Dans le Gaza d’avant, tombeau à ciel ouvert

Ce qui suit ne parle pas de la guerre en cours

On lit souvent que la bande Gaza est une prison à ciel ouvert. Mais ce n’est pas vrai. On ne s’échappe pas de cette minuscule bande de terre. L’immense majorité des Gazaouis vivent un confinement qui dure pour certains depuis des dizaines d’années. On naît et on meurt là. Ce n’est donc pas une prison, mais un tombeau. À ciel ouvert. Bien avant la guerre en cours, la vie réelle y était devenue impossible. 5800 habitants au km2 en moyenne, mais plus de 20 000 dans les zones urbaines. Et une recherche permanente de nourriture ou de médicaments.

Et d’eau. Le problème n’est pas nouveau, mais il s’aggrave d’année en année, et paraît désormais insoluble. La ressource essentielle vient de la nappe souterraine, un aquifère qui longe la Méditerranée. 94% des Gazaouis en dépendent pour leurs besoins quotidiens Surexploitée, la nappe se vide trois fois plus vite qu’elle ne se recharge grâce aux faibles pluies d’une région aride. Par un phénomène bien connu d’intrusion, la mer toute proche s’infiltre à travers des sols poreux et transforme l’aquifère en un réservoir saumâtre, gravement pollué, en outre, par les eaux usées, les pesticides, les microplastiques. 97% de son eau est désormais impropre à la consommation humaine.

En théorie, car beaucoup n’ont pas le choix. Une fois par semaine, par exemple, la famille de Noura – son mari, leurs six enfants – reçoit de l’eau et en remplit aussitôt une citerne de 500 litres. L’eau du robinet est tellement salée qu’elle ne peut être bue, et ne peut servir qu’au ménage et à la lessive (1). Les canalisations, les appareils ménagers qui en utilisent sont irrémédiablement corrodés. La pollution par le sel a bien entendu de graves répercussions sur une production agricole en chute libre : certaines des cultures jadis prospères, comme le concombre et la pastèque ont en effet besoin de grandes quantités d’eau douce.

Le business de l’eau potable est donc florissant, mais beaucoup de Gazaouis n’ont pas de quoi en acheter. Les autres consacrent jusqu’au tiers de leur revenu à l’achat d’eau. Une étude sérieuse estime que plus d’un quart des maladies, dans la bande de Gaza, sont causées par l’eau. À ce qui ressemble vaguement à de l’eau. En 2017, l’UNICEF interrogeait une mère de famille, So’ad (2) : « Ici, tout le monde dépend des fosses d’aisance qu’ils vident dans la région. Il y a maintenant une grande et profonde mare d’eaux usées à côté de notre maison. C’est dangereux pour les enfants et l’odeur est épouvantable. En hiver, les eaux usées inondent la rue et pénètrent dans notre maison ». Et l’UNICEF ajoutait : « L’incidence de la diarrhée chez les enfants de moins de trois ans a doublé. Tous les enfants de la bande de Gaza sont exposés aux maladies d’origine hydrique ».

La mer ? À l’été 2017, un gosse de cinq ans, Mohammed Salim Al-Sayis meurt d’être allé se baigner non loin d’un collecteur d’égout se jetant directement en mer. 108 000 m3 d’eaux non traitées – ou si peu – se déversent chaque jour dans la Méditerranée. Et des milliers de pêcheurs – selon les sources, de 2000 à 4000 – se font concurrence à l’intérieur de la zone autorisée par Israël, ramenant des poissons de plus en plus rares, farcis de métaux lourds et de microplastiques.

C’est que la bande de Gaza produit autour de 2000 tonnes de déchets chaque jour et que les trois grandes décharges : Sofa, dans le Sud, Deir al-Balah et Johr al-Deek, dans l’Est, sont saturées depuis au moins dix ans. Des dizaines d’autres – 80, 100, 150 ? -, sauvages, ne sont pas sécurisées et laissent passer dans le sol de grandes quantités de ce « jus » de décharge ultratoxique qu’on appelle le lixiviat (3). Désespoir ? Des Palestiniens de Gaza, soutenus par des aides internationales, ont redonné vie – très fragile – à si petit fleuve qui traverse le territoire, le Wadi Gaza (4). De juin 2022 à mai 2023, 35 000 tonnes de déchets ont été retirées de ses rives et de son lit. Désespoir ? Elle passe sous un pont détruit par l’aviation israélienne, dont les débris du tablier n’ont pas encore été dégagés. En 2014.

(1)https://www.icrc.org/fr/document/gaza-la-crise-de-leau-image-par-image

(2)https://www.unicef.org/stories/gaza-children-face-acute-water-sanitation-crisis

(3)https://ps.boell.org/en/2019/08/05/reality-waste-management-gaza-risks-challenges

(4)https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/07/en-palestine-la-fragile-renaissance-du-wadi-gaza_6192961_3210.html?random=463049065

8 réflexions sur « Dans le Gaza d’avant, tombeau à ciel ouvert »

  1. Un papier formidable d’un des plus grands scientifiques vivants :

    https://www.qeios.com/read/CWBMG2

    Une reelle comprehension de la biodiversite aiderait a trouver la paix. On a tous des raisons, bonnes ou mauvaises, justifiees ou non, d’en vouloir a quelqu’un de proche ou d’eloigne. Mais comment pouvons-nous nous venger sur les oliviers, les champs de ble, les rivieres, les animaux ?

    L’humilite et l’honnetete scientifique peut aussi servir la paix !

  2. Pourquoi n’entends-t-on pas des gens intelligents et courageux comme Marc Hatzfeld, Edward Said, Yeshayahu Ben Aharon, Kennedy Junior, sur les media officiels ? (a part en Israel, ou Ben Aharon a ete interviewe 2 fois… en 20 ans ! maigre mais mieux que rien…) Pourquoi seulement les « donneurs de lecon » (comme dit Hatzfeld) et les emotions crues ? La presse Francaise est-elle entierement au service du gaz et du petrole ?

    https://www.marchatzfeld.com/single-post/l-autre-la-terre-et-le-fil-du-temps

    https://www.palestine-studies.org/sites/default/files/jq-articles/45_edward_2_0.pdf

    http://www.ibecoming.co.il/eng/Blog/623/My-Article%2C-Riding-the-American-Tiger%2C-after-21-Years

    https://twitter.com/clashreport/status/1722200462068486262

  3. Merci pour cet article de 2014 qui, lui n’oubliait pas les palestiniens.

    Cette guerre, ces bombardements massifs, près de 15 000 morts dont près de 6000 enfants… comment est-ce possible ? Il y a avait tant d’autres solutions qu’ajouter de l’atrocité à l’atrocité, du crime de guerre au crime de guerre, du crime contre l’Humanité au crime contre l’Humanité, du génocide au génocide. J’espère que TPI fera le ménage des deux côtés, j’en rêve presque : la prison à vie pour les responsables et complices de ces massacres !

    Faire 10 fois plus de morts comme projet politique, militaire ? Quel est ce monde qui soutient cela en réalité ? Je suis sidéré depuis le 7 octobre et la culpabilité m’envahit de m’être laissé avoir par tous ceux qui avaient soigneusement enterré la cause palestinienne ces dernières années… Un immense volcan de colère a explosé… et il pouvait difficilement en être autrement en réalité.
    Le pire ? La politique d’Israël donne raison à la stratégie du Hamas : que ce serait-il passé sur Gaza si ce groupe terroriste n’avait pas pris d’otages, se contentant des massacres du 7 octobre ? Imaginez deux secondes ? Comme toujours, la barbarie valide la barbarie et la décuple…
    Aujourd’hui, il me semble que notre devoir de citoyens et de mettre une loupe sur la politique mortifère d’Israël, menée par un quarteron de politiciens d’extrême droite, adeptes de l’ultra-violence, suprémacistes et intégristes de façon croissante depuis 20 ans… et de peser pour dénoncer toutes ces exactions : enfants emprisonnées depuis des années, détention administrative arbitraire des années durant, apartheid, abattage des palestiniens par les colons de Cisjordanie, meurtre de près de 200 jeunes palestiniens depuis janvier 2023 le long de la barrière de Gaza, etc… etc…
    Nous ne pouvons pas laisser faire aujourd’hui après tout ce qui vient de se passer. Note humanité en dépend. Et n réalité, notre sécurité aussi : si un Etat développé comme Israël a le droit de bombarder pendant des mois une population civile enfermée dans un camp de 50X10 km, qui n’aurait pas le droit de bombarder n’importe qui, n’importe où ? De nous bombarder aussi, donc, puisque personne n’interviendra ? Pas même de trève, pas même de cessez-le-feu ! Cette guerre ouvre une porte des enfers et nous met face à l’abîme de notre fragilité face aux chiens de guerre…
    Je retourne les paroles de Fabrice : les palestiniens, ces loups du Moyen-Orient… (pour « Le loup, cet arabe des montagnes » 😉

    Deux articles qui ont participé à ma sidération :

    https://www.lorientlejour.com/article/1354010/lettre-ouverte-au-president-de-la-republique-francaise.html

    https://ismfrance.org/index.php/2023/11/01/lettre-de-demission-de-craig-mokhiber-directeur-du-bureau-de-new-york-du-haut-commissariat-aux-droits-de-lhomme/

  4. Je les ai lus également, et ils ont provoqué chez moi un sentiment d´horreur absolue. Je partage sans la moindre restriction le point de vue de P.P., merci pour votre commentaire. Et merci à vous Fabrice pour cet article.

  5. Italie, 2023:
    https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/israel-palestine-arms-livorno-port-italy-b1848773.html

    Irlande, 2003:
    https://www.vice.com/en/article/7bjnyz/ciaron-oreilly-has-destroyed-more

    Meme aeroport en Irlande, 2023:
    https://www.breakingnews.ie/ireland/ireland-must-ensure-us-planes-at-shannon-are-not-carrying-arms-for-israel-1554553.html

    France, 2000: Le « convoi syndical pour la Tchetchenie » a envoye plusieurs annees consecutives des camions de vivres et medicaments pour les civils Tchetchenes.

    Mais est-ce qu’un tel camion arriverait entier jusqu’a la population de Gaza ou de West Bank aujourd’hui ?

  6. Italie, 2023:
    https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/israel-palestine-arms-livorno-port-italy-b1848773.html

    Irlande, 2003:
    https://www.vice.com/en/article/7bjnyz/ciaron-oreilly-has-destroyed-more

    Meme aeroport en Irlande, 2023:
    https://www.breakingnews.ie/ireland/ireland-must-ensure-us-planes-at-shannon-are-not-carrying-arms-for-israel-1554553.html

    France, 2000: Le « convoi syndical pour la Tchetchenie » a envoye plusieurs annees consecutives des camions de vivres et medicaments pour les civils Tchetchenes. A l’epoque ca n’avait pas bonne presse, car Poutine etait notre ami.

    Mais est-ce qu’un tel camion arriverait entier jusqu’a la population de Gaza ou de West Bank aujourd’hui ?

    Les regimes et les recits qui les soutiennent vont et viennent, mais les gens continuent a vivre malgre toutes les horreurs, et les militants de la paix aussi !

    Au fait, verifions au moins que notre « savon d’Alep » est bien fait a Alep. Le meilleur savon du monde !

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