Archives de catégorie : Santé

Chimie, pesticides, air, pollutions en tous genres

Et une piquouse d’aluminium, une !

Publié dans l’hebdomadaire Charlie Hebdo le mercredi 14 août 2013

Les industriels ont ajouté de l’aluminium dans tous les vaccins, y compris ceux pour les bébés. On s’en foutrait si ce métal n’était pas gravement soupçonné de provoquer une nouvelle maladie. Pendant ce temps, le gouvernement pionce.

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Pourquoi ? Jusqu’en 2008, on pouvait encore trouver des vaccins sans aluminium. Depuis, impossible. Chaque injection introduit fatalement une dose de cet adjuvant dans le corps, qu’on soit bébé ou vieillard. Or, il y a un sacré lézard. Une association de malades, E3M (http://www.myofasciite.fr), mène un formidable combat pour le retour de vaccins sans aluminium, et plusieurs de ses membres viennent d’ailleurs de mener une grève de la faim de plus d’un mois, soutenus par des parlementaires – les écolos Michèle Rivasi et Corinne Lepage, la sénatrice communiste Laurence Cohen, le Modem Jean Lassalle. Trois malades ont d’ailleurs porté plainte contre X pour blessures involontaires.

Du côté du pouvoir, Marisol Touraine, ministre de la Santé, avait promis le retour de vaccins sans alu pendant la campagne présidentielle, mais elle ne veut plus bouger un doigt. 75 000 personnes ont signé en ligne un appel de soutien à la grève de la faim, mais pour le moment, nib. On attend prudemment septembre.

Tentons un résumé de ce vaste bobinard. Le 1er août 1998, le professeur Gherardi – hôpital Henri Mondor, Créteil – et une poignée de ses collègues publient un article remarqué dans le journal scientifique The Lancet (1). Ils y décrivent une nouvelle maladie, appelée myofasciite à macrophages (MFM). Peu à peu, un petit groupe de scientifiques, autour de Gherardi, se convainc par de multiples examens cliniques que l’aluminium contenu dans les vaccins pourrait être la cause de la MFM. Et cet aluminium semble bien, chez une partie des vaccinés, rester dans la zone d’injection au lieu de se dissoudre naturellement, avant de migrer jusqu’au cerveau, provoquant de graves dégâts cognitifs, de nombreuses douleurs et des fatigues invalidantes. Le cœur de la controverse est là. Ceux de l’association E3M réclament au moins, compte tenu de très fortes suspicions, le retour au libre choix de vacciner sans aluminium.

On en était là jusqu’à la publication ces tout derniers jours d’un copieux rapport officiel (2) du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP). Intitulé « Aluminium et vaccins », ce texte de 63 pages, qui se veut une analyse mondiale de la question, « estime que les données scientifiques disponibles à ce jour ne permettent pas de remettre en cause la sécurité des vaccins contenant de l’aluminium, au regard de leur balance bénéfices/risques ». Laissons de côté le verbiage technocratique, et signalons plutôt l’étrangeté du texte. Car à côté de cette conclusion, qui ne peut que complaire à l’industrie du vaccin, le Haut Conseil essaie maladroitement de prendre des précautions, au cas où.

Constatant l’évidence de questions sans réponse – par exemple : « quelle est la durée normale de persistance [des] lésions et après quel délai l’aluminium du muscle se résorbe-t-il ? » -, le rapport suggère de nouvelles études. Y aurait pas de risques, mais faudrait voir. De son côté, l’association E3M se livre à un commentaire critique qui oblige à se poser de pénibles questions, y compris sur la persistance possible de conflits d’intérêt entre certains auteurs de la synthèse et des labos pharmaceutiques.

Le rapport du Haut Conseil consacre par ailleurs beaucoup de place à dézinguer le travail du professeur Gherardi, visiblement sa bête noire, et même d’E3M. Or Gherardi n’a été auditionné que quelques jours avant la validation du texte, alors que les conclusions étaient déjà arrêtées, et l’association n’a quant à elle jamais été reçue, ce qui fait un tantinet beaucoup.

Ajoutons deux points. Un, l’aluminium utilisé dans la « fabrication » de l’eau potable est fortement soupçonné de jouer un rôle dans la maladie d’Alzheimer. Deux, la toxicologie de papa, celle du HCSP, postule avec Paracelse, depuis près de 500 ans, que la dose fait le poison. Des études de plus en plus nombreuses pulvérisent cette vieillerie, car certains toxiques sont bien plus actifs à des doses infinitésimales. Mame Touraine, c’est si dur, de tenir une promesse ?

(1) Macrophagic myofasciitis: an emerging entity
(2) http://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=369

Comment bien cramer le Châtaignier des Cévennes

Paru dans Charlie Hebdo le 12 juin 2013

La future « centrale biomasse » de Gardanne, près de Marseille, risque de dévaster les forêts cévenoles. Pour le plus grand profit de la transnationale E.ON, et sous les applaudissements du gouvernement.

Il faut avouer que l’histoire commence mal, car elle a été lancée en fanfare par cette vieille cloche qu’on ne présente plus, Éric Besson. L’alors ministre de l’Industrie annonce en septembre 2011 la création à Gardanne (Bouches-du-Rhône) d’une énorme centrale électrique fonctionnant au bois. Précisons : la transformation en « centrale biomasse » de la tranche 4 d’une ancienne centrale au charbon.

En théorie, rien de mieux que cramer du bois plutôt que du charbon. Le premier a bon « un bilan carbone », car le CO2 qu’il relâche est normalement stocké dans les mêmes proportions quand les arbres poussent à la suite de ceux qui ont été brûlés. Grosso modo. Le charbon, lui, contribue massivement à l’effet de serre, point barre, car il lui faut un peu de temps pour se reconstituer. Disons des millions d’années. Puissance promise : 150 MW contre 1500 MW pour une centrale nucléaire en service.

Bref. Une bonne idée, sauf qu’elle est très mauvaise. D’abord à cause du monstre énergétique qui est derrière, la transnationale E.ON. Personne ne connaît, mais il s’agit d’un géant mondial dont le chiffre d’affaires dépasse les 157 milliards de dollars en 2011. Que fait E.ON ? Du gaz, du charbon, du pétrole, du nucléaire et donc, bien sûr, de l’électricité. On ne calomniera pas ces excellents industriels en écrivant que seul le fric compte, comme en attestent trois exemples piochés dans la masse.

En tête, le nucléaire. E.ON n’a pas digéré l’abandon de l’atome par l’Allemagne, et lui réclame la bagatelle de 8 milliards d’euros de dédommagement. Ensuite la tambouille et l’embrouille : en 2009, E.ON s’est mangé une amende de 553 millions d’euros, décidée par la Commission européenne. L’Allemand s’était entendu avec GDF-Suez pour se partager le marché du gaz russe, maintenant artificiellement des prix élevés de vente. Enfin, E.ON était, en 2008, le deuxième plus gros émetteur de CO2 en Europe.

De tout cela, notre bon gouvernement se fout, car E.ON promet la Lune, sous la forme de centaines d’emplois et d’un investissement de 230 millions d’euros. Il suffit de croire au Père Noël. Car dans le même temps, E.ON ferme une à une les centrales au charbon qu’elle exploite en France et essaie de lourder 215 personnes pour commencer. Le rapprochement est intéressant.

Et c’est là que de foutus écolos-anarchistes (1) surgissent dans le paysage. Ceux du réseau cévenol Iacam (Infos Anti-autoritaires en Cévennes à l’Assaut des Montagnes) viennent de publier un document qui fait réfléchir et prépare certainement quelques surprises. Les Cévennes sont, rappelons-le, un territoire à l’histoire mouvementée, et ceux qui plaisantent sur le sujet ont pu avoir à le regretter.

Dans un avis sur le projet de la Direction régionale de l’environnement (Dreal) de la région Paca, on trouve une phrase qui vaut son pesant de sac de charbon (2). En résumé, l’impact indirect sur « le paysage et la biodiversité » n’a pas été « évalué ni analysé ». Voilà qui est poil fâcheux, car 811 000 tonnes de bois seraient nécessaires la première année – 2015 -, et autour d’un million de tonnes plus tard. D’où viendra cet Himalaya ? D’un peu partout, mais surtout des Cévennes, où le Châtaignier est d’ores et déjà « ciblé » en priorité.

Charlie a recueilli l’avis d’un écologiste rugueux du coin, qui préfère, pour l’heure, rester anonyme. « J’espère qu’une grande bataille s’annonce, car ce projet est une merde. Les forêts cévenoles vont être dévastées par des coupes à blanc qui permettront à leurs proprios privés de faire du fric. On pourrait imaginer ici une autre économie du bois, avec des petites unités de chauffage, mais le PS préfère dealer avec E.ON, qui gagne sur tous les tableaux. Le nucléaire, le gaz russe, et cette saloperie de centrale de Gardanne qui tourne le dos à toute idée d’autonomie. C’est le moment de sortir du bois ».

Ajout innocent : la centrale de Gardanne risque de tout dévaster, y compris entre Le Vigan (Gard) et Nant (Aveyron), d’où est parti le mouvement contre les gaz de schiste.

(1) http://listes.rezo.net/mailman/listinfo/iacam
(2) Document daté du 22 mai 2012, page 10

Mais que fout donc l’Anses (à propos du triclosan) ?

Il y a un préambule, et ce préambule-là concerne l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Madonna ! comme ces gens sont inventifs. L’Anses a vu le jour en 2010 sur les ruines de trois agences publiques déconsidérées.

1/ D’abord la plus petite,  l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV). Difficile de ne pas être rosse. Cette agence avait bien sûr pour vocation, parmi d’autres tâches, de veiller à l’incroyable gabegie dans l’usage des antibiotiques destinés aux animaux d’élevage. On le sait – on devrait le savoir -, 50 % des antibiotiques produits dans le monde sont destinés à l’élevage industriel. Les antibios servent beaucoup à augmenter « rendements » et « productivité » dans la « fabrication » de bidoches diverses. Les conséquences sont lourdes, au premier rang desquelles l’explosion de l’antibiorésistance. Des bactéries jadis aisément défaites s’adaptent au traitement, mutent, et deviennent parfois redoutablement dangereuses, comme le Staphylocoque doré résistant à la méticilline.

Bilan de l’ANMV dans ce domaine crucial ? Le dernier rapport de cette agence avant son absorption par l’Anses en 2010, est de faillite (ici). Malgré tant d’alertes, dont certaines angoissées, l’exposition des animaux aux antibiotiques a AUGMENTÉ de 12,6 % entre 1999 et 2009. Dans ces conditions, à quoi aura pu servir l’ANMV ? Je vous remercie d’avoir posé la question.

Guy Paillotin pète un câble

2/ Deuxième agence digérée par la création de l’Anses, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset). Que faire d’autre que rire ? Le lundi 10 octobre 2005, au cours d’un colloque tenu au Sénat, Guy Paillotin se lâche. Cet ancien président de l’Inra est alors à la tête du conseil d’administration de l’Afsse, sur le point de devenir Afsset. Comme on se plaint des conflits d’intérêt, à l’intérieur de l’agence, au sujet du téléphone portable, Paillotin déclare : « L’AFSSE est effectivement un lieu de pouvoir, mais, comme tout lieu de pouvoir, il est creux. Vous indiquez que l’expertise sur la téléphonie mobile n’est pas bonne, ne vous plaît pas. L’expertise de l’AFSSE sur la téléphonie mobile n’a jamais suivi, ni de près, ni de loin, les règles que l’AFSSE s’est fixées à elle-même ; donc c’est une expertise que je considère, en tant que président du conseil d’administration, comme n’existant pas, n’étant pas le fait de l’AFSSE, puisqu’elle ne correspond pas aux textes que le conseil d’administration a lui-même adoptés. Vous allez me dire que c’est terrible. Eh bien, c’est tout le temps comme ça. Le CA fixe des règles, mais n’est pas habilité à les mettre en œuvre […]. Comme partout ailleurs, on s’assoit dessus. »

Hum, qu’en dites-vous ? Un rapport conjoint de l’Inspection générale des Affaires sociales et de l’Inspection générale de l’Environnement, en janvier 2006, confirmera les paroles de Paillotin, insistant sur les conflits d’intérêt flagrants entre agence publique et intérêts industriels. Ajoutons pour le plaisir de la moquerie que l’Afsset était en charge de la surveillance des pesticides en France, mission qu’elle a, cette fois encore, excellemment menée. Une étude de l’Institut national de veille sanitaire (InVS), en mars 2013, a rappelé aux oublieux la réalité. Les Français – cocorico ! – sont plus contaminés par les principaux pesticides que les Allemands, les Canadiens, les Américains.

3/  Troisième agence constitutive de l’Anses, créée je le rappelle en 2010, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Lancée en 1999 sur fond de maladie de la vache folle, l’Afssa a acquis très vite une réputation disons contrastée. Thierry Souccar, qui tient le très intéressant site internet Lanutrition.fr, a violemment secoué l’Afssa dans son livre Santé, Mensonges et propagande, paru au Seuil en 2004. Selon lui, à cette date, 65 % des experts de l’Afssa auraient eu des « liens avec l’industrie ». Et l’agence aurait été d’une noble discrétion sur des questions décisives dans l’orbe alimentaire, comme le sel et le sucre.

Martin Hirsch mange le morceau

Pour le même prix, cette citation d’un interview donné le 9 décembre 2010 à Libération par Martin Hirsch, ancien directeur général de l’Afssa entre 1999 et 2005 : « Quand j’ai quitté l’Afssa en 2005, après avoir été traité par l’industrie agroalimentaire d’« ayatollah de la santé publique » l’équipe d’après a dit aux industriels : « Maintenant, nous redevenons partenaires ». Quand je vois le rapport d’un groupe de travail sur les régimes amaigrissants, je me dis qu’il a moins de force quand il apparaît, dans la déclaration d’intérêt de son président, des rémunérations provenant de quatre grands laboratoires… Et qu’il renvoie à plus tard l’examen des compléments alimentaires, qui constituent un juteux marché ».

Bon, il n’est que temps de passer à l’Anses, chargée donc, comme indiqué au début, de la sécurité sanitaire publique dans le travail, dans l’alimentation, dans l’environnement. Vaste programme, qui entraîne de bien dérangeantes questions. Je précise avant cela que je ne tiens pas l’Anses pour un repaire de crapules décidées à nous faire souffrir les mille morts. J’ai croisé certains de ses membres, y compris des responsables, et en vérité, ils m’ont fait une bonne impression. Non, je n’entends pas juger l’Anses en bloc. Seulement, que penser de l’affaire du triclosan ?

Officiellement, cette question n’existe pas. Je viens de cliquer dans l’onglet Recherche du site de l’Anses (ici), et on ne trouve aucun article consacré au sujet. Il y a 25 documents sur le bisphénol A, aucun sur le triclosan. Or, j’ai lu hier ceci sur le site américain de la télévision CBS : « The Food and Drug Administration is finally going to decide whether antibacterial soap actually works, or if it’s causing more harm than good. Government researchers plan to deliver a review this year on the effectiveness and safety of triclosan, the germ-killing ingredient found in an estimated 75 percent of antibacterial liquid soaps and body washes sold in the United States. The chemical has been in U.S. households for more than 40 years, used for cleaning kitchens, people’s bodies and clothing ».

40 ans à regarder ailleurs

Voici venir la traduction résumée  : l’administration fédérale en charge des aliments et des médicaments – The Food and Drug Administration (FDA) va mener une enquête sur le triclosan, que l’on retrouve dans 75 % des savons liquides et gels de bain vendus aux États-Unis. Ces produits causeraient-ils plus de mal que de bien ? On les trouve depuis plus de quarante ans dans les produits de nettoyage des cuisines, des humains, des vêtements. Fin de ce semblant de traduction.

J’ai consulté des sites plus critiques, et la plupart insistent sur l’incroyable passivité de la FDA, sous un titre qui revient souvent : « FDA to Review Triclosan After Decades of Delay ». C’est-à-dire : la FDA étudie le triclosan avec 40 ans de retard. Franchement, il y a de quoi hurler. Le 15 janvier, la revue Environmental Science and Technology (ici) publiait une étude sur la pollution par le triclosan dans huit lacs américains. Je précise que je tire mes infos d’une source sérieuse française (ici), et que je n’ai fait que parcourir l’étude originale en anglais. En tout cas, ces lacs reçoivent des eaux usées qui contiennent évidemment du chlore utilisé pour leur traitement. Le triclosan, ce charmant composé chimique, réagit au soleil avec des dérivés du chlore et produit gaiement des polychlorodibenzo-p-dioxines (PCDD). Des dioxines, oui, dont l’une, la 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-p-dioxine, ou TCDD, est au centre de la catastrophe de Seveso en 1976.

Dans le dentifrice Colgate

Ne croyez surtout pas que j’en ai fini. Le triclosan peut également former du chloroforme, toujours en lien avec le chlore, ce dernier étant classé cancérigène potentiel. Et surtout, il est à coup certain un perturbateur endocrinien (voir mon précédent article), à des doses que personne ne connaît exactement (ici). Encore ne sait-on encore rien, puisque ces braves bureaucrates de la FDA se mettent seulement au boulot. Et la France, amis de Planète sans visa ? Oh, il ne fait aucun doute que nous allons vers le énième scandale de santé publique. Bien que n’étant pas devin, je vous l’annonce en exclusivité. Car du triclosan, chez nous, il y en a partout. Dans des centaines de produits d’usage courant : des dentifrices, des jouets, des déodorants, des savons. Que Choisir en a trouvé dans le dentifrice Colgate Total, mais il suffit de chercher ailleurs pour fatalement trouver. Car ce poison est légal. LÉGAL.

Et l’on est donc bien obligé de se tourner vers l’Anses, qui n’en branle pas une. Je suis sûr, car je sais comment cela se passe, que l’agence va finir par réagir. Et même mon coup de gueule y aura contribué, fût-ce pour une très faible part. Mais n’est-ce pas épuisant, déprimant, désespérant ? Un poison chasse l’autre. Sauf qu’aucun ne disparaît. Sauf que tous se recombinent à l’infini, créant de nouvelles chimères, qui sont d’effroyables réalités. L’Anses, à quoi ça sert ?

PS : J’ai dû rectifier il y a quelques minutes un calamiteux semblant de traduction. Avis à ceux qui auraient lu la première version.

Batho, Touraine et Fioraso se foutent de nous (et du Mali)

Paru dans Charlie Hebdo le 29 mai 2013

Les perturbateurs endocriniens sont en train de balayer la santé publique, partout dans le monde. Mais en loucedé, les ministres français sabotent les chances d’un plan d’action efficace.

Le monde va changer de base. Grâce aux perturbateurs endocriniens. C’est splendide, c’est nouveau. Commençons le voyage par le Mali, pays amicalement dévasté par les islamistes, puis gentiment envahi par nos valeureux bataillons. Le journal en ligne maliba.com du 7 mai raconte que les gamines du pays sont pubères de plus en plus tôt. Interrogé, l’obstétricien Djedi Kaba Diakité raconte : « On connaît mal l’origine du phénomène, mais les résultats d’études convergent de plus en plus  vers (…) la pollution, l’usage de produits chimiques spécifiques comme le phtalate ou les phénols qu’on retrouve dans certains articles plastiques et dans l’alimentation. On les appelle les perturbateurs endocriniens ».

Les enseignants locaux constatent cette révolution, et estiment que 3 ou quatre fillettes de 12 ans sur dix sont concernées. Le journal malien note que ces mouflettes « sont désormais très sollicitées dans les discothèques, les rues et, hélas, dans les maisons closes de la capitale ». D’où la tronche de l’imam Mahamoud Dicko, président du Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM) : « C’est le moyen le plus sûr d’encourager la perversion et le phénomène des filles-mères. Nous ne saurions le cautionner ». D’autant que l’âge légal du mariage, aux termes du code de la famille malien, est au minimum de 16 ans. Et le monde entier est frappé par cette peste dont se foutent nos gazettes, gavées de pubs à la gloire de l’industrie chimique.

Résumons à très gros traits : le terme de « perturbateur endocrinien » a été forgé en 1991, au cours d’une conférence scientifique réunie à Wingspread (États-Unis) par la scientifique Theo Colborn. Cette dernière est affreusement chiante, car non seulement sa réputation professionnelle est inattaquable, mais elle ne cesse en plus de remuer la merde (1). Que sait-on en 2013 ? Largement de quoi  prendre au colback l’industrie chimique, qui a dispersé dans des milliers de produits, souvent d’usage courant – cosmétiques, jouets, meubles, peintures, biberons -, des molécules qui imitent les hormones naturelles et s’attaquent au passage aux équilibres les plus essentiels des organismes vivants.

Beaucoup de fonctions sont touchées, mais les plus spectaculaires atteintes visent la différenciation sexuelle et la reproduction. Un rapport conjoint de l’OMS et du Programme des nations unies pour l’environnement, publié en février 2013 (2), dresse une liste non exhaustive des effets possibles sur l’homme des perturbateurs endocriniens : cancer du sein, cancer de la prostate, cancer de la thyroïde, hyperactivité de l’enfant, Alzheimer, Parkinson, obésité, maladies auto-immunes, et bien sûr la puberté précoce.

On en restera là faute de place. Et c’est ainsi que le gouvernement est grand. Le nôtre. Car faudrait pas croire : en face d’un tel danger, Batho – Écologie -, Touraine – Santé -, Fioraso – Recherche – ont décidé de lancer une Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE). Après plusieurs réunions tenues depuis février, un plan d’action devrait même être présenté en juin devant le Conseil des ministres. Seulement, ça déconne, et grave.

Parmi la quarantaine d’invités à ces rendez-vous officiels, deux ne jouent pas le jeu. D’abord Michèle Rivasi, députée européenne d’Europe Écologie. Ensuite André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé (RES). Ils ont même failli quitter la salle où se tenait le dernier raout préparatoire, le 17 mai (3), jugeant qu’on se foutait ouvertement de leur gueule. Car si une poignée d’écolos sont représentés aux réunions, la vraie puissance appartient aux services d’État et aux industriels, le plus souvent d’accord sur l’essentiel. Commentaire de Rivasi : « Quand j’ai découvert le document de travail, qu’on nous a communiqué seulement trois jours avant, j’ai réalisé qu’il n’y avait aucune référence à l’épidémie en cours, sur l’effet de seuil et les faibles doses, sur les fenêtres d’exposition, les effets transgénérationnels, etc ».

Du foutage de gueule, aucun doute.

(1) Un livre extraordinaire qui a fait flop au moment de sa sortie en 1998 : L’homme en voie de disparition ?, aux éditions Terre Vivante.

(2) State of the Science of  Endocrine Disrupting Chemicals

(3) Entretien accordé au Journal de l’Environnement du 21 mai (www.journaldelenvironnement.net)

Comment le gouvernement s’assoit sur le ventre des abeilles

Publié dans Charlie Hebdo le 7 mai 2013

Les abeilles, assurent par la pollinisation le tiers de l’alimentation humaine, mais elles meurent par milliards. L’Europe fait un geste contre les pesticides qui les butent, et Charlie raconte les coulisses.

Résumons, car cette histoire en a bien besoin. La semaine passée, la Commission européenne a décidé de suspendre pendant deux ans l’usage de trois pesticides, ou plutôt de trois matières actives entrant dans leur composition : l’imidaclopride, la clothianidine et le thiaméthoxame. La grande folie, c’est qu’on sait depuis quinze ans que ces charmants personnages butent les abeilles par milliards. Ces abeilles qui garantissent, par la pollinisation, environ un tiers de l’alimentation humaine.

Résumons donc. En 1991, les chimistes du groupe Bayer touchent le gros lot. Leur nouvelle invention pour liquider les insectes dans les champs industriels de tournesol ou de maïs est dite systémique. En appliquant sur la semence le petit nouveau, on « protège » la plantule puis la totalité de la plante, via la sève. Le truc s’appelle imidaclopride et sera commercialisé sous le nom de Gaucho. De 1994 à 1997, les apiculteurs voient crever leurs abeilles par milliards, mais chut. L’hécatombe devient telle qu’en janvier 1999, Jean Glavany, ministre socialo de l’Agriculture, suspend l’utilisation du Gaucho pendant un an, sur le seul tournesol. Mais ce n’est qu’une gentille farce.

En janvier 2002, une main très inspirée, au ministère, donne un coup de tampon sur l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) du Gaucho. Cette dernière est prolongée de dix ans, malgré la mort des abeilles. Alors arrive le petit juge Ripoll, saisi par une plainte d’un syndicat d’apiculteurs. Le voilà qui perquisitionne l’une des citadelles les mieux protégées du ministère de l’Agriculture, la Direction générale de l’alimentation (DGAL). Il tombe sur la directrice, Catherine Geslain-Lanéelle, qui l’envoie chier direct. Elle lui refuse communication des documents ayant permis l’Autorisation de mise sur le marché. Bien qu’ayant frôlé la garde-à-vue, la Catherine tient bon, et le juge repart la queue basse. Ripoll sera muté peu après à Papeete, là où le lagon est si bleu.

On ne peut raconter ici la suite, pourtant si éclairante, mais on va retrouver au coin de la rue Geslain-Lanéelle, ne quittez surtout pas. D’autres pesticides du même genre inondent le marché français : le Régent, le Cruiser (thiaméthoxame), le Poncho (clothianidine). Les abeilles disparaissent sans laisser de trace, car parties butiner, elles ne parviennent plus à retrouver leur ruche. Leur système nerveux est simplement anéanti. Et les apiculteurs suivent le mouvement : de 2004 à 2010, leur nombre a baissé de 40 % (chiffres officiels FranceAgriMer).

Mais revenons à Geslain-Lanéelle. Officiellement proche des socialos, elle devient en 2006 la directrice de l’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa, selon son acronyme anglais). En 2010, on apprend – grâce à José Bové – que la nouvelle présidente du Conseil d’administration de l’Efsa, la Hongroise Diána Bánáti, bosse en loucedé pour un lobby industriel comprenant notamment Bayer et BASF, les propriétaires du Gaucho et du Regent. Or Geslain-Lanéelle s’en accommode si bien qu’elle défend le maintien de Bánáti à la tête du Conseil d’administration de l’Efsa jusqu’en mai 2012, date de sa démission.

Est-il possible que ces micmacs expliquent l’inertie française – et européenne – de ces quinze dernières années ? Notons en tout vas, avec une vive surprise, que l’agrochimie a mis le paquet pour tenter d’empêcher l’interdiction des trois pesticides par l’Europe. Dans un hallucinant rapport, Corporate Europe Observatory (CEO), spécialisé dans la surveillance des lobbies industriels, révèle la teneur de courriers adressés à la Commission européenne (1). Les lettres, dont certaines signées Bayer (le Gaucho), varient entre plan com’, dénigrement des études scientifiques, menaces de poursuite. Extrait impeccable d’une lettre de Bayer, le 12 juin 2012, adressée au commissaire européen (Santé et Consommation) John Dally : « Soyez bien assuré que pour notre entreprise, la santé des abeilles est notre priorité numéro 1 ». Dally, malheureux homme, a dû démissionner, lui aussi, en octobre 2012, à cause de son implication dans une affaire de corruption par l’industrie du tabac.

Et nous là-dedans, braves couillons que nous sommes ? Le 30 avril 2013, l’Institut national de veille sanitaire (InVS) rend public un rapport sur « l’imprégnation » aux pesticides des Français (2). Notre sang et notre urine sont farcis de résidus de PCB et de pesticides organophosphorés ou organochlorés, parfois plus que les Amerloques, que l’on croyait champions du monde. Rien sur les trois molécules suspendues pour deux ans : les études viendront plus tard, dans vingt ans, quand tout le monde aura Alzheimer.

(1) http://corporateeurope.org/publications/pesticides-against-pollinators

(2) http://www.invs.sante.fr/Publications-et-outils/Rapports-et-syntheses/Environnement-et-sante/2013/Exposition-de-la-population-francaise-aux-substances-chimiques-de-l-environnement-Tome-2-Polychlorobiphenyles-PCB-NDL-Pesticides

ENCADRÉ PARU LE MÊME JOUR

Tout bouge mais rien ne change (ritournelle)

Est-ce que cela va mieux ? Est-ce que les pesticides sont mieux surveillés en France depuis l’affaire du Gaucho (voir ci-dessus) ? Dans un livre paru en 2007 (1), l’essentiel avait été rapporté, à commencer par cette consanguinité totale entre l’industrie des pesticides et les services d’État qui donnent les précieuses Autorisations de mise sur le marché (AMM) de ces si bons produits chimiques.

Depuis, malgré la cosmétique –  industrie en vogue -, il se passe dans les arrière-cours des arrangements entre amis qui réchauffent le cœur. Le 27 août 2012, ainsi que le révèle l’association Générations futures (www.generations-futures.fr), Marc Mortureux écrit une bafouille à Patrick Dehaumont. Pour bien apprécier la saveur de ce qui suit, précisons que Mortureux est le patron de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), créée après la faillite opérationnelle et morale de deux autres agences d’État, l’Afssa et l’Afsset. Mortureux est chargé, comme indiqué, de notre sécurité. Quant à Dehaumont, il est aux manettes de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), qui s’est lourdement illustrée dans la « gestion » des pesticides massacreurs d’abeilles.

Mortureux : « Par courrier du 7 octobre 2009, j’avais attiré l’attention de votre Direction sur les problèmes posés par le fait que les avis de l’Agence relatifs aux dossiers de produits phytopharmaceutique… » et bla-bla-bla. Ce que Mortureux veut dire, qu’il présente de manière diplomatique, c’est que la DGAL s’assoit avec volupté sur les mises en garde sanitaires. Malgré des avis détaillés de l’Anses qu’il dirige, l’administration française a autorisé la mise sur le marché de dizaines de pesticides inquiétants. Mortureux met en cause « le maintien sur le marché de produits pour lesquels avait été émis un avis défavorable ou un avis favorable avec restrictions ». En matière criminelle, aucun doute, il s’agirait d’un flag.

Tête du ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, qui aimerait tant faire croire qu’il est en train de terrasser le monstre industriel avec ses petites mains à lui. Comme contraint, le ministre a finalement donné plus qu’un petit peu raison à Générations futures en commandant un audit dont les résultats doivent être connus entre le 7 et le 10 mai 2013. Problème de CM1 : s’il a fallu quinze ans pour s’en prendre au Gaucho, et compte tenu que Le Foll avance d’un millimètre par mois, combien faudra-il de millénaires pour se débarrasser des pesticides ?

(1) Pesticides, révélations sur un scandale français (Fayard)