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Chimie, pesticides, air, pollutions en tous genres

Comment qu’ça va, au fait ?

Chers tous, je n’écris plus guère ici, pour le moment en tout cas. Je suis comme vous, je pense, sauf que la Grande Tuerie du 7 janvier 2015, au siège de Charlie, m’a valu trois balles dans le corps. Je suis dans un moment particulier, où il me faut admettre que je suis diminué, probablement à jamais, ce qui n’est pas bien rigolo. À quoi il faut ajouter les douleurs. Celles qu’on appelle des séquelles. Celles, nouvelles, qui sont venues après une chute d’anthologie dans des escaliers. Pas rigolo, non.

Les attentats du 13 novembre. J’ai un point de vue simple : il faut circonscrire ce vaste incendie. Quand cela brûle beaucoup en un lieu, il faut bien faire la part du feu. Qui consiste à distinguer ce qui est perdu et ce qui doit être absolument sauvé. Le 13 novembre est un jour d’épouvante pour toutes les victimes et leurs familles, ce qui fait du monde. Nous leur devons une solidarité sans trêve, une compassion sans faille, une fraternité sans limite. Mais il est en même temps malsain et insupportable que dix tueurs semblent mettre à genoux un pays de 65 millions d’habitants.

Vous verrez ici, dans quelques jours, ce que j’ai écrit dans le Charlie en vente cette semaine. Je ne peux avant, pour la raison évidente que je dois à ce journal une sorte d’exclusivité provisoire. Mais je peux d’ores et déjà dire que la confusion mentale atteint de bien surprenantes dimensions. Voyez donc le cas extrême de Michel Onfray, qui donne au journal Le Point de cette semaine un entretien insupportable de sottise. Je précise que j’ai longuement étrillé le même dans un Charlie d’il y a quelques semaines, ce qui m’a valu un grand nombre de lettres indignées. Indignées par mon ton et mes accusations. Vous pourrez juger sur pièces, car je vous mets ci-dessous, après ces quelques mots, la copie de ma longue gueulante.

Revenons-en aux attentats, et à Onfray. Il demande à la France de cesser sa « politique islamophobe » et utilise l’expression « Islam politique » pour parler des tueurs de Daech. Son point de vue est clair : les islamistes armés sont les représentants d’un peuple qui « est celui de la communauté musulmane planétaire, l’oumma ». Or donc, 1, 7milliard de Musulmans, répartis dans des dizaines de pays formeraient un seul ensemble, soudé par la religion. Parmi eux, des contrées comme le Mali ou la Libye, qui souhaitaient seulement décider librement de leurs choix politiques avant que nous n’intervenions en violation des lois internationales.

Ma foi. Que dire ? Onfray me fait penser à ces générations de faux intellectuels qui ne surent comprendre en temps réel les totalitarismes du siècle passé, c’est-à-dire les fascismes et les stalinismes. Oh ! maintenant que tout est passé, il est facile de traiter Hitler et Staline de monstres, mais je parle du temps réel, quand les événements se produisent. Et de ce point de vue, Onfray nous montre que sa pauvre philosophie l’empêche surtout de voir ce qui crève les yeux pourtant : Daech est précisément une forme nouvelle de totalitarisme, qui menace d’asphyxie et de mort certaines sociétés musulmanes, et probablement les nôtres. On ne combat efficacement un tel spectre qu’en produisant de vraies valeurs morales, et non pas la pacotille vendue à chaque coin de rue, sous forme de publicités dégoulinantes et d’hymnes à l’hyperconsommation perpétuelle.

En résumé : d’abord une vision, ensuite du courage, du courage, du courage.

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Ci-dessous, le long papier sur Onfray publié par Charlie. Ceux qui auraient envie de me chercher sur ce terrain doivent savoir que j’ai eu ma dose. On a tout à fait le droit de ne pas aimer ma prose, et de défendre Onfray. Mais comme j’en ai plein les bottes, sachez que je ne supporterai pas ici, qui est un peu chez moi, de commentaires trop haineux. Cela se trouve, oui.

Onfray, je te dis merde

Je te tutoie, Onfray, car après tout, ne sommes-nous pas frères de classe ? J’ai grandi dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Seine-Saint-Denis, où j’ai habité quelques riantes cités maudites, comme celle des Bosquets, à Montfermeil. Je te la conseille.
Mon vieux, Bernard, était un de ces prolos qui bossaient 60 heures par semaine, samedi compris, donc. Mais comme il est mort quand j’étais gosse, d’épuisement j’imagine, il s’est en finalement bien tiré. Les cinq mioches de la famille ont alors plongé dans le pittoresque quotidien du sous-prolétariat. Ma mère, quand elle travaillait chez Kréma comme OS, pleurait le dimanche soir à l’idée d’y retourner le lundi. On achetait notre bouffe à crédit, utilisant un mot que toute notre banlieue connaissait : à croume. On vivait à croume, toute l’année, toute la vie. À crédit.
Cela pour te dire que tes innombrables trémolos à la gloire de ton père ouvrier agricole et de ta mère femme de ménage ont fini par me faire chier. Tu n’es pas le seul fils de pauvre sur cette Terre, mon gars. Mais chez moi, on révérait la Résistance antifasciste, le combat armé contre la peste brune, la détestation de tous ces salopards repliés aujourd’hui dans le Front National. Oui, je sais, ça fait drôle.
Mais ce n’est encore rien, car il y a bien mieux au programme. Définition de l’imbécile : « Qui est peu capable de raisonner, de comprendre et d’agir judicieusement ». Ben mon corniaud. Pour ne prendre qu’un exemple, Bové. En 2007, voilà que tu soutiens sa candidature à la présidentielle, avant de te raviser in extremis, pour la raison que le moustachu fait des OGM un « combat monomaniaque ». Eh ! personne ne t’avait donc mis au courant ? Tu rallies aussitôt la candidature Besancenot, qui deviendra plus tard, à tes yeux, le (lieu)tenant d’une secte. Rions un peu : toi qui ne condamnes pas le capitalisme, mais seulement sa forme libérale, soutenir un Besancenot (1) !  La même farce se produit quelques années plus tard avec le Front de Gauche, d’abord encensé, puis expulsé sans ménagement vers tes proliférantes ténèbres extérieures. Je gage que tu aurais aimé ce vieux canasson d’Edgar Faure, aussi insaisissable que le vif-argent, qui répétait souvent cette phrase dont il était l’auteur : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. »
Mais ce n’est encore rien, car tu es l’homme des records. Tu es radieusement pour l’atome, les OGM et la transgénèse, la science et la technique les plus débridées. Citation de 2006 dans un hors-série du magazine Éperon : « L’opinion publique est toujours en retard sur la pointe avancée de la recherche scientifique (…)  Il faut que les chercheurs et les scientifiques pratiquent avec audace, à rebours de l’actuelle religion du principe de précaution qui est surtout très utile pour immobiliser tout, entraver la recherche et empêcher le progrès ». L’audace, évidemment. La liberté pleine et entière pour ceux de la chimie de synthèse, du nucléaire, du clonage, du transhumanisme. Tu me fais penser à cette baderne de Napoléon, qui allait répétant au matin des grands massacres : « On avance, et puis on voit ». Et on a vu, n’est-ce pas ?
Je ne résiste pas à l’idée de charger encore ta lourde barque. Sur le nucléaire (In Fééries anatomiques, Grasset) : « Les peurs dues au transgénisme ressemblent à s’y méprendre à celles qui accompagnèrent la naissance de l’électricité ou du chemin de fer, voire de l’énergie nucléaire – qui rappelons-le, n’a jamais causé aucun mort: Hiroshima et Nagasaki, puis Tchernobyl procèdent du délire militaire américain, puis de (…) soviétique, en aucun cas du nucléaire civil en tant que tel.» Ce que c’est qu’un philosophe, qui recopie mot pour mot les communiqués de l’Agence internationale de l’énergie atomique.
Mais tu es aussi un excellent imitateur. De Claude Allègre ? De Laurent Cabrol, l’immense présentateur météo ? Citation tirée de ton blog, publiée en mars 2012 : « Je ne sache pas que les tenants écologistes du tri sélectif, (…) les faucheurs d’OGM et autres opposants aux nanotechnologies (…) refusent la chimiothérapie quand, pour leur malheur, un cancer s’abat sur eux. Or ces médicaments terribles ne se fabriquent pas comme des tisanes de persil ou des décoctions d’échalotes… »
Le seul mot qui me vienne à l’esprit est celui de scientisme, dans son acception la plus ringarde. Cher grand et magnifique rebelle de poche, tu es un scientiste. Les plus imaginatifs de cette véritable secte – qui ne mourra jamais, dors tranquille –pensent que le pouvoir devrait revenir aux grands Sachants que sont les scientifiques, ceux qui cherchent et trouvent. Les seuls au fond qui changent réellement le monde, pas ? Tout le vingtième siècle est rempli d’hymnes niais au « progrès » technique et scientifique.

Que la technoscience ait empoisonné tous les milieux de la vie par la chimie, jusqu’à la rosée du matin, ne compte pas. Qu’elle ait imaginé l’atome et des radionucléides capables de frapper pendant des centaines de milliers d’années, pas davantage. Qu’elle change le monde en une vaste prison surveillée numériquement, jusqu’au moindre déplacement, et c’est encore un bienfait. Ton scientisme est d’évidence un mythe, celui de l’alliance – supposée vertueuse – entre la raison et la science, entre l’esprit et la technique. Cette pauvre pensée est incapable de saisir le neuf, incapable de comprendre les points de rupture et de basculement, incapable en conséquence de proposer la moindre perspective.
Cette idéologie concentrée a grand besoin des écologistes, autre nom des charlatans et des obscurantistes, pour resplendir. Eux, ces grands Hommes, maintiendraient dans la tempête la flamme des Lumières. Pathétique ? Oui, je dois avouer que je trouve cela pathétique. Des hommes qui ont eu le privilège insigne d’étudier, de réfléchir, de s’informer, acceptent de faire la courte échelle à une entreprise de destruction organisée du monde existant.
Mais ce n’est encore rien, car avec toi, les limites ordinaires sont chaque jour pulvérisées. Il paraît que le journal Marianne a loué le palais de la Mutualité pour toi seul, le 20 octobre.  Tu devrais y réunir tes amis Régis Debray, Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner, Jean-François Kahn, et l’inusable culotte de peau Jean-Pierre Chevènement. Ma foi, tu vises haut ! Tant de grands noms, tant de braves gens ! Il est sans doute d’autres liens entre eux, mais celui qui me saute aux yeux est celui de franchouillardise. Ces grandioses intellectuels sont tous obsédés par ce minuscule territoire que le hasard nous fait habiter.
J’en ai bientôt fini. Toi, qui serais un grand philosophe, ne trouves aucun mot, aucune idée à apporter au seul débat politique, moral et philosophique qui tienne. Je veux évidemment parler de la crise écologique planétaire, dont tu ne sais rien, car cela commanderait cette fois de penser sans filet, ce qui peut faire mal au cul lorsque l’on tombe.

Ta petite personne – et la mienne – sommes les contemporains de la sixième crise d’extinction massive des espèces, mais tu t’en tapes. Les sols agricoles disparaissent par érosion ou sont empoisonnés pour des décennies ou des siècles par la chimie de tes amis techniciens, mais tu t’en cognes. La vie sous les eaux et ses équilibres vieux de millions d’années est atteinte par la pêche industrielle et les filets de 100 kilomètres de long parfois, mais tu t’en fous. Les forêts sont cramées pour en faire des étagères ou des allumettes, l’élevage industriel a changé les animaux, compagnons de dix millénaires, en tristes chairs martyrisées, les fleuves sont devenus partout sur Terre des dégueuloirs pour nos orgies de consommation, mais tu arranges ta mèche et cherches le meilleur profil possible. Hum. Comment te dire ?
Et puis ce foutu dérèglement climatique, bien sûr. Qui rebat toutes les cartes. Qui menace toutes les sociétés humaines de dislocation. Cette seule question, par-delà l’angoisse qu’elle renferme, pourrait être pour un philosophe une occasion unique de repenser le monde dans sa totalité. Voilà qui devrait passionner. Mais il faudrait pour cela quitter cette France fantasmatique et dérisoire qui te dispense tant de ronds de serviette à la rédaction des gazettes et des télés. Il faudrait prendre le large. Il faudrait devenir un penseur de l’humanité. Tu préféreras toujours les couvertures du Point et les interviews sur TF1.
Ce n’est encore rien, car ce ne sera jamais assez. Toi et le Front National. Je ne t’accuse pas d’en être, car tu es bien trop adroit pour cela. Mais il ne fait aucun doute que lorsque tu trouves excellente l’idée d’unir les souverainistes de droite et de gauche, Marine Le Pen comprise, tu travailles à l’égal d’un sapeur qui mine un barrage sur la Volga. Tu prépares – en conscience je l’espère – une crue dévastatrice des eaux les plus brunes. Vois-tu, arrivé là, je me dois de l’avouer : tu me dégoûtes.
Tu me dégoûtes d’autant plus que je continue, moi, à penser aux pauvres. Pas seulement à mon père parce qu’il serait mon père. Aux pauvres de ce monde en furie. Au milliard d’affamés chroniques, « ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire ». Au milliard d’habitants des slums, favelas, bustee ou townships de cet inframonde dont tu ne dis jamais un mot, toi le si grand esprit. Au milliard de réfugiés climatiques que nous prépare l’avenir.
En réalité, je crois que tu appartiens à cette gauche d’épouvante qui envoya à la mort des millions de jeunes prolos et paysans de 1914. Qui ne bougea pas un orteil lorsque les impeccables chemises brunes et noires ont commencé d’habiter les rues. Qui mena les guerres coloniales que l’on sait, pour sauver cette soi-disant « France, de Dunkerque à Tamanrasset ». Il y a encore quelques personnes, au coin du bois, qui rêvent d’un monde sans chefs ni patrons, sans patrie ni frontières. Et parmi eux, moi. Moi qui t’emmerde autant qu’il m’est possible, Onfray. Moi qui te dirai merde sans jamais me lasser.

(1) Onfray est fatigué d’entendre « les vieilles scies militantes d’hier et d’avant-hier : cosmopolitisme des citoyens du monde, fraternité universelle, abolition des classes et des races, disparition du travail et du salariat, suppression du capitalisme, pulvérisation de toutes les aliénations, égalitarisme radical ». In L’Archipel des comètes, Grasset.

Merci aux textes de Bertrand Louart, qui m’ont apporté de précieuses informations.

À l’attention des malheureux non-lecteurs de Bidoche

Bonjour. Pour ceux qui suivent, les balles des frères Kouachi continuent leur sale besogne. Je suis entre deux eaux, parfois entre deux vins. Souvent. Mais que voulez-vous ? Ces derniers jours – ce matin encore -, j’ai été sollicité par des radios et des télés pour venir parler de viande. Vous n’ignorez sans doute pas que l’OMS, via le CIRC, vient de classer la charcuterie parmi les cancérogènes avérés et la viande rouge parmi les cancérogènes probables.

J’ai refusé toute invitation. D’une part, je suis loin de Paris, face à la mer. De l’autre, je me souviens quand même d’avoir publié il y a six ans le livre Bidoche (L’industrie de la viande menace le monde). Je ne crache pas au visage de ceux qui découvrent la Lune, car la compréhension du réel demande du temps. Mais franchement, je ne me sentais pas d’aller faire le guignolo après avoir écrit ce qui suit. Qui est un (gros) extrait du chapitre 11 de mon livre, intitulé Et si ça fichait le cancer ?

BIDOCHE (Cette version n’est pas le texte définitif imprimé, et il a pu subir quelques corrections)

Peut-on manger de la viande en toute tranquillité ? Ne risque-t-on pas d’attraper au passage toutes sortes de cochonneries, dont ce si vilain cancer ? Curieusement, il n’y a pas de vrai suspense : la réponse est oui. Oui, il faut faire attention. Oui, cela peut devenir dangereux. Et voici pourquoi.

Sommes-nous protégés ? Les effets de la viande sur notre santé sont-ils bien évalués ? Aux États-Unis, on ne s’embête pas pour si peu de chose. On a le droit d’être industriel du porc ou du bœuf, puis de faire de la politique, et retour. Voyons de plus près le sanguinolent exemple de deux secrétaires d’État à l’Agriculture – des ministres – sous la direction avisée de Ronald Reagan. Nous sommes en 1981, et l’ancien acteur, qui vient d’être élu, nomme son ministre des Affaires agricoles, John R. Block. Au cours de l’audition publique précédant sa prise de fonctions, cet éleveur industriel de porcs de l’Illinois déclare sans manières : « Je ne suis pas sûr que le gouvernement doive dire aux gens ce qu’ils doivent ou non manger. »

Et pour mieux se faire comprendre, il supprime l’une des agences du ministère chargées de la santé, le Human Nutrition Center. Après son départ en 1986, il continuera son bonhomme de chemin, devenant président du Food Marketing Institute – est-il besoin de traduire ? – et conseiller avisé, pour cause, d’une coalition de porchers américains, la Pork Trade Action Coalition (PTAC), dont la fière devise est : « Don’t tax our pigs ! »

Lee Harding, colosse à terre

En 1986, Ronald Reagan, dont il n’a échappé à personne qu’il a le même prénom que la mascotte de McDo, embauche un nouveau ministre : Richard Lyng. Pas tout à fait nouveau, car Lyng a été sous-secrétaire d’État, sous les ordres de Block, entre 1981 et 1986. Et, avant cela, un gros paysan industriel comme les aime tant l’Amérique. Mais pas seulement : de 1973 à 1979, Lyng a aussi été président de l’Institut américain de la viande, le plus grand lobby de la bidoche outre-Atlantique.

Reposons la question de départ, en la modifiant un peu : les Américains sont-ils bien protégés contre d’éventuels effets de la consommation de viande ? Ce n’est pas si sûr. Ouvrons une étude parue aux États-Unis en 1996, publiée cet USDA (United States Department of Agriculture, soit le ministère de l’Agriculture) qu’ont dirigé Block et Lyng[1]. Aïe, aïe, aïe ! La dérégulation chère au cœur des ultralibéraux ne semble pas avoir réglé tous les problèmes. Sur 600 échantillons de viande de bœuf analysés selon une méthodologie fiable, 7,5 % contenaient des Salmonella, 11,7 % des Listeria monocytogenes, 30 % des Staphylococcus aureus et 53,3 % des Clostridium perfringens. Tous ces microbes sont pathogènes chez l’homme et certains sont responsables d’empoisonnements mortels. Cette même étude montre que 78,6 % des échantillons sont souillés par des microbes du type Escherichia coli du biotype 1, qu’on trouve dans les excréments.

C’est bien là que l’histoire bascule. Point de départ : Lee Harding. L’homme est un colosse de 1,85 m pour 100 kilos, et, en ce 11 juillet 1997, quand il est pris de crampes abdominales, il ne s’affole pas. Il a tort. Atteint de diarrhées sanglantes, il pense qu’il va mourir et passe plusieurs journées d’enfer. On résume : des analyses montrent la présence dans ses selles d’une bactérie affreuse, Escherichia coli O157:H7. En 1982, à la suite de deux épidémies de colite hémorragique aux États-Unis (dans l’Oregon puis dans le Michigan), les services sanitaires avaient trouvé le responsable : des hamburgers insuffisamment cuits vendus dans un fast-food. Par la suite, une souche d’Escherichia coli d’un nouveau type, le O157:H7, avait été isolée. Lee Harding a été frappé par cette bactérie singulière. La piste mène à l’usine de Colombus de l’entreprise Hudson Foods, qui prend peur et rappelle la bagatelle de 11 300 tonnes de bœuf.

La vérité commande de dire que l’événement est banal. Car, selon des estimations officielles rapportées par le journaliste américain Eric Schlosser dans un best-seller[2], 200 000 Américains sont chaque jour contaminés par des bactéries présentes dans la nourriture. Par jour ! En un an, plus d’un quart de la population souffre d’une intoxication alimentaire. Chaque jour, 900 personnes sont hospitalisées et 14 meurent. Chaque jour !

Toutes les bactéries ne viennent pas de la viande. Et toute la viande ne sert pas à fabriquer des hamburgers. Mais au pays de McDo et de Burger King, il vaut mieux réfléchir à deux fois avant de s’arrêter devant une grande enseigne de restauration rapide. En 1993, 700 personnes qui avaient consommé des hamburgers Jack in the box ont été contaminées par Escherichia coli O157:H7, et 4 en sont mortes.

L’étonnant est peut-être qu’il n’y en ait pas davantage. Jusqu’en 1997, en effet, 75 % du bétail américain mangeait des déchets ovins et bovins, et des millions de chats et de chiens achetés à bas prix faisaient aussi partie de la diète d’animaux herbivores. Une étude datant de 1994[3] rapporte que les éleveurs de l’Arkansas récupéraient 1 000 tonnes par an de litière et de déjections de poulaillers industriels pour en nourrir ensuite le bétail. Oui, les consommateurs s’en sortent bien. Car en réalité, et compte tenu des modes de fabrication, un hamburger contient de la viande provenant de dizaines, voire de centaines d’animaux.

Et la France, dans tout ça ?

Recommençons comme si de rien n’était : sommes-nous bien protégés ? En France, cela va de soi ! Lors du plan de surveillance 2006, 796 prélèvements ont été réalisés sur l’ensemble du territoire pour traquer Escherichia coli O157:H7. Et on n’a rien trouvé. Sur des millions de morceaux de viande. 796 prélèvements. On peut donc être soulagé d’un fardeau : la bactérie n’existant pas, elle ne peut tuer personne chez nous. Oui, c’est vrai, cela peut aussi faire penser au nuage de Tchernobyl, qui avait eu le bon goût de s’arrêter à la frontière allemande. Disons que nos bovins tricolores ne mangent pas de ce pain-là, et passons.

Passons, mais non sans avoir salué comme il se doit Henri Nallet, ci-devant ministre de l’Agriculture de France – de 1985 à 1986, puis de 1988 à 1990 – après avoir été en 1981 conseiller du président Mitterrand pour les questions agricoles. Pourquoi diable parler de lui ? Mais parce qu’il connaît admirablement le dossier, voilà tout ! Nallet a été membre du grand syndicat paysan, la FNSEA, dès les années 60, puis chargé de mission du même entre 1966 et 1970, ce qui tisse des liens.

Cet excellent homme n’a pas tout perdu en passant par la FNSEA. Le lobby, ma foi, il connaît. En 2000, Jacques Servier, patron d’un laboratoire pharmaceutique qui porte son nom, le recrute pour l’aider à favoriser les autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments. Servier est proche de la droite dure, mais cela n’indispose pas le moins du monde Nallet, qui met son carnet d’adresses au service de l’industriel.

L’industrie pharmaceutique est au service des malades, non ? Voyons quand même le cas de la transnationale Pfizer, leader mondial de la pharmacie. Fondé en 1851 aux États-Unis, le groupe s’est étendu au reste du monde après 1950 et compte aux alentours de 100 000 salariés. Avant la crise boursière commencée à l’automne 2008, sa capitalisation frôlait les 220 milliards de dollars américains. Même le monde des animaux n’est pas inconnu du grand philanthrope. Pfizer est également numéro un mondial du médicament vétérinaire. Une bonne adresse.

Chez nous, Pfizer Santé animale[4] s’installe en 1954, et propose aux vétérinaires dès 1957 un formidable antibiotique, la terramycine. Une usine est ouverte à Amboise (Indre-et-Loire). Dans la foulée, une gamme antihelminthique – vermifuge – destinée aux bovins, ovins, caprins et porcins est lancée. Viennent ensuite Mécadox, facteur de croissance du porc, l’antibiothérapie Longue Action, pour traiter en une seule injection les porcs et les bovins, le diffuseur Paratect, contre les parasites, Dectomax, un endectocide – autre antiparasitaire – de deuxième génération… D’autres produits se répandent un à un : Rispoval 3, Orbeseal, Draxxin, Pregsure BVD, Rimadyl Bovins, Rispoval Intranasal, Naxcel, Stellamune mono-injection…

Bref, les animaux sont en de bonnes mains. Pfizer les aime presque autant que les humains. Mais, le 14 mars 2009, un événement inouï se produit aux États-Unis, la mère patrie de Pfizer. Mme Jane Albert, porte-parole du Baystate Medical Center de Springfield, dévoile une fraude géante dans les travaux d’un des plus célèbres anesthésistes du pays, Scott Reuben.

Scott Reuben l’inimitable

Reuben ! Celui qui a écrit des dizaines d’articles sur l’analgésie dite « multimodale », pour soigner les douleurs post-opératoires. L’habitué des revues médicales les plus prestigieuses, comme Journal of Clinical Anesthesia, Anesthesiology, Anesthesia and Analgesia, toutes dotées de comités de lecture rigoureux !

Aussitôt appelé « le Madoff de la recherche médicale », Reuben trafique depuis de longues années. Ses études sont bidonnées, ses essais inventés, ses malades n’ont pas existé. Mais il était le roi, et comme tel choyé par tous. Depuis qu’il est à terre, les langues se délient, et l’un de ses collègues s’étonne aujourd’hui, mais un peu tard, que Reuben, en quinze ans de « travaux » sur la douleur, n’ait jamais obtenu que des résultats positifs.

Bon, un truand. Et alors ? Et alors Pfizer. Cette noble entreprise a été le principal sponsor des « études » Reuben depuis 2002 et l’a payé, car il passe bien à la télé, pour vanter en public la qualité de médicaments Pfizer provenant directement des « recherches » Reuben. Bien entendu, on peut toujours croire que la bonne foi de Pfizer a été prise en défaut. Mais pas si vite. En 2004 déjà, la transnationale a été condamnée à payer 430 millions de dollars pour la promotion de la gabapentine. Ce médicament, destiné à soigner l’épilepsie, était au passage commercialisé, sans indications étayées, pour la douleur, les troubles psychiatriques, la migraine. Ce qui peut rapporter très gros.

Par ailleurs, dans un article publié en septembre 2008 dans la revue JAMA[5], Marcia Angell, professeure à Harvard, décrit un système devenu incontrôlable. Incontrôlable par nous. Voici le début de ce texte éclairant : « Au cours des deux dernières décennies, l’industrie pharmaceutique a acquis un contrôle sans précédent sur l’évaluation de ses propres produits. Les firmes pharmaceutiques financent désormais la plupart des recherches cliniques sur les médicaments d’ordonnance. Et les preuves qui s’accumulent indiquent qu’elles falsifient fréquemment la recherche qu’elles sponsorisent. »

Ce n’est déjà pas mal. Voici la suite : « Compte tenu des conflits d’intérêts qui imprègnent la démarche de recherche clinique, il n’est pas surprenant d’apprendre qu’il existe des preuves solides du fait que les résultats de la recherche sponsorisée par les firmes sont favorables aux médicaments des commanditaires. Cela s’explique d’une part par la non-publication des résultats défavorables, et d’autre part par le fait que les résultats favorables font l’objet de publications répétées, sous forme à peine différente. Sans parler de la réécriture, qui fait paraître sous un jour favorable même des résultats négatifs de la recherche sur un médicament. »

Jean-Marie Bourre, l’ami des charcutiers

 Voilà le contexte. Revenant à nos moutons et à nos cochons, on commencera par un propos instructif des cardiologues Michel de Lorgeril et Patricia Salen, du CNRS. Leur réputation est grande dans la profession, et en cette fin 2006 ils sont très en colère. Leur courroux porte un nom : Jean-Marie Bourre, qui a obtenu en août un grand entretien dans Le Monde 2. Comme ce cas sera largement traité ailleurs (voir le chapitre 14), n’y insistons guère. Bourre, sans le dire bien sûr, est président du Centre d’information sur les charcuteries (CIC), membre du Comité scientifique du pain, président du Comité scientifique de l’huître, président du comité scientifique du Comité national pour la promotion de l’œuf, entre autres. Et il dit dans l’article tout le bien qu’il faut penser de ces goûteux aliments. Notamment les charcuteries. Parce que c’est bon pour la santé, dont celle du cerveau. Évidemment.

Seuls des grincheux oseront protester, et ils seront rares. Parmi eux, donc, Michel de Lorgeril et Patricia Salen. Que déclarent-ils sur le site LaNutrition.fr ? Des choses affreuses sur le bon docteur Bourre : « On ne peut qu’être surpris par l’arrogance des propos et le caractère insultant des admonestations de notre confrère ! En faisant court et simple : les nutritionnistes quand ils sont prudents sont des “terroristes” et les végétariens sont tous des “crétins”. » Hum… Terrible, non ? Mais il y a pire, que voici : « Mais monsieur Bourre n’est pas dangereux seulement de façon primaire (en risquant de conduire certains patients à revenir à des pratiques nutritionnelles dont on connaît la dangerosité), il l’est aussi parce qu’en allant totalement à l’encontre des recommandations prudentes de nombreux praticiens, et avec une casquette de scientifique, il accrédite l’idée déjà trop répandue que médecins et scientifiques racontent n’importe quoi à propos d’une nutrition qui protège la santé et passent leur temps à se contredire. Toute la profession est ainsi discréditée et amalgamée à de nauséabonds conflits d’intérêts ! »

Après cette terrible accusation, clap. Non de fin de partie, mais de scène. On a compris qu’il existait différents points de vue sur l’indépendance des chercheurs et l’honnêteté des laboratoires et institutions qui les paient. Ce n’est pas indifférent quand il s’agit de se pencher sur les liens entre consommation de viande et santé humaine.

Mais avant tout, et pour éviter des critiques sans objet, passons directement à l’aveu. Il n’y a pas de preuve. Non, il n’existe aucune preuve absolue des liens de cause à effet entre consommation de viande et maladie. Tout simplement parce que ce genre de prouesse technique n’appartient pas à l’univers de la médecine nutritionnelle. Les lobbies jouent donc sur du velours. Eux se moquent bien de science : il leur suffit de jeter le trouble, et de gagner du temps.

Il s’agit d’une astuce bien connue, déjà à l’œuvre dans l’affaire de l’amiante. En dehors du mésothéliome, cancer de la plèvre et marqueur certain de la fibre cancérigène, tout reste sujet à discussion. Et à contestation. On sait que des milliers de personnes meurent chaque année en France des suites d’une exposition à l’amiante, mais des centaines de procès sont en cours où les avocats patronaux contestent et ratiocinent. Tel ouvrier ne fumait-il pas ? Tel autre ne levait-il pas le coude ? Après des combats homériques – homériques, oui –, notre République a accepté ce qu’on appelle la « présomption d’imputabilité ». Ce n’est pas à la victime de faire la preuve que l’amiante a provoqué chez elle asbestose ou cancer broncho-pulmonaire. C’est à la partie adverse – essentiellement le patron – de démontrer que travailler au contact de l’amiante n’a pas causé la maladie.

Il ne faut pas oublier, pas même une seconde, qu’il n’a jamais été totalement prouvé que la fumée des cigarettes provoque le cancer du poumon. Mais la multitude d’études répétées se validant les unes les autres autorise depuis des décennies à considérer le tabac comme un serial killer. À juste titre, bien entendu.

Des études par centaines

Concernant la viande, les études sont nombreuses et concordantes, mais il est clair que les esprits ne sont pas tout à fait mûrs pour l’entendre. Toutes choses égales par ailleurs, on a le sentiment d’être à la fin des années 60 face au tabac. Quand coexistaient le cow-boy Marlboro et les premiers cris d’alerte organisés. Ce n’est pas une raison pour rester les bras croisés. Voyons de plus près quelques données, parmi des centaines à notre disposition. Toutes les maladies ne sont pas évoquées, pour des raisons évidentes de place disponible.

(…)

À propos du cancer, on se dispensera volontairement d’une énumération. Laquelle serait vraiment trop longue. Sachez qu’un grand nombre de cancers ont un ou plusieurs liens avec la consommation de viande, rouge surtout, et de charcuteries. Et n’écoutez pas ceux qui ont intérêt à nier cette évidence. Un travail complet peut être évoqué qui met les pendules à l’heure – et elles en ont bien besoin. Il concerne en deux études un seul et même cancer, celui du côlon, qui est tout de même le troisième cancer le plus fréquent au monde. Une étude menée par le réseau Epic (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition) sous la direction d’Elio Riboli a été publiée en 2005.

Impressionnante par son ampleur – 521 000 individus suivis –, elle montre sans détour que la viande rouge est un facteur important de la survenue de ce cancer, qui touche 36 300 Français de plus chaque année. Un Français sur 25 a ou aura un jour un cancer du côlon, ce qui n’est pas rien. Or, dans l’étude Epic, les plus gros consommateurs de viande rouge de l’échantillon augmentent de 35 % leur risque de développer cette maladie par rapport à ceux qui en consomment le moins. Et ce n’est pas tout. Une autre étude, parue en août 2007 dans la revue JAMA, montre qu’une alimentation trop riche en viande rouge et en graisse saturée multiplie par trois le risque de récidive et la mortalité liée au cancer du côlon ! Vous en reprendrez bien un peu, n’est-ce pas ?
Sur un plan général, le débat scientifique porte désormais sur la quantité de viande à ne pas dépasser. Au fil des années, un consensus s’est en effet formé autour d’une idée simple : il faut impérativement diminuer sa consommation. Quatre exemples éclairants, concentrés sur un peu plus d’une année, suffisent à situer les enjeux. À l’automne 2007, le World Cancer Research Fund International (WCRF International), qui fait autorité, publie des recommandations générales pour éviter le cancer. L’une d’elles est sans appel : il faut limiter sa consommation de viande rouge (bœuf, porc, agneau) ainsi que de viandes transformées, c’est-à-dire fumées, séchées, salées. Le bacon, le salami, les saucisses sont visés. Une citation en particulier : « Il existe une forte preuve que la viande rouge et les viandes transformées sont des causes du cancer colorectal, et toute quantité de viande transformée est susceptible d’augmenter le risque. »
En décembre 2007, les résultats d’une très vaste étude, portant sur 500 000 personnes suivies entre 1995 et 2003, sont publiés dans PLoS Medicine, une grande revue scientifique. De nouveau, il est dit que la consommation de viande rouge et de viandes transformées aggrave les risques de cancer. Les gros mangeurs de viande rouge et de charcuterie ont plus de risques de souffrir d’un cancer colorectal et des poumons, mais aussi de la prostate. La viande rouge est en outre associée à un risque de cancer de l’œsophage et du foie, et les charcuteries et viandes fumées à un risque de cancer de la vessie et des os.

 

Hollande et la haine (bonhomme) du vivant

Mais quel président ! Dieu du ciel, quel petit personnage ! Je vous invite à lire l’entretien que François Hollande a donné au Chasseur français de novembre. Merci à Raymond Faure de m’en avoir adressé la copie, que vous lirez ci-dessous. Peut-être est-ce un peu en désordre, et je plaide de toute façon coupable, car j’atteins vite mes capacités techniques. N’importe, non ?

Le fond de l’affaire est tragicomique. Notre président est là en campagne électorale, et adresse tous les mamours du monde au million de chasseurs français, dont la plupart enverront bouler, quoi qu’il arrive, les candidats de notre maître provisoire. Or donc, on apprend de la bouche élyséenne que les chasseurs aiment et protègent la nature et que les zadistes ont fait de la France un « terrain d’exercice de groupes venus de loin et qui contestent l’idée même de progrès ». Tout est rose, dans le propos présidentiel, aussi rose que la peau des cochons industriels farcis d’antibiotiques. Le système agro-alimentaire est parfait, c’est la saison des cèpes, notre vin est somptueux, etc. Ses conseillers lui ont inspiré les réponses les plus imbéciles qui soient, mais à la vérité, ce sont visiblement celles qui viennent spontanément aux lèvres de Hollande. Pouah !

Une mention pour sa diatribe contre les Loups. L’espèce est protégée – dommage, hein ? -, mais comme ce vilain animal se multiplie et s’attaque aux moutons – ce que ne font pas les abattoirs, n’est-ce pas ? -, eh bien, il faut buter les surnuméraires. On a compris que l’heure du massacre avait une nouvelle fois résonné dans les campagnes, et que la tuerie serait menée à son terme grâce à l’aide professionnelle des chasseurs. Voilà un type qui demain, se lancera dans des discours pareillement préfabriqués sur la biodiversité et la crise climatique. Jocrisse, va !

Un dernier point personnel : lorsque j’étais sur mon lit d’hôpital, après avoir reçu trois balles des frères Kouachi, j’ai reçu un appel téléphonique de François Hollande. J’avais envisagé de le voir, mais d’évidence dans un moment d’égarement, car je n’ai évidemment rien à lui dire. Et au fond de moi, je ne suis pas peu fier d’avoir été si peu considéré par nos Excellences après la fusillade du 7 janvier 2015. Je ne suis pas aveugle : quantité d’officiels se sont succédé auprès des rescapés de Charlie. Ou se sont montrés en compagnie des survivants debout du journal. Pour ma part, j’ai été – heureusement – épargné. Le coup de fil présidentiel a sans doute été suggéré en une sorte de rattrapage par quelque conseiller se pensant avisé. Mais moi, je les avise tous que je ne ferai jamais partie de leur monde, fût-ce à la marge.

Comment je vais ? Je crois bien avoir perdu mon sens de l’équilibre, car je me suis étalé dans les grandes largeurs, à deux reprises. Ça fait mal ? Eh bien oui. Mes amitiés à vous tous. Vraies.

 

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Du vent et surtout plein de fric

Ah là là, ne me parlez plus d’éoliennes, les amis. J’ai écrit l’article qui suit, paru dans Charlie Hebdo voici trois semaines, et j’ai reçu pas mal de plaintes en retour. Pour être juste, également des mots de soutien, à peu près aussi nombreux. Mais il me reste un goût d’amertume, car enfin, j’ai eu la vilaine impression d’un pénible remake de ces années où il fallait appartenir à un camp. Nombre de mes critiques me reprochent explicitement d’être passé de je ne sais quel côté de je ne sais quelle barricade. Extrait représentatif : « Je te tutoie car nous avons mené des combats communs et j’avais l’impression que nous étions du même camp ».

Je mentirais en disant que cela ne m’atteint pas. Mais je suis décidé à continuer, car quel crime ai-je commis ? D’abord, ainsi que je l’ai expliqué à un de mes contempteurs, Claudio, qui s’exprime quelquefois ici, je suis parti d’une info du Syndicat des énergies renouvelables (SER), que j’ai estimée fausse. Et elle l’est. Ensuite, j’ai fait un court papier dans lequel j’ai présenté une facette de l’éolien que ses défenseurs refusent de voir : la place grandissante de l’industrie la plus lourde et les magouilles dont sont les victimes  de simples gens souvent sans défense. Lesquels sont soutenus par une Fédération Environnement Durable (FED), de droite, avec laquelle je ne dois guère partager grand-chose. Ai-je écrit qu’ils étaient merveilleux, et que je les soutenais de tout cœur ? Nullement. J’ai écrit que ses 1057 associations avaient des histoires extraordinaire à raconter, qui disent comment circule le pouvoir réel, et au détriment de qui.

C’était déjà trop. J’aurais dû, d’emblée, écrire au feutre rouge que FED est un rassemblement de salopards et que les éoliennes sont notre bel avenir à tous. Seulement non, on aura frappé à une mauvaise porte. Le soutien de certains aux éoliennes me semble un avatar de l’idéologie progressiste qui aura tant fait de mal. Puisqu’elles sont mues par le vent, elles tournent le dos au nucléaire et nous prépare un monde heureux où les énergies renouvelables seront reines. Et que dans ces conditions, il faut serrer les rangs, malgré qu’on en ait. Mais il se trouve que je ne crois plus aux contes de fée.

En résumé, on peut soutenir l’idée des éoliennes – c’est mon cas, sans réserve – et critiquer durement la manière dont leur développement se fait. La place d’Alstom, d’EDF et d’Areva dans le tableau dit bien que l’on assiste à une expropriation en bonne et due forme. Il ne s’agit plus, s’il s’est jamais agi, de défendre une énergie décentralisée, adaptée aux besoins modestes de petites communautés humaines, mais de remplir les poches des Grands de l’énergie en augmentant encore leur puissance. Je prends le pari : l’essor prodigieux des éoliennes ne permettra en aucune façon de réduire notre consommation énergétique, manière pourtant essentielle de lutte contre le dérèglement climatique. Tout au contraire, cet essor permettra d’offrir aux pauvres couillons que nous resterons tous, davantage de possibilités de gaspiller l’électricité. Nous assistons déjà à un empilement de nucléaire, de pétrole, de gaz, d’hydroélectricité, de solaire et de…vent. Non ?En bref, l’énergie éolienne est aussi un rapport social et ce que promeut le modèle actuel signifie toujours plus de contrôle et toujours moins de liberté pour chacun d’entre nous.

J’ajoute encore deux détails. Il y a 25 ans, j’ai mouillé ma chemise, au-delà du raisonnable, pour les riverains de l’infernale décharge de Montchanin, en Saône-et-Loire.Tous les pouvoirs étaient coalisés contre les victimes d’un cauchemar. Le ministre de l’Environnement était un certain Brice Lalonde, que j’ai eu la joie de pouvoir malmener au cours d’une réunion publique houleuse. La petite ville était socialiste depuis 1906, et le maire avait pourtant imposé au pied des jardins une décharge industrielle ultradangereuse où étaient entassées, quand je m’y suis rendu en 1989, la bagatelle d’un million de tonnes d’ordures. J’ai vite compris que l’association locale était tenue par des gens de droite, dont mon si cher Pierre Barrellon. Était-ce une raison pour les laisser crever sur place ? Je n’ai jamais eu avec eux la moindre discussion politique générale, et c’est tant mieux. Ils étaient formidables, ils se battaient, ils avaient raison. Je pense que c’est la même chose dans beaucoup d’endroits où des truands de l’énergie tentent d’imposer à des communautés tranquilles la cohabitation avec des mâts de 130 mètres de haut.

Bien sûr, Claudio Rumolino, bien sûr qu’il existe des PME de l’éolien qui ne partagent pas nécessairement les vues du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Mais leur silence devant la main-mise en cours me paraît devoir les disqualifier.

PS : J’ajoute, et franchement, cela me fait sourire, que mes nombreux critiques attaquent un texte riquiqui qui n’a jamais prétendu faire un point général sur les éoliennes. Ce n’était qu’un maigre article, mais il m’aura appris beaucoup. Et voilà donc ce papier, paru dans Charlie :

 

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Les éoliennes ? On est très loin des rêves de Reiser il y a quarante ans. Au lieu de l’autonomie énergétique pour tous, Areva, EDF, Total, Alstom ont fait main basse sur le pactole. Ça rapporte et ça ment. Beaucoup.

C’est pas tout à fait du vent, mais ça rafraîchit. Selon un audacieux communiqué de Syndicat des énergies renouvelables (SER), « la France vient de franchir le cap des 10 000 mégawatts éoliens raccordés au réseau (…)  Le parc éolien français permet d’alimenter en électricité un peu plus de 6 millions de foyers, soit plus que (…) la population de la région Ile-de-France ».
Les communicants du SER sont d’habiles filous, car tout est vrai, bien que tout soit faux. Le premier mouvement est simpliste, mais permet d’entuber le journaliste feignasse : 10 000 mégawatts, mazette, c’est du lourd ! Le deuxième est là pour achever le gogo : 6 millions de foyers, c’est au moins 13 millions de personnes ! Rien à dire, sauf que c’est bidon. En 2014, la production électrique nette, en France, a atteint 540,6 Terawattheure (TWh), dont 17 TWh grâce aux éoliennes. 3,1 % du total.
Sans entrer dans les détails, il faut ajouter qu’aucun foyer n’est alimenté directement par les éoliennes, car des problèmes techniques – à commencer par les facéties du vent – interdisent une production en continu. Dans l’état actuel, l’électricité éolienne est donc un tout petit complément. Ben alors, pourquoi ce grand bluff du SER ? Parce qu’il lui faut épater le monde, et chaque jour un peu plus. Tu vas voir, ami lecteur, ça vaut le dérangement. Les éoliennes, même si ça ne ressemble pas, c’est comme une vache à lait. Le marché atteint environ trois milliards d’euros  par an et le parc installé dépasse 5 000  grosses éoliennes, chiffre qui pourrait doubler d’ici quelques années seulement. Qui dirige le SER ? Jean-Louis Bal, qui a fait ses nobles classes dans le public – il dirigeait le service des Énergies renouvelables à l’ADEME, l’Agence de l’environnement – avant de mettre son carnet d’adresses au service de l’industrie.
Et quelle industrie ! On trouve au conseil d’administration du SER une magnifique bande de philanthropes : EDF et Areva, mais aussi Alstom – les turbines du délirant barrage des Trois Gorges, c’est elle -, la Compagnie nationale du Rhône – les gros barrages dégueu de chez nous – , Total et Sofiprotéol-Avril pour les nécrocarburants. Ce très puissant lobby a comme on se doute de nombreux amis dans les ministères de gauche comme de droite. Et il a réussi un tour de force qui n’est pas à la portée d’un débutant. Via une obscure « contribution au service public de l’électricité » (CSPE), ponctionnée sur les factures d’électricité, EDF achète sur ordre la production éolienne à un prix deux fois supérieur à celui du marché. Qui paie pour la grande industrie ? Nous, patate. Compter 5 ou 6 milliards d’euros chaque année selon les grands teigneux de la Fédération environnement durable (FED).
Cette dernière (http://environnementdurable.net) est peut-être bien de droite et elle a le grand malheur d’être soutenue par le vieux Giscard, ce qui est bien chiant. Mais ses 1057 associations ont souvent des histoires hallucinantes à raconter. Notamment à propos de ces armées de commerciaux déchaînés par l’appât du gain, qui font le tour de France en toutes saisons pour appâter de nouveaux candidats. Et il s’en trouve aisément, car les mieux organisés de ceux qui louent leurs terrains peuvent empocher jusqu’à 100 000 euros par an. Hum.
On reviendra sur ce dossier démentiel, mais il faut encore parler de la corruption, qui accompagne gentiment les installations de mâts pouvant atteindre 130 mètres de haut. Dans son rapport de 2013 publié à l’été 2014, le Service central de prévention de la corruption (SCPC) notait sans emphase : « Le développement de l’activité éolienne semble s’accompagner de nombreux cas de prise illégale d’intérêts impliquant des élus locaux ». La combine est simple : un maire rural fait voter le principe d’un parc éolien, et comme par extraordinaire, on le retrouve ensuite sur des terrains appartenant à lui-même ou à ses proches. Depuis dix ans, les condamnations d’élus pleuvent, mais tout le monde s’en fout. C’est si bon, le fric.
Je t’entends mal ? L’écologie, dans tout ça ? Avec Alstom, Areva et Total ? Je vois que tu es blagueur.

Penser l’après CRISPR-Cas9 (vite !)

Je laisse la parole à Stéphane Foucart, qui signe ce jour dans Le Monde un article qui, je le crois du mois, fera date.

Editer la nature

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Depuis 2012, CRISPR-Cas9 se répand comme une traînée de poudre dans les laboratoires de biologie, les revues scientifiques, les offices de brevets. CRISPR-Cas9 est partout, sur toutes les lèvres. Pour la plus grande part d’entre nous, ce n’est qu’un acronyme obscur, mais pour un nombre croissant de scientifiques, CRISPR-Cas9 est la clé ouvrant la voie vers d’inimaginables eldorados. Et peut-être aussi vers des périls tout aussi grands.

De quoi s’agit-il  ? CRISPR-Cas9 n’est pas une molécule, c’est une nouvelle technique, révolutionnaire, de génie génétique. Elle permet d’apporter des modifications précises et ciblées à un génome, et ce bien plus rapidement et simplement que les méthodes utilisées jusqu’à présent. Pour mesurer la révolution en cours, il faut se figurer les biologistes en bûcherons disposant de simples haches, et se trouvant tout à coup munis de tronçonneuses dernier cri…

Les espoirs, immenses, concernent d’abord la santé et la recherche biomédicale. Très rapidement, CRISPR-Cas9 a permis des avancées spectaculaires – pour l’heure sur des animaux. Récemment, des chercheurs sont parvenus, grâce à cette technique, à guérir des souris adultes touchées par une maladie génétique du foie, en corrigeant le gène défaillant.

Potentialités vertigineusesDepuis des mois, les perspectives environnementales ouvertes par cette méthode sont au cœur des préoccupations. La science avance vite.  »  L’an dernier, des chercheurs et des experts exprimaient leurs inquiétudes sur les moyens alors hypothétiques d’utiliser les techniques de pointe en génie génétique pour transformer rapidement des populations entières de plantes ou d’animaux, résumait cet été la revue Nature. Ils mettaient en garde sur le fait qu’une telle perspective pourrait conduire à des conséquences écologiques non anticipées.  «  Ces oiseaux de mauvais augure avaient à l’époque été fort critiqués  : pourquoi sonner l’alarme sur quelque chose qui n’existait pas  ? Un an plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, une telle éventualité existe.

De fait, au printemps 2015, des chercheurs américains sont parvenus à utiliser CRISPR-Cas9 pour introduire chez des drosophiles des modifications susceptibles de se répandre très vite dans une population. Relâchés dans la nature, ces quelques individus ainsi modifiés verraient toute leur descendance être en effet porteuse de ces altérations  : les lois de la statistique et de la combinatoire étant ce qu’elles sont, ces traits artificiellement apportés à quelques individus pourraient se généraliser, en quelques années, à l’ensemble de leur espèce.

Là encore, les potentialités sont vertigineuses. L’exemple souvent cité est celui des moustiques vecteurs de maladies comme le paludisme. En mettant en circulation des individus modifiés pour pouvoir se débarrasser du protozoaire responsable de la maladie, et en attendant quelques années que ce trait se généralise, il deviendrait envisageable d’éradiquer totalement un mal qui tue plus de 600  000 personnes chaque année. Une kyrielle d’autres pathologies très désagréables, vectorisées par des insectes, pourraient être aussi vaincues de la sorte  : maladie du sommeil, fièvre jaune, maladie de Lyme, dengue…

Mais une fois cette boîte de Pandore ouverte, où s’arrêterait la course à l' »  édition   » de la nature  ? Il ne s’agirait plus – comme c’est le cas depuis le néolithique – de modifier les espèces animales ou végétales qui nous sont inféodées et qui nous nourrissent, mais d’influer de manière irréversible sur le reste du vivant.

D’autres perspectives surgissent en effet. Pourquoi, suggèrent déjà certains, ne pas utiliser ces nouvelles techniques pour éradiquer localement les espèces invasives, en y introduisant des gènes délétères  ? Débarrasser l’Europe du frelon asiatique, par exemple, ou soulager les lacs américains de la carpe chinoise et de la moule zébrée… Les exemples ne manquent pas.

 »  La question n’est plus de savoir si nous pouvons contrôler des espèces invasives en utilisant le génie génétique, mais si nous devons, ou non, le faire  « , écrivent Bruce Webber et Owain Edwards (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation, Australie) dans une tribune publiée le 25  août dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.  »  Pour la première fois, nous avons un instrument suffisamment puissant pour éliminer de manière permanente une espèce-cible de la surface de la Terre  « , préviennent les deux spécialistes de biosécurité, pour qui les risques en jeu – énormes – exigent la mise en place rapide d’un cadre réglementaire ad hoc.

La tentation d’éditer la nature pourrait aussi faire son chemin au sein de communautés scientifiques où on ne l’attend pas. Les écologues et les conservationnistes, par exemple, redoutent une érosion de 30  % environ de la biodiversité d’ici à la fin du siècle, en raison du réchauffement. A bref ou moyen terme, la tentation pourrait être forte d’utiliser CRISPR-Cas9 pour  »  aider   » certaines espèces à s’adapter. Modifier le plancton pour qu’il tolère des eaux rendues plus chaudes et plus acides par nos émissions de dioxyde de carbone, donner à certains végétaux les armes pour faire face à l’avancée de nouveaux pathogènes, introduire artificiellement de la diversité génétique au sein d’espèces trop dépeuplées pour devenir prospères à nouveau…

Le transhumanisme aura un jour son pendant environnemental. Au lieu d’éviter le saccage du monde naturel, il professera au contraire de poursuivre jusqu’au bout le travail d’anthropisation engagé, pour sauver ce qui peut l’être grâce au génie génétique, mais aussi à d’autres techniques, comme la géo-ingénierie. A côté de ce débat qui s’annonce, celui que nous avons depuis vingt ans sur les cultures transgéniques fera figure de causerie gentillette au coin du feu.

par Stéphane Foucart