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Chimie, pesticides, air, pollutions en tous genres

Castagnettes et coucougnettes

Vendredi 3 octobre 2008, 21h34, rajout à l’article précédent. Une étude publiée dans la revue Andrologia (lire ici), nous apprend que plus de la moitié des jeunes Espagnols ont un sperme de mauvaise qualité, selon la définition retenue par  l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Ils pourront avec de la chance avoir des enfants, mais cela leur sera plus difficile que ce ne fut pour leurs pères. L’étude montre – che sorpresa ! mais quelle surprise, vraiment – que « les niveaux les plus importants d’oligospermie (quantité anormalement faible de spermatozoïdes dans le sperme) sont constatés dans les régions les plus industrialisées ».

Les responsables les plus probables – ma che sorpresa ! , etc. – sont les produits chimiques de synthèse, parmi lesquels les pesticides. Ceux dont l’Inserm – voir l’article sopra – ne sait hélas rien du tout. Aïe, aïe, aïe, aïe, c’est pas ça qu’il faudrait dire ! (cela se chante en choeur, éventuellement avec entrain).

Quand les poules auront des dents (cancéreuses)

Je reviens de Metz, où j’ai été accueilli royalement par Michel Ribette, qui s’occupe là-bas d’une structure unique de découverte de la nature (lié au réseau de magasins Nature et Découvertes). Il m’avait invité à parler de biocarburants devant des étudiants de la fac de sciences, et j’ai passé une soirée formidable. Simplement formidable.

Je devrais donc rentrer heureux, mais finalement non. Oh ce monde ! J’ai lu dans le train Le Figaro et Libération, qui évoquaient tous deux la publication d’une expertise de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) sur les liens entre cancers et environnement (lire ici). Et j’enrage depuis. Le Figaro, dans son rôle, minimise tout ce qui peut l’être, au-delà de la simple prudence selon moi. Libération titre plus justement sur le flou qui entoure l’étrange cadeau que nous a fait l’Inserm.

Mais moi, je suis sidéré. Tout bonnement. Car la véritable information n’aura pas été donnée. Et ne le sera probablement jamais. D’abord, un point de base. La compilation de l’Inserm – car il ne s’agit jamais que d’une compilation, et pas d’une étude – est en fait un ouvrage de 800 pages. Aucun journaliste, raisonnablement, ne l’a lu. Ni ne le lira peut-être. En tout cas, « l’information » est pour aujourd’hui, et pas pour demain. Demain sera un autre jour. Et aujourd’hui, la seule chose disponible est une synthèse d’une douzaine de pages, à laquelle vous avez accès un peu plus haut dans mon texte.

C’est une première bizarrerie très dérangeante. Mais la suite n’est pas mieux. Car volontairement ou non, l’Inserm présente les faits d’une façon qui perd des journalistes il est vrai peu regardants. Citation : « En 2005, le nombre de nouveaux cas de cancers en France a été estimé à près de 320 000 pour les deux sexes confondus, 180 000 chez les hommes et 140 000 chez les femmes. On constate une augmentation de l’incidence des cancers depuis une vingtaine d’années. Si l’on tient compte des changements démographiques (augmentation et vieillissement de la population française), l’augmentation du taux d’incidence depuis 1980 est estimée à +35 % chez l’homme et +43 % chez la femme ».

Le Figaro ne s’embête pas, et ne cite aucun chiffre qui pourrait inquiéter Neuilly, Auteuil et Passy. Parfait. Libération reprend les pourcentages de l’Inserm, mais sans préciser qu’ils ne sont pas bruts, mais rectifiés pour tenir compte de l’augmentation et ddu vieillissement de la population entre 1980 et 2005. Le Monde – je viens de vérifier – fait (presque) pareil, écrivant : « Entre 1980 et 2005, compte tenu des évolutions démographiques, l’incidence des cancers s’est accrue de 35 % pour les hommes et de 43 % pour les femmes ». Et la palme revient à L’Express, qui note : « Depuis 1980, l’incidence (c’est-à-dire le nombre de nouveaux cas de cancers en un an rapporté à la population) ne cesse de progresser: + 35% chez l’homme et + 43% chez la femme ! ». Cette dernière citation comprend, vous l’aurez noté, un point d’exclamation. Car le journaliste est impressionné : + 35 % ! +43 % !

Sauf qu’il a tout faux. Car l’Inserm aurait pu, aurait dû commencer par donner les chiffres bruts, qui sont sans discussion brutaux. On est passé en effet, entre 1980 et 2005, de 170 000 nouveaux cas de cancer par an en France à 320 000. Et cela fait une augmentation stupéfiante de près de 90 % en un quart de siècle. Certes, cela ne dit pas d’où tout cela vient. Mais admettez qu’il n’est pas anodin de remplacer partout 90 % par 35 % (pour les seuls hommes). Est-on encore dans l’information, franchement ? Ou déjà dans un autre monde ?

Poursuivons. Je reprends ma lecture du résumé de l’Inserm. Cette nouvelle citation : « L’évaluation de l’impact des facteurs environnementaux reste limitée dans bon nombre de cas, en raison d’une absence ou d’une insuffisance de données permettant de quantifier les expositions sur l’ensemble de la vie des populations exposées et de préciser les co-expositions ». Prodigieux, non ? L’Inserm reconnaît des failles géantes dans le recueil de données sans lesquelles rien n’est possible. L’écrit. Et vous ne le saurez pas. Plutôt, vous ne le sauriez pas si vous ne me lisiez pas.

Une dernière, pour la route, encore plus extrémiste, qui concerne les pesticides : « Près d’un millier de molécules ont été mises sur le marché en France ; les risques liés à ces molécules ne peuvent être évalués faute de données toxicologiques et épidémiologiques suffisantes ». Vous avez bien lu, amis lecteurs. L’Inserm ne sait rien et ne peut rien savoir, en l’état, sur les effets de l’empoisonnement généralisé par les pesticides.

Et voilà donc le travail, si l’on peut appeler de la sorte une telle entreprise. Je vous pose pour finir une question facile : l’Inserm a-t-il compris le drame terrifiant que représentait l’usage criminel de l’amiante en France, qui tue par milliers chaque année ? A-t-il alerté la société, comme tel aurait été son rôle, au moment où cela aurait été utile ? Question facile, je vous l’ai dit, et réponse sans détour : c’est non.

Ce qu’est un chef d’oeuvre (Roselyne Bachelot impératrice)

Je ne vois pas qu’on puisse mieux faire. Montrer avec autant de (bonne) grâce et de force qu’on se fout du monde. Non, vrai, je crois que madame Bachelot donne à tous ses amis – qui ne ne sont pas les miens, je le confesse – une leçon d’efficacité indépassable.

D’abord, qui est madame Bachelot ? On ne sait plus très bien. Notons qu’elle est docteure en pharmacie et qu’elle fut ministre de l’Environnement, déclarant alors, un jour, que le « le nucléaire est l’industrie la moins polluante ». Le mot est connu, davantage que cet autre, qui n’est pourtant pas si mauvais : « Garer sa voiture à l’ombre évite d’avoir à mettre la clim trop fort ». Madame Bachelot est en ce moment ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative. Je vous assure que ce titre existe, et j’ai dans l’idée qu’il vaut mieux s’en souvenir quand on est en face de madame. Malgré ses rires et ses tailleurs, malgré sa fantaisie, peut-être un tantinet surjouée.

Ministre en tout cas. De la santé. Dans un pays où l’obésité est devenue un drame. Les chiffres sont à peu près fiables : chez nous, en France, un adulte sur deux pèse trop lourd et un sur six est obèse. Avec un peu de chance, 30 % des Français seront obèses en 2020. 8 % des dépenses de santé publique seraient liées au phénomène. Faut-il insister ? Il est peu de sujets qui lient aussi clairement la santé, l’alimentation, l’avenir, la joie de vivre et même, sans se forcer, les grands équilibres écologiques. Car évidemment, la manière de s’alimenter d’un peuple riche comme le nôtre a des conséquences planétaires. La viande industrielle, pour ne prendre que ce seul exemple, oblige d’importer massivement du soja, devenue nourriture de base de notre bétail, au détriment des forêts et des cultures vivrières.

En bref, pour une docteure en pharmacie consciente de ses responsabilités publiques, la lutte contre l’obésité a quelque chose d’obligatoire et de gratifiant. Appelons cela du nanan. Sauf que la dame s’en moque, vu qu’elle est aussi une responsable de l’UMP. Pensez, lecteurs, le monde n’est-il pas à feu et à sang à cause de la crise financière ? Voudrions-nous risquer la splendide carrière de SAS (Son Altesse Sérénissime) Nicolas Sarkozy en adoptant des mesures pour une fois efficaces ? Voyons, ne déconnons pas avec les choses sérieuses.

Je résume. Le 30 septembre 2008,  la «Mission parlementaire d’information sur la prévention de l’obésité » présente 80 propositions pour lutter contre le fléau. Valérie Boyer (UMP), présidente de cette mission, explique dans la foulée qu’ « une pomme devrait être moins taxée » que des produits agro-industriels. Dingue. D’autant qu’elle ajoute, façon Al-Qaïda : « Il faudrait augmenter la TVA sur certains produits comme les barres chocolatées et la faire baisser sur d’autres, comme les fruits et légumes ».

À cet instant surgissent sur la scène des comiques-troupiers d’une telle qualité qu’ils ne seront jamais au chômage. Jamais. Le ministre du Travail, Xavier Bertrand : « Je n’y suis pas favorable, parce que vous savez ce qui se passerait ? Cela augmenterait les prix, et je ne suis pas sûr que ça change les comportements ». Ah, ah ! Xavier, as-tu déjà pensé à faire de la scène ? Roselyne arrive à la suite – c’est moins drôle, nous sommes dans le comique de répétition -, la main sur le coeur, le nez dans les sels qui l’empêchent de s’effondrer à la renverse. Qu’entends-je ? Une TVA ? Des taxes ? Mes sels, mes sels, vous dis-je.

La ministre, ayant retrouvé ses esprits, lance sur la radio Europe 1 – je ne peux, hélas, vous offrir son ton navré d’apprentie tragédienne – cette phrase sublime : « La démarche est intéressante [mais] nous sommes dans une période difficile sur le plan économique et taxer un certain nombre de produits reviendrait à taxer les plus faibles ».

Voilà. Flagrant délit. Flagrant délire indiscutable. L’industrie agroalimentaire ayant actionné les circuits d’influence qui ont fait son succès et sa renommée, le pouvoir politique se couche et meurt. Le choeur des pleureuses, ayant été retardé sur l’autoroute par une opération des routiers en colère, n’est même pas là. On aperçoit Carla Bruni, en ombre chinoise, qui soutient son pauvre petit mari. On ne sait plus trop s’il faut rire ou pleurer, cela devient gênant. Heureusement, cela sera bientôt terminé. Il me semble, en tout cas.

Trois raisons d’espérer (pour de vrai)

Du calme, car nous en aurons bien besoin. L’avenir n’étant pas écrit, je vous propose aujourd’hui, à contre-emploi certes, trois leçons d’optimisme concret. Tout arrive donc à qui sait attendre : la preuve ci-dessous.

1/Living the Good Life. Il y a de cela un sérieux moment, Katia Kanas m’a fait un cadeau. Katia est l’actuelle présidente de Greenpeace France, et je la connais depuis vingt ans. Ne me demandez pas comment c’est possible. C’est possible. Un jour, elle m’a parlé d’Helen et Scott Nearing. « Tu sais quoi, on n’a rien inventé du tout. Tu connais The Good Life ? ». Non, je ne connaissais pas. Jamais entendu parler. Alors elle m’a parlé d’un couple d’Américains gonflés à bloc, Helen et Scott, qui au début des années Trente du siècle passé ont fait leur baluchon, pour la raison simple que le monde de la Grande Dépression commençait à sérieusement leur déplaire. Ils étaient de New-York, et avaient décidé ce que nous appellerions nous un retour à la terre. Bon, j’ai mis longtemps à trouver ce livre, qui n’a jamais été traduit. Pour les Parisiens, sachez que j’ai passé commande à un libraire canadien (The Abbey Book Shop, 29, rue de la Parcheminerie 75005 Paris), remarquable pour les recherches spéléologiques.

Quand il a eu trouvé la bête, j’avais oublié. Je suis venu la chercher – eh, cette librairie est sensationnelle ! – et j’ai lu. Mazette, ça c’est un livre.  Helen et Scoot auront passé 20 ans dans le Vermont, après avoir acheté une ruine de ferme, faite de bois pourri. Bâti une maison en pierre, reçu des centaines d’amis, joué de la flûte le dimanche, mangé ce qu’ils cultivaient sur place, parcouru les bois enneigés grâce à des chevaux endurcis. Cette expérience de vingt années a tout simplement marché, et même triomphé. Je n’ai pas relu le livre, qui est en cet instant sur ma table. Mais voilà la citation que je trouve sur la jaquette, présentée comme venant de la Chine d’il y a 4500 ans : « When the sun rises, I go to work,/When the sun goes down, I take my rest,/I dig the well from which I drink,/I farm the soil that yields my food,/I share creation, Kings can do no more ». Je ne traduis pas dans le détail. Elle dit que même les rois ne peuvent mieux faire que ceux qui vivent dans la simplicité des jours.

2/Un jardin dans les Appalaches. C’est un livre signé par la romancière Barbara Kingsolver, aidée de son mari et d’une de ses filles, paru en février 2008 (Rivages). Kingsolver est peut-être légèrement filoute, je ne saurais être plus affirmatif. N’aurait-elle pas senti un filon ? Mais son livre reste formidable. Au début, elle nous parle de ce désert de l’Arizona où elle et sa famille ont vécu une vingtaine d’années. Cinglé. L’eau arrive de centaines de kilomètres. Pratiquement aucun aliment n’est produit dans un rayon de 100 kilomètres. Or Steven, le mari, a une propriété dans le sud des Appalaches, sur l’autre bord de l’Amérique. Là où il pleut encore. Là où l’herbe pousse. Ils partent, et recommencent leur vie. Le livre est le récit d’une année où la famille redécouvre tout. Le temps et la saison. Le bonheur de l’asperge. Les oeufs. Les serres. Les recettes mitonnées. Le potager. C’est un hymne, un beau chant à l’agriculture biologique, au manger local, à la révolution de la vie quotidienne. Mais ça vaut 23 euros, ce que je trouve cher. Pas pour moi, pour d’autres.

3/David Rosane m’a envoyé hier copie d’un article du New York Times (ici). Si vous lisez l’anglais, pas d’hésitation ! Will Allen, un Black resplendissant, vient de recevoir un prix de la fondation John D. and Catherine T. MacArthur. 500 000 dollars, ce qui n’est pas rien. Allen a quitté en 1993 Procter et Gamble – tout ce qu’on aime : détergents, produits d’entretien, nourriture pour chat, merde en gros – pour créer dans la banlieue de Milwaukee une sorte de ferme. Sorte de. Il s’agit surtout de vastes serres qui produisent au total, chaque année, 500 000 dollars – même montant que la récompense – d’une bouffe abordable et de bonne qualité. Des légumes, des fruits, de la viande, du poisson. C’est donc une véritable entreprise qui emploie trois douzaines de maraîchers et fermiers. Le compost est à l’honneur, comme le lombric. Les déchets servent aussi à fabriquer de l’énergie.

Ce mec de 59 ans n’est pas qu’un fermier. C’est un lutteur. Un utopiste concret comme il nous en faudrait un million en France. Lisez plutôt ce qu’il a déclaré au Times : « The movement I am part of is growing food and justice, and to make sure that everyone in the world has access to healthy food ». Ma traduction : « Le mouvement auquel j’appartiens produit à la fois de la nourriture et de la justice. Pour être sûr que chacun dans ce monde dispose d’une alimentation de qualité ».

Et voilà le travail. Que les lecteurs de ce blog qui me reprochent parfois de ne rien proposer en prennent de la graine. Bio. Tel est le chemin. Il n’y a plus qu’à marcher.

Une ordonnance en passant (sur la bouffe et la dépression)

C’est assez vache, mais je dois vous avouer que je n’ai pas fait d’EDM cette année 2008. Ni les années précédentes. Et ce n’est pas le cas de tout le monde, il s’en faut. Car l’EDM est l’acronyme d’épisode dépressif majeur, ce qui n’est pas rien, car il signifie bien entendu une grave maladie, fût-elle passagère. On mange moins, on sourit peu à ses enfants, on perd de l’intérêt pour les puissantes et enivrantes choses de l’amour. Non, ce c’est pas gai. Or, selon une étude que je trouve – sans rire – angoissante (ici), 5,5 millions de Français auraient connu un EDM au cours de l’année 2008, soit la bagatelle de 8 % de la population ! J’ignore quel sort est dévolu aux bébés et aux enfants dans ce genre de travail, mais j’ai quelque mal à croire qu’ils y soient inclus. Autrement dit, si je ne me trompe pas, le pourcentage chez les Français d’un certain âge – disons à partir de quinze ans – est encore supérieur.

Après vérification, je confirme : l’étude porte sur les Français de 15 à 75 ans. Pourquoi pas avant ? Pourquoi pas au-delà ? C’est comme ça. Disons 8 %, sachant que d’autres travaux montrent des chiffres plus bas. Mais aussi, si l’on tente de cerner le nombre de « subsyndromiques » (ici), qui ne réunissent qu’une partie des symptômes de l’EDM, on arrive au pourcentage affolant de 19 % de la population française. Atteinte chaque année de tout ou partie d’un EDM. Lequel s’appelle apparemment, aussi, « symptôme de la tristesse ». Je ne vous fais pas de dessin, c’est inutile, on imagine.

Mon arbitraire bien connu me conduit droit à une autre étude, de l’Insee celle-là. L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) est une administration centrale du ministère de l’Économie. Un gros machin officiel, quoi. Ses chiffres suintent généralement un ennui mortel, mais pas toujours. Une enquête toute récente montre en effet que de 1960 à 2006, la part des dépenses consacrée à la bouffe – à domicile – est passée de 25 % du budget total à 12 %. Une division par deux, en 45 ans seulement. Encore plus spectaculaire : le repas, en dehors du dessert, ne représente plus que 6 % du budget en 2006. Le reste, ce reste gigantesque qui se chiffre en dizaines de milliards d’euros, va aux produits sucrés, dont les crèmes, yaourts et autres gâteaux fatalement industriels (ici).

Vous n’échapperez pas à mes commentaires. Et d’un, la multiplication des objets matériels les plus débiles qui soient n’a pas rendu nos contemporains heureux. Se battre pour le téléphone portable n’a pas réglé la question. Ni l’achat de cette si belle voiture dotée de la clim et du GPS. Ni celui de la télé à écran plasma. Ni le crédit pour le canapé en cuir fauve. Ni rien. J’ai comme le pressentiment que nos frères humains d’il y a un demi-siècle souffraient moins d’EDM. Mais je n’ai pas de preuve, certes. Quoi qu’il en soit, la profusion matérielle paraît avoir de sérieux effets collatéraux, comme on dit dans ces guerres modernes où seuls les civils partent au cimetière.

Autre réflexion : j’en ai marre, je sature. C’est que je ne supporte plus le discours sur la bouffe bio qui coûterait plus cher, qui serait en quelque sorte un sport de riches, une niche pour les bobos, et donc une infamie sociale de plus. Merde ! Je répète un peu plus fort : MERDE ! Les marchands et leurs publicitaires ont créé, créent chaque jour un peu plus un monde de frustration et de compétition de tous contre tous. De tout contre tout.

Par un phénomène qui semble n’intéresser personne, des points de vue au départ divergents finissent par se rejoindre en une construction sociale que je juge délirante. La droite, la gauche, les syndicats, l’industrie bien sûr se retrouvent tous autour d’un point de vue unifié : les Français manqueraient de pouvoir d’achat. La vie serait trop chère. Le prix de la nourriture flamberait. Sur ce dernier point, avec votre autorisation, laissons de côté les derniers événements, qui posent un problème particulier, surtout aux vrais pauvres de la planète, d’ailleurs.

Laissons de côté, et jugeons la tendance lourde. Le malheur social, évident, c’est que l’entreprise industrielle qui domine le monde vide le porte-monnaie de tous pour disperser jusqu’au lieu le plus reculé ses maudites productions. Faites donc la liste de tous les objets inconnus avant 1960 qui se trouvent en ce moment chez vous. Et essayez donc d’évaluer leur coût. Et leurs conséquences psychiques sur la vie de chaque jour, y compris familiale. Tentez l’expérience, vous risquez de vous étonner vous-même.

Dans le même temps donc, je n’entends généralement que pleurnicheries sur la bouffe. Et des récriminations sur la bio. Je dois dire, sans hésiter, que la nourriture ne nous coûte pas assez cher. Et je ne parle pas là, seulement, de ceux qui, comme moi, peuvent payer. Non, de tous. Il faut revenir à un point de vue simple : la nourriture, vitale pour le corps, essentielle au psychisme, a un coût important. Derrière, un monde de paysans, qui doivent pouvoir travailler leur terre sans la meurtrir, sans pesticides donc. Devant, un peuple qui doit enfin refuser les immondes inventions et chimères que les supermarchés présentent pourtant comme des aliments.

D’une certaine façon, il s’agit d’un combat neuf. Décisif en ce qu’il met tout en cause, d’un seul et même mouvement de la bouche et du tube digestif. Il nous faut trouver les moyens d’un immense élan pour l’alimentation. Et proclamer sans gêne que nous devons payer davantage, mais pour autre chose que les saloperies habituelles. Je pense que c’est aussi la meilleure façon de lutter ensemble contre les EDM, ces épisodes dépressifs majeurs qui détruisent en silence les vies, les familles, les avenirs. J’attends votre point de vue avec intérêt.