Le Loup, Boris Vian, et le dégoût des autres

Pour Jean-Michel Bertrand et Patrick Pappola

Vous le savez certainement, ils veulent la peau du Loup. Eux, les infects bureaucrates de la Commission européenne. Réunis mercredi 25 septembre, Ils ont décidé d’abaisser le statut de protection du loup. Sa présidente, Ursula von der Leyen, s’estimait elle-même victime du sauvage, qui lui aurait mangé un poney nommé Dolly. Tous les foutus chasseurs du continent vont pouvoir tirer tant qu’ils le voudront sur notre grand anarchiste.

Anarchiste ? Sans nul doute, même si le mot est évidemment anthropomorphique. Car comme le dit l’inoubliable Charlemagne Tricotin, héros du roman de Michel Folco, « un loup est un loup, et pi z’est tout ». En tout cas, se moquant des gabelous, il cavale, et saute obstacles et frontières comme s’il n’avait pas de comptes à rendre aux prédateurs fous que nous sommes devenus. Je l’admire. En France, où le poison et le fusil l’avaient fait disparaître il y a un siècle, il est revenu. Par l’Italie, depuis les monts Apennins, son ultime refuge dans ce pays. Il a traversé les Alpes, traversé le Rhône vers l’ouest, l’autoroute du Sud, la voie ferrée des TGV, évité les mauvaises rencontres, et triomphé. Il est désormais au nord, à l’est, on l’a même vu en…Bretagne. Quel athlète !

On veut donc sa peau. Mais de quel droit ? Les origines de l’animal se perdent dans la nuit des temps. Ses forts lointains ancêtres, quand ils ne pesaient que trois kilos, semblent avoir été repérés il y a 50 millions d’années, quand l’homme n’était qu’un songe. Bien plus près de nous, il est passé par le détroit de Béring, d’Amérique en Eurasie. Le chemin inverse des hommes qui ont peuplé l’Amérique il y a une vingtaine de miilénaires. Mais le Loup l’a fait il y a près de deux millions d’années !

Rien ne l’aura arrêté, sauf la haute montagne, les déserts – quoique -, les forêts tropicales. Un peu comme l’homme ? Certes oui. La détestation de l’animal est sûrement de nature anthropologique. Le face-à-face, la concurrence pour la nourriture et l’espace ont marqué à jamais l’esprit humain. L’esprit d’une partie des humains, car je n’en suis pas et n’en serai jamais.

Je ne sais pendant combien de temps ils ont baguenaudé, chassé, couru à perdre haleine dans ce territoire que nous appelons la France depuis une poignée de siècles. Disons de manière prudente pendant des centaines de milliers d’années. Ils sont chez eux, si cette expression humaine a quelque sens. Nous sommes chez eux. Quand nous peignions les parois de la grotte Chauvet, en Ardèche, elle était là aussi. Elle, car des chercheurs y ont retrouvé des crottes fossilisées d’une louve, datant de 35 000 ans.

Que vous dire qui soit à la hauteur de mon tourment ? Je me tourne vers un livre lu il y a quinze ans, et qui m’a alors fait frissonner. Il s’agit de Le totem du loup, écrit par le Chinois Jian Rong. Victime avec des millions d’autres de la Révolution culturelle, Rong part en Mongolie dite intérieure pour une entreprise de « rééducation » au contact des paysans. Jiang Rong y restera onze ans.

Chen Zhen, son double dans le roman apprend la vie de berger au milieu d’un campement mongol, sous la yourte. Il se prend d’une passion totale pour la haute culture de ces hommes. Ce peuple du cheval, ce peuple nomade, minuscule au regard de la puissance chinoise, a toujours inquiété ses voisins, cent fois plus nombreux, mais mille fois moins aventureux.

D’où vient la force étonnante des cavaliers ? Disons que le loup devient peu à peu le personnage central. Pour ce qui me concerne, je n’avais jamais lu encore de telles descriptions de chasses. Menées par le loup. Ou dirigées contre lui, le plus souvent. Ce n’est pas beau, c’est somptueux.

Chez Rong, les loups sont des stratèges, souvent beaucoup plus intelligents que les hommes. Ils sont l’esprit vivant de la steppe, qu’il convient de respecter avant toute chose. C’est du moins le sentiment du vieux Bilig, désespéré par le comportement insensé des autorités maoïstes, qui ne pensent qu’à exterminer les animaux sauvages. Dans le livre en tout cas, les Mongols partagent et vénèrent. Ils partagent l’espace avec les loups, et leur vouent une sorte de culte animiste que je comprends. Que j’aimerais partager.

Je crois, je veux croire, je crois que la culture profonde des humains peut, pourra un jour leur permettre de changer. Il n’est pas possible que le Loup soit à nouveau chargé de toutes nos sinistres fautes. Dans le roman de Boris Vian, L’Arrache-Coeur, la Gloïre repêche avec les dents, dans une rivière rouge sang, les si nombreuses crapuleries des villageois. On le déteste, on l’évite, on aimerait s’en débarrasser, car il sait ce que cachent les apparences. Pensant à lui, j’espère ne pas être trop dans un contre-sens. Mais je ne le crois pas. Le Loup montre envers et contre tout une voie raisonnable, possible, éloignée de l’hubris qui nous détruit. Une raison de plus pour le faire disparaître du tableau.

Une réflexion sur « Le Loup, Boris Vian, et le dégoût des autres »

  1. J’entends bien ce qu’il se dit à propos des loups en France
    Mais je ne peux pas y croire ?

    On dirait que la plupart de ceux qui s’expriment sur le sujet ne sont que des écolos de salon ou ont carrément intérêt personnel, politique, électoraliste à l’affaire !
    En tant qu’écologiste, humaniste, on ne peut qu’être triste à en pleurer, écœuré, choqué, effondré par ce massacre de la biodiversité, casse climatique, provoqué par tous les intégristes, les radicalisés du capitalisme économique ultralibéral mondialisé dont nous sommes tous, les occidentaux (toute la population) tellement accrocs au consumérisme que personne, absolument personne à titre individuel, associatif, politique, ONG, Fondations ne se comporte correctement, en décroissance, ne se remet en question, n’est susceptible de faire exemple, ce qui est contre-productif car on continue à alimenter la machine infernale tout en laissant croire à une protection spécifique, c’est un leurre, une tromperie générale, une arnaque à la Madoff, d’ailleurs tout va de mal en pire.
    Le loup ! L’ours ! La problématique est la même.
    Le loup actuellement en France n’est pas le loup que nous avions à l’origine à l’état autochtone, ce n’est pas la même espèce, et même lorsqu’il s’agit de la même espèce vernaculaire, on sait que se développent des spécificités locales au fil des siècles, des millénaires, qui font que l’espèce locale sera beaucoup mieux adaptée pour vivre dans tel biotope, tel environnement plutôt que d’autres, au point même parfois de développer des particularités qui la distinguent nettement sans pour autant constituer une nouvelle espèce mais déterminantes pour son avenir et qui en font toute sa valeur.
    Il ne suffit donc pas de prendre qqs sujets d’une espèce de provenance étrangère et de les parachuter quelques part, en un autre biotope, autre environnement pour que ça marche, pour que ça fonctionne ! Il n’y a que les nigauds qui croient cela ou les menteurs !
    Les chasseurs et les pêcheurs ont déjà fait ces erreurs majeures il y a bien longtemps, avec les sujets d’élevage et de tir ou de pisciculture et continuent encore dans le même sens négatif, dans le même déni. Le résultat est catastrophique.
    Il faut d’abord se poser les questions du pourquoi de leur disparition, faire du déterminisme ? Et si ces causes n’ont pas été supprimées, corrigées, toute introduction est vouée à l’échec.
    Cela étant, de mon point de vue il n’y a plus un seul territoire en France métropolitaine qui soit apte à offrir aux loups et aux ours des conditions de vie totalement sauvage pour un cycle biologique complet (biotope, nourriture, reproduction, environnement).
    Tous les territoires sont extrêmement morcelés, très impactés de l’espèce humaine, de ses constructions, de ses voies de communication, de l’élevage, de l’industrie, du tourisme, de gigantesques parcs d’éoliennes industrielles, de stations de ski, de véhicules automobiles, de lignes électriques et de chasseurs…
    Après avoir décimé la quasi-totalité des espèces sauvages, notamment le gibier à plumes, les chasseurs en sont réduits, pour satisfaire leur irrésistible et insatiable instinct primaire (qu’ils appellent la tradition), à lâcher des espèces d’élevage n’arrivant parfois que tout juste à voler ou se réfugiant à proximité des habitations, à la durée de vie éphémère, puis les Co sangliers agrainés pour les rendre encore plus faciles à flinguer et c’est à peu près tout ce qui reste comme espèces encore chassables avec les chevreuils et que l’on appelle « faune sauvage »! Donc aussi ce qui reste comme nourriture pour les loups !
    Les forêts sont elles aussi artificialisées en mono plantations de résineux (d’épicéas en rangs d’oignons) ayant tous la même classe d’âge, tellement serrés qu’il y fait nuit même en plein jour et sont totalement défavorables et improductives pour la faune dans sa diversité.
    Il n’y a plus de paysannerie mais que de l’agriculture intensive, industrielle, chimique, remembrement…
    Même les renards, les écureuils, les martres, les corbeaux, les hirondelles, les rapaces se raréfient, les lièvres se comptent sur les doigts de la main, c’est dire si ça va mal ! Pauvres loups !
    De plus, il y a toujours dans ce genre d’opération, l’exigence d’agir « dans le cadre du capitalisme économique ultralibéral », il faut donc que les loups et les ours soient une « marchandise », qu’ils soient « rentables « (Lupus et ursus oeconomicus) ! Il faut donc qu’ils puissent servir l’économie locale avec le tourisme, ce qui implique de pouvoir les photographier, les observer, leur donner à manger sur des plateformes prévues à cet effet, pouvoirs les capturer et recapturer, les mesurer, les peser, leur passer un collier émetteur autour du cou pour les localiser, les vacciner, les soigner (ce sont les fameuses études scientifiques sans fin), bientôt leur couper les ongles et leur brosser les dents, les coiffer et pourquoi pas un drapeau tricolore au bout de la queue pour mieux les identifier ou leur peindre un numéro sur le dos observable avec des drones pour ensuite mieux les tuer (ce qu’ils appellent des tirs de prélèvements régulateurs par décision ministérielle)? Et comme ils n’ont plus rien à bouffer de naturel ces pauvres loups, de leurs proies habituelles, on leur sert du mouton à volonté avec tous les problèmes que ça engendre avec les agriculteurs-éleveurs-chasseurs!
    Vouloir réintroduire deux supers prédateurs à un moment où toute la chaine alimentaire dont ils dépendent s’est écroulée, ou leur biotope est ravagé, artificialisé, l’environnement pollué et déstabilisé, est tout simplement une aberration.
    Je suis désolé mais ça ressemble à du cirque, à de l’élevage extensif, très éloigné de ce que l’on devrait entendre par espèce sauvage, autochtone, vivant librement par elle-même et parfaitement adaptée dans son écosystème, capable d’effectuer de nombreux cycles biologiques complets en toute indépendance !
    Nous avons les climato-faussaires, les climato-hypocrites, un gouvernement capitaliste économique ultralibéral le plus anti-écologiste qui soit mais qui prétend faire de l’écologie avec son consumérisme effréné et sa croissance perpétuelle, alors qu’avec ses prédécesseurs ils sont responsables de la sixième extinction de masse des espèces, je crains fort qu’il en soit de même dans le cas des loups comme dans celui des ours !
    Faire croire que sans changement radical de mode de vie, sans décroissance forte et immédiate, en continuant la société actuelle, économique et démographique exponentielle, nous allons sauver durablement ou définitivement les loups, les ours…, dans leur état naturel, est une tromperie, comme le sont les parcs naturels, les réserves, les chasseurs, les pêcheurs, Natura 2000, les Zoos, les cirques, les COP, le GIEC… et plus généralement le Ministère de l’écologie.
    Nombre d’espèces sont perdues à jamais, pour quelques autres nous devons nous contenter de les regarder captives à travers les grilles des Zoos, ou semi-captives dans des parcs, et prochainement nous n’aurons plus que le cinéma pour nous rappeler la beauté et la valeur de la faune à jamais disparue à cause d’homo oeconomicus.
    Une seule chose peut sauver la biodiversité, c’est l’effondrement de l’espèce humaine.
    Mais vous n’êtes pas obligés de me croire. (Décembre 2019)
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