Archives de catégorie : Santé

Chimie, pesticides, air, pollutions en tous genres

Ségolène Royal en amuseur public (sur le bisphénol A)

En complément des quelques lignes précédentes. Madame Royal amuse la galerie – consentante, il est vrai – en proclamant qu’elle va abolir un arrêté préfectoral qui interdit les feux de cheminée à Paris à partir du 1er janvier 2015. Dans le même temps, son gouvernement se heurte au lobby du plastique, qui refuse d’obtempérer (ici).

Résumons. Un, le bisphénol A est un toxique, entre autres perturbateur endocrinien. Deux, on en trouve dans des centaines de produits d’usage courant. Trois, notre pauvre petit pays décide de l’interdire dans les emballages alimentaires à compter du 1er janvier 2015. Quatre, il existe des dizaines de substituts au poison. Cinq, l’industrie, qui sait sa puissance, envoie paître Royal et ses gens.

Constatons ensemble que la même date – 1er janvier – vaut pour les feux de cheminée et le bisphénol A. Sans jeu de mots, je crois que madame Royal a allumé un plaisant contrefeu. Comme elle ne peut rien contre les puissants, elle excite des médias dociles, de manière à occuper l’espace et à montrer quelle poigne elle a au moment même où sa faiblesse ontologique se montre en majesté.

Bis repetita : à quoi servent les socialistes ?

Je reviens une seconde à mon livre

Pour les sourds et malentendants – graves -, pour les aveugles et malvoyants – nombreux -, je rappelle que je sors ces jours-ci un livre sur la contamination chimique généralisée, Un empoisonnement universel (comment les produits chimiques ont envahi la planète), aux éditions Les liens qui libèrent (LLL). J’y reviens pour commenter une émission de France Inter à laquelle j’ai participé tout à l’heure (ici). Je précise que je ne me suis pas réécouté : je n’ai pas le temps, et en outre, je déteste m’écouter. J’espère que mon cas n’est pas désespéré.

Mon commentaire : misère ! Miserere mei, Deus ! Aie pitié de moi, mon Dieu ! Grâce à la bienveillance de Mathieu Vidard et de Lucie Sarfaty, j’ai pu correctement présenter mon livre dans La tête au carré, et qu’ils en soient remerciés. Quant au reste, je trouve simplement fou que le député Gérard Bapt ait fait les réponses qu’il a faites. Je précise pour ceux qui l’ignorent que Bapt, ancien médecin,  est en pointe sur les questions de santé publique en relation avec l’environnement. Il a aidé à rendre publique la triste affaire dite du Médiator (ici) et on aurait pu espérer de cet homme respectable ou qu’il conteste mon livre, ou qu’il trace des perspectives pour sortir du drame dans lequel nous sommes plongés.

Mais ni l’un ni l’autre. Il a fait l’éloge de mon travail, et il n’a pas énoncé le moindre début d’idée sur la manière d’avancer ensemble. Il n’en sait rien. Et d’ailleurs, disons-le sans détour, il ne sait à peu près rien du sujet évoqué. À plusieurs de mes questions précises, il s’est contenté de se réfugier dans ces détestables généralités de la novlangue politique, sans se rendre compte du mal qu’il fait au passage à sa fonction. Le pire : j’ai évoqué le vote de l’Assemblée nationale le 3 mai 2011, qui interdisait à la stupéfaction générale phtalates, parabènes et alkylphénols. Une telle décision, dérisoire au regard des enjeux, était pourtant spectaculaire dans le monde réel. La France aurait été la seule à prendre des mesures contre ces grands poisons.

Sauf que rien. Voté en première lecture par une Assemblée de droite – Sarkozy règne -, la loi est oubliée dans un placard et n’arrivera jamais au Sénat. J’ai déploré ce coup de force lobbyiste auprès de Bapt, mais surtout, je lui ai dit : « Mais vous, qu’avez-vous donc fait de ce projet quand votre famille politique l’a emporté à la suite de l’élection de Hollande à l’élection présidentielle ? » Bapt a évidemment botté en touche, car la terrible morale de l’histoire, ainsi que je le détaille dans mon livre, est que personne ne fait rien. Pour de multiples raisons qui aboutissent à l’inertie et à la tétanie. Étonnez-vous après cela du discrédit total des classes politiques !

Ce matin, interrogé sur l’antenne de Radio France Internationale pour une émission à venir, j’ai dû répondre à la question d’une excellente journaliste polonaise, Anna Rzeczycka-Piekarec. Comme elle me demandait : « Avez-vous le sentiment d’avoir écrit un livre important », je lui ai aussitôt dit oui. La forme peut être jugée mauvaise, cela va de soi. Mais sur le fond, sans aucun doute possible, c’est important. Très. michael kors pochette michael kors pochette

L’affaire des microscopes qui tuent

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 20 août 2014

Dans un labo de Lyon, les scientifiques ramassent des cancers à la pelle, entre 27 et 55 ans. Que se passe-t-il ? Officiellement, rien. En réalité, beaucoup de choses.

L’édifiante affaire des cancers groupés commence par un communiqué du groupe de critique sociale Pièces et main d’œuvre (PMO, http://www.piecesetmaindoeuvre.com). Le 15 juillet dernier, PMO annonce une épidémie de cancers dans un laboratoire de l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon, l’une des six écoles d’un pôle public de formation d’ingénieurs.

PMO, connu pour la vivacité de ses positions – notamment contre le « progrès » technologique -, n’aurait peut-être pas suffi, à lui seul, à intéresser qui que ce soit. Mais le texte est accompagné d’un courrier interne très flippant. Adressé aux personnels de l’INSA, il est signé Marie-France Joubert, directrice de l’Institut Lumière Matière (ILM), dont les travaux se mènent au sous-sol, au laboratoire de microscopie électronique du Clym (Centre lyonnais de microscopie).

La dirlo évoque « plusieurs cas de cancers graves diagnostiqués sur des collègues ayant fréquenté les installations de microscopie électronique du Clym ». Et suspend tous les travaux en cours dans ces locaux, évoquant sans se faire prier une éventuelle origine professionnelle. Panique à bord chez les chercheurs, qui tombent de l’armoire, puis de leur paillasse. Le reste est plus classique. Les bureaucrates se ressaisissent et assurent qu’il n’y a pas plus de cancers au labo que dans la population générale. Sacrés farceurs ! La vérité du dossier est tout autre : neuf chercheurs, de 27 à 55 ans, ont été frappés en une dizaine d’années par des cancers du sein, de l’utérus, du poumon, des testicules, entre autres. Et comme aucune enquête n’a encore eu lieu, la liste n’est pas nécessairement close.

Charlie n’entend pas résoudre ce qui reste une énigme, mais quantité de questions méritent d’être posées. En particulier celle des nanomatériaux étudiés au Clym, piste d’ailleurs évoquée par PMO. On ne parlera jamais assez de ces trouvailles, dont l’unité de mesure est le milliardième de mètre, ou nanomètre ; la taille d’un virus varie généralement entre 10 et 400 nanomètres.

Or, les amis, nul ne sait ce que peuvent provoquer des nanoparticules au contact de tissus vivants. C’est même l’une des raisons de leur succès. Extrait d’un article pionnier du professeur de chimie Geoffrey Ozin, paru en 1992 dans la revue Advanced Materials : «  Les objets de taille nanométrique […] démontrent de nouvelles qualités de la matière, en bonne part en raison de leur petite taille ». On a bien lu : de « nouvelles qualités de la matière ».

D’où le grand frisson de foncer encore plus vite dans le brouillard. Avant que de fâcheuses études n’empêchent l’essor des affaires, tous les gouvernements français, depuis vingt ans, ont ouvert les vannes. Et le résultat est digne de notre grand pays : en novembre 2013, le premier « recensement des nanoparticules mises sur le marché » annonçait fièrement une production nationale de 500 000 tonnes.
Est-ce une très bonne nouvelle ? Pour l’industrie, il n’y a aucun doute. On trouve désormais des centaines de produits d’usage courant qui en contiennent. Par exemple des « chaussettes antibactériennes » (nanoparticules d’argent), du ciment (dioxyde de titane), des laits solaires (idem), du sel ou du sucre (silice). Pour la santé, c’est un peu moins évident, car malgré les manœuvres de diversion, la connaissance – la vraie – avance.

En 2009, une étude parue dans Nature démontre que les nanos peuvent endommager l’ADN des humains. On apprend ensuite, en rafale, que les nanos présentes dans l’alimentation peuvent pénétrer le foie, le cerveau, les poumons et le système lymphatique. Le 26 octobre 2011, la revue Biomaterials établit que les nanos de dioxyde de titane – celles des laits solaires –attaquent la protection essentielle qu’est la barrière hémato-encéphalique (BHE). Deux ans plus tard, on apprend que les nanotubes de carbone, présents dans une multitude de matériaux, peuvent favoriser la cancérisation de certaines cellules.

Conclusion qu’on espère rationnelle : rien ne dit à ce stade que les cancéreux de l’INSA sont les victimes des nanos. Ou plutôt, ils le sont forcément, car nous le sommes tous.

Quand une journaliste fait son boulot

Cet article a été publié par Charlie Hebdo, le 13 août 2014, sous un autre titre

Les journalistes sont comme les boulangers. Il y a les bons et les autres. Mais quand on tombe sur une enquêteuse comme Stéphane Horel, on est obligé de regarder son documentaire. Horel fait aimer la télévision. Affreux.

On a le droit de rendre hommage sans donner dans le cirage de pompes. La journaliste Stéphane Horel (http://www.stephanehorel.fr), discrète comme une violette, est l’une des meilleures. Ses révélations à répétition sur le fonctionnement réel de l’Europe auraient déjà dû lever des armées, mais pour l’heure rien, ou presque.

Samedi passé – le 9 août -, France 5 a passé en catimini, à 19 heures, un documentaire d’une rare qualité, qui raconte une histoire essentielle dont tout le monde se fout. Celle des perturbateurs endocriniens. Stéphane Horel y décrit par le menu la manière concrète dont les institutions européennes sabotent tout ce qui peut gêner la marche triomphale de l’industrie. Or les perturbateurs endocriniens sont au cœur de la machine, ce qui explique le jeu criminel des transnationales.

Mais un point d’histoire. En 1991, la grande scientifique américaine Theo Colborn réunit dans un bled du Wisconsin – Racine – une poignée d’hérétiques et de marginaux, dont des biologistes. Avant tout le monde, ces pégreleux ont compris que les êtres vivants, humains compris, sont attaqués par un nouvel ennemi, qu’ils nomment aussitôt « perturbateur endocrinien ». C’est (presque) simple : des molécules chimiques de synthèse, présentes dans d’innombrables produits – cosmétiques, pesticides, plastiques, médicaments -, déséquilibrent des fonctions de base, provoquent cancers, infertilité, troubles neurologiques, favorisent l’obésité et le diabète. Comme le dit le film, ils « piratent le système hormonal et jouent avec la testostérone ou les oestrogènes ». Sur une liste à vrai dire interminable, les phtalates, le bisphénol A, les produits ignifuges utilisés pour les télés ou les ordinateurs.

Ce n’est pas grave, c’est dramatique. Car comme le montre Horel, l’Europe, infiltrée en profondeur par des lobbies amoraux, refuse d’agir. Et sabote même les efforts de ceux qui réclament des actes. On se contera ici de deux exemples, aussi écœurants l’un que l’autre. D’abord l’affaire Kortenkamp. En 2011, la Commission européenne, experte en rapports oubliés, en commande un au professeur Andreas Kortenkamp, bon spécialiste des perturbateurs endocriniens. Début 2012, il remet un texte aussi solide qu’honnête, qui est aussitôt placé en quarantaine. Parallèlement, un autre rapport – classique contre-feu – est demandé à un panel de « spécialistes ». Horel enquête et découvre que huit experts du groupe sur dix-huit ont des liens avec l’industrie transnationale. Et que onze d’entre eux n’ont jamais rien publiÈ sur les perturbateurs endocriniens.

L’autre histoire est plus folle. Entre juin et septembre 2013, 18 responsables de 14 revues de toxicologie et de pharmacologie européennes publient le même texte incendiaire. Ces pontes mettent en garde l’Europe, qui s’apprêterait – plus de vingt ans après l’alerte de Colborn ! – à prendre de timides mesures contre les perturbateurs endocriniens. En clair, il ne faut surtout pas, car selon eux, aucune étude ne serait concluante. Mais Horel publie le 23 septembre 2013 un article sensationnel dans Environmental Health News. 17 des 18 signataires « ont des liens passés ou actuels avec l’industrie ».

Son principal rédacteur, Daniel Dietrich, a conseillé une structure des industriels de la chimie, des pesticides et du pétrole, et même réalisé des études avec des employés de Dow Chemical ou Bayer, ces grands philanthropes. L’un des plus lobbies industriels de la planète, International Life Sciences Institute (ILSI), est aux manettes, financé par les secteurs agroalimentaire, chimique, pharmaceutique et des biotechnologies. Et toute velléité de santé publique est de nouveau oubliée par les agences européennes.

Est-ce ainsi que les hommes meurent ? On dirait bien. Malgré l’exemplaire boulot de Stéphane Horel, nul ne bouge. Que fout chez nous Marisol Touraine, ministre de la Santé ? Chaque jour pourtant, on comprend un peu mieux comment agissent les perturbateurs endocriniens, et l’on sait maintenant qu’ils sont toxiques à des doses infinitésimales. Bien au-dessous des normes officielles. Il est déjà très tard.

De quoi Ebola est-elle le nom ?

Cet article a été publié le 6 août 2014 par Charlie Hebdo, sous un autre titre

Derrière les maladies émergentes, dont la fièvre Ebola qui dévaste l’Afrique, l’Internationale des gougnafiers. Un siècle de déforestation massive et d’agriculture intensive explique largement la dissémination de nouveaux fléaux.

Qui sait ? Peut-être que la Grande Peste – de 30 à 50 % de la population européenne meurt  entre 1347 et 1352 – a commencé comme cela. Ou encore la « grippe espagnole » de 1918, qui zigouilla davantage – 20 millions de morts – que la Première Guerre mondiale, celle qui devait être la dernière.

Une chose est sûre, et c’est que la fièvre hémorragique dite Ebola – une rivière de la République démocratique du Congo – est hors de contrôle. Après le Liberia et la Sierra Leone, tous les pays voisins sont désormais menacés, dont le Nigeria et ses 170 millions d’habitants. L’un des virologues au contact des malades, le Sierra Léonais Sheik Umar Khan, est mort la semaine passée, frappé lui aussi par le virus.

C’est donc l’angoisse dans des pays où les systèmes de santé croulent déjà sous le poids d’autres maladies. En attendant mieux, il n’est pas interdit de se poser une ou deux questions bien emmerdantes. La principale est celle-ci : pourquoi tant de maladies émergentes ? Selon les sources les plus sérieuses, leur nombre explose depuis cinquante ans, que l’on parle d’Ebola, du sida, du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), des hantavirus, du virus du Nil occidental, entre autres joyeusetés.

Il serait stupide de vouloir tout expliquer par la dévastation écologique de la planète, mais il serait franchement con de passer à côté. Car d’évidence, une des clés de la situation s’appelle déforestation. Dans un texte impeccable (1) publié par la FAO (Organisation des nations unies pour l’agriculture et l’alimentation), les chercheurs Bruce Wilcox et Brett Ellis expliquent par le menu l’arrière-plan de ces émergences (ou réémergences). Grossièrement, l’essentiel du phénomène viendrait de « changements dans le couvert végétal et l’utilisation des terres, notamment les variations du couvert forestier (en particulier la déforestation et la fragmentation des forêts), ainsi que l’urbanisation et l’intensification de l’agriculture ».

Les hommes pénètrent toujours plus loin dans les forêts tropicales, sortent virus et autres micro-organismes pathogènes de l’extrême stabilité écologique où ils se trouvaient, entrent au contact d’animaux de toutes sortes – primates, rongeurs, chauve-souris – qui deviennent les vecteurs de ces infections. On est très loin de tout comprendre, mais il est certain que le bouleversement de centaines de millions d’hectares de steppes et prairies, et surtout de forêts, a mis au contact des êtres vivants qui ne l’étaient pas dans le passé proche.

Wilcox et Ellis vont encore plus loin, écrivant : « Les premiers pathogènes responsables de fléaux tels que la variole seraient nés en Asie tropicale, au début de l’histoire de l’élevage et lorsque les forêts ont commencé à être défrichées à grande échelle, au profit de cultures permanentes et d’établissements humains ». La France n’est nullement à l’abri : une étude parue en 2008 dans la revue Nature (2) propose la première carte mondiale des maladies émergentes, et notre beau pays tempéré y occupe une place de choix.

Pourquoi ? Parce que nous avons beaucoup de ports – sur la Méditerranée, l’Atlantique, la Manche et la mer du Nord -, où les bateaux débarquent sans cesse des hôtes inattendus. Et parce que les anciens liens coloniaux font atterrir chaque année à Roissy, Marseille ou Lyon des centaines de milliers d’habitants de pays tropicaux. Le reste s’appelle dérèglement climatique, qui fait irrésistiblement remonter vers le Nord des espèces jusqu’ici confinées plus au sud.

Charlie, qui n’est pas devin, ne sait rien de ce qui va se passer, mais la promiscuité toujours plus grande entre les hommes, les animaux sauvages et les milliards de prisonniers de l’élevage concentrationnaire ne saurait annoncer le printemps. Pour que la situation s’améliore, il faudrait commencer par respecter ces équilibres écologiques qui emmerdent tout le monde, à commencer par les aménageurs-massacreurs. À moins de devenir sages, et même très sages, Ebola n’est qu’un début.

(1) http://www.fao.org/docrep/009/a0789f/a0789f03.html
(2) http://www.nature.com/nature/journal/v451/n7181/full/nature06536.html