Le fort long texte qui suit ne sera pas lu par tout le monde, j’en ai conscience. Mais enfin, si je ressors de mes archives ce long exposé écrit en janvier et février 2020, c’est parce que les faits lui donnent une couleur très particulière. Je l’ai écrit pour aider à une mobilisation sur l’eau du mouvement des Coquelicots, que j’avais créé en septembre 2018. Comme l’indique son introduction, c’était un texte de travail à compléter, à améliorer.
Mais tel qu’il est, il reste un document très important sur la question de l’eau dite potable. Je lis cette semaine dans Le Canard Enchaîné où en sont rendues les Agences régionales de santé (ARS), censées nous garantir une eau du robinet de qualité. S’adressant aux cadres de son administration, Didier Jaffre, directeur de l’ARS d’Occitanie, leur dit : « Très clairement, nous allons devoir changer d’approche et de discours ; il y a des PFAS [polluants dits éternels] et des métabolites partout. Et, plus on va en chercher, plus on va en trouver ». En conséquence, l’eau « ne doit plus être consommée mais seulement utilisée pour tout le reste. Il faut donc privilégier l’eau en bouteille. »
Oui, c’est totalement cinglé. Mais officiel. Il y a quelques jours, l’agglomération de La Rochelle décidait de fermer plusieurs captages d’eau, car il s’y trouvait bien trop de chlorothalonil R471811, métabolite du chlorotalonil, pesticide interdit depuis plus de trois ans. Si l’on prenait ce grand drame au sérieux, il faudrait pratiquement interdire de boire de l’eau du robinet, ce qu’on ne fera évidemment pas.
Le texte ci-dessous a beaucoup circulé – je l’ai su – à l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) et dans les ARS. Je crois pouvoir écrire qu’il y a fait flipper ses lecteurs, et il y a de quoi. Croyez-moi ou non, mais la situation est hors de contrôle.
Ici commence mon texte pour le mouvement des Coquelicots, écrit en janvier et février 2020
Ce
texte est un document de travail pour ceux qui veulent savoir ce
qu’on ne raconte pas ailleurs. Ce n’est pas un article de presse,
et il est affublé, en bleu, d’adresses Internet qui permettent
d’aller aux sources en même temps qu’on lit le propos général.
Il est fatalement complexe, mais après divers arrangements, il peut
être lu sans trop de difficulté par quiconque s’intéresse de
près à la question de l’eau en France. Son public prioritaire est
le mouvement des Coquelicots et l’ensemble de ses groupes locaux.
1/Une définition
Les pesticides produisent des
métabolites, car au contact des milieux et conditions qu’ils
rencontrent, ils se dégradent en composés différents au plan
chimique, parfois plusieurs fois au cours leur cycle de vie avant
minéralisation, qui marque la fin du produit. Citons, parmi
d’autres, le sol ou plutôt les sols, l’eau, les plantes bien
sûr, mais aussi le jabot d’une abeille, le gésier d’un
oiseau, l’estomac d’un mammifère, le tube digestif d’un
lombric. La température extérieure, le soleil, les précipitations
jouent également un rôle. Le tout rend l’analyse fine de ces
phénomènes très compliquée, car comment reproduire en laboratoire
une telle masse de données, perpétuellement en mouvement ?
Par exemple, dans les sols
(https://www.inspq.qc.ca/eau-potable/atrazine),
l’atrazine est « dégradée par action microbienne
aérobie et par hydrolyse, en ses résidus principaux, soit en ordre
décroissant la diéthyl-atrazine (DEA), la déisopropyl-atrazine
(DIA), la diaminochloro-atrazine (DACA), ainsi que l’hydroxy-atrazine
(HA). Dans l’eau, l’atrazine est hydrolysée et biodégradée en
ces mêmes métabolites ».
On lira avec grande attention le
document de l’OMS en anglais
(https://www.who.int/water_sanitation_health/dwq/chemicals/antrazine.pdf),
qui aborde la question redoutable de la présence de métabolites de
l’atrazine dans l’eau potable. En France, l’atrazine a été
interdite en 2003, mais demeure le pesticide le plus retrouvé dans
les rivières, ce qui donne une petite idée de la situation réelle.
Citons également le glyphosate, dont
l’un des métabolites bien connus est l’AMPA.
2/Ce que dit la loi
Attention, labyrinthe garanti. De
nombreux textes se superposent d’un bout à l’autre de l’Europe,
preuve certaine d’un grand embrouillamini. Il est fondamental de
considérer et de s’appuyer sur la directive européenne du 3
novembre 1998, intégrée depuis au droit français
(https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CONSLEG:1998L0083:20090807:FR:PDF).
Cette loi française interdit, sauf dérogation encadrée, de
distribuer de l’eau potable qui dépasserait 0,1 microgramme pour
un pesticide donné, et 0,5 microgramme pour la totalité des
pesticides retrouvés. À ce stade, et c’est également essentiel,
les pesticides sont considérés à l’égal de leurs métabolites.
Si on retrouve 0,1 microgramme d’atrazine et 0,1 microgramme de
diéthyl-atrazine, cela ne fait pas 0,1, mais 0,2. À la limite, si
l’on ne trouve aucun pesticide de départ, mais plusieurs de leurs
métabolites qui dépassent ensemble 0,5 microgrammes, cela rend
l’eau impropre à la consommation.
La loi est différente pour les eaux
brutes, celles qui permettent la « fabrication » d’eau
potable
(http://www.eau-et-rivieres.asso.fr/media/user/File/PDF/Pesticides/2013-10-Note_pesticides.pdf).
La limite est alors fixée à 2 microgrammes au litre par pesticide
et 5 microgrammes au total pour tous ceux retrouvés
(https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/qualite-des-cours-deau-vis-a-vis-des-pesticides-sur-le-territoire-des-sage-bretons-respect-des-limites-reglementaires-sanitaires-fixees-pour-lalimentation-en-eau-potable).
Au-delà, sauf dérogation, on n’a pas le droit d’utiliser ces
eaux trop polluées.
3/Comment on essaie de
tourner la loi
Cette situation n’était pas tenable,
car des centaines de pesticides différents (leurs matières actives)
sont couramment utilisés, produisant fatalement des milliers de
métabolites. Combien ? Nul ne le sait. Aucune autorité
d’aucune sorte n’a jamais produit d’information précise sur
cette question pourtant décisive. N’importe : la directive
européenne citée plus haut est un verrou que différents acteurs –
chacun dans leur propre rôle – ont un intérêt majeur à faire
sauter.
A/L’industrie
Pour l’industrie agrochimique –
notamment le quatuor Bayer-Monsanto-BASF-Syngenta -, l’affaire est
de nature stratégique. L’extrême pollution par les pesticides des
eaux distribuées menace l’édifice entier. Il ne faut pas prendre
à la légère les capacités d’anticipation d’équipes rodées,
qui disposent de moyens matériels illimités ou presque, prêtes à
défendre pied à pied toute molécule, qui représente parfois des
centaines de millions d’euros d’investissement.
Un document important existe
(https://www.generations-futures.fr/wp-content/uploads/2018/02/homologation_industrie_ecrit_ses_regles_050218_finale.pdf),
rédigé par le très fiable Pesticide Action Network (PAN). Son
titre : Homologation des pesticides, l’industrie écrit ses
propres règles.
Tout commence en 2003 par un
document-guide de la Commission européenne
(https://ec.europa.eu/food/sites/food/files/plant/docs/pesticides_ppp_app-proc_guide_fate_metabolites-groundwtr.pdf)
sur la présence de métabolites dans l’eau de boisson. Il est
hautement probable – mais il n’y a pas de preuve – que ce texte
est une première réponse au casse-tête des métabolites. Il crée
une distinction entre métabolites pertinents et métabolites
non-pertinents, mais sur une base fragile, car dépourvue de toute
précision scientifique, ce qui est plutôt extravagant dans une
affaire aussi technique. Selon ce texte, « un métabolite
pertinent est un métabolite pour lequel il existe des raisons de
supposer qu’il possède des propriétés intrinsèques
comparables » à la molécule de départ « en
termes d’activité biologique ciblée ». Aucun chiffre,
aucune référence, juste un assemblage de mots.
En bonne logique bureaucratique, un
métabolite non-pertinent ne remplit pas ces critères. Le texte
introduit au passage un concept très important qui s’appelle
threshold of toxicological concern (TTC), ou seuil de
préoccupation toxicologique. Dans les si nombreux cas où l’on ne
sait rien des risques écotoxicologiques d’une molécule, on se
réfèrera à ce seuil, en dessous duquel il n’y aurait pas de
risque pour la santé humaine. Attention ! c’est là que
commence le grand débat, car ce texte oppose sans le dire la limite
de la directive européenne – donc de la loi française – et les
chiffres bien différents de la TTC.
C’est d’autant plus significatif
que cette approche est celle de la Food and Drug Administration
(FDA), administration américaine chargée de l’analyse des denrées
alimentaires et des médicaments. Surtout, elle est défendue depuis
le tout début du siècle par le plus puissant lobby agroalimentaire
et agrochimique de la planète, l’International Life Sciences
Institut (ILSI), financé entre autres par Bayer, BASF et Syngenta.
Citons, dès 2000, une étude
(https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0278691599001209)
parue dans une revue présentée par Stéphane Horel (Lobbytomie,
2018, page 109) comme étant au service de l’industrie. Et même,
si l’on remonte à 1990 et aux vraisemblables origines, cette autre
étude publiée par la revue Regulatory Toxicology and Pharmacology
(https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/027323009090030F),
elle aussi aux mains des lobbies industriels.
La suite est sans surprise. Passage par
l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), elle-même
farcie de conflits d’intérêts
(https://www.francetvinfo.fr/sante/medicament/efsa-la-moitie-des-scientifiques-seraient-en-situation-de-conflit-dinterets_2239415.html)
et intervention d’experts passés par l’ILSI, qui entérinent
l’existence pourtant non démontrée des métabolites
non-pertinents.
Le résultat probant de cette histoire
est qu’un article écrit par et pour l’agrochimie
(https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26192637)
sert de base dans l’Union européenne aux discussions techniques.
Certains États « en pointe » ont déjà classé comme
non-pertinents des dizaines de métabolites, mais fait notable et
pour tout dire extraordinaire, le Danemark s’oppose frontalement à
ce classement
(https://mst.dk/media/148466/framework_assessment_pesticides_version_1-6_may_-2018.pdf).
Faisons la pause. L’industrie a
compris bien avant nous que les métabolites représentaient un grave
danger pour elle. Elle s’est donné les moyens, loin en amont,
d’influencer les autorités publiques, et elle y est parvenue.
3/L’ANSES
et la Direction générale de la Santé (DGS)
Écartons de suite toute idée de
complot et précisons qu’aucune -presque aucune – information
fiable n’établit des liens directs entre les agences et autorités
publique d’une part, et l’industrie d’autre part. Chacune des
parties a ses propres arguments et priorités en ce qui concerne les
métabolites.
Ainsi, nos autorités ont pour
obsession de continuer à délivrer une eau jugée par elles sans
risque. Le problème, on va le voir, est qu’elles ne le peuvent
plus, sauf à changer subrepticement les règles du jeu pour les
métabolites.
A/L’entrée
en scène du défunt Conseil supérieur d’hygiène publique de
France (CSHPF)
Qu’est donc ce Conseil ? Une
structure publique dépendant de la Direction générale de la Santé,
née en 1848 et dissoute en 2006. Le CSHPF est seulement consultatif
et ses conseils au gouvernement sont d’ordre technique
(https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/Telecharger?NomFichier=ad020909.pdf).
On est donc loin d’une instance scientifique. Or le 7 juillet 1998,
le CSHPF rend un avis surprenant
(https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapports3?clef=144,
puis rechercher “modalités de gestion des situations de non
conformité des eaux de consommation”).
Il estime en effet que « la
valeur réglementaire de 0,1 μg/l, applicable à chaque substance,
n’est pas suffisante pourévaluer et gérer une
situation de non-conformité des eaux distribuées vis-à-vis des
produitsphytosanitaires ». Et propose
l’introduction d’une autre notion, la « valeur sanitaire
maximale » ou Vmax. Aussitôt, la Direction générale de
la Santé (DGS) préconise d’utiliser la Vmax
(http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2011/01/cir_32338.pdf
et aussi http://www.cclin-arlin.fr/nosopdf/doc04/0013779.pdf,
ce qui change tout. En effet, le CHSPF indique des valeurs qu’il
assure venir de l’OMS, très au-dessus des valeurs de la loi.
Ainsi, l’alachlore, herbicide composant le Lasso – responsable de
la contamination du paysan Paul François – se voit attribuer une
valeur-guide de 20 microgrammes par litre, soit 200 fois la norme
européenne et française. L’alachore, soit dit en passant, a été
depuis interdit en France.
D’où viennent les valeurs attribuées
à l’OMS ? Dans l’édition 1996 de ses Directives de qualité
pour l’eau de boisson
(https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/37523/9242544604-fre.pdf?sequence=1),
l’OMS cite bien une valeur-guide de 20 microgrammes d’alachlore
par litre (page 96 sur 216), mais sauf erreur dans un autre contexte,
celui de « risque additionnel de cancer sur la vie
entière ». L’OMS souligne au passage les risques
cancérogènes du produit, avérés déjà sur le rat. Et donne à un
autre pesticide, composant de l’Agent orange épandu au Vietnam, le
2,4-D, une valeur maximale de 30 microgrammes par litre. 300 fois la
norme légale. Et 9 microgrammes, soit 90 fois la norme. Ce qui donne
une idée des erreurs passées.
On peut admettre que l’OMS, voici 25
ans, ne disposait pas des connaissances d’aujourd’hui. Est-ce la
seule raison ? Un personnage essentiel permet d’interroger la
pertinence de cette approche très favorable aux intérêts
industriels : le toxicologue René Truhaut. Grand maître
de la surveillance des pesticides en France pendant des
décennies, Truhaut a « inventé » dans des conditions
très discutables la Dose journalière admissible (DJA), fondement de
toutes les lois de protection contre les pesticides (In Un
empoisonnement universel, LLL, 2014). Et cela dans le cadre d’un
comité conjoint FAO-OMS. Dans les années Cinquante du siècle
passé, il était l’une des deux ou trois références mondiales
dans ce domaine. Attention ! Il ne s’agit pas dire que René
Truhaut était corrompu, car il ne l’était sûrement pas. Mais il
a couvert de sa haute autorité l’intervention de désinformateurs
professionnels comme Marcel Valtat (In Le crime est presque parfait,
LLL, 2019) et l’incroyable scandale du chlordécone. Et il régné,
là aussi pendant des décennies, sur le Conseil supérieur d’hygiène
publique de France (CSHPF). Le monde est très petit.
Un autre personnage attire
l’attention : André Aurengo. Il fut le dernier président du
CSHPF, et lui aussi très favorable aux intérêts industriels,
notamment dans le domaine nucléaire
(https://www.acro.eu.org/Archives/cp050506.html).
Il fut membre du conseil d’administration d’EDF et du conseil
scientifique de Bouygues Telecom et de l’Association française des
opérateurs mobiles.
B/
La DGS et l’ANSES s’engouffrent
Mais revenons à nos moutons. Le CSHPF
propose sur un coin de table, en 1998, de bouleverser les normes sur
la présence de pesticides dans l’eau potable. La Direction
générale de la santé (DGS, donc le ministère de la Santé)
s’empare de cette providence. Il faut dire que la situation est
grave.
En 2000, des analyses menées en
Bretagne montrent que « le nombre de molécules
décelées dans les eaux de surface est de plus en plus élevé ».
Le Sénat (https://www.senat.fr/rap/l02-215-2/l02-215-242.html)
constate que « sur les 65 matières actives
recherchées, 23 ont été détectées à des concentrations
supérieures à 0,1 ug/litre ». Rappelons que ug est égal
à microgramme.
Au plan national, l’Institut français
de l’environnement (IFEN, disparu) croise les données de 440 000
prélèvements réalisés en 1999 et 2000. On trouve des pesticides –
142 différents ont été recensés – dans 90% des prélèvements
sur des cours d’eau. Et dans 58% des nappes souterraines
(https://maire-info.com/eau-et-assainissement/qualite-des-eaux-de-rivieres-les-pesticides-sont-presents-sur-90-des-points-surveilles-en-riviere-et-sur-58-des-points-en-eaux-souterraines-s%27inquiete-article-2745).
En 2007, 91% des (prélèvements en)
rivières contiennent des pesticides. Et 59% des nappes. En 2011, 93%
des points étudiés sur les rivières. En 2012, petite baisse pour
les cours d’eau – 89% – mais forte hausse pour les nappes, avec
71%. En 2013, 92%, et bien sûr, rien n’a changé depuis.
C’est dans ce contexte explosif qu’il
faut situer l’affaire d’Étais-la-Sauvin, dans l’Yonne.
Depuis la fin 2016, les 840 habitants n’ont plus d’eau robinet,
car la pollution par les pesticides y est insupportable
(https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/bourgogne-yonne-est-departement-plus-touche-pollutions-eau-aux-pesticides-1771693.html).
Pendant plus de deux ans, à partir de 2016, la mairie a dû
distribuer 25 000 bouteilles d’eau par mois. Et une vingtaine
de communes du département ont dû faire face à des restrictions ou
des interdictions de consommer l’eau jadis potable. Les métabolites
sont au premier plan des inquiétudes
(https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/yonne/auxerre/communaute-auxerrois-s-inquiete-pesticides-eau-1456107.html).
Bien qu’aucun lien – autre que
temporel – ne puisse être évoqué, la Direction générale de la
Santé (DGS) saisit le 9 décembre 2015 l’Agence nationale de
sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du
travail (ANSES). Elle demande à l’agence une méthode permettant
de distinguer les pesticides pertinents (voir plus haut) et ceux qui
ne le sont pas dans le domaine des « eaux destinées à la
consommation humaine » ou EDCH. Il s’agit explicitement
« de répondre aux enjeux de gestion locale des
non-conformités lorsque des métabolites de pesticides sont
retrouvés dans les EDCH à des concentrations supérieures à la
limite de qualité ». 8 métabolites doivent être
considérés : l’alachlore ESA, l’alachlore OXA, le
métolachlore ESA, le métolachlore OXA, l’acétochlore ESA,
l’acétochlore OXA, le métazachlore ESA et le métazachlore OXA.
L’ANSES rend un avis le 30 janvier 2019
(https://www.anses.fr/fr/system/files/EAUX2015SA0252.pdf)
qui classe comme pertinents 3 métabolites et non-pertinents les 5
autres.
L’ANSES écrit qu’elle « a
choisi, à des fins de simplification dans un objectif d’aide à la
gestion, de proposer une valeur seuil unique pour les métabolites
jugés non pertinents dans les EDCH ». Cette valeur unique est
« basée sur la démarche TTC, elle a été fixée à 0,9
μg.l ». Cette citation est très importante, car elle
multiplie par 9 le niveau acceptable dans l’eau potable des
métabolites jugés non-pertinents. En s’appuyant sur la démarche
toxicologique propulsée par l’industrie pour ses propres besoins,
le TTC (voir plus haut).
Dans un communiqué conjoint,
Générations Futures et Alerte des médecins sur les pesticides
(https://www.alerte-medecins-pesticides.fr/wp-content/uploads/2019/05/2019-05-07-17h15___CP060519_metabolite_eauFinal.pdf)
estiment : « Accepter ce changement serait une
régression et permettrait de tolérer une pollution des ressources
en eau toujours plus importante. Plus grave encore : l’expertise de
l’Anses reconnait que “concernant le potentiel de
perturbation endocrinienne et les cas de transformation en un produit
dangereux pour la santé humaine au sein des filières de traitement
EDCH, les données relatives aux métabolites sont insuffisantes”.
De même, l’Anses reconnait que « ces travaux écartent… la
problématique des effets des mélanges de pesticides et/ou
métabolites ».
Par ailleurs, le quotidien Le Monde
(https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/05/07/face-aux-contaminations-les-regles-d-evaluation-de-la-qualite-de-l-eau-pourraient-evoluer_5459464_3244.html)
écrit le 7 mai 2019 : « On sait désormais que
cette réglementation n’a pas suffi. Résultat : les
contaminations sont telles que certaines agences régionales de santé
ne savent plus quefaire d’eaux brutes
affichant régulièrement des taux trop élevés de métabolites de
pesticides. D’où l’idée qu’il faudraiten
maintenir certains (nommés « pertinents » dans le
rapport) sous le seuil de 0,1μg/L et de permettre à d’autres (les
« non-pertinents ») d’atteindre 0,9 μg/L ».
À ce moment du feuilleton, une
question-clé se pose : ce rapport n’est-il pas un ballon
d’essai, destiné à tester la réaction de la société ?
Rien ne semble plus empêcher les autorités publiques de déclasser
à terme des centaines, voire des milliers de métabolites en
divisant par 9 leur limite de présence dans ces fameuses « Eaux
destinées à la consommation humaine ». Une manière
certaine de casser le thermomètre pour ne plus avoir à constater –
et combattre – la fièvre.
L’industrie agrochimique semble en
tout cas avoir bien anticipé l’opération. L’Union des
industries de la protection des plantes (UIPP) regroupe l’essentiel
des transnationales opérant en France, dont Bayer, BASF ou Syngenta.
Dans un document éclairant
(http://www.gfpesticides.org/bdd_fichiers/319c10ba4b34b568dbf56258f5f4463e9b5dab3183f.pdf)
en date du 1er juin 2018 – un an avant la publication
du rapport de l’ANSES -, l’UIPP insiste sur deux points. Un,
il faut utiliser la méthodologie TTC (voir plus haut). Et deux, il
convient de distinguer les métabolites pertinents de ceux qui ne le
sont pas. Ces derniers se verraient attribuer une valeur maximale de
0,9 microgramme par litre d’eau. Exactement ce qu’on retrouvera
dans le rapport de l’ANSES.
4/Que disent les études
sur les métabolites ?
Le maître-mot officiel est celui
d’ignorance. Un document officiel – émanant tout à la fois du
BRGM, de l’IFREMER, de l’INERIS et du laboratoire national de
métrologie et d’essais – rapporte cette impressionnante série
de questions
(https://www.aquaref.fr/system/files/Aquaref_2017_F1a_VF2_complet.pdf)
impressionnante. La voici :
« En effet, si le statut des
molécules mères (substances actives) est clair au niveau national
et leur monitoring réalisé avec des performances analytiques
compatibles avec les exigences réglementaires, des questions
apparaissent quant au suivi de leurs métabolites :
# dispose-t-on d’une liste
régulièrement actualisée des métabolites de pesticides ?
# quels métabolites sont
susceptibles de migrer vers les eaux souterraines ?
# quelles sont les valeurs seuils de
référence ?
# quelles sont les capacités
analytiques actuelles des laboratoires français?
# quels développements analytiques
pourraient être entrepris pour pallier aux manques identifiés ? »
On ne sait donc pas grand-chose, et le
document cité enfonce le clou : « Enfin, constatant
que de nombreux métabolites ne sont pas analysés, (…) il s’agit
de vérifier que l’étalon analytique existe bien (…) Ainsi,
l’absence constatée d’étalons analytiques pour de nombreuses
substances (262 molécules sans étalon analytique sur 407
métabolites considérés) s’avère comme un verrou analytique pour
de nombreux paramètres qui seraient considérés comme à suivre
dans le cadre d’une surveillance nationale ».
Traduction immédiate : les
étalons analytiques sont la référence chimique d’une molécule,
que seul son fabricant peut délivrer. Ces étalons sont
indispensables pour mesurer les pics de présence d’un métabolite
dans des examens en chromatographie. Sans étalon, aucune recherche
n’est possible. Le laboratoire est aveugle. 262 molécules étudiées
sur 407 n’en ont pas.
Notons ensemble quelques conclusions :
« Brièvement, il peut être
retenu de cette étude, que l’évolution constante des demandes
d’autorisation, avec parfois des demandes de compléments, ainsi
que le délai entre l’évaluation de l’EFSA et la conclusion
émise par la Commission Européenne, rendent difficile l’obtention
d’une liste de métabolites de pesticides susceptibles de migrer
vers les eaux souterraines. La connaissance de leur statut (pertinent
ou non pertinent au regard du règlement européen 1107/2009) est
parfois délicate ».
« D’un point de vue
analytique, le travail engagé montre que peu de substances ont un
code CAS et encore moins un code SANDRE laissant supposer que la
surveillance des eaux souterraines au niveau national est loin
d’inclure l’ensemble des métabolites inventoriés ici ».
Non seulement on est ignorant, mais le
peu qu’on sait est très inquiétant. Ainsi et pour
commencer, Laurence Amalric, du BRGM, écrit
(http://sigessn.brgm.fr/IMG/pdf/analyses_pesticides_brgm.pdf) :
« Les métabolites. Ces produits résultent de
phénomènes naturels de transformation des produits parents,
incluant les processus de biodégradation, d’hydrolyse, de
photolyse. Ils participent au devenir des pesticides dans
l’environnement et proviennent de transformations telles que
l’hydroxylation, la déalkylation, l’élimination de groupements
carbonyle, l’hydrolyse de la fonction urée ou des acides
phénoxyalcanoiques, l’oxydation… Leur toxicité est
mal connue, les substances-étalons ne sont pas toujours disponibles,
leur plus petite taille et leur polarité plus élevée rendent leur
analyse plus difficile et leur élimination dans les filières de
potabilisation des eaux plus délicate ».
Ensuite, et pour continuer, un auteur
américain, Raymond A.Cloyd, entomologiste et spécialiste de
l’horticulture à la Kansas University, établit que des
métabolites de pesticides aussi connus que l’imidaclopride ont des
métabolites plus toxiques qu’eux-mêmes
(https://bookstore.ksre.ksu.edu/pubs/MF3070.pdf).
Ensuite et enfin, des chercheurs de
l’INRA, menés par Laure Mamy, écrivent dans une étude
(https://www6.inrae.fr/ciag/content/download/3499/35173/file/10-Mamy.pdf) :
« Les DT50 des métabolites sont bien supérieures à
celles desherbicides (20 à 100 fois plus élevées),
en conséquence, ces métabolites présentent des risques pourl’environnement plus importants que les herbicides ».
Traduction : la DT 50 est ce qu’on
appelle la demi-vie de l’activité chimique des pesticides. Au-delà
de cette DT, il ne reste plus que 50% de produit actif. Or, disent
Mamy et ses collègues, des métabolites peuvent avoir un temps
d’action dans les sols, l’eau, les animaux, les plantes bien
supérieur à celui des pesticides d’où ils viennent.
Dans le détail (tableau 3, page 8 sur
23), on a la surprise de découvrir l’existence d’un métabolite
non-identifié provenant du métazachlore. Et ce métabolite a
une DT50 de 218 jours dans le calcaire, de 309 jours dans l’argileux
et de 326 jours dans le limoneux. Le métazachlore d’origine, lui,
a respectivement une DT50 de 1,9 jour, 2,7 jours et 3,5 jours.
Inutile de dire que cela bouleverse les données du problème.
Insistons : un métabolite inconnu, pouvant avoir une toxicité
plus élevée que sa molécule mère, ne perd la moitié de son
potentiel chimique qu’au bout de 218 à 326 jours.
5/L’exemple de la
nappe de Massérac
La nappe phréatique de Massérac se
situe entre Loire-Atlantique et Îlle-et-Vilaine. Elle sert notamment
à alimenter en eau 20 000 habitants de la région dite
Guéméné-Penfao, sur les communes d’Avessac, Conquereuil, Derval,
Guémené-Penfao, Marsac-sur-Don, Massérac, Pierric,
Saint-Nicolas-de-Redon. Cette nappe alluviale passe sous la Vilaine.
Aucun traitement des pesticides – pas même une filtration –
n’existe avant distribution par le Syndicat intercommunal
d’alimentation en eau potable (SIAEP).
Entre le 1er janvier 2016 et
le 31 août 2109, de multiples analyses démontrent une pollution
grave par les pesticides, qui dépasse au robinet les valeurs déjà
évoquées de 0,1 microgramme par litre par pesticide et de 0,5
microgramme pour l’ensemble des pesticides présents. Notons que le
métabolite métolachlore ESA atteint dans certaines analyses 5 fois
la valeur de 0,1 microgramme, et que l’ANSES, dans son rapport déjà
cité, retient comme pertinent ce métabolite. En clair, il devrait
être traité comme un pesticide.
Autour de Massérac existe un collectif
pesticides relié au mouvement des Coquelicots. On peut trouver sur
le Net quantité de documents se rapportant à la situation locale
(https://www.collectifsanspesticides.fr)
qui donnent une idée de l’intensité de la bagarre en cours, qu’on
ne peut que résumer à grands traits.
La situation oblige légalement les
autorités à lancer un programme d’action, et à informer la
population qu’elle boit une eau contaminée. Mais rien n’a été
fait. Pis : au cours d’une enquête publique sur une extension
de ferme porcine à Guéméné-Penfao, les élus des communes
d’Avessac, Conquereuil et Guéméné-Penfao ont donné un avis
positif à cette demande. Or le commissaire-enquêteur avait démontré
que cette extension augmenterait encore la dégradation de l’eau de
la nappe.
Le collectif, qui a beaucoup travaillé,
a pu montrer que 232 pesticides différents sont utilisés dans le
bassin versant de la nappe, qui génèrent environ 1000 métabolites.
Or l’Agence régionale de santé (ARS) de Loire-Atlantique, en
charge des analyses, ne recherche qu’une dizaine de ces
métabolites. Sur la base de 1000, 10 représentent 1%. 99% sont
ignorés.
Après de nombreuses rencontres avec le
président du SIAEP, le collectif a réclamé et réclame la
distribution d’une eau enfin conforme aux limites de qualité. Et
en attendant et entre autres, la distribution pour tous d’une eau
de source en bouteilles, l’information constante de la population
et des restrictions éventuelles de l’usage de l’eau, la prise en
compte de la totalité des pesticides et de leurs métabolites, la
fermeture du puits n°2 compte-tenu de son extrême pollution.
Conclusion du collectif : « L’eau « potable » est
distribuée encore aujourd’hui en toute illégalité au vu des
résultats d’analyses depuis 3 ans et 1/2 ». Soit
aujourd’hui 4 ans.
L’explication, toujours selon le
collectif, est celle-ci, en trois points :
1/ « un environnement où les
lobbies des syndicats agricoles, des coopératives et industries
agricoles sont en permanence dans le bureau des autorités ».
2/ « une réglementation
complexe et confuse »
3/ « une omerta et une opacité
des services compétents (élus, autorités, administrations ».
Est-ce tout ? Presque. Le 17
octobre 2019, le collectif est reçu à Nantes par la direction de
l’Agence régionale de santé (ARS), responsable in fine de la
qualité des eaux distribuées. Après un long dialogue de sourds, et
au nom du principe de précaution, le collectif « demande la
fermeture de l’usine de Massérac en attendant
le mise ne place de la filière de traitement et de l’arrêté
inter- préfectoral d’interdiction de
l’utilisation de pesticides sur tous les bassins versants ».
Le directeur de l’ARS évoque « sa
crainte de devoir être contraint de fermer tous les captages ».
On en est là : faire respecter la loi française de limites de
pesticides dans l’eau potable obligerait à fermer les puits de
captage de Massérac, et avec eux, en France, des milliers et
probablement bien plus d’autres forages destinés aux eaux de
boisson.
Car surtout, se
pas s’imaginer que Massérac soit l’exception. Par exemple, l’ARS
Morbihan ne recherche en tout que 4 métabolites, tous venus des
triazines. Les autres n’existent pas. Dans les Landes, la pollution
par les métabolites explose les normes
(http://www.amisdelaterre40.fr/spip/spip.php?article613).
On y constate aussi une drôle d’histoire de conflit d’intérêt,
car le président du Syndicat Intercommunal de la Basse Vallée
de l’Adour (SIBVA) est aussi un éventuel utilisateur d’un des
polluants principaux.
Un autre exemple montre qu’une
véritable dérive est en cours chez des acteurs pourtant officiels
de la protection des eaux. Ainsi de l’Association pour la
protection de la nappe phréatique de la plaine d’Alsace (APRONA),
dont les partenaires sont l’Agence de l’eau Rhin-Meuse, le Bureau
de Recherche Géologique et Minière (BRGM) et l’Agence Régionale
de Santé Grand Est.
Dans un document à la fois éclairant
et très inquiétant
(https://www.aprona.net/uploads/pdf/qualite/ermes-alsace/carte_24metabolites_note.pdf)
l’APRONA livre en 2018 le résultat d’analyses sur 24 métabolites
présents dans la nappe phréatique alsacienne. Première surprise,
le texte note que « L’APRONA, dans le cadre du projet
ERMES –Alsace 2016, a réalisé une campagne de mesures sur 394
paramètres. Parmi elles et pour la première fois, la plupart des 24
métabolites de pesticides ». Cette formulation sous-entend
probablement qu’il n’y aurait « que » 24 métabolites
de pesticides dans la nappe alsacienne, ce qui est totalement faux.
Les chiffres de 2016 – de l’APRONA eux aussi – montrent que 137
pesticides et métabolites ont été analysés, sans qu’on sache
combien d’autres – probablement le double ou plus – ont été
ignorés. Sur ce chiffre, on trouve 113 pesticides et 24 métabolites
en effet. Mais si l’on estime que chaque pesticides produit six
métabolites – valeur arbitraire mais prudente -, on obtient un
total de près de 700 métabolites présents, dont 3% ont été
analysés.
Le résultat publié montre que 61,2 %
des points de mesure dépassent les normes légales
(https://www.aprona.net/uploads/pdf/qualite/ermes-alsace/brochure_ermes-alsace_2016.pdf).
Qu’importe, semble dire le premier des deux textes APRONA, car il
existe « des valeurs sanitaires maximales dans les eaux à
destination de consommation humaine (Vmax) de 50 μg/l
{microgrammes au litre] pour l’alachlore-ESA et l’alchlore-OXA ;
de 510 μg/l [microgrammes au litre] pour le
métolachlore-ESA et le métolachlore-OXA ».
Concentrons-nous sur ces chiffres, car
ils signifient qu’une structure officielle promeut une mesure
alternative à celle de la loi française (encore une fois, 0,1
microgramme/litre par pesticide et 0,5 pour l’ensemble des
pesticides), la Vmax, dont a vu comment elle a été introduite, et
quels intérêts elle sert. 50 μg/l pour l’alachlore-ESA et
l’alchlore-OXA, c’est 500 fois la norme. 510 μg/l pour le
métolachlore-ESA et le métolachlore-OXA, c’est 5010 fois la
norme.
6/Un tout début de
conclusion
La conclusion de cette Affaire des
métabolites devra être écrite ensemble. Mais d’ores et déjà,
on peut souligner quelques points cruciaux. La première évidence
est que le système des pesticides est hors de contrôle. Environ 500
pesticides – matières actives – différents sont approuvés dans
l’Union européenne, qui se retrouvent en mélange avec d’autres
matières actives et des adjuvants divers dans des milliers de
préparations commerciales. Ces dernières – exemple : le
Roundup est un produit commercial contenant la matière active
glyphosate – peuvent avoir des effets chimiques différents de ceux
des molécules séparées. Ce chiffre de 500 pesticides différents
pourrait être sous-évalué, mais retenons qu’ils représentent
des milliers de métabolites dont un nombre infime est recherché.
L’industrie d’un côté, pour des
raisons évidentes de chiffre d’affaires, est préoccupée, depuis
au moins vingt ans, par l’existence de tant de poisons dans l’eau.
Sur le papier du moins, cette question est susceptible de créer une
très grave crise sanitaire, et donc politique, dans toute l’Europe.
D’un autre côté, les structures
publiques de surveillance et de protection – ARS et ANSES – sont
prises dans un étau qui menace tout l’édifice de distribution des
eaux de boisson. Les deux mors de cet étau sont la directive
européenne devenue loi française (0,1 microgramme et 0,5
microgramme) et l’évidence que les métabolites, s’ils étaient
recherchés, feraient exploser tout le système. Industrie et agences
publiques ne partagent pas forcément le même point de vue, mais
leur alliance de fait est évidente pour qui sait regarder les faits.
Les deux veulent absolument couler la norme européenne et
française.
En fait, la situation est intenable, ce
qui explique largement l’apparition, rapportée en détail,
d’autres valeurs-limites comme le TTC et le Vmax, ainsi que
l’apparition « miraculeuse » de métabolites
« non-pertinents ». Il s’agit de masquer le désastre
de l’agriculture industrielle et l’incapacité des États à
protéger les populations contre un empoisonnement universel.
D’innombrables questions se posent,
qu’on ne peut toutes aborder. Mais il en est une qui ouvre sans
doute des perspectives : que contiennent les Autorisations de
mise sur le marché (AMM) ? Ces AMM sont les sésames qui
autorisent un producteur de pesticides à commercialiser un nouveau
produit. En France, c’est l’ANSES qui les délivre, après qu’un
État européen quelconque s’est livré à une évaluation sur la
base d’un dossier constitué par l’industriel.
Il est plus que probable qu’un grand
nombre d’AMM sont accordées seulement pour une matière active –
par exemple le glyphosate – et non pour ses métabolites. D’autant
plus qu’un nombre X demeure inconnu, et que parmi ceux qui sont
identifiés, une partie significative ne dispose pas d’étalon
chimique permettant de les retrouver dans l’eau. Autrement exprimé,
les AMM ressortissent à la fameuse bouteille à l’encre, qui rend
tout indéchiffrable.
En bonne logique, une réforme
drastique commanderait que les AMM soient accordées pour une matière
active et tous les métabolites qu’elle engendre,
dont on a vu que nombre peuvent être plus toxiques. Mais ce n’est
pas le cas. Ce qui pourrait conduire à un contentieux géant
remettant en cause la grande majorité des AMM accordées si
généreusement. Une telle perspective est pour l’industrie
agrochimique un cauchemar.
7/Ce que peut faire le
mouvement des Coquelicots
Les centaines de groupes locaux des
Coquelicots doivent prendre à bras-le-corps la décisive question
des métabolites. La bonne démarche pourrait consister à créer un
sous-groupe entièrement dédié à la question, avec un(e)
référent(e) permettant des échanges rapides d’un bout à l’autre
de la France.
Premier mouvement (possible) :
réaliser un état des lieux local et régional de la distribution
d’eau potable. D’où vient-elle ? Quels sont les acteurs –
type syndicat intercommunal ou société privée comme Veolia –
concernés. Quelle est la nature exacte des analyses menées par
l’Agence régionale de santé (ARS). Quels sont les pesticides
utilisés dans la région. Quels sont les métabolites recherchés.
Après réalisation d’un document
fiable et clair, l’action peut commencer. Il s’agit de se livrer
collectivement à un harcèlement démocratique constant de toutes
les structures concernées par le problème.
Dans le désordre, les élus locaux et
les syndicats intercommunaux, les compagnies de distribution de l’eau
comme Suez, Saur ou Veolia, les ARS bien sûr, l’ANSES quand c’est
possible, les laboratoires agréés pour les analyses. La liste n’est
pas limitative. Le sens général de cette action est simple :
il s’agit de réclamer le respect de la loi des 0,1 et 0,5
microgrammes, ainsi que la recherche de tous les métabolites
présents dans les eaux brutes – rivières et nappes – et les
eaux distribuées au robinet. Autant le dire, ce combat est de longue
haleine.
Une précision concernant les labos
agréés : ne pas se laisser abuser par les titres ronflants.
Certains ne disposent d’agréments que pour un tout petit nombre de
métabolites. Faute d’informations de base – par exemple les
étalons analytiques -, ils sont en fait dans l’incapacité de
rechercher efficacement les métabolites. Pour que les choses
commencent à changer, il leur faudrait sans aucun une réforme sur
le fond des structures, et des équipements nouveaux au prix pour le
moment prohibitif.
Dans ces conditions, il n’est pas
interdit de rêver d’une bataille juridique, appuyée par des
avocats connus des Coquelicots, qui pourrait déboucher sur de
nombreuses procédures. En particulier, il faudrait obtenir l’accès
aux Autorisations de mise sur le marché (AMM), de manière à
vérifier qu’elles accordent aussi le droit de mettre en
circulation des métabolites, potentiellement plus toxiques.
Évidemment, toute démarche risque de
se heurter à un mur bureaucratique. Il faut songer à saisir la
Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui a le
pouvoir de débloquer certaines serrures
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Commission_d%27acc%C3%A8s_aux_documents_administratifs).
À terme, l’objectif des Coquelicots
doit être d’aider à la constitution d’une force distincte,
nationale, fédérée, tout entière vouée à la grande bataille de
l’eau, qui ne fait que commencer.