Mon Dieu, quelle souffrance ! Quel spectacle ! Je veux parler de la passation de pouvoir entre Bruno Le Maire, ci-devant ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique d’une part, et son successeur Antoine Armand, jeunot de 33 ans, et dents probablement.
Ces gens-là couchent ensemble, métaphoriquement parlant, et j’extrais en me pinçant le nez ces échanges entre les deux hommes. Armand : « Ce ministère a porté parmi les plus grandes réussites de la dernière décennie et je veux, évidemment, saluer l’action de Bruno Le Maire, ton action ; cher Bruno. Tu es resté sept ans à Bercy. Grâce à ton travail et à ta détermination, le chômage est au plus bas depuis quarante ans […], les impôts des ménages et des entreprises ont baissé de 60 milliards d’euros, la France est devenue le pays le plus attractif d’Europe et notre croissance est supérieure à celle de l’Allemagne. » Puis, le même : « Face à de telles réussites, je sais que j’ai de la chance d’hériter d’un tel bilan. »
Le Maire lui offre aussitôt un bâton de marche basque appelé makila – j’en ai un depuis des décennies – en l’assurant qu’il lui permettra de « franchir les cols et d’affronter les périls ». Voyez-vous, Le Maire est un poète, et quantité de journalistes de cour s’extasient à chacun de ses livres, tous tenus pour être ceux d’un écrivain.
Bon. Le Maire a eu tous les pouvoirs économiques de l’État entre les mains pendant sept ans, prodigieuse durée dans le monde qui est le sien. Il ne pouvait donc que réussir ce qu’il promettait depuis si longtemps, mais crotte, non. La France a une dette publique de 3150 milliards d’euros, dont un bon tiers a été creusé sous son règne. Et le bilan laisse en ruines des pans entiers du cœur même du pacte social : la santé, les hostos, l’éducation, les services publics en général. Dans un monde plus éveillé, Le Maire serait jugé. Et condamné. Non à la prison, à quoi bon ? Mais au moins à l’exécration publique, celle-ci l’empêchant de revenir par la fenêtre après avoir été chassé par la porte. Il reviendra, soyez-en sûr. Certain. Il reviendra, car la place ne manquera jamais aux jean-foutre de la politique.
Encore un mot sur l’écologie. En 2016, Le Maire s’est présenté à la primaire de la droite, qui devait conduire à la désignation de François Fillon pour l’élection présidentielle de 2017. Il avait pour l’occasion mis en ligne un programme de 1000 pages, pas une de moins. Si. En fait, 1012 pages. Ce monument a disparu d’internet, mais comme j’en ai une copie, voici ce que je tire de cette œuvre d’art :
- « L’assouplissement des normes d’hébergement » pour les saisonniers agricoles venus du Maroc, de Pologne ou de Roumanie, car elles sont « trop contraignantes » ;
- La réduction des dépenses publiques ;
- La retraite à 65 ans dès 2020 ;
- 10 000 places de prison supplémentaires ;
- L’augmentation des prélèvements en eau de l’agriculture industrielle ;
- « Évacuer la ZAD de “Notre-Dame-des-Landes” par une opération d’envergure » ;
- « Durcir drastiquement les conditions du regroupement familial » ;
- « Accroître le délai de rétention administrative [des migrants] jusqu’à 120 jours » ;
- « Faire primer les accords d’entreprise » sur tous les autres, contrat de travail inclus. Etc, etc.
Notre Génie national ne trouvait pas alors la place – en 2016 ! – de parler de la crise écologique qui ravage le monde, France comprise. Sur les 281 entrées que j’ai comptées une à une, pas une sur le dérèglement climatique qui menace de dislocation toutes les sociétés humaines. Pas une sur la sixième crise d’extinction des espèces, la pire depuis au moins 65 millions d’années, au temps de la disparition des dinosaures. Mais des odes à la bagnole et au nucléaire.
Que dire qui garde encore un sens ? Je souhaite bien du courage à quiconque essaiera.
Pendant ce temps-là le Sri Lanka tourne à gauche ! Et les titres de la presse effarouchée sont délicieux « un premier ministre communiste », ce mot véhiculant le même frisson en Asie du sud que « la gauche dure » en Angleterre ou « les islamo-gzuchistes » en France, pour pointer du doigt les vrais doux, ceux qui ne vendent pas leur patrimoine naturel et humain à BlackRock et qui ne soutiennent pas le génocide des Palestiniens… Réjouissons-nous avec les Srilankais car un pays qui va mieux c’est le monde entier qui va mieux !