Allons, allons, un peu de charité. J’en suis bien d’accord. Aussi bien, le titre de cet article ne moque que modérément notre ministre de l’Agriculture, Michel Barnier. J’ai voulu jouer sur les mots. Paille, agriculture, voyez.
Mais je dois avouer qu’il y a une raison plus sérieuse. Qui est M.Barnier, dont le microcosme dit sans se gêner qu’il n’a pas nécessairement inventé la poudre ? C’est un ministre, et puis ? Et puis c’est tout, ou à peu près. Diplômé de l’École supérieure de commerce de Paris en 1972, il n’a jamais fait que de la politique. Soit. Il n’est pas le seul.
Dans cette déjà longue carrière, je note qu’il s’est occupé de sport, de commerce et d’artisanat, d’Europe. Et il a été, au passage, ministre de l’Environnement, ainsi que des Affaires étrangères. En 2005, viré sans ménagement par Chirac et Villepin, il a poussé un (petit) cri de guerre et obtenu en échange d’entrer au Conseil d’État, sinécure bien connue. Le voilà donc ministre de l’Agriculture, une première pour lui.
Que sait-il de ce domaine ? Je peux vous le révéler, bien que ce ne soit pas une révélation : rien. Quand un politique arrive dans un ministère aussi cadenassé que celui de l’Agriculture, il emmène avec lui, dans son cabinet, quelques proches. Qui feront leur possible pour faire passer leur patron au journal télévisé de TF1. Et sinon, à celui de France 2. Au pire, six fois dans Le Figaro et cinq dans Le Monde, le plus rapidement qu’il sera possible.
Pour le reste, tout est plié. Au ministère de l’Agriculture, les directions centrales – l’ossature stable de l’administration – sont dirigées par de hauts fonctionnaires le plus souvent issus des grands corps techniques de l’État. Les ingénieurs du génie rural et des eaux et forêts (Igref) s’y taillent logiquement la part du lion. J’ajouterai que ce ministère sis rue de Varenne pratique une gestion rapprochée des questions agricoles. Je veux dire rapprochée de la FNSEA et des industries qui considèrent l’agriculture, justement, comme une industrie.
En clair, les dossiers sont en main. Bouclés, étayés, défendus bec et ongles par des techniciens sûrs de leur pouvoir. Arrive donc un Barnier. Je lis ce matin un entretien qu’il a accordé à la France Agricole, et qui est une merveille (1). Parlons de chef-d’oeuvre bien involontaire, ce sera mieux. Je vous cite un court extrait. FA veut dire bien sûr France Agricole et MB Michel Barnier : »
FA: Sur le plan international, comment interprétez-vous l’évolution des cours de certaines matières premières agricoles. Est-ce une situation durable?
MB: Mon sentiment est que cette tendance est vraisemblablement durable. J’ai présenté le 29 août une communication en conseil des ministres sur ce sujet car c’est une situation nouvelle à laquelle on assiste.
Pourquoi cette tendance est-elle durable? Les agriculteurs ne produisent pas assez pour nourrir le monde. L’Inra explique que pour alimenter la planète en 2050, la production devrait être doublée par rapport à aujourd’hui.
Le monde va avoir faim. Mais en plus de consommer davantage, nous allons consommer différemment. L’évolution des habitudes alimentaires dans un pays comme la Chine, qui s’oriente vers une consommation plus élevée de protéines animales, va introduire des changements importants.
On assiste à une demande croissante des pays émergents, à des habitudes alimentaires qui évoluent, avec des stocks qui ont un niveau historiquement bas et un partage des terres aux Etats-Unis ou en Amérique Latine, notamment, qui réduit la part de l’alimentation au profit des biocarburants.
FA: Justement, il y a un débat sur ce sujet
MB: Ce débat est normal. Il faudra établir des priorités. C’est pour cela que l’on a besoin de gouvernance dans le monde et en Europe. Sans remettre en cause le choix stratégique de favoriser les agro et biocarburants. Il ne faut pas se dire «c’est l’un ou l’autre». En fait, c’est l’alimentation ou les biocarburants avec la question du partage des terres.
Je reprends ici mon propos. Au-delà de la qualité générale des réponses, sur laquelle je préfère ne pas m’étendre, songeant au risque bien réel de diffamation publique, un point me frappe. Barnier, homme excellement nourri aux meilleures tables, habitué des notes de frais et des fonds secrets ministériels, Barnier parle de la faim avec tranquillité. Eh oui, nous dit-il, la faim revient. Eh oui, les biocarburants jouent un rôle essentiel dans le phénomène. (Je consacre d’ailleurs à cette tragédie un chapitre au vitriol dans mon livre à paraître : La faim, la bagnole, le blé et nous.)
Il charge au passage – commode – les États-Unis et l’Amérique latine, oubliant ce que la France est en train de faire sur plus d’un million d’hectares de terres agricoles. Oubliant que l’Europe, et la France donc, sont les destinataires privilégiés de ces biocarburants produits ailleurs. Et puis, revenant à sa sieste coutumière, et à ses enfilages de perles, il nous dit : « C’est pour cela que l’on a besoin de gouvernance dans le monde et en Europe ». Ah, je me retiens, je vous jure.
Tenez, des nouvelles du monde réel. Je lis, dans la foulée de cet entretien indigne, un récit envoyé depuis Asuncion (Paraguay) par Javiera Rulli (2). C’est en espagnol, mais c’est surtout abominable. Cela commence ainsi : » San Vicente es un importante centro agrícola en el Departamento de San Pedro, en el norte de la Región Oriental de Paraguay ». Je vous résume : cette région, jadis d’élevage extensif, est envahie jour après jour par le soja, souvent transgénique, destiné au carburant des bagnoles. On déforeste, on ruine pour des décennies, sinon des siècles, le fragile équilibre écologique d’une zone longtemps tranquille. Les habitants de San Vicente ont perdu la forêt, les animaux qu’ils y chassaient, les poissons qu’ils pêchaient dans les rivières. Ils ont en échange des fumigations massives de ce que les Latinos appellent agrotóxicos, les pesticides. Beaucoup de malades, qui n’iront pas à l’hôpital.
Bref. Le 18 août, quatre paysans sont partis chasser là où, de tout temps, ils l’ont fait. Une petite montagne désormais encerclée par le soja, à l’intérieur d’une grande propriété presque totalement déforestée. Les gardes du propriétaire leur ont tendu une embuscade et ont tiré, sans hésiter. Pedro Antonio Vázquez, 39 ans, est mort. Cristino González, 48 ans, est mort. Pour les biocarburants. Pour que nous puissions en consommer ici. Pour que Barnier puisse poser dans les journaux. Et merde !