Archives de catégorie : Forêts du monde

Un magnifique Appel mexicain (pour Notre-Dame-des-Landes)

Ça ne pouvait pas mieux tomber pour Planète sans visa. Je venais à peine de mettre en ligne l’article précédent – je me permets de dire qu’il faut le LIRE –, que je recevais le beau texte de solidarité qui suit. C’est un signe des cieux. Un signe facétieux des dieux qui veillent sur nous. Peut-être. En tout cas, le Mexique que j’aime tant, ce Mexique des paysans, des Indiens et de leurs défenseurs envoie un abrazo fraternal à ceux de Notre-Dame-des-Landes. La boucle se boucle, il me semble.
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Le 25 octobre, dans le cadre de la rencontre/séminaire « Mexique – Europe : ils ne passeront pas », des centaines de personnes se sont réunies au Centre intégral de formation indigène/université de la Terre de San Cristóbal de Las Casas au Chiapas. Parmi les participants se trouvaient des internationaux, des habitants de San Cristóbal de Las Casas et de nombreux paysans et délégués des communautés de Bachajón, de Tila, de la forêt des Chimalapas (Oaxaca) ainsi que d’autres villages et hameaux du Chiapas, venus partager et écouter les expériences de résistance face aux mégaprojets, en Europe et au Mexique. L’initiative de cette lettre de soutien, signée depuis par de nombreuses organisations, personnes et collectifs mexicains, est née dans la foulée de ces rencontres.

DU MEXIQUE, LETTRE DE SOUTIEN À LA LUTTE DE NOTRE DAME DES LANDES

30 octobre 2012

Aux gens de Notre-Dame-des-Landes et de la France en résistance

À l’ACIPA, à l’ADECA, à la coordination des opposants au projet d’aéroport,

Aux associations « COPAIN »,  aux habitants et habitantes qui résistent et à tous les occupants et occupantes de « la Zone à défendre » ZAD,

Aux médias alternatifs et sincères,

À l’Autre Campagne et à la Sexta Internationale,

Aux luttes contre les mégaprojets et pour la défense de la Terre de toutes les parties du monde

Ici, au Mexique, c’est rage et indignation que nous ressentons après avoir été informés de l’expulsion et de la destruction de maisons, de forêts et de terres de culture par la police française à Notre-Dame des Landes, depuis le 16 octobre dernier. Une zone agricole est menacée par le gouvernement socialiste français et son premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui veut imposer sur ces champs de l’ouest de la France un nouvel aéroport de taille internationale, et ce malgré l’opposition des paysans et des paysannes, des jeunes et d’une bonne partie de la population. Nous savons que ce chantier est complètement inutile vu qu’il y a déjà beaucoup d’aéroports en France, et nous sommes au courant du réchauffement climatique global provoqué par la multiplication des avions que seuls les riches peuvent se payer. Nous savons aussi, car ils voulaient l’imposer aux villages d’Atenco dans l’État de Mexico, que la construction d’un aéroport entraîne à elle seule la convoitise pour les terres, l’urbanisation accélérée et l’implantation d’industries dans des zones encore rurales, où l’environnement a été préservé. Ce que ces projets amènent, c’est la division et le contrôle social de la population, et encore une fois ce sont les paysans qui se retrouvent spoliés par des constructions imposées de force et uniquement destinées aux gens de la ville ayant beaucoup d’argent.

Malgré l’énorme distance qui nous sépare, nous voulons vous dire que nos luttes sont semblables : votre lutte est un miroir de la situation de pillage que nous vivons sur nos terres. Il est important pour nous de nous informer de ce qui arrive en Europe, parce que ce sont des modèles qu’on veut nous imposer ici aussi et que nous non plus, nous ne voulons pas perdre nos terres, nos territoires et nos modes de vie.

Nous voulons vous dire également qu’au Mexique, nous luttons aussi contre le pillage des terres, comme c’est le cas des communautés de Tila et de Bachajon au Chiapas, où les terres sont menacées d’être spoliées pour des projets touristiques, ou bien encore dans l’Isthme de Tehuantepec, où les terres sont enlevées aux villages indigènes ikoots et binniza, et où sont imposées des centaines et des milliers d’éoliennes produisant de l’énergie pour les multinationales et où, tout comme à Notre-Dame des Landes, la police est envoyée pour surveiller les chantiers ; ou encore à Huexca, dans l’État de Morelos, où des CRS ont été envoyés il y a quelques jours pour imposer un gazoduc et une usine thermo-électrique d’une entreprise espagnole, et cela malgré les risques liés à la proximité du volcan Popocatépetl ; comme à Atenco, où le projet d’aéroport est toujours d’actualité ; comme ce qu’il se passe contre les communautés zapatistes au Chiapas, que le gouvernement veut  déposséder des terres récupérées grâce au soulèvement  de 1994 ; comme, enfin, dans des dizaines et des centaines d’autres villages et de communautés partout au Mexique, où ils nous dépossèdent de la terre et nous imposent des projets de mort, mines à ciel ouvert, barrages hydroélectriques, autoroutes, « villes rurales », et tant d’autres projets de « développement » qui cherchent à en finir avec nos communautés et nos terres collectives.

Ces projets inutiles bénéficient seulement aux entreprises telles que OHL, ENDESA, GAMESA, EDF, MALL, GOLDCORP, BLACKFIRE, IBERDROLA, MONSANTO, parmi d’autres. C’est à cause de ces entreprises qu’ils nous répriment et nous envoient la police et les CRS ; mais aussi qu’ils corrompent, achètent les élections et imposent des gouvernements, comme cela fut le cas du président Enrique Peña Nieto et de tant d’autres marionnettes politiques. Leur cupidité et leur désir sans limites d’imposer ces mégaprojets en arrivent même à l’ignominie d’instrumentaliser des groupes paramilitaires, d’imposer les cartels de la drogue et de payer des tueurs à gage pour nous assassiner.

Partout dans le monde, chaque jour nous voyons plus clairement jusqu’à quel point peuvent en arriver ceux d’en haut afin de mettre en place des politiques qui piétinent les peuples au bénéfice du pouvoir économique. Ils sont capables d’inventer une guerre d’extermination contre tous ceux qui s’opposent comme nous à leurs plans de mort. Mais chaque fois qu’ils nous frappent, nous sommes encore plus conscients du système destructeur auquel ils veulent nous soumettre.

Compagnons et compagnes, nous ne fraternisons pas seulement dans la lutte contre la répression : nous voyons aussi que nous partageons la même conscience que notre planète n’appartient pas aux hommes politiques et aux riches qui sont leurs collègues, mais bien aux peuples et aux êtres vivants qui l’habitent. Nous partageons aussi la pleine conscience du fait que nous luttons partout contre ces gouvernements qui se disent démocratiques mais qui nous imposent ces projets, nous divisent et nous détruisent pour satisfaire la dictature de l’argent.

C’est pour cela que nous voulons vous donner du courage dans votre lutte, dans cette étape difficile où ils saccagent vos maisons et vos terres. Nous voulons vous dire que bien que nous ne soyons pas près de vous, vous n’êtes pas seuls et seules. Nous sommes très nombreux à lutter jour après jour contre ces projets de mort pour défendre nos terres, nos territoires et nos façons d’être, c’est-à-dire pour défendre la vie. Nous sommes très nombreux à lutter contre les entreprises transnationales et les gouvernements corrompus. Ce qu’il nous manque seulement, c’est de nous rencontrer, nous écouter et mieux nous solidariser dans la lutte. C’est le moment de réfléchir et de nous organiser face à la soumission à laquelle ils nous condamnent. C’est le moment de nous retrouver sur cette planète qui se rebelle.

COMPAGNONS ET COMPAGNES :

NOUS NE SOMMES PAS SEULEMENT QUELQUES-UNS, NOUS SOMMES DES MILLIERS! PAS UN PAS EN ARRIÈRE!

NOUS SOMMES AVEC VOUS !

À BAS LES PROJETS DE MORT ¡

VIVE LA SOLIDARITÉ !

VIVE LA LUTTE DE NOTRE-DAME DES LANDES !

VIVE LA LUTTE CONTRE LES MÉGAPROJETS INUTILES!

Signatures:

COLLECTIFS  ET ORGANIZACIONS DU MEXIQUE

Collectif à l’initiative du forum « Mexique – Europe: ils ne passeront pas »; Front des Villages en Défense de la Terre (FPDT), Atenco ; Assemblée des Villages Indigènes de l’Isthme en Défense de la Terre et du Territoire APIIDT), Isthme de Tehuantepec ; Organisations Indigènes pour les Droits Humains à Oaxaca (OIDHO), Oaxaca; Communautés Paysannes et Urbaines Solidaires (COMCAUSA) ; collectif « la Rébellion de Tehuantepec », Isthme de Tehuantepec ; Groupe Solidaire de la communauté La Venta, Isthme de Tehuantepec ; Union des Communautés Indigènes de la Zone Nord de l’Isthme (UCIZONI) ; Radio Communautaire « Las voces de los pueblos » 94.1 Matias Romero, Oaxaca ; Assemblée Nationale des Victimes Environnementales (ANAA); Alliance Mexicaine pour l’Autodétermination des Peuples (AMAP) ; Mouvement Agraire Indigène Zapatiste (MAIZ) ; Réseau National de Résistance au prix cher de l’électricité (Mexique) ; Réseau Mexicain d’Action face au libre-commerce (RMALC) ; Lien Urbain de la Dignité, Puebla ; Nœud des droits humains, Puebla ; Secteur National Ouvrier et des Travailleurs de la Ville, des Champs, de la Mer et de l’Air de l’Autre Campagne ; Syndicat National des Travailleurs d’Uniroyal ; Coalition des Travailleurs Administratifs et Académiques du Syndicat des Travailleurs de l’Université Nationale Autonome de Mexico ; Collectif Action intelligente des chômeurs, étudiants et travailleurs ; Centre autonome d’apprentissage et de formation politique des travailleurs et travailleuses de l’Autre Campagne ; Dorados de Villa ; Communauté Autonome Ernesto Guevara de la Serna ; Communauté Autonome Ollin Alexis Benhumea Hernández ; Secteur des Travailleurs de l’Autre Campagne-Oaxaca ; La Otra Huasteca Totonacapan ; Brigade de rue de soutien à la femme « Elisa Martínez », A.C. ; Réseau Mexicain du Travail Sexuel ; Espace social et culturel LA  KARAKOLA (Mexico DF) ; collectif POZOL, Tuxtla Gutierrez ; Zapateando (média libre adhérent de l’Autre Campagne) ; Agence d’Information Indépendante Noti-Calle ; Notilibertas ; émission radio « Les fils de la Terre » ; revue La Guillotina, Mexico, D.F. ; Croix noire Anarchiste de México ; Nodo Solidale Mexico ; Collectif Azcapotzalco, Mexico DF ; Coordination Nationale « Plan de Ayala »-Mouvement National (CNPA-MN) ; Organisation zapatiste « Education pour la libération de nos Peuples » ; collectif «Caracol Matlatl », Toluca (Etat de México) ; revue électronique Désinformémonos ; Kolektivo « de Boka en Boka», San Cristobal (Chiapas) ; Commune autonome de San Juan Copala, Oaxaca ; Comuneros du village de San Pedro Atlapulco (Etat de México) ; Centre des Droits Humains Digna Ochoa, A.C. (Tonala, Chiapas) ; Conseil Autonome de la zone côtière du Chiapas ; Front civique Tonaltèque AC (Tonala, Chiapas) ; Réseau contre la Répression et pour la Solidarité – Chiapas.

INDIVIDUS

Manuel Antonio Ruiz, Lycée communautaire José Martí ; Ricardo Alvarado (Toluca, México) ; Sonia Voisin (Lyon, Francia), Priscila Tercero, Adhérantes de l’Autre Campagne ; Gloria Muñoz Ramírez; Marcela Salas Jaime Quintana ; Sergio Castro ; Adazahira Chávez ; Felix Garcia Lazcarez ; Dr. Alfredo Velarde Saracho ; Elsa Mocquet, La Milpa, A.C. (San Cristobal, Chiapas) ; Alèssi Dell’Umbria (Marsella-Oaxaca)

COLECTIFS DE SOLIDARITE EUROPEENS

Groupe B.A.S.T.A., Münster, Allemagne ;  Les trois passants, Francia ; Plate-forme de Solidarité avec le Chiapas et le Guatemala de Madrid, España; Caracol Solidario, Franche-Comté ; Espoir Chiapas/Esperanza Chiapas; Comité de Solidarité avec les Peuples du Chiapas en Lutte, Paris; Collectif Chiapas – Ariège ; Comitat Chiapas – Aude ; Nodo solidale, Italie; centre social « le Passe-Partout »  et « Groupe CafeZ », Liège (Belgique).

Je suis allé à Notre-Dame-des-Landes, et j’y retournerai

En pensant à Lilou

Pour ceux qui ne sont pas au courant, car il y en a. Ayrault, actuel Premier ministre et ancien maire de Nantes, veut imposer un deuxième aéroport à cette ville de 300 000 habitants. Il a ressorti pour cela un projet des années 60, qui nécessite de détruire un bocage de près de 2 000 hectares somptueusement préservés. Sur place, la bataille fait rage entre 200 à 300 jeunes qui occupent les arbres et les clairières, d’une part, et environ 1000 flics de l’autre.

Mardi passé, avant-hier, j’étais à Notre-Dame-des-Landes. Je ne peux pas vous raconter pour le moment, car j’y étais en mission commandée. Mais c’était d’une rare beauté. Le bocage convoité par les abrutis du projet d’aéroport est somptueux, gorgé d’eau, décoré de houx géants, d’aubépines, de chênes. On s’y enfonce dans une boue noire qui paraît pouvoir vous aspirer, on y rencontre un peuple sautillant de Hobbits – des jeunes squatters venus de France, de Belgique, d’Angleterre, d’Allemagne, d’Afrique du Sud, d’Australie – qui refusent l’argent et toutes les conneries du monde. Dans ce pays neuf fait pour Peter Pan, le Lapin Blanc, John le Lézard ou le chat du Cheshire, traverser le miroir est un véritable jeu d’enfants.

Vous suivez un chemin, en pleine forêt, encerclé par les bouleaux et les châtaigniers, et vous tombez sur une clairière où les Hobbits ont planté une maison sublime, faite de matériaux récupérés dans les déchetteries et poubelles de notre si pauvre univers. Ou vous vous retrouvez comme par magie au pied d’une cabane poussée dans les arbres, tenue par des cordes et des nœuds, sans l’ombre d’un clou ou d’une vis. Je vous résume : ceux qui refusent le grand massacre sont d’une part un collectif d’habitants, que j’ai rencontrés. Ils sont épatants, et s’appuient avec bonheur sur les 200 à 300 Hobbits dispersés dans les forêts alentour. Ajoutons quelques dizaines de paysans, dont la propriété serait en partie ou en totalité touchée par les sagouins de l’aéroport. Ne pas oublier les flics. Depuis le 9 octobre, ils sont entre 500 et plus de 1 000 à tenter de virer les Hobbits. Avec des dizaines d’engins, parfois des hélicos. Ils ont aidé à détruire quantité de cabanes, mais aussi des maisons en dur, qui étaient là depuis des lustres. Ces pauvres barbares n’ont visiblement pas conscience de la triste besogne qu’on leur fait accomplir.

Bon, stop, car j’ai à faire. J’ai à écrire. Encore un mot : le samedi 17 novembre, une grande manifestation nationale a lieu sur place. Il s’agira de réoccuper le bocage au nez et à la barbe des gardes mobiles. Et de rebâtir, poutres et planchettes en main, ce qui a été détruit. Si la flicaille ne gâche pas cette fête, cela sera sans doute grandiose. Parmi les lecteurs de Planète sans visa, quantité ont déjà demandé : mais qu’est-ce qu’on peut faire ? Il y a des jours où je ne sais pas quoi répondre, mais en ce matin du 8 novembre 2012, je vous le dis sans hésiter : il faut aller à Notre-Dame-des-Landes. Il faut montrer que nous sommes là, bien là, et que ce lamentable aéroport ne doit pas être construit. Merde ! L’heure n’est pas à la dérobade. Il faut y être. Il faut en être. Pas de mot d’excuse.

Le site des Hobbits : http://zad.nadir.org/

Le site de l’Acipa, la grande association locale : http://acipa.free.fr/

Une vidéo : http://www.laseiche.net/les-chroniques-de-la-seiche/article/si-loin-si-proche-3-en-pays-de

Une si belle forêt dans le 9-3 (que faire de la Corniche des Forts ?)

Je ne sais pas encore ce qu’il faut imaginer, mais je peux déjà vous faire partager mon sentiment à propos de la Corniche des Forts, dont le joyau est une forêt de 40 hectares, d’un tenant. Nous sommes en plein cœur de la Seine-Saint-Denis. Le 9-3. L’un des lieux les plus pourris de notre si vertueuse République. Le 9-3, il y a ceux qui en parlent et ceux qui connaissent. Je connais, par force. J’ai grandi ici, dans une cité HLM, et j’ai ensuite habité Gagny, Montfermeil – 5 rue Picasso, dans la si fameuse cité des Bosquets -, Clichy-sous-Bois, Bondy, Noisy-le-Sec, Drancy, Tremblay-en-France, Livry-Gargan, les Pavillons-sous-Bois. Entre autres, car j’en oublie, soyez sûrs que je dis vrai.

Je connais le 9-3 et j’éprouve à chaque fois que je songe à ce département sacrifié la même rage contre les forces de la gauche historique. Je veux dire le parti communiste, qui y comptait, au temps de ma jeunesse, 9 députés sur 9 et 27 maires sur 40; et le parti socialiste, qui a pris la suite. La question qui suit n’est jamais posée : qui a la responsabilité du désastre urbain qu’est ce département ? Qui paiera jamais le prix politique d’une telle défaite de l’esprit humain ? La gauche vertueuse se planque, voilà tout, car c’est elle bien sûr qui a accepté, accompagné, souhaité parfois ces innommables cités dont elle croyait stupidement qu’elles seraient à jamais des réservoirs de voix. Misère, quelle sombre connerie !

La droite, n’en parlons pas. Si, un mot : je me suis battu physiquement contre ses sbires, notamment ceux de la bande de Robert Calmejane, député-maire de Villemomble dans les années 70, situé à l’extrême-droite de l’UMP de l’époque, qui s’appelait UDR. Cet homme aussi médiocre qu’insupportable avait créé dans les années 50, pour le compte du patronat de l’automobile, un syndicat maison appelé Confédération française du travail (CFT). Lancé en fanfare en 1959 à Poissy, dans les usines Simca, aujourd’hui disparues, cette merde avait gagné ma banlieue, et par exemple l’usine Citroën d’Aulnay-sous-bois. Celle dont on parle tant. Celle dont on dit à la radio : PSA-Aulnay.

Je connais fort bien cette usine, car j’y ai distribué des tracts sous la menace distincte – parfois conjointe – des fascistes de la CFT et des staliniens de la CGT. Cela laisse des traces ? Pardi ! j’ai pris des coups, sans le regretter aucunement. La liberté est un combat, je le rappelle au moment où tant de gens ont des vapeurs, et se montrent prêts à céder aux assauts d’un nouveau totalitarisme. Et voilà, une fois de plus, que je m’égare. Désolé, mais je n’y puis rien. Je voulais dire que je sais par toutes les fibres de mon être la détestation de la société officielle, blanche, riche, bien élevée, pour la racaille de la banlieue. Je n’ai pas besoin d’explication. Je saisis instantanément. Par exemple, quand je vois que la socialiste Élisabeth Guigou est députée de Pantin, je sens comme le mépris pour les marges de notre monde perdure, bien au-delà des proclamations.

Donc, et pardonnez que j’y insiste, je sais ce qu’est en 2012 un département abandonné. C’est ici qu’apparaît un miracle. Entre Romainville, Les Lilas, Pantin, Noisy-le-Sec existe un lieu nommé La Corniche des Forts. Je ne connais pas bien – je vais y remédier – l’histoire de ce territoire, mais l’essentiel consiste en d’anciennes carrières de gypse abandonnées. Le gypse permet d’obtenir du plâtre, et le plâtre, c’est la ville, n’est-ce pas ? En 1886, Vincent Van Gogh rejoint à Paris son frère Theo, qui habite Montmartre, et il peint sur place la butte, bien sûr, et du même coup les carrières de gypse de sa face nord. Regardez plutôt le tableau qu’il nous a laissé.

van gogh gypse montmartreAu passage, notez avec moi que ce Montmartre de 1886 – mes deux grands-pères étaient déjà de ce monde – ne ressemblent guère à la farce touristique d’aujourd’hui. Et poursuivons. 40 hectares, donc, entourés de cités et d’extrême promiscuité. Je m’y suis rendu. Ô, illégalement, comme vous pouvez l’imaginer. Un tel pays se doit d’être encabané, et il l’est. De solides remparts empêchent le peuple des alentours d’y pénétrer. Avec, au reste, d’excellentes raisons, car les anciennes carrières dissimulent un peu partout des chausse-trapes, des ravins, des entonnoirs par lesquels on peut en effet chuter, et se fracasser. N’exagérons rien. Quoi qu’il en soit, grâce à David – et qu’il en soit remercié -, j’ai pu entrer en soulevant l’une des herses barrant l’entrée, et je me suis baladé le nez à l’air, tandis qu’un des derniers soleils d’été jouait son émolliente musique.

Je ne laisserai jamais ma place dans ces circonstances-là. Car je me trouvais dans un écart nouveau, peuplé d’arbres quelquefois grandioses, et de lianes, et de fleurs, et de papillons, et de quantité d’insectes tourbillonnants. Le plus confondant, c’est que lorsque l’on a quitté les abords assaillis d’immeubles, dès que l’on a plongé dans l’immensité des plantes, on n’entend plus le cri pourtant perpétuel de la ville. Les érables sycomores défient les robiniers; les frênes et les ormes jouent les adolescents fougueux, et l’on s’émerveille de voir en vol, criaillant comme à son habitude, une buse variable. Ici ! Le plus frappant, pour qui demeure dans une ville où le relief a été comme gommé – franchement, Ménilmontant vous évoque-t-il une colline ? -, c’est que les creux et bosses, de même que les plateaux, sont réhabilités. On sait au bout de 500 mètres que l’on a renoué avec le monde magique de l’épaisseur. De la hauteur. Des dimensions. L’artifice s’efface à chaque pas.

J’ai pris un très vif plaisir à visiter cet endroit si singulier. Et j’éprouve une très grande peine à vous raconter la suite. La suite s’appelle : Base de loisirs. Il serait simple d’écrire que des élus imbéciles ont décidé de sacrifier un bout de nature de plus, mais les choses sont, comme souvent, plus compliquées. Il y a environ 20 ans, le Conseil régional d’Île-de-France décidait de transformer la Corniche en une base de loisirs. Eau, pelouses rases, consommation d’un ersatz de nature, et bagnoles partout. Des élus Verts de cette époque, en qui j’ai toute confiance en 2012, ont joué leur rôle dans cette proposition. Je pourrais verser dans l’anachronisme, mais je passe mon tour. Pierre Mathon et Hélène Zanier, que je tiens pour des amis (ici), étaient alors conseillers régionaux d’Île-de-France, et ont joué leur rôle dans cette histoire. Avec le recul, on peut s’interroger, mais c’est dans le même temps trop facile, car en 1992, dites-moi donc, qui se souciait de la biodiversité ? Le mot lui-même, inventé quelques années auparavant, restait on ne peut plus confidentiel.

Le monde a depuis changé de base. Et Hélène comme Pierre partagent le désir de faire de la Corniche des Forts une situation unique. Le théâtre d’une offrande sincère faite aux prolétaires et à leurs descendants. Rien n’indique que les dominés de notre monde aient moins besoin que ceux qui tiennent le manche de respirer un air authentique, de voir des arbres poussés dans l’anarchie soignée d’une nature réelle, d’entendre le chant du coucou. Oui, mais nous voilà coincés par des plans, désormais ridicules, esquissés en un autre temps. Et depuis, il faut bien dire que la médiocrité des esprits n’aura fait que s’étendre. Chaque commune riveraine de la merveille que j’ai décrite veut son espace, pour s’étendre, pour étendre un peu le bilan municipal dans la perspective de l’élection municipale de 2014. Et comme à peu près aucun édile ne sait ce qu’est la nature, ce que représente son incommensurable valeur, le projet de base de loisirs reste seul en piste.

C’est d’autant plus navrant qu’un tel objectif vaut ce que valaient les piscines municipales dans les années 60 et 70. Rien d’autre qu’un signe de distinction. Pas davantage qu’un argument publicitaire au bas d’un bilan. La banlieue anciennement ouvrière de Paris ne vaut-elle pas mieux ? Ne peut-on en 2012 imaginer meilleur sort pour cette forêt sublime qu’un arasement généralisé, suivi d’une atroce banalisation de l’espace ? Si la réponse est non, je vous le dis, cessons de parler. Et pour ce qui me concerne, cessons d’écrire. Comme j’ai la faiblesse de croire autrement, je poursuis encore. La tragédie n’est pas bien loin. En décembre, doivent commencer des travaux de terrassement géants portant sur les 40 hectares. Des engins arracheraient le sol au nord, et conduiraient le long d’une chaussée spécialement construite pour l’occasion, sur le site même, le remblai ainsi constitué juqu’au sud.

Pourquoi ? Pour combler les galeries de carrières de gypse, où habitent pour l’heure les chauve-souris. De façon, dans l’esprit des promoteurs du désastre, à préparer le terrain à la future base de loisir. Futur(e) est à prendre au conditionnel, car le 9-3 est l’un des départements les plus endettés de France, pour cause notamment d’emprunts toxiques, et il n’est pas question de trouver les – environ – 80 millions d’euros que coûterait cet équipement d’un autre âge. Autrement dit, on s’apprête dans quelques semaines à claquer autour de 10 millions d’euros dans la perspective d’une réalisation qui ne verra peut-être jamais le jour. En ayant au passage écrasé une terre fabuleuse d’arbres et de plantes, d’animaux, de beauté extrême à un jet de pierre des cités HLM. On appelle cela, dans ma langue à moi, un crime.

Bon, j’ai décidé, sagement je crois, de ne pas prendre les élus du conseil régional – PS, PC, divers gauche, EELV – de front. Après tout, chacun a bien le droit de changer de point de vue. Je souhaite ardemment qu’un compromis soit trouvé, qui pourrait prendre la forme d’un moratoire sur les travaux prévus en décembre. Deux ans de réflexion, par exemple, ne pourraient que nous aider tous à réfléchir à l’avenir souhaitable de la Corniche des Forts. Commencer les travaux signifierait au contraire clore un dossier passionnant. Les différer – au moins – serait reconnaître qu’il y a matière à discussion. Nous en sommes là, et je vous tiendrai au courant. La guerre n’est pas déclarée, et la paix est non seulement possible, mais hautement préférable. En attendant, si vous en avez le temps, lisez les quelques liens que je vous mets ci-dessous. En vous saluant tous.

http://www.ornithomedia.com/magazine/mag_art541_1.htm

http://www.ornithomedia.com/magazine/mag_art541_2.htm

Les travaux de terrassement prévus à partir de décembre 2012 :

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Michelin se fout du monde et de l’Inde (suite sans fin)

Je vous parlais hier d’un article du Parisien et d’un reportage de France 3 consacrés à la construction de cette maudite usine Michelin en Inde. Eh bien, ce n’est pas terminé. Ce matin, au journal de 7 heures de France-Inter, il y avait un reportage à Clermont-Ferrand sur le même sujet. Le quotidien 20 Minutes publié de même un (bon) article (ici) et un journal local a également porté la voix des Intouchables du Tamil Nadu (ici).

Ce n’est pas un triomphe, non pas, et je ne peux hélas vous faire part des rebuffades subies auprès d’autres journaux, très connus. Néanmoins, mettez-vous à la place des villageois de Thervoy Kandigai. Lorsqu’ils sauront, bientôt, que des inconnus d’un autre monde les soutiennent, que pensez-vous qu’ils éprouveront ? J’en profite pour dire un mot à ceux qui tenaient et tiennent la pétition pour chose négligeable. Ils ont raison, mais surtout tort. Car si la pétition n’est rien, elle peut servir de levier de vitesse, permettant d’accélérer le mouvement. C’est exactement ce qui s’est passé. On appelait cela jadis de la dialectique, cet art antique de casser des briques.

Au fait, faisons les comptes. La pétition se décompose en trois parties, qui au total a réuni au moins 35 000 signatures. Celle que vous avez lue ici. Celle proposée par Cyberacteurs (ici) et surtout celle portée à bout de bras par Sylvain Harmat, responsable à Hambourg de la belle association allemande Rettet den Regenwald e.V.  (Sauvons la forêt, en français). Je tiens à chaleureusement remercier Sylvain, qui a mis tout son savoir-faire dans cette histoire, avant de mettre en ligne et en français une pétition qui a recueilli près de 30 000 signatures en quelques jours (ici). Ça c’est l’Europe, la vraie !

Je vous remercie tous, sincèrement, intensément, de votre engagement.

Michelin se fout du monde et de l’Inde

Donc, comme je vous l’ai signalé ces derniers temps, Michelin, chantre historique du catholicisme social – mais oui -, construit une usine en Inde, dans le Tamil Nadu. Les natifs ces sots, de la caste des Intouchables, ne veulent pas. Je ne reprends pas tout, que vous pouvez retrouver en utilisant le moteur de recherche interne à Planète sans visa. Qu’y a-t-il de nouveau ? Aujourd’hui, mes amies chères Annie Thébaud-Mony et Josette Roudaire, en présence de l’Indienne Madhumita Dutta, ont tenu une conférence de presse à Clermont-Ferrand, siège de Michelin, soutenus par le syndicat CGT de l’entreprise.

Gloire à eux, bien entendu. Et le combat continue, bien entendu. Vous pouvez lire un papier du Parisien, ici ou regarder un reportage de France 3, ici. Dans ce dernier, le petit ponte de Michelin est pathétique.