Patrick Nottret m’a signalé dès le 3 octobre la parution d’une pleine page de pub dans le journal Libération du même jour. Il s’agissait, je cite son courrier, d’une « Lettre ouverte au président de la République », intitulée : « Monsieur le Président, ne cédez pas aux marchands de peur », et signée Orama. Cette publicité ( le mot est écrit en tout petit) demande à Sarko de ne pas geler les OGM. On y lit entre autres que « Ces OGM sont un progrès pour l’environnement », et on trouve des perles du genre : « Face à la pression des groupuscules qui ont choisi la violence pour exprimer leurs idées et à la stratégie du hold-up médiatique développé par ces « marchands de peur », nous tenons à faire entendre notre voix », etc. On y fait également appel aux scientifiques de l’INRA pour cautionner l’innocuité des OGM. Et ça se termine par une référence à la France « pays des Lumières, non à l’obscurantisme, etc. »
Évidemment, explosion de rire garantie. Et j’en remercie l’ami Patrick. Rire est un devoir patriotique, et j’espère bien recevoir un jour la médaille du Mérite. En attendant mon heure de gloire, on me permettra un petit commentaire. Un autre copain, Yves Le Quellec, éternel défenseur du Marais poitevin, m’en donne l’occasion. Il m’envoie de son côté un lien fabuleux, que je vous offre aussitôt en cadeau princier (1).
Vous y verrez comment le lobby de l’agriculture intensive « produit » des articles de presse destinés à présenter ses goûteuses inventions. Le premier s’appelle : « Grenelle de l’Environnement, faites entendre la voix des scopeurs ! ». Vous me direz que c’est énigmatique, et c’est vrai. Mais ce chef d’oeuvre est tout de même signé Orama, ce mystérieux sigle qui achète des pages dans Libération, et ailleurs.
Voyons de plus près. Les scopeurs, je vous l’apprends, sont les industriels de l’agriculture qui ont choisi les céréales, les oléagineux et les protéagineux. Jusque là divisés en plusieurs branches, par exemple l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB), ils ont décidé d’unir leurs forces. Leur point commun, c’est le syndicat. Le Syndicat : la FNSEA. Gaffe, amis de la nature !
Et cela a donné Orama. Quel drôle de nom, n’est-ce pas ? Je vous ai parlé il y a quelques jours de Moma, voici Orama. N’oubliez jamais que des gens sont payés pour trouver ce genre de mots. Orama, donc, c’est de la haute philosophie betteravière. « Le mot ORAMA signifie en grec ancien » ce que l’on voit « . Cet élément est souligné dans le logo d’ORAMA, où le A central renversé symbolise un œil ouvert et, par conséquent, l’ambition de l’Union de faire preuve de la plus grande lucidité dans ses analyses et dans son action ». Tout est rigoureusement sic (2), tiré de documents officiels d’Orama, l’oeil qui voit tout.
Et comme je suis sûr qu’il y a parmi vous de sérieux clients pour une séance de masochisme appliqué, permettez-moi de vous offrir un extrait de l’article susmentionné, Faites entendre la voix des scopeurs. Voilà : « À côté d’orientations raisonnables, les rapports des groupes de travail du Grenelle de l’Environnement publiés la semaine dernière font également état d’orientations à caractère fortement idéologique. La presse le met bien en évidence. C’est vrai en particulier en ce qui concerne les pollutions diffuses et les utilisations de produits phytosanitaires. En conséquence, la phase des consultations régionales et par Internet du «Grenelle» étant ouverte, il est nécessaire que soit entendue la voix des praticiens que sont les exploitants spécialisés dans les cultures arables. Face au langage le plus souvent radical des organisations écologistes quant aux pollutions diffuses et à l’utilisation des produits phytosanitaires, les scopeurs sont tous en mesure de rappeler quelles sont les réalités, quelle capacité à évoluer ils ont déjà montré et comment de nouveaux progrès peuvent être accomplis en la matière (…) Il faut redire que les exploitants ne cultivent plus les bordures de cours d’eau, les laissant en herbe sur 5 mètres de large, et que, mises bout à bout, ces bandes enherbées représentent la distance de la terre à la lune ».
Si vous avez lu jusqu’ici, convenez que cela valait la peine. De la terre à la lune ! Jules Verne était un grand ami d’Orama, vous ne le saviez pas ? Permettez un ultime ajout. Le journal Libération devait rendre compte hier de mon livre La faim, la bagnole, le blé et nous (Une dénonciation des biocarburants). Puis a repoussé à ce matin. L’article prévu, riquiqui déjà, est devenu un gros entrefilet. Bon, ce n’est ni la première ni la dernière fois que cela arrive et, croyez-le ou non, je m’en fous.
C’est comme ça. Mais je note que Proléa (3), qui regroupe les grands industriels des oléagineux, est au coeur d’Orama, qui a payé la pub dont je vous parlais au début. Or, Proléa, c’est le lobby des biocarburants. J’arrête là ce qui deviendrait vite un syllogisme foutraque. Non, non, et non, je n’imagine aucun lien direct entre tout cela. Pour une raison simple : il n’y en a pas. Mais je crois tout aussi certain que dans le monde de l’économie réelle, et la presse en fait partie, un petit livre rebelle indiffère le plus souvent. Et embête éventuellement. Tandis qu’une pleine page de publicité, payée cash, remplit de joie ceux qui acceptent de la passer.