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Chimie, pesticides, air, pollutions en tous genres

Une réponse à monsieur le sénateur Dantec

On va faire comme si vous aviez lu le papier précédent, que j’ai consacré à Ronan Dantec, sénateur EELV de Loire-Atlantique. Et si ce n’est pas le cas et que vous vouliez comprendre ce qui suit, je crois qu’il est préférable de vous y mettre. Vous pourrez lire aujourd’hui ma réponse à une lettre de monsieur Dantec, suivie de cette même lettre.  Voici ma prose.

Monsieur Dantec,

D’abord, un merci sincère pour votre intervention sur Planète sans visa. Vous n’étiez nullement obligé, et votre mot signifie que vous êtes ouvert à l’échange, fût-il polémique. Et je dois avouer d’emblée que mon texte n’a pas dû être très agréable à lire.

Avant de répondre sur le fond, deux points qui m’irritent le poil sans faire rien avancer entre nous. Un, j’étais présent à Notre-Dame-des-Landes le 9 juillet, et vous avez donc tort sans discussion, sur ce point en tout cas. Deux, je ne sais pas ce que vous sous-entendez en écrivant « Embarqué dans une croisade anti-EELV dont je serai curieux de connaître les ressorts ». Je ne le sais, mais vous sous-entendez, et cela me défrise, car je n’ai rien à cacher. Je n’ai par chance jamais appartenu à votre mouvement, mais j’ai eu l’occasion professionnelle, dès les années 1988-1989 de m’approcher de vos écuries d’Augias, et je crois pouvoir vous certifier qu’elles méritaient déjà d’être nettoyées de fond en comble, ce qui n’aura jamais été fait. Mes raisons de critiquer sans relâche un mouvement politique dérisoire qui a, pour notre malheur, préempté une cause sacrée, mes raisons sont politiques bien sûr, mais aussi morales. Et je crois devoir inverser l’ordre des mots. Morales, puis politiques. Votre mouvement disparaîtra à coup certain, tant il ne représente rien qu’une coterie, mais il aura fait beaucoup de mal à une société qui n’avait pas besoin de cela. Je vous rassure : je ne partage à peu près rien avec votre parti. Pas depuis hier. Depuis des lustres. Ne cherchez pas plus loin que l’écœurement. EELV m’écœure quand j’y pense, ce qui se fait heureusement de plus en plus rare.

Venons-en à votre réponse. Je sais, je crois savoir que vous êtes plutôt une bonne personne. J’ai toujours dit et souvent écrit que vos murs abritaient, malgré ce qu’ils contiennent aussi, des gens de qualité. Dont vous ? Je n’en sais rien, mais je suis tout prêt à le croire. Seulement, il resterait à le démontrer autrement que par les pénibles mensonges dont vous m’accablez. Un lecteur peu attentionné pourrait croire que vous répondez à un coup de gueule d’un certain Fabrice Nicolino. Au passage, sans lui donner le moyen de savoir ce que j’ai écrit, ce qui ne laisse pas d’être curieux. Mais passons : un semblant de réponse.

Hélas, vous rusez, tel le premier politicien venu. Car vous vous retranchez derrière vos « intentions », que j’aurais maltraitées ici même et dans un petit billet de Charlie. Or moi, j’ai parlé de faits concrets, que vous ne vous hasardez pas à contester. Et vous avez raison, car ils sont vrais. Oui, vous avez le 9 juillet, auprès d’interlocuteurs choisis, décrété que le combat contre l’aéroport était perdu et qu’il fallait songer à une « sortie de crise honorable ». Oui, vous avez annoncé que vous voyiez Hollande le lundi suivant, auprès de qui vous entendiez jouer le rôle de Monsieur Bons Offices. Et cela, monsieur Dantec, je vous mets au défi de le démentir formellement. Je sais, figurez-vous, et je suis sûr que vous savez que je sais. Soyez sûr que je ne me dégonflerai pas, car je ne sais pas faire.

Vos intentions vous appartiennent, et ne les connaissant pas, je ne les commente pas. En revanche, le double-jeu dans une affaire aussi cruciale que celle de Notre-Dame-des-Landes concerne tous les combattants de cette formidable mobilisation. Voilà en quelques mots ce que je souhaitais vous dire. Si vous êtes un homme honnête, ce qui n’a rien d’impossible, peut-être admettrez-vous, au moins au fond de vous même, qu’il peut être utile de tracer des limites au sol. Entre l’honneur et tout ce qui n’en est pas.

Encore merci – sincère – pour avoir accepté de venir ici.

 


LE TEXTE ENVOYÉ PAR RONAN DANTEC

Ma réponse à Fabrice Nicolino : à NDDL, il nous faut absolument préserver notre capacité à rassembler des cultures militantes différentes

Cher Monsieur,

Je ne souhaitais pas répondre à votre précédent billet mais votre écho dans Charlie ne me laisse guère le choix, tant il est chargé de violence verbale contre EELV, et en particulier à mon encontre. Je ne le souhaitais pas car répondre pourrait brouiller un autre message : l’admiration profonde que je nourris pour ceux qui maintiennent la vigueur de leurs plumes et de leurs crayons même quand ils se savent menacés. Je veux donc réaffirmer tout d’abord mon profond respect pour le courage permanent de l’équipe de Charlie.

Mais, vous le reconnaitrez sans nul doute, il faut aussi savoir se dresser contre les postures faciles et les excommunications à la va-vite.

Les intentions qui me sont prêtées dans cet écho au vitriol sont totalement infondées et je les déments fermement. Il y a d’ailleurs dès le départ une contradiction évidente que l’auteur, dont on a bien compris qu’il voyait tout cela de très loin, ne s’est guère embarrassé à démêler. Mais pourquoi aurais-je passé autant de temps et d’énergie avant et après le résultat de la consultation sur un aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à souligner qu’elle ne légitimait pas le projet (Libération, RTL, Télénantes le soir de la consultation, tous les médias locaux, au point d’être aussi une des têtes de turc des pro-aéroports sur les réseaux sociaux) pour, quelques jours après, arrêter la lutte pour une poignée de cacahuètes ? La question n’a pas, semble-t-il, effleuré le journaliste. Si les intentions qui me sont prêtées étaient vraies, j’aurais mieux fait, comme d’autres, de solennellement reconnaître le résultat, de dire ma tristesse et mon respect de la démocratie, et le tour était joué !

Ce n’était pas mon choix tant ma colère reste grande sur la transformation par Manuel Valls de cette consultation en tentative de relégitimitation d’un projet indéfendable. Avancer aussi l’hypothèse, au risque d’un populisme atterrant, que je penserais d’abord à un accord électoral en Loire-Atlantique est même risible après l’échange extrêmement tendu que j’ai pu avoir en mars avec Manuel Valls au lendemain de l’annonce des modalités de la consultation (voir ici). Je vous propose, Mr Nicolino, de le visionner pour prendre la mesure de notre complicité politique ! Embarqué dans une croisade anti-EELV dont je serai curieux de connaître les ressorts, notre chroniqueur acrimonieux ne semble pas accepter un fait déjà ancien, sur le rôle des élus EELV pour porter, avec d’autres, la parole dans cette lutte, notamment au niveau national. Nous ne cherchons pas à l’accaparer, mais quand les journalistes nous appellent, nous leur répondons.

Cela nous donne aussi comme responsabilité de bien mesurer où en sont les acteurs de terrain qui portent historiquement cette lutte, notamment les paysans et leurs syndicats, qui continuent aujourd’hui comme hier à avoir notre soutien dans les choix qu’ils font pour la suite de la mobilisation. C’est de là que semble être partie cette incompréhension, pour ne pas dire ces ragots. Oui, j’ai passé mon samedi 9 juillet à NDDL à voir nombre d’acteurs, pour discuter de la suite, et aborder avec eux, sans tabous, toutes les hypothèses, y compris pour dissiper certaines rumeurs préexistantes sur l’attitude à venir de certains acteurs. « Un certain » chroniqueur ne s’est pas, semble-t-il, senti obligé d’en faire autant ! En quinze ans et des centaines d’interventions publiques sur le dossier NDDL, vous ne trouverez donc pas de propos de ma part fragilisant ce mouvement que je trouve exceptionnel sur bien des plans, notamment sur la capacité d’expertise citoyenne qu’il a générée. J’ai affirmé au lendemain de la consultation en Loire-Atlantique (cf. interview dans Libération du 27/06/16), que le refus du gouvernement d’en faire un véritable moment démocratique se concluait sur « deux camps encore plus mobilisés ». On peut difficilement faire plus clair. J’ai effectivement vérifié lors de la journée de mobilisation du 9 juillet dernier à NDDL, en rencontrant nombre de responsables associatifs et syndicaux que cette détermination était intacte, et la manifestation début octobre permettra de le vérifier à nouveau. Je l’ai fait en évoquant toutes les hypothèses possibles, ce qui ne veut pas dire que je les faisais miennes (c’est là que votre papier tourne au procès d’intention sur fond d’anti-EELV primaire). C’est donc bien cette détermination que j’ai pu ainsi mesurer, que je rappelle à ces interlocuteurs parisiens que je rencontre forcément (j’ai quand même beaucoup ri de l’évocation du repas à l’Elysée du 11 juillet où nous étions 300 pour accueillir le président sud-africain ; selon vous, avoir ses « entrées » signifierait donc juste être membre du groupe d’amitiés France-Afrique du Sud !). Et il n’y a pas aujourd’hui de ma part de négociation d’abandon de la lutte en rase campagne, que les choses soient ici bien claires. Seuls les pro-aéroports ont intérêt à faire courir ce genre de rumeurs.

A propos d’EELV, et ne vous en déplaise, notre action ne se limite pas aux interventions publiques. C’est d’ailleurs pour cela que je suis en colère contre cet écho peu responsable. Être brocardé par un distributeur auto-proclamé des bons et mauvais points de la lutte n’est pas d’une très grande importance, mais distiller l’idée que le mouvement se fractionne est plus fâcheux. J’en viens donc à me demander si cette lutte ne vous embête pas un peu, car ses principaux animateurs ont théorisé la complémentarité de l’action, y compris entre des militants aux cultures antagonistes. Contre tous les tenants des combats simplistes, avec les bons et les méchants, elle assume la complexité, y compris en intégrant donc, comble de l’horreur, d’affreux réformistes, des élus locaux en ménage ici et là avec d’encore plus horribles socialistes, ce qui est le comble de l’immoralité pour certains prédicateurs de la pureté des luttes !

Il me semblait pourtant, cher Monsieur Nicolino, que nous partagions un même sentiment sur l’enjeu de cette mobilisation, qui marque l’opposition entre deux visions, celle qui intègre la finitude de la planète comme une exigence s’imposant à toute action publique, face à celle, encore dominante, où s’insérer dans la compétition libérale, y compris entre territoires, reste une priorité inéluctable des choix politiques. Ces deux lectures du monde s’entrechoquent à NDDL, mais pour autant elles ne disent pas l’uniformité des deux camps, bien au contraire. La grande force des animateurs historiques de cette lutte a ainsi toujours été de conserver cette diversité des acteurs, chacun venant avec ses propres convictions et cultures militantes … y compris celles s’inscrivant dans le champ politique du compromis. Ainsi, même si vous ne portez de toute évidence pas EELV dans votre cœur, vous ne pouvez ignorer l’importance qu’ont eu les accords municipaux PS / EELV de Nantes et de Rennes pour obtenir, au printemps 2014, l’engagement du gouvernement à attendre les résultats des recours juridiques en cours avant tous travaux, accords politiques dont le respect reste plus que jamais ma priorité sur ce dossier, champ d’intervention où je suis probablement et humblement le plus utile.

Cette lutte est donc complexe, en tension, sujette aux rumeurs, aux mauvaises interprétations, chaque phrase mal prononcée peut donner lieu à des réactions en chaîne. Mais si nous brisons la capacité de cette lutte à marier des formes d’action d’essences différentes, voire antagonistes, alors cette mobilisation magnifique sera perdue.

J’assume aussi très profondément mes prises de position pour une recherche de solutions. La non-violence n’est pas une posture théorique, une facilité pour s’en laver les mains si les choses dérapent ; c’est bien chercher, de là où on est, à recréer un dialogue, y compris au cœur de la tension. C’est ce que j’ai toujours fait sur ce dossier, appelant sur place à l’arrêt de l’opération César, ou définissant au conseil national de la transition écologique (CNTE) ou dans la presse (cf. Presse Océan du 27 février 2016) les conditions d’une consultation aux résultats acceptables par les uns et les autres, après que le président de la République ait annoncé, suite au drame de Sivens, que la consultation locale pouvait être une réponse pour trancher les situations de blocage. Ma colère est grande car je pense effectivement qu’une consultation bien préparée, avec les expertises indépendantes manquantes, le bon périmètre et l’égalité des moyens, aurait été une vraie démarche non violente, une vraie solution, que Manuel Valls a donc sabordée.

Je n’ai pas à ce stade une idée de la manière d’éviter un affrontement qui pourrait être tragique, car on ne parle pas ici de risque statistique, mais de militants réels qu’on connaît, de jeunes qui peuvent être issus de nos familles. Je suis juste convaincu, dans cette période de surenchère dans les coups de menton et de retour plausible de la droite au pouvoir, que ce risque est bien réel. Il est donc de notre responsabilité de chercher à éviter tout nouveau drame sans pour autant abandonner une lutte légitime. Quitte donc à me retrouver brocardé par certains, au risque de phrases mal comprises, d’hypothèses posées et mal interprétées, je continuerai ce dialogue avec tous les acteurs …

C’est probablement plus risqué que de se contenter de slogans de postures, ça mérite sans nul doute d’être brûlé en place publique par les gardiens de la cause, mais il faut savoir, sans honte, tenir son fil.

Pour obtenir les liens hypertextes actifs contenus dans ce message, voir à cette page :
http://www.ronandantec.fr/index.php/tribunes/680-22-juillet-2016-ma-reponse-a-fabrice-nicolino-a-nddl-il-nous-faut-absolument-preserver-notre-capacite-a-rassembler-des-cultures-militantes-differentes

Appel à Nicolas Hulot, Allain Bougrain-Dubourg, Pierre Rabhi et tous autres

Amis lecteurs de Planète sans visa, je vous demande de faire un effort personnel. Si vous êtes d’accord avec ce qui suit, diffusez, aussi massivement qu’il vous sera possible. Auprès de vos proches et de vos amis, auprès de vos élus – qui ne risque rien n’a rien -, auprès de tous les groupes possibles, auprès des personnes citées dans le titre, auxquels s’adresse cette Lettre ouverte, qui est évidemment destinée à tous. Je vous en prie : une heure de votre temps doit être consacrée à cette nouvelle bagarre, que j’espère nationale, internationale, planétaire. Ne remettez pas à demain. S’il vous plaît, commencez aujourd’hui même. Et merci.

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Appel à Nicolas Hulot, Allain Bougrain-Dubourg, Pierre Rabhi et tous autres

Je souhaite être solennel. Vous lirez ci-dessous un article que j’ai publié dans Charlie-Hebdo voici quelques semaines. Il n’a rien de banal, car il touche aux profondeurs de notre destin commun. Même s’il  s’agit de criminels ordinaires, ordinaires dans notre monde criminel. Un groupe minier russe, qui travaille en Afrique dans des conditions scandaleuses, veut s’en prendre au joyau écologique qu’est la forêt tropicale de la Guyane dite française.

On ne peut laisser faire. À aucun prix. Nous sommes en face d’une modeste mais réelle responsabilité historique. Car la France détient sur le continent américain une fraction de la richesse biologique mondiale. Une mine d’or industrielle là-bas serait le signal que tout, désormais, est possible. Si un pays comme le nôtre accepte de sacrifier cette merveille, quel autre se sentirait tenu de s’arrêter pour réfléchir ? La Chine ? L’Indonésie ? Le Brésil ? Le Rwanda ? La Russie de Poutine ? Voyons, un peu de dignité.

Nous crevons sous le poids de discours illusoires et de déclarations qui n’engagent à rien. Du haut des tribunes frelatées, comme il est aisé de crier : « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs ! ». Elle brûle, en effet, et en enfer. Elle se tord, elle hurle sa douleur chaque seconde de chaque minute, et nous faisons comme si tout devait se passer entre gens de bonne compagnie. Cela ne peut plus durer. Qu’on le veuille ou qu’on le cache, une frontière sépare ceux qui accélèrent dans la dernière ligne droite discernable, et ceux qui se jettent de désespoir sur le frein.

Le noble combat de Notre-Dame-des-Landes est essentiel pour la France, car il affirme dans la clarté qu’on ne peut plus faire comme avant. Ici, dans ce pays-ci. La grande bagarre de Guyane que j’appelle de mes vœux est d’emblée internationale, mondiale, planétaire. Elle signifie que la défense de la biodiversité – nom savant de la vie – oblige à sortir du bois et à compter ses forces. Reculer, ce serait avouer que nous ne sommes pas de taille. Reculer, ce serait accepter tout, étape après étape. Je vous suggère, amis de l’homme, des bêtes et des plantes, d’organiser un voyage de protestation en Guyane même, dès qu’il sera possible. Le crime qui se prépare, car c’en est un, mérite que nous bandions toutes nos forces, et elles sont grandes, malgré tout.

Levons-nous ensemble, car sinon, autant se taire pour l’éternité.


Ci-dessous, l’article paru dans Charlie.

La mine d’or guyanaise d’Attali, Juppé et Macron

Tous aux abris ! La forêt tropicale de Guyane – la nôtre – est menacée par un tsunami affairiste. Le gouvernement donne les clés d’une mine d’or gigantesque à une transnationale russe qui sévit déjà au Burkina Faso.

Attention les yeux, on va voir apparaître comme par magie un Attali, un Juppé, un Macron pour le prix de presque rien. Mais dès l’avance, il faut dire deux mots de la Guyane audacieusement appelée française. Il y a là-bas des Noirs Marrons, descendants d’esclaves échappés des plantations philanthropiques. Des Indiens installés au profond de la forêt tropicale, le long des rivières et des fleuves. Et puis des Blancs, car il y a partout des Blancs. Autrement, qui tiendrait le nerf à bœuf, dites-moi ?

La forêt tropicale, qui couvre 95% du pays, est à peu près intacte, ce qui se fait rarissime dans un monde qui crame tout. Et en théorie, les envolées permanentes des nobles politiques sur la biodiversité devraient pouvoir protéger les singes hurleurs, les aras et les jaguars pour l’éternité.

Mais il y a l’or. Des milliers d’orpailleurs clandestins pourrissent les eaux de Guyane depuis des décennies en balançant à tout va de charmants produits comme le mercure – idéal pour extraire l’or de son substrat rocheux – dans les rivières. C’est pas bon, c’est pas beau, et c’est artisanal. Tout autre est la puissance de feu des transnationales, qui peuvent mobiliser des concasseurs de la taille d’un avion et pulvériser des millions de tonnes de roches sans coup férir.

Jusqu’ici, les projets les plus crapoteux ont échoué, mais celui dont on va parler a plus que ses chances. En 2011, la Columbus Gold, boîte canadienne junior – on va expliquer, c’est très malin –, achète huit concessions minières en Guyane. L’une des huit se trouve à 80 km au sud de Saint-Laurent-du-Maroni, au-dedans d’un lieu appelé la Montagne d’Or. Il y aurait 155 tonnes d’or planquées, peut-être le double. Miam.

Pour récupérer la mornifle, il faudra creuser une fosse d’au moins 2,5 Km de long, de 600 à 800 mètres de largeur, de 200 à 250 mètres de profondeur. Compter 460 millions de tonnes de roches à broyer, au bas mot, car on récupère au mieux qu’1,5 gramme d’or par tonne. Prévoir également de gros besoins d’énergie et d’électricité. Disons l’équivalent de ce que consomme la capitale Cayenne en un an.

Mais une telle apothéose, ami technophile, ne peut être déployée par une petite junior, qui apparaît en la circonstance comme le paravent d’une grosse mère que les spécialistes nomment une major. La Columbus Gold ne fait qu’explorer, avant de refiler le bébé au vrai bénéficiaire, la Nordgold, sise à Moscou. Nordgold est seule capable d’exploiter et d’ouvrir les entrailles de Guyane. Et elle est en plus entre des mains charmantes. Une ONG suisse et catho, Action de Carême, a publié en février 2016 un rapport sur les mines d’or au Burkina Faso (1), où l’on peut lire : « Dans beaucoup d’endroits, l’exploitation aurifère détruit les bases de l’existence de populations, porte atteinte aux droits humains ». Avant de préciser : « Les sociétés minières présentes au Burkina Faso, en l’occurrence Iamgold, Nordgold et Amara Mining, ont une grande responsabilité dans les violations des droits humains exposés ».

Si cette mine ouvre, et tous les feux sont au vert, adieu à la forêt tropicale que l’on connaît. En toute certitude, ce sera la ruée vers l’Eldorado, car on trouve de l’or un peu partout. Il y aura des routes, des autoroutes, des barrages, des pylônes à haute tension. Et si tout est désormais sur les rails, c’est que la mine est soutenue par des autorités morales considérables. Jacques Attali, le preux lobbyiste international, siège au Comité consultatif de la Columbus Gold. Alain Juppé, fervent écologiste, en meeting à Cayenne ces dernières semaines : « J’ai conscience des enjeux écologiques de la Guyane. Mais le territoire est vaste, il y a de la marge. La balance doit être faite entre les enjeux environnementaux et humains » (2). Quant à l’immense Emmanuel Macron, il s’est carrément rendu sur le futur chantier, vantant l’excellence du projet, précisant : « Cet industriel [la Columbus Gold] est l’un des fers de lance de la mine responsable ».

C’est maintenant que tout se joue, nazes que nous sommes. Ou la mine ou la forêt. Si les écolos de France et de Navarre arrêtent de se branlotter une seconde, il y a peut-être une chance.

(1) https://voir-et-agir.ch/content/uploads/2016/02/160215_Etude_Or_Burkina-Faso.pdf

(2) Cette citation de Juppé a été modifiée, car une erreur s’était glissée dans l’article de Charlie. La phrase attribuée précédemment à Juppé venait en réalité de Léon Bertrand, ponte UMP de Guyane, qui ouvrait le meeting de Juppé. Merci à Philippe, lecteur de Planète sans visa.

Franz-Olivier Giesbert est un zozo

(On parle ici, et quand même, d’écologie. Mais cela se situe – mille pardons – à la fin de cet article)

Ah là là ! Est-ce si important ? Du point de vue de la crise écologique, ce n’est pas dérisoire, c’est directement dépourvu du moindre sens publiable. Mais d’un autre côté, pour ceux qui continuent d’habiter ce monde délirant, cela garde un petit intérêt que je vais essayer de mettre en scène. Le journal Le Point a été créé en 1972 par des journalistes venus de L’Express, parmi lesquels Claude Imbert et Georges Suffert. Imbert serait une sorte de Jean Daniel un peu plus jeune, et de droite, si toutefois Daniel est de gauche. Si toutefois être de gauche conserve un territoire identifiable. Un peu plus jeune mais largement aussi chiant.

Bon. Je ne dirai qu’une chose de la protohistoire du Point, qui m’est restée coincé en travers de la gorge : le 21 juin 1976, la « une » du Point accuse le communiste égyptien Henri Curiel d’être un agent du KGB et de diriger un réseau terroriste. Sous la signature de Suffert. J’ai toujours le « dossier » chez moi, et il ne fait aucun doute que Suffert a en l’occurrence servi la soupe à un service policier, par exemple la DST de l’époque. Tout respire l’air épuré des officines. Rien n’est établi. Mais Suffert sait qu’il sera soutenu, et par la police, et qu’il l’est déjà – et comment – par son journal.

Deux ans plus tard, le 4 mai 1978, Curiel est abattu en plein Paris par un mystérieux commando, aussi vaporeux que celui qui tua Goldman en septembre 1979. Je ne sais pas quel lien unit les deux événements, mais Suffert ne mérite certes pas la médaille d’or du journalisme honnête et indépendant.

Je voulais bien sûr vous parler du Point d’aujourd’hui, dirigé jusqu’à ces derniers temps par un certain Franz-Olivier Giesbert (FOG, comme on dit à la télé). Venu de la gauche soixante-huitarde, il a patienté des années à L’Obs, dans l’espoir vain d’enterrer sous les fleurs Jean Daniel. Puis il a dirigé Le Figaro et longtemps Le Point avant de se contenter d’éditos mornes et répétitifs qui, ces derniers temps du moins, varient entre trois pôles : la dénonciation des supposés néandertaliens de la CGT et assimilés; la promotion béate du libéralisme le plus vif; la détestation personnelle de Sarkozy.

Est-ce intéressant ? Je ne recommande pas. Dans le dernier numéro paru le 23 juin (2285), Le Point fait preuve de son habituelle idéologie en produisant en couverture la tête de Michel Rocard, au-dessus de ces mots : « La gauche française est la plus rétrograde d’Europe ». Notez avec moi les guillemets, qui désignent à coup certain une citation, en la circonstance tirée d’un entretien. Page 28 – et cela dure interminablement jusqu’en page 42 -, commence en effet un entretien avec Rocard. C’est distrayant, dans un genre mineur, car le pauvre garçon sucre pas mal les fraises – il a 84 ans – et il est quand même difficile de croire que personne ne s’en rend compte.

Page 32, les glorieux intervieweurs – Emmanuel Berretta, Caroline Galactéros et Olivia Recasens – posent la question qui leur brûlait les lèvres depuis le début, car l’entretien n’a qu’un but : montrer que les socialistes de bon aloi, comme Rocard ou Macron, détestent la gauche, cette si ringarde disposition de l’esprit. Et cela donne : « Diriez-vous que la gauche française est la plus rétrograde d’Europe ? ».

Cela donne, sauf vilaine erreur, une information de taille. Le titre de couverture provient en fait d’une question posée par Le Point. Ma foi, cela doit être déontologique. Mais attendez plutôt la réponse de Rocard : « Dans toute l’Europe, la gauche française est celle qui a été la plus marquée par le marxisme. Elle en porte les traces. On peut admettre que la pensée politique marxiste, ou ce qu’il en reste, est rétrograde ». Je ne vous ferai pas l’injure de croire que vous ne savez pas lire. Comme vous le savez, vous voyez comme moi que Rocard ne dit en aucune manière ce que Le Point était de toute manière décidé à lui faire dire.

De quoi s’agit-il ? D’une grossière désinformation, de la part de gens qui se croient tout permis, et qui ont bien raison, car en effet, nul ne conteste leur droit extravagant à mentir. FOG et tous autres, entrez les pieds devant dans le vaste Panthéon des journalistes officiels, car votre place y est toute préparée.

Quant au reste, un naufrage. Rocard, le Rocard sautillant qui faisait semblant d’avoir des idées – l’autogestion, l’écologie – se vautre dans la discussion de bistrot. Macron, Valls, Hollande, Mitterrand, Chirac, les Iraniens, le numérique, les migrants, la Russie, le voile islamique, les 35 heures, etc. Par un effet comique non recherché, Le Point lui demande au bout de quinze pages : « Vous avez déclaré : “Il faut écologiser les politique”». Enfin ! Rocard a là l’occasion, – n’était-il “ambassadeur” sarkozyste pour l’Antarctique ? – de dire son sentiment sur l’extrême gravité de la crise écologique.

Mais comme il s’en tape, il évacue. Après moins d’une phrase sur le changement climatique, il embraie sur bien plus important : les règles de désignation de secrétaire général de l’ONU. Le successeur de Ban Ki-Moon ne risque-t-il pas de venir d’Europe de l’Est ? Et puis rien d’autre. Strictement rien d’autre. Je vous jure que c’est vrai. Un naufrage, vous dis-je.

Un bon petit verre de métazachlore

Publié par Charlie-Hebdo je ne sais plus quand, mais il n’y a guère.

Loin dans la belle campagne française – l’Yonne profonde -, on sert à boire au robinet une eau surchargée d’un pesticide dangereux pour la santé. Dans le silence et les filouteries coutumières. En novlangue, il s’agit d’une « variation de qualité ».

Il arrive parfois ce qui va être raconté. On reçoit un mail, on l’oublie deux ou trois heures, et puis on y revient. On commence à trouver cela intéressant. D’un côté, c’est banal. De l’autre, ça raconte bel et bien la façon dont les gens normaux et ordinaires sont traités chaque jour dans l’immense démocratie qui est la nôtre.

Un jour donc, Priscilla Ferte appelle au secours. Elle est maraîchère bio dans un petit village de l’Yonne, Villeneuve-les-Genêts. Elle vient de recevoir un courrier de la SAUR, l’un des grands de la distribution de l’eau. La lettre, datée du 18 février, est un pesant chef d’œuvre. Il s’agit, selon l’objet, d’une « restriction de consommation sur le réseau d’eau potable ». À la suite d’une « variation de la qualité de la ressource en eau », il ne faut plus boire cette dernière, ni laver les légumes ou cuire des aliments avec. Une autre lettre, à suivre, annoncera « un retour à la situation normale ».

Que faire ? Priscilla s’alarme avec quelques autres, et faute de mieux, se tourne vers le quotidien local – L’Yonne Républicaine – pour en savoir plus. Elle apprend ainsi que l’Agence régionale de santé (ARS) a réalisé le 12 février une analyse d’eau dévastatrice. Elle n’en ferait qu’une par an, ce qui laisse de la marge pour les surprises. Environ 2000 personnes des environs reçoivent au robinet une eau qui contient 7,48µg par litre de métazachlore, un pesticide. L’µg est une unité de mesure qui signifie microgramme. Et ce n’est pas lerche, car ainsi que le monde entier sait, un microgramme est un millionième de gramme. Par litre d’eau. Seulement, la limite légale de concentration de métazachlore dans l’eau est de 0, 1 µg par litre, soit 74,8 fois moins. Or, bien que les études manquent – comme c’est étrange -, le métazachlore est dangereux. Très toxique pour les organismes aquatiques, cancérogène suspecté pour les humains, il doit être manipulé « avec des gants de protection appropriés résistant aux agents chimiques » et à l’abri de lunettes de professionnels.

Au Luxembourg, une affaire comparable a eu lieu, presque hilarante. Premier acte en septembre 2014 : on découvre une pollution grave au métazachlore sur un affluent de la Haute-Sûre, rivière qui se jette dans le lac-barrage d’Esch-sur-Sûre, le grand réservoir d’eau potable du Luxembourg. Et l’on se rassure aussitôt en jurant que le risque est nul. Deuxième acte quelques jours après : en vérifiant les effets de la première pollution, on en découvre une autre, chronique, dans le lac. Au métazachlore. Le 3 d’octobre, on décide de ne plus fabriquer d’eau potable à partir du lac-barrage. Le choc ébranle tout le Luxembourg. Par chance, il y a les réserves spéciales, c’est-à-dire les grandes nappes souterraines. Acte trois : une semaine plus tard, de nouvelles analyses montrent que les nappes sont elles aussi polluées par le métazachlore jusqu’à une profondeur de 150 mètres. Et là, panique. La ministre de l’Environnement locale convoque en urgence une conférence de presse, et en l’absence de solutions – faut-il changer toutes les eaux du Luxembourg ? –, les autorités décident que la farce sera grandiose. On met à la poubelle la norme européenne de 0,1 µg par litre, et on la multiplie par 30.

Bien joué. Mais c’est encore très au-dessous de la contamination française de Villeneuve-les-Genêts. N’écoutant que son devoir d’information, Charlie décide alors d’appeler l’ARS de Bourgogne. Il en ressort qu’après une amélioration due à de pauvres parades techniques  – du charbon actif en poudre -, la pollution au métazachlore a recommencé de croître. Notre noble administration de la santé s’est contentée d’un communiqué, estimant que le journal et les visites domiciliaires des élus suffisaient à informer la population. Une fraction de cette dernière n’est pas même au courant des événements courants. Circulons, car il n’y a rien à voir. Ni à savoir. Si, tout de même : le producteur du métazachlore n’est autre qu’un philanthrope bien connu : BASF, géant de l’agrochimie et tueur patenté d’abeilles.

 

Cette mort qui rôde autour de nous

Publié par Charlie-Hebdo je ne sais plus quand, mais il n’y a guère

Selon un lourd document de l’OMS, un quart des morts ont des causes environnementales. On serait tenté d’applaudir – enfin !-, mais c’est finalement un poil plus compliqué. L’agence de l’ONU a de biens curieux moments d’oubli. Alzheimer ?

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) est une grosse mémère, et elle n’a cessé de prendre du poids. Quantité d’États, de structures et encore davantage de bureaucrates l’ont rejointe depuis sa création par l’ONU en 1948. Combien de bataillons aujourd’hui ? 200 pays en font partie, 7000 personnes y bossent, dans 150 bureaux partout dans le monde.

Dernier rapport en date ? Un bastringue intitulé en novlangue onusienne « Prévenir la maladie grâce à un environnement sain: une estimation de la charge de morbidité imputable à l’environnement ». Ça ne fait pas envie, on est bien d’accord. Dans ce gros ragoût de 150 pages en anglais (1), on apprend que 12, 6 millions d’humains sont morts dans le monde en 2012, « d’avoir vécu ou travaillé dans un environnement insalubre ». C’est-à-dire près du quart – 23 % – de toutes les morts de cette même année. Impressionnant.

Cela n’empêche pas de se poser quelques menues questions. L’OMS balance en effet dans son fourre-tout quantité de drôles de chiffres. Par exemple une partie des morts de la route, pour la raison qu’elles sont souvent liées à un mauvais état des routes. Ou des suicides. Ou du paludisme, ce qui est déjà un peu plus raisonnable, même si les auteurs semblent aimer beaucoup l’art de tirer par les cheveux. Et l’on s’en rend mieux compte lorsque l’on entre dans le vif du sujet.

L’OMS retient en effet 1,7 million de morts par cancer chaque année, soit environ 22 % des 8 millions de morts au total. Le choix – c’en est un -, est politique, et revient à minorer le résultat, car un débat mondial fait rage entre au moins deux catégories de scientifiques. D’une part, ceux qui tiennent le facteur environnemental pour second, voire négligeable. En France, leur représentant distingué est le cancérologue David Khayat, de loin le plus militant : selon lui, l’environnement pèse 2% des cancers. D’autre part, ceux pour lesquels les différentes pollutions jouent un rôle décisif. En France, le cancérologue Dominique Belpomme préside l’association Artac, qui diffuse des informations et des chiffres très éloignés des statistiques officielles (2). En 2004, l’Appel de Paris qu’il avait initié déclarait dès son article 1 : « Le développement de nombreuses maladies actuelles est consécutif à la dégradation de l’environnement ». Au sens large – la définition fort vague retenue par l’OMS – 60 à 70 % des cancers auraient une origine environnementale. Y a donc de la marge.

Le rapport contient beaucoup de chiffres importants, qui pourraient servir de base à de vraies politiques de santé, mais présentés ainsi, ils ont toute chance de passer inaperçus. D’ailleurs, qui en parle ? C’est peut-être un hasard complet, mais de même que toutes les institutions onusiennes, l’OMS est soumise à des politiques d’influence systématiques menées par des lobbys industriels de mieux en mieux organisés.

On citera pour mémoire trois cas bien documentés. Un, l’accord signé en entre l’OMS et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) le 29 mai 1959, implique des règles de confidentialité stricte qui ont permis de proprement ligoter la première et de probablement dissimuler des faits gênants pour la nucléocratie. Deux, l’incroyable cadeau fait par l’OMS aux laboratoires pharmaceutiques, sur fond de virus H1N1 – la grippe aviaire -, dénoncé ouvertement par le Conseil de l’Europe (« De graves lacunes ont été identifiées en ce qui concerne la transparence des processus de décision liés à la pandémie »).

Et enfin les liens viscéralement pourraves noués entre l’OMS et le plus grand des lobbys de l’alimentation industrielle, The International Life Sciences Institute (Ilsi). Ensemble, ces si braves personnes avaient décidé de définir des normes internationales de protection des pauvres pékins que nous sommes (3). L’alimentation industrielle ? Tiens, l’OMS n’en parle pas dans son plantureux document.

(1) http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/204585/1/9789241565196_eng.pdf?ua=1

(2) www.artac.info/fr/prevention/prevention-environnementale/l-origine-environnementale-des-cancers_000126.html

(3) Voir notamment Un empoisonnement universel, Les Liens qui Libèrent (2014)