Sommes-nous bien protégés contre les maladies ? Mais bien sûr ! Pensez aux dizaines de milliards de dollars engloutis dans la recherche pharmaceutique ! Et je ne parle pas de la publicité, des cadeaux constamment offerts aux médecins, dont ces voyages prétendument séminaires dans les destinations les plus exotiques qui soient. Oui, nous sommes protégés par des milliers de sauveteurs, qui ne songent qu’au bien-être universel.
Dont certains appartiennent par bonheur à la transnationale Pfizer, leader mondial de la pharmacie. Fondé en 1851 aux Etats-Unis, le groupe s’est étendu au reste du monde après 1950 et compte aux alentours de 100 000 salariés. Avant la crise boursière commencée à l’automne 2008, sa capitalisation frôlait les 220 milliards de dollars américains. Même le monde des animaux n’est pas inconnu du grand philanthrope. Pfizer est également numéro 1 mondial du médicament vétérinaire. Une bonne adresse.
Mais le 14 mars 2009, par une absurde inversion de tous les signes convenus, un événement inouï se produit aux Etats-Unis, la mère patrie de Pfizer. Madame Jane Albert, porte-parole du Baystate Medical Center de Springfield dévoile une fraude géante dans les travaux d’un des plus célèbres anesthésistes du pays, Scott Reuben. Reuben ! Le grand, l’immense Reuben ! Celui qui a écrit des dizaines d’articles sur l’analgésie dite « multimodale », pour soigner les douleurs post-opératoires. L’habitué des revues médicales les plus prestigieuses, comme Journal of Clinical Anesthesia, Anesthesiology, Anesthesia and Analgesia, toutes dotées de comités de lecture rigoureux !
Aussitôt appelé le « Le Madoff de la recherche médicale » (ici), Reuben trafiquait en réalité depuis de longues années. Ses études étaient bidonnées, ses essais inventés, ses malades n’ont pas existé. Mais il était le roi, et comme tel choyé par tous. Depuis qu’il est à terre, les langues se délient, et l’un de ses collègues s’étonne aujourd’hui, mais un peu tard, que Reuben, en quinze ans de « travaux » sur la douleur, n’ait jamais obtenu que des résultats positifs.
Donc un truand. Et alors ? Et alors Pfizer. Cette noble entreprise a été le principal sponsor des « études » Reuben depuis 2002 et l’a payé, car il passe bien à la télé, pour vanter en public la qualité de médicaments Pfizer provenant directement des « recherches » Reuben. Bien entendu, on peut toujours croire que la bonne foi de Pfizer a été prise en défaut. Mais pas si vite. En 2004 déjà, la transnationale a été condamnée à payer 430 millions de dollars pour la promotion de la gabapentine. Ce médicament, destiné à l’épilepsie, était commercialisé, sans indications étayées, pour la douleur, les troubles psychiatriques, la migraine.
Par ailleurs, dans un article publié en septembre 2008 dans la revue Jama (Industry-Sponsored Clinical Research. A Broken System, Jama. 2008;300(9):1069-1071.), Marcia Angell, professeure à Harvard, décrit un système devenu incontrôlable. Incontrôlable par nous. Voici le début de ce texte éclairant : « Au cours des deux dernières décennies, l’industrie pharmaceutique a acquis un contrôle sans précédent sur l’évaluation de ses propres produits. Les firmes pharmaceutiques financent désormais la plupart des recherches cliniques sur les médicaments d’ordonnance. Et les preuves qui s’accumulent indiquent qu’elles falsifient fréquemment la recherche qu’elles sponsorisent ».
Ce n’est déjà pas mal. Voici la suite : « Compte tenu des conflits d’intérêts qui imprègnent la démarche de recherche clinique, il n’est pas surprenant d’apprendre qu’il existe des preuves solides du fait que les résultats de la recherche sponsorisée par les firmes sont favorables aux médicaments des commanditaires. Cela s’explique d’une part par la non publication des résultats défavorables, et d’autre part par le fait que les résultats favorables font l’objet de publications répétées, sous forme à peine différente. Sans parler de la réécriture qui fait paraître sous un jour favorable même des résultats négatifs de la recherche sur un médicament ». Le texte complet en français est consultable en cliquant ici.
J’ai beau chercher une morale à cette histoire, je n’en vois guère. Ou bien, toujours et encore, ce constant appel à la révolte que je prêche ici ou ailleurs. Quand je pense que certains me reprochent mes attaques contre le mouvement écologiste officiel et médaillé ! Je crois que nous ne vivons pas dans le même monde. J’en suis sûr.