faire passer le labo Servier pour un simple distrait.

Wyss finira par vendre sa petite entreprise au laboratoire pharmaceutique Johnson et Johnson, qui commercialise en ce moment, avec peine, son propre vaccin contre le coronavirus. Le 13 juin 2012, Wyss empoche un chèque de 19,7 milliards de dollars. Avant de se lancer dans la grande croisade de « Campaign for Nature ».

  1. https://rroeder.nd.edu/assets/387886/fortunesynthes.pdf

Ces 3% qui n’ont pas encore été salopés

Faisons semblant d’y croire. Dans un sursaut héroïque, le milliardaire Wyss, soutenu par l’ONU, lance l’idée de créer des « aires protégées » (voir article principal) couvrant 30% des terres et des mers. Mais une étude bien intéressante remet les pendules à l’heure (1). 15 chercheurs de haute réputation – du Nord comme du Sud, de Cambridge à Nairobi, de Leipzig à Mexico – se sont posé cette question : « Where Might We Find Ecologically Intact Communities? ». Où peut-on trouver des communautés – au sens de l’écologie scientifique – intactes ? Le résultat est tout sauf rigolo.

S’appuyant sur trois critères rigoureux autant que complexes, les chercheurs ont essayé de dresser une carte des zones écologiquement intactes, celles où la biodiversité n’a pas encore diminué pour cause d’activités humaines. D’après l’étude, elles ne couvriraient plus que 2,8% des surfaces terrestres. C’est d’autant plus significatif que la surface planétaire des habitats non perturbés est généralement estimée entre 20 et 40% du total. Très près, et ce n’est pas un hasard, du plan des 30% d’aires protégées.

Autre gros caillou dans les chausses de M.Wyss : seuls 11% des terres intouchées sont des « aires protégées ». Mais qui donc a protégé efficacement les 89% restants ?L’explication est (presque) simple : les quelques bijoux biologiques sauvés « coincide with territories managed by indigenous communities ». Les sauveteurs ne sont pas les M.Wyss, mais les peuples autochtones défendus par Survival International.

(1) frontiersin.org/articles/10.3389/ffgc.2021.626635/full

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