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Le miracle de la voûte nubienne (Hassan Fathy حسن فتحى)

Le type dont vous allez voir la tête ci-dessous s’appelle Hassan Fathy. Il est tout ce qu’il y a de plus mort, mais il est aussi étonnamment vivant. N’allons pas plus loin, et parlons de paradoxe. Soit un homme né le 23 mars 1900, à Alexandrie (Égypte), quand le monde pensait encore que tout allait se régler par les belles inventions de nos grandioses ingénieurs.Le rasoir de sûreté (1895) permettrait d’utiliser en même temps le télégraphe sans fil (1896) et le tube cathodique (1896) tout en se photographiant grâce au papier photosensible (1897). Le radium (1898) allait guérir la maladie, tandis que le magnétophone (1899) et le ballon dirigeable (1900) nous entraîneraient dans des mondes nouveaux et merveilleux, remplis d’aspirateurs (1901), de radiotéléphones (1902), et de ceintures de sécurité (1903).

Hassan Fathy, le voici :

I

Sur ce cliché, il avait encore un long temps à parcourir les berges du Nil, car il est finalement mort le 30 novembre 1989, au Caire, alors que les illusions technologiques étaient à peu près dissipées. À peu près. Fathy était un grand architecte. Vous noterez comme moi qu’il en existe bien peu. On rencontre sous le pied de chaque cheval claudiquant des Ricardo Bofill ou des Manolo Nun?ez. Je parle de ces braves garçons, car j’ai eu l’occasion d’habiter fort près de deux de leurs merveilles, le palacio d’Abraxas et les Arènes de Picasso, à Noisy-le-Grand. Ces tenants du postmodernisme – pardi -, ces grands réfractaires à « l’architecture fonctionnelle » seraient, dans une société plus équilibrée, jugés pour crime social. Dans la nôtre, ils sont portés aux nues.

Fathy était un incroyable imbécile qui jugeait de son devoir d’aider le peuple à dignement habiter la terre. Vous n’allez pas le croire, mais j’y vais tout de même. Fathy aimait dire ceci : « Droite est la voie du devoir, sinueux le chemin de la beauté ». Il disait encore : « L’architecture émerge du rêve, et c’est pourquoi, dans les villages construits par leurs habitants, on ne voit pas deux maisons semblables ». Dès les années trente du siècle d’hier, il parcourait les campagnes, le monde ancien, étrange, fabuleux des fellahs d’Égypte (lire ici en français, lire ici et en anglais). Fathy ne se faisait pas d’illusions excessives sur l’Occident, et ne croyait pas que l’architecture locale avait tout à apprendre de nous. Lui, se promenant dans les villages, il avait redécouvert des techniques anciennes autant qu’éprouvées. Il pensait déjà à l’autoconstruction, à la nécessité de demeures communautaires, sans fenêtres ou presque, mais ouvrant sur des cours intérieures d’où l’on peut admirer le ciel.

En 1941, il rencontre enfin la voûte nubienne, un art vieux d’au moins 3 000 ans, qui consiste à bâtir en terre, sans coffrage et donc sans bois, de merveilleuses maisons. En résumé plus que simplifié, disons des murs de briques en terre crue, séchées au soleil, surmontés d’un toit voûté, en terre lui aussi. Il faut et il suffit de terre – on en trouve – et d’eau. Dès 1942, Fathy bâtit une sorte de prototype, près du Caire, la maison Hamed Saïd, à Marg. Mais son triomphe s’appelle le nouveau Gourma, du nom d’un village dont les habitants doivent être déplacés. Entre 1946 et 1947, il prouve sur place l’incroyable efficacité de la brique en boue. Il réalise à la fois des maisons, une mosquée, un théâtre, un marché. Il met au point, s’inspirant du passé, des techniques de réfrigération naturelle et de ventilation, qui permettent de diminuer de dix degrés la température extérieure. Les bureaucrates égyptiens ne lui pardonneront pas, qui l’accuseront de vouloir ramener la population locale vingt siècles en arrière.

Bon, faut-il continuer ? Fathy a été contraint de s’exiler entre 1957 et 1962, et bien qu’ayant reçu de nombreux prix internationaux dans la fin de sa vie, on ne jurerait pas qu’il a fait reculer d’un millimètre l’imbattable conspiration des imbéciles. Pour son malheur, pour son honneur, Fathy, bien qu’il ait été et reste l’un des plus grands architectes connus, était hostile à la « modernité » faite de béton, de tôle, de fibrociment, et d’infinie laideur. Auteur d’un livre épuisé en français – Construire avec le peuple, chez Actes Sud -, il avait compris la quintessence de son art, à peu près seul dans ce pays de si vieille tradition. C’est finalement simple : les pauvres doivent utiliser ce dont ils disposent, et assembler les matériaux ensemble, selon des techniques adaptées au lieu, et non à l’idée que de brillants sujets égocentriques se font des besoins humains. Fou, hein ?

Le plus beau, non, pas le plus beau, mais le plus exaltant peut-être est que Fathy a une innombrable descendance. Je ne connais presque rien d’elle, sinon une association appelée la Voûte Nubienne (regardez-moi ça !). Créée en 2000, elle essaime doucement, bien trop doucement hélas, dans la bande sahélienne, où personne n’avait jamais entendu parler de cette technique de construction. Des villageois du Sénégal, du Burkina Faso, du Mali, apprennent ainsi à bâtir pour eux, selon leurs besoins et leurs moyens. Dans cette zone martyrisée où le bois est encore plus rare que l’eau, la voûte nubienne permet de lutter concrètement, réellement contre la déforestation. En se passant des plastiques et des tôles qui désignent désormais au voyageur l’habitat africain « traditionnel ». Il n’y a plus besoin de charpentes en bois ! Il n’y a plus besoin d’importer à grand frais des matériaux produits ailleurs !

Ce conte de fée est une réalité. Là où se montent les voûtes nubiennes trépasse le marché mondial. La terre est prise sur place, séchée sur place, montée sur place par des maçons formés sur place. Un rêve de relocalisation économique. Un rêve, mais pas un fantasme. Une famille peut économiser jusqu’à 90 % sur la construction d’un logis durable, confortable, supportable au moment des plus fortes chaleurs. Reste la question que vous ne me posez pas : pourquoi diable personne n’en parle ? Pourquoi diable continuons-nous à envoyer là-bas, par milliers de tonnes, cette tôle galvanisée qui fait le prestige de nos PME ?

Je me dis, confiant dans la nature humaine, que vous saurez répondre sans moi à cette interrogation si lourde de sens. Un indice, toutefois : souvenez-vous de Fathy, ridiculisé et menacé jusque dans son propre pays. Songez à la haine dont il aura été entouré. Songez à tout ce temps perdu. Songez à ces dizaines de millions de cahutes, dans les si nombreux bidonvilles du monde, où l’on grelotte, où l’on étouffe. Il existe d’autres voies, partout, pour tout, pour tous. Il suffirait, en somme, de s’y engager.

Rien ne va plus à France Nature Environnement (sur la forêt)

Je vous prie de faire circuler ce texte dans tous les réseaux que vous connaissez, car l’ignorance est la pire des entraves.

Comme je souhaite être aisément compris, on me pardonnera de récapituler nombre d’articles précédents de Planète sans visa. Ce qui nécessite, avant de délivrer l’information du jour, si dérangeante, d’en revenir au passé. France Nature Environnement (FNE) est la grande fédération de protection de la nature en France. Héritière des sociétés savantes de professeurs du XIXème siècle, elle a pris son essor après les événements de mai 1968, rencontrant alors une jeunesse vivante et insolente qui allait créer ou vivifier quantité de structures locales et régionales. C’est ainsi qu’est née la Frapna, dans la région Rhône-Alpes. C’est ainsi que se renforça Bretagne Vivante, ci-devant la SEPNB.

Chaque région compte une structure à sa dimension qui rassemble la plupart des associations locales de protection de la nature. Et à Paris, longtemps abritée par le Muséum national d’histoire naturelle, FNE s’est imposée comme la fédération de ces fédérations régionales. Comme une représentation centralisée des actions menées sur le terrain. Avec un conseil d’administration censé représenter les provinces. Bon, ce que je pense, et que j’ai déjà beaucoup écrit, c’est que FNE, dont les finances sont essentiellement liées aux relations entretenues avec le ministère de l’Écologie et l’État, s’est simplement bureaucratisée. Cela arrive partout, presque toujours. Il arrive un moment  où seul un grand coup de torchon peut permettre de revitaliser le malade.

Seulement, certains peuvent avoir intérêt à ce que la maladie perdure, ou s’aggrave. Un groupe qui ne compte pas plus de dix personnes ne souhaite visiblement pas qu’on puisse venir déranger son étonnante gestion de la structure. J’ai écrit une série au vitriol sur FNE, et j’invite ceux qui auraient le temps à y jeter un regard (ici en quatre parties). Ils y verront jusqu’où sont allés certains responsables dans l’aide concrète à la déforestation massive dans les forêts tropicales du monde. Celles dont on parle avec des trémolos du haut des tribunes.

Je ne sais pas s’il existe un lien, fût-il ténu, mais je dois avouer que je l’espère. Cette série d’articles a beaucoup circulé, et j’en suis heureux, car tel est bien mon rôle : rendre publiques des informations qui ne trouvent pas leur place dans l’univers des médias officiels. Et même si je n’y suis pour rien, je suis de toute façon satisfait de voir enfin bouger les choses. D’abord, sur la forêt. Les mamours que la bureaucratie de FNE accorde aux gestionnaires et proprios de la forêt française semble n’avoir plus de limites. Dans un document non public, je lis des choses incroyables à mes yeux. Il s’agit d’une version très avancée d’un protocole d’accord – à l’heure qu’il est, il est probablement signé – entre FNE, la Fédération Nationale des Communes Forestières de France (FNCOFOR), les Forestiers Privés de France (FPF) et enfin l’Office national des forêts (ONF).

Les trois derniers cités sont évidemment les acteurs majeurs de la sylviculture en France. Leur point de départ et d’arrivée est le même que celui des zootechniciens dans le domaine de la bidoche industrielle : comment gagner le plus possible d’argent avec un minimum d’investissements et d’emmerdements. Parapher un texte avec ces gens-là pourrait avoir un sens s’il s’agissait de les amener, de gré ou de force, sur le chemin de la protection. Mais c’est exactement l’inverse qui s’est produit. FNE, obsédée par la reconnaissance, et tout ce qui peut l’accompagner, FNE a contresigné un texte indigne.On y parle de la forêt, lieu de beauté et d’harmonie, dans la langue épouvantable de l’adversaire. Car, désolé, il reste des adversaires. Deux exemples, parmi tant d’autres : « La mobilisation des stocks en forêt offre un potentiel de développement de la production de bois, matériau ou source d’énergie (…) Le prix des énergies fossiles est tendanciellement haussier, même si des fluctuations parfois brutales se produisent. Cette évolution donne une nouvelle valeur au bois énergie et permet l’émergence d’exploitations jusqu’ici non rentables ».

Ce ton me donne envie de vomir. FNE est donc d’accord pour « exploiter » des forêts jusqu’ici épargnées. Au nom de la « rentabilité ». Beuark ! Second extrait : « En dehors des réserves intégrales, nécessaires pour étudier les dynamiques naturelles, les forêts françaises ont vocation à être gérées pour optimiser les différents usages et assurer le renouvellement des peuplements ». Lisez, je vous en prie, avec moi. Sachez, avant tout, que les réserves intégrales sont des confetti. Peut-être quatre mille hectares dans toute la France, à comparer aux près de 16 000 000 d’hectares de forêts que compte notre pays. Donc, rien. Mais ce n’est pas encore suffisant, car il est précisé que le rôle de ces malheureuses réserves est seulement « d’étudier les dynamiques naturelles ». Pas de laisser des lieux uniques à la postérité et à l’admiration, oh non ! Étudier. Étudier quoi ? Mais bien entendu le moyen de « gérer » tout le reste. Ce bout de phrase, à lui seul, légitime l’irruption de la tronçonneuse dans pratiquement toutes les forêts de chez nous. Sous la signature de FNE. Quand les choses sont à ce point devenues folles, il ne reste plus qu’à crier : Au fou !

Cette régression n’a heureusement pas échappé à tout le monde. Dans la région Rhône-Alpes, où tant de valeureux militants de la nature – eh, Daniel Ariagno, vive le pont de l’Université ! –  se battent depuis des décennies, l’accord entre FNE et tronçonneuse ne passe pas. Du tout. Six, parmi les plus valeureux, membres du réseau Forêts de FNE (via la Frapna), viennent d’envoyer ce qu’il faut appeler une lettre de révolte et de rupture. Leurs noms sont connus dans tout le milieu naturaliste, et je les salue d’un bravo : Pierre Athanaze, Philippe Lebreton, Gilbert Cochet, Hubert Tournier, Jean André, Philippe Cochet. Je vous mettrai dans la partie Commentaires, ci-dessous, le texte intégral, pour que vous puissiez juger par vous-même. Et me contenterai de quelques extraits, qui résonnent comme autant de coups de bâton :

« Nous sommes (à moitié) étonnés, mais stupéfaits et attristés de constater la dérive de ceux qui, loin du terrain, recherchent un “consensus forestier à tout prix”. Une première remarque, plus que symbolique, est que, dans les trois documents du projet de plateforme couvrant 15 pages, n’apparaissent à aucun moment les mots-clés NATURE et PROTECTION : les avez-vous oubliés, devrions-nous en avoir honte ? Nous pouvons en un sens vous remercier de les abandonner à notre usage ; ce sera déontologiquement plus clair.

« Puisque la collaboration avec le monde forestier vous paraît normale et riche de perspectives, pourquoi ne pas faire de même avec AREVA ou le CEA, tellement soucieux eux aussi, dans leurs discours, de croissance verte et de développement durable, tellement convaincus d’apporter la solution au réchauffement climatique ? Dans les deux cas, depuis le Grenelle, ne serions-nous pas abusés puis récupérés par des intérêts technocratiques, corporatistes  et pseudo-économiques ? ».

Je pense que tout est dit, et bien dit. La critique ne vient plus seulement d’un écologiste isolé que l’on traite par le mépris du silence – moi -, mais désormais de l’intérieur le plus profond du mouvement bureaucratisé. La rébellion des six annonce d’autres craquements. J’ai une autre histoire à raconter sur le même sujet, mais il faudra attendre un jour ou deux. Elle concerne la Ligue ROC, qui s’appelait jadis le Rassemblement des opposants à la chasse (ROC), du temps où l’immense Théodore Monod en était le président. Comme vous le verrez, les choses ont changé, et de manière désastreuse. La Ligue ROC, je le précise, est l’un des socles de FNE. Elle a perdu toute légitimité populaire, mais sa puissance augmente d’année en année. Il faut dire que dans le même temps, elle n’a cessé de se rapprocher des ors de la République, petits fours compris. Ceci explique peut-être cela. La suite bientôt.

Ces eucalyptus qui ressemblent aux pins du Morvan (apologue)

L’industrie contre la vie. L’industrie contre la nature. L’industrie contre les hommes. Voici un exemple de plus, d’une limpidité telle qu’elle n’échappera – je l’espère – à personne. Au Kenya, comme dans tant d’autres pays malmenés par la destruction à travers l’économie, le gouvernement a lancé il y a des dizaines d’années une politique imbécile de plantation massive d’eucalyptus. Je n’ai rien, a priori, contre ces arbres. En Australie et en Tasmanie, où ils sont nés, où ils se sont développés sans nous pendant des centaines de milliers d’années, ils peuvent être magnifiques, inoubliables.

Mais l’esprit de conquête, d’aventure et de lucre les a transportés en seulement deux siècles d’un bout à l’autre de la terre. Quel est le pays du monde qui n’a pas sa plantation d’eucalyptus ? Les plus modernes sont transgéniques, et servent de matière première aux biocarburants, je veux dire aux nécrocarburants. Revenons au Kenya, où les sécheresses se multiplient. Depuis une dizaine d’années, la catastrophe se rapproche (ici). Mais qui se souciait de l’eau en 1970 ?

Des subventions ont donc été accordées – et du fric très probablement détourné – pour que les rives des fleuves et rivières soient couvertes de grands eucalyptus. Comme certains pins chez nous, ces arbres poussent vite et donnent du bois en quantité. Mais, comme nos peupliers, ils pompent de manière démentielle dans les rivières et les nappes. Sur fond de sécheresse biblique, le gouvernement kenyan vient donc d’ordonner de couper les eucalyptus du centre Kenya qui se trouvent près de sources d’eau (ici). Wangari Maathai, prix Nobel de la paix, est entrée dans le débat, estimant que ces arbres qui menacent la biodiversité ont été plantés au Kenya « pour des raisons commerciales ». Dis-moi, ma chère Lulu d’Autun, cela ne te rappelle rien ? Morvan-Kenya, n’est-ce pas le même combat ?

Allez, je me sauve, on m’attend pour France-Culture.

Sébastien Genest a-t-il un rapport avec le Liberia ? (Acte 2)

Pour bien comprendre cet article-ci, et j’en suis navré, il faut lire le précédent. Le Liberia vient de vendre pour 25 ans des droits d’exploitation forestière, dans des conditions troubles. À au moins deux prête-noms de la transnationale Samling, accusée dans le monde entier d’exploitation illégale de bois et de violation du droit des peuples forestiers. Tapez sur Google : Samling illegal log, et vous serez édifié si vous parlez anglais. Mais vous pouvez essayer également avec : Samling exploitation illégale de bois. Je vous recommande pour ma part un document (1) qui décrit la lutte du peuple Penan contre la Samling et la certification MTTC, qui lui permet de vendre son bois comme s’il était exploité de manière durable.

MTTC, c’est un label malaisien dont j’ai déjà parlé (ici). Le Malaysian Timber Council Certi?cation (MTTC, ou Conseil malaisien de certi?cation du bois) est un organisme aux ambitions immenses. Qui entend être « recognised as the leading timber certification organisation for tropical forests ». C’est-à-dire reconnue comme l’organisation-phare dans le domaine de la certification du bois tropical. Je pense qu’ils y arriveront, car ces messieurs-dames ont l’esprit large, réellement très large. Preuve en est qu’ils ont accordé en 2005 un quitus général à l’entreprise Samling en lui donnant un label très précieux sur le plan commercial. Je vous invite à consulter le document en français appelé Certification d’une concession privée en Malaisie (2), qui vous fera mieux comprendre les formidables enjeux cachés de la certification.

Résumons : MTTC offre un cadeau royal à la Samling, qui dévaste les forêts du monde, et s’attaque aujourd’hui à celles du Liberia. Mais que serait MTCC sans PEFC ? Rien. Pardonnez-moi ce jargon, qui ne vient pas de moi. PEFC est LE grand certificateur de bois dit durable dans le monde. Qui dispose du tampon est le roi des affaires. Or PEFC a certifié MTTC, opérateur « régional », lui donnant ainsi sa caution planétaire. L’affaire s’est conclue le 1er mai 2009 (ici), tranquillement, discrètement. Une poupée russe, telle est l’image qui s’impose. La Samling. Puis MTTC. Puis PEFC. Et enfin Sébastien Genest.

Ne l’oublions pas. Genest, qui ne sait rien, RIEN, RIEN, RIEN, des forêts tropicales, a accepté, malgré de nombreux avertissements, de siéger au bureau international de PEFC, lui donnant ainsi une caution «écologiste» inespérée. France Nature Environnement est la seule association AU MONDE à accepter de siéger dans ce machin (ici). Scandaleux ? Le mot est faible. Comme je veux malgré tour détendre l’atmosphère, je vous invite à aller ricaner sur le site de PEFC France (ici). Vous y lirez un morceau d’anthologie concernant l’Australie, où des entreprises certifiées PEFC se sont attaquées à des forêts primaires au napalm, au moins jusqu’en 2007. Commentaire désopilant de PEFC France : « Pour FNE, deux points doivent encore être améliorés : la conversion des petites surfaces et les coupes rases sur les forêts primaires ». Oui, pour FNE, il faut améliorer les coupes rases sur les forêts primaires. J’allais le suggérer.

Que répondent Genest et le petit groupe autour de lui ? Là encore, faute de mieux, rions. Dans le bulletin de mai 2009 de FNE, qui s’appelle La lettre du hérisson, on trouve cette grandiose introduction : « Le schéma australien reconnu par PEFC a été l’objet de critiques virulentes de la part de nombreuses ONG, quant aux pratiques sylvicoles controversées qu’il présentait. Même si des progrès ont été constatées ces dernières années, FNE a voulu profiter de l’assemblée générale de PEFC à Canberra (Australie) pour aller sur le terrain et statuer par elle-même. La situation complexe mérite d’être prise avec nuance ».

Grand, réellement. Genest part à Canberra faire la leçon aux autochtones. Car ce n’est bien entendu pas fini. « Les représentants des entreprises rencontrées nous ont fait part de manière insistante de leur volonté de rencontrer the Wilderness Society et Australia Conservation qui sont des ONG importantes en Australie. FNE considère que ces ONG devraient saisir l’opportunité de peser de tout leur poids dans la révision des standards australiens afin de pouvoir faire évoluer les pratiques sylvicoles ». C’est diplomatique, mais c’est net. FNE ose reprocher aux écologistes australiens de ne pas participer au lancer de napalm. Officiellement, il est vrai, cette bombe incendiaire amie des hommes et des bois n’est plus utilisée. Mais il reste le monofluoroacetate de sodium, un épouvantable toxique. Sublime, FNE constate : « Aux dires de Forestry Tasmania, le monofluoroacétate de sodium (ou 1080) n’est plus utilisé depuis décembre 2005. S’il l’est toujours sur les domaines privés, son utilisation globale a chuté de 15kg/ha en 1999 à moins de 0.7 kg/ha en 2007 ». Notez avec moi, je vous prie. Forestry Tasmania est l’organisme gouvernemental en charge des forêts de cette île si belle. L’organisme qui a couvert la destruction d’au moins 140 000 hectares de forêts primaires depuis 1997. Et cet excellent témoin affirme donc que le poison appelé 1080 est moins, je répète, moins utilisé. Et FNE le croit.

Mais comme elle a un sens critique inouï, FNE n’a pas voté en faveur du renouvellement du label PEFC en faveur des exploitants forestiers australiens. Na ! Tout en restant bien entendu au bureau international. Ce qui est quand même réconfortant, c’est que les amis français de Genest, ceux de PEFC-France, admirent ses contorsions. Commentant le refus de vote de FNE, ils notent sur leur site : « PEFC accueille ces remarques avec bienveillance et salue l’implication de FNE dans PEFC depuis sa création en 1999 ». Défense de se moquer de Genest. Dans le même bulletin, FNE s’explique avec autant de grâce sur la Malaisie. Ô pauvre mère ! Je vous jure, avec la meilleure volonté du monde, que c’est incompréhensible. Tant pis, j’essaie.

FNE reconnaît que la Samling est, je cite « responsable de la destruction de 80% de la réserve de biosphère sur le territoire du peuple Penang, de mauvais traitements sur ce peuple ainsi que de crimes ciblés ». Ce n’est pas tout à fait rien. Il y aurait deux types de certification. Ceux de 2001, accordés à la Samling. Et ceux de 2002, qui lui seraient, en tout cas pour le moment, refusés. Et du coup, fier comme Artaban, FNE clame : « Nous sommes intervenus auprès du consultant externe chargé d’évaluer les standards et les processus d’élaboration (…) Nous nous sommes de plus assurés qu’aucune pratique controversées n’étaient en cours sous la houlette des nouveaux standards MC&I (2002). Une fois toutes ces assurances obtenues, nous avons accepté la reconnaissance du schéma malaisien ».

Je vous avais prévenu. Ce n’est pas du malais, c’est du chinois. Reste une chose fondamentale dont ne peut guère se vanter Genest, pour cause. La Samling, cette entreprise coupable de « crimes ciblés », dispose bel et bien d’un label MTTC, et MTTC a bel et bien été labellisé par PEFC, où siège le président de France Nature Environnement. En toute légalité, la Samling peut donc vendre son bois en prouvant qu’il est certifié durable. On reparlera du Liberia. Et de la Samling. Pesant le sens des mots, je prétends que la présence de Sébastien Genest au bureau international de PEFC est un déshonneur. Je sais que ce mot n’a plus guère de sens. Moi, j’y vois l’essentiel.

PS : Pourquoi, oui pourquoi les associations fédérées à FNE se taisent-elles ? Et toutes les autres ? Il est visiblement plus facile de voir la paille que la poutre. Je pense que vous connaissez la parabole.

(1) www.bmf.ch/en/pdf/selaan-linaureport.pdf 

(2) www.itto.int/direct/topics/topics_pdf_download/topics_id=9330000&no=2

Sébastien Genest a-t-il un rapport avec le Liberia ? (Acte 1)

Les forêts tropicales, c’est loin, n’est-ce pas ? Elles brûlent, on les découpe en rondelles, on en fait des allumettes ou des porte-fenêtres ou des pistes de danse. C’est loin. Et du même coup, comme il est facile de s’indigner ! Haro sur ces vilains et méchants qui font tant de mal à la biodiversité ! Tiens, je vais faire un communiqué de protestation qui ira se perdre dans le cyberespace, autre nom du trou du cul du monde.

Je vous raconte cela pour la raison que les écologistes de salon me rendent malade. À de rares exceptions près, rien n’est jamais tenté en France contre les entreprises qui importent chez nous du teck, de l’acajou, du movingui, de l’ipé. Vous voulez en acheter sur le net ? Voyez donc cette toute petite boîte bolivienne qui exploite 175 espèces d’arbres (ici). Je serais étonné que vous ne trouviez pas ce que vous cherchez. Et ces prix ! Cessons de rire tout de même : la société française, par indifférence, intérêt, plaisir, est massivement complice de la destruction des forêts lointaines. Un jour prochain, les larmes de crocodile ennoieront le monde entier, mais ce sera trop tard. L’évidence du crime planétaire s’impose de jour en jour.

Venons-en à celui qui doit se prendre pour une tête de Turc. Ma tête de Turc à moi. J’ai nommé Sébastien Genest, que j’ai secoué comme un prunier il y a quelques mois (ici). Sébastien Genest est le président en titre de France Nature Environnement (FNE), qui assure regrouper 3 000 associations locales et régionales de protection de la nature en France. Je n’ai pas vérifié, mais FNE est sans conteste le poids lourds de ce milieu associatif. Il ne le croira pas, mais je n’ai rien de personnel contre lui. Je ne le connais pas. Et ceux qui le fréquentent et m’en parlent lui trouvent des qualités. Le problème n’est donc pas personnel, il est beaucoup plus grave.

Exceptionnellement, ce papier sera découpé en deux parties. Non par goût du suspense – encore que -, mais parce que les choses sont un peu compliquées pour tout avaler d’une seule bouchée. Si tout se passe bien, la seconde viendra demain. Mais voici la première, qui concerne un pays africain nommé Liberia. Comme Liberté. Des anciens esclaves noirs revenus des États-Unis ont fondé en Afrique de l’Ouest, en 1847, une petite république indépendante. Il y aurait à dire. Quoi qu’il en soit, entre 1989 et 2003, une guerre civile d’une rare sauvagerie a tué là-bas 150 000 personnes, essentiellement civiles. Le Liberia a été le pays des enfants-soldats, comme la Sierra Leone voisine, entraînée elle aussi dans une guerre civile atroce, intimement liée à la première.

La forêt tropicale a joué un rôle essentiel de refuge pour les combattants, leurs machettes, leurs fusils d’assaut. Mais aussi de moyen de financement clé, par le biais d’une surexploitation folle d’un écosystème d’une rare richesse. Le Liberia abrite aujourd’hui encore le désormais si rare hippopotame pygmée et l’une des dernières populations d’éléphants des forêts en Afrique de l’Ouest. Massivement aidé après la fin de la guerre civile par des fonds internationaux, le Liberia avait entrepris une mise à plat de son système d’exploitation forestière, et les plus confiants imaginaient déjà que ce pays martyr deviendrait un exemple international de bonne gestion. Raté.

Oh oui, raté ! L’ONG Global Witness (ici) rapporte des cas de pillage des ressources naturelles, partout dans le monde. Il y à faire. Or, le 15 juillet dernier (ici), elle dénonçait la décision du Liberia d’accorder « to timber pirates » – à des pirates du bois –  des permis d’exploitation portant sur 25 ans. Global Witness vise deux entreprises servant de prête-noms à la Samling, cette transnationale dont le nom même effraie d’un bout à l’autre de la terre. Citation de Natalie Ashworth, de Global Witness :« Étant donné le rôle de combustible de la guerre civile au Liberia qu’a pu jouer l’industrie du bois, donner cette dernière à des entreprises parmi les plus prédatrices au monde pourrait se révéler désastreux. Samling est le genre d’opérateur qui ne devrait être autorisé nulle part près des forêts du Liberia. Encore moins en lui offrant leur contrôle pour des décennies ».

Je résume : Samling, transnationale, est dénoncée par des peuples forestiers du monde entier. À cause des destructions irréparables auxquelles elle se livre. À cause des innombrables violations des droits de l’homme que sa présence implique. Mais. Mais la Samling vend tout de même son bois dans le monde entier, sans apparemment rencontrer le moindre problème. Y a quelque chose qui cloche là-dedans, j’y retourne immédiatement. À demain, si vous le voulez bien.