Archives de catégorie : Agriculture(s)

Aux nobles gendarmes du barrage de Sivens

Cet article a été publié le 12 novembre 2014 par Charlie Hebdo

Revenons-en aux faits. Un, ce sont les flics qui ont commencé la violence. Deux, il y a sur place l’ébauche d’une milice pro-barrage que personne ne recherche. Trois, Xavier Beulin a des idées derrière la tête. Quatre, les agences de l’eau, ça craint.

C’est plutôt rigolo. Ben Lefetey est un écologiste de longue date, ancien président des Amis de la Terre. Il y a une petite quinzaine d’années, il part vivre en Asie, avec femme et bientôt enfants. Et puis il revient en France, où il s’installe à Gaillac (Tarn). Fatalitas ! Quelques mois après son arrivée, un tract déposé sous son pare-brise l’invite à une manif contre le barrage de Sivens, à une poignée de kilomètres de là. Il y va, il s’engage, et devient le porte-parole des opposants, ceux du « Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet » (http://www.collectif-testet.org).

Certains des pro-barrage les plus énervés lui promettent de lui couper les couilles, et les mêmes ou d’autres le présentent comme un « étranger » à la région venu y foutre le bordel. Il ne donne pas l’impression d’être autrement impressionné, et Charlie s’est finalement décidé à l’interroger. On apprend des choses, indiscutablement.

Charlie :  Et si on revenait sur la violence ? Qui a commencé ?

Ben Lefetey : Le premier acte de violence date du 23 janvier 2014. Ce jour-là, une bande d’une vingtaine de types, certains cagoulés, sont venus sur place saccager la ferme alors occupée par les zadistes. Avec des voitures dont le numéro d’immatriculation était caché. Il n’y avait que deux filles présentes, qui ont été attirées à l’autre bout du champ par une diversion. Le commando a sorti des masses, détruit portes et fenêtres, ouvert un trou dans le toit,  balancé du répulsif sur les matelas de manière à rendre le lieu inhabitable. Plainte a été déposée par le…conseil général, propriétaire en titre de la ferme. Bien qu’il n’y ait pas de grands doutes sur l’identité des gros bras, il n’y a jamais eu de suite.

> Les affrontements avec les gendarmes ont commencé, eux, le 27 février, un mois plus tard.  Les zadistes, surtout des anars du Tarn, renforcés par quelques Toulousains, étaient entre 5 et 10 à occuper le futur chantier en permanence et à y dormir. Après la destruction de la ferme, ils ont construit une maison en paille, installé des yourtes et un chapiteau. Et ils ont été expulsés par des policiers en civil et des gendarmes du Peloton de surveillance et d’intervention de Gaillac. Ces derniers forment une unité qui correspond aux brigades anti-criminalité (BAC) des villes. Une unité qui utilise souvent la violence, et qui l’a employée contre les occupants pacifiques du chantier. Le plus inouï est que cette expulsion a été condamnée ensuite par la cour d’appel de Toulouse. La gendarmerie opérait donc dans l’illégalité.

Charlie : Et c’est donc ensuite, et seulement ensuite, que tout s’est enchaîné ?

B.L : Aucun doute. Dès mars, les occupants ont été plus nombreux –entre 50 et 100 – et ils ont pu empêcher le déboisement qui était alors prévu.  Au passage, des gens plus radicaux sont en effet arrivés, qui ont construit des barricades qui ne tenaient d’ailleurs pas dix minutes. Dans tous les cas, l’escalade vient de là. Et de l’arrivée de Valls à Matignon : en septembre, entre 150 et 200 gardes mobiles ont été « réservés » trois semaines pour imposer le barrage de Sivens.

Charlie : En dehors des zadistes, qui refuse localement le barrage ?

B.L : Je voudrais d’abord parler des paysans, car le conseil général du Tarn a toujours prétendu que le monde agricole était pour, unanimement. Or il y a des paysans locaux, comme par exemple Pierre Lacoste, qui sont contre, et qui soutiennent depuis le début les zadistes. Et il faut citer le réseau de paysans bio de Nature et Progrès Tarn, très actif. Enfin, la Confédération paysanne est venue en renfort avec des tracteurs, réclamant au passage un moratoire. S’ajoutent au combat Attac, très présent dans le Tarn, ainsi que les associations historiques de France Nature Environnement (FNE). Des individus comme moi se sont greffés au fil du temps à la bagarre.

Charlie : Ségolène Royal a annoncé on ne sait plus bien quoi. Y aura-t-il un barrage ?

B.L : Nous avons désormais bon espoir qu’aucun barrage ne sera construit. Les experts qu’elle a nommés, dans leur fameux rapport, nous ont donné raison sur des points décisifs que nous avions avancé il y a un an sans être écoutés par le conseil général. Cela nous donne une sacrée crédibilité ! On est loin de cette image manipulée de zadistes maniant la barre de fer et terrorisant la population locale.

Charlie : Encore un mot sur la violence. Sans les affrontements avec les gendarmes, sans la détermination des zadistes, où en serait le barrage aujourd’hui ?

B. L : Il serait aux trois quarts construit.

Encadré 1

L’homme aux pesticides entre les dents

La menace bolchevique n’étant plus disponible, Xavier Beulin, président de la FNSEA – syndic(at) de faillite des paysans – vient d’inventer pire encore. Les écologistes de Sivens seraient des « djihadistes verts ». On pourrait en ricaner si ce n’était autant sérieux. Car derrière ce gros céréalier de la Beauce se profile une radicalisation croissante des paysans qu’il manipule.

Beulin déjeune régulièrement avec Hollande, à qui il promet de créer plein d’emplois à condition qu’on dérégule la profession. Plus de contraintes, plus de règles, nitrates à tous les étages ! Il veut en outre créer un statut du paysan qui serait refusé aux plus petits, ceux dont les surfaces ne lui paraissent pas dignes des grasses subventions qu’il reçoit.

Autre aspect de ce grand personnage : Sofiprotéol, énorme groupe industriel  qui pèse 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires (en 2013). Beulin n’est pas seulement « syndicaliste » : il est également le patron de Sofiprotéol et joue un rôle crucial dans des dossiers comme celui de la ferme des 1000 vaches. Sofiprotéol commercialise plus de la moitié des pesticides épandus en France. Cet homme aime la vie.
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Encadré 2

Le rôle si trouble des agences de l’eau

Sans l’agence de l’eau Adour-Garonne, pas de barrage de Sivens. Ce mastodonte public prévoit un budget de près de deux  milliards d’euros sur la période 2013-2018, et a promis 50 % du montant des travaux, qui s’élèvent sur le papier à 8, 4 millions d’euros pour une poignée d’irrigants.

La France compte six agences régionales de l’eau, créées en 1964, qui décident de tout parce qu’elles financent tout. Menu problème : elles sont une chasse gardée des trois grands corps d’État évoqués la semaine passée dans Charlie : les Mines, les Ponts et le Génie rural et les eaux et forêts. Ces grands ingénieurs sont intéressés au volume de travaux placés sous leur contrôle. En 2014, malgré quelques velléités démocratiques, l’oligarchie règne : cinq des six agences sont dirigés par des « corpsards », et la sixième, qui attend le sien, est administrée par un intérimaire, haut fonctionnaire du ministère de l’Agriculture.

Adour Garonne est pilotée par un ingénieur général des Mines, Laurent Bergeot, et le vice-président de la décisive commission Programmes et Finances est un certain Alain Villocel. Mais il faut employer le passé, car Villocel vient de partir vers de nouvelles aventures. Qui était-il jusqu’à ces derniers mois ? Le directeur général de la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG), bastringue public au service du conseil général du Tarn. Cette société d’économie mixte, qui fait abondamment couler l’argent public, est au point de départ du barrage de Sivens. Où le serpent se mord méchamment la queue.

Après l’Ours, le Loup, le Lynx, le Vautour, le Cormoran, la Grue

Je sais qu’ils s’en foutent, mais j’en veux à ceux – Bové, une bonne part de la Confédération paysanne, nombre d’altermondialistes, y compris journalistes – de soutenir la chasse au Loup, qui tue désormais chaque semaine et parfois chaque jour des animaux revenus dans ce qui est pourtant leur pays, de toute éternité. Ces ennemis du sauvage, s’alliant comme si de rien n’était avec les gros durs de la FNSEA et les chasseurs extrémistes, ont mis le doigt dans un engrenage qui les mènera fatalement plus loin. J’ai écrit ici quantité de papiers sur le sujet (notamment ici, ici, ici, ici, ici). Sur le Loup, sur l’Ours, sur le Vautour, ce dernier transformé pour les besoins d’une cause indéfendable en prédateur.

Voilà que – Raymond Faure, merci – la haine s’attaque aux grues, ces grâces ailées qui nous font l’immense honneur de nous survoler. Il fallait s’en douter : les grues, y en a marre. Il faut laisser ces braves gens faire pousser leur maïs aux pesticides, et trucider par millions poulets, canards, oies, cochons et bovins. Y en a marre. La FDSEA de la Haute-Marne – structure départementale de la FNSEA – vient d’obtenir de la région, gérée par nos bons socialistes, 100 000 euros pour faire face aux « dégâts » créés par les grues, ces barbares des airs. Un monsieur Jean-Louis Blondel,  président de cette FDSEA, a même déclaré à l’AFP : « Les nuisances sont surtout dues au nombre croissant de grues qui restent pendant l’hiver, et en cas de surpopulation déraisonnable il faudrait réguler cette espèce ». On admirera ici l’usage de l’euphémisme. Flinguer, cela s’appelle désormais, chez les tueurs, réguler.

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La dépêche de l’AFP :

Le lac du Der, havre de paix des oiseaux migrateurs

08 Nov 2014

 

 

 

 

A peine le jour levé qu’une immense clameur signe le réveil des échassiers qui s’élèvent en nuée dans un ciel orangé: à l’automne, des dizaines de milliers de grues cendrées font escale au lac du Der-Chantecoq en Champagne avant leur migration vers l’Espagne.

Plus grand lac artificiel d’Europe, le Der offre depuis sa création en 1974 un havre de paix aux grands oiseaux migrateurs qui se massent sur les îlots et les vasières pour y passer la nuit à l’abri des prédateurs.

Il aura fallu engloutir trois villages et des forêts de chênes pour construire ce réservoir de 4.800 hectares bordé de 77 kilomètres de rives à cheval entre la Marne et la Haute-Marne afin de prévenir et réguler les inondations du bassin parisien. « Un projet gigantesque qui serait probablement largement contesté de nos jours », remarque Aurélien Deschatres le coordinateur national du réseau « Grues France » de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Selon lui, plus de 200 espèces d’oiseaux dont des animaux rares -pygargues à queues blanches, butors étoilés ou encore hérons pourprés- peuplent le site classé depuis 1986 « zone spéciale de conservation » par le réseau « Natura 2000 ». Mais ce sont surtout les grues cendrées et leurs envols matutinaux majestueux qui ont fait la réputation du lac auprès des amoureux de la nature.

« Les grues qui passent l’été en Europe du Nord se regroupent en Allemagne avant d’entreprendre la traversée vers la péninsule ibérique. Dès la création du lac, elles ont trouvé des conditions d’escales idéales et sont chaque année de plus en plus nombreuses à se poser et même à demeurer pendant les hivers doux », explique M. Deschatres.

Selon les estimations de la LPO, entre 80.000 et 100.000 de ces échassiers, soit près d’un quart de la population européenne, ont été dénombrés aux abords du lac fin octobre et environ 60.000 séjournaient encore sur le Der la première semaine de novembre, attendant des conditions météorologiques favorables à la poursuite de leur voyage.

Un long vol plané synchronisé

« Celles qui décident de partir exploitent les ascendances pour gagner de l’altitude avant de prendre un cap sud-ouest profitant si possible d’un vent de dos pour augmenter leur vitesse », explique l’ornithologue.

« Mais si la douceur persiste, entre 20.000 et 40.000 grues sont susceptibles de passer l’hiver sur place en se nourrissant de graines dans les champs alentours », précise-t-il.

Ce plus grand échassier d’Europe (2 mètres d’envergure pour 4 à 6 kilos) au plumage gris ardoise avec un cou noir, tache rouge sur la tête et queue touffue, quitte aux premières lueurs de l’aube son dortoir en « claironnant » continuellement et vole en formation serrée avec ses congénères vers les champs fraichement labourés ou les pâtures pour trouver sa pitance. A la nuit tombée, les grues repues se reposent au milieu du lac dans un long vol plané synchronisé.

Inquiets des quelques dégâts provoqués par les volatiles dans leurs champs, les agriculteurs ont négocié une enveloppe de 100.000 euros auprès de la Région Champagne-Ardenne.

« Les nuisances sont surtout dues au nombre croissant de grues qui restent pendant l’hiver, et en cas de surpopulation déraisonnable il faudrait réguler cette espèce », estime pour sa part Jean-Louis Blondel, le président de la FDSEA de Haute-Marne.

Un scénario inimaginable pour la LPO qui rappelle que la grue cendrée est un animal protégé depuis 1967 et pointe l’apport économique d’un « tourisme ornithologique » en pleine croissance.

Selon l’office du tourisme du lac du Der, en plus des 200.000 touristes recensés l’été, près de 100.000 amateurs d’oiseaux venus de toute l’Europe fréquentent le site d’octobre à mars offrant aux commerçants locaux une manne touristique à l’année.

Point de rendez vous de ces amoureux de la nature, le « Festival international de la photo animalière et de nature » de Montier-en-Der qui attire chaque près de 40.000 visiteurs chaque 3e week-end de novembre.

250 000 taulards en pleine liberté

Ce papier a été publié par Charlie Hebdo le 15 octobre 2014

C’est la mode. Après la « ferme des 1000 vaches », le camp d’internement des 250 000 poulets, à seulement 40 kilomètres. L’industriel qui lance la grande opération a le soutien empressé de Ségolène Royal, Le Foll et Jean-Pierre Jouyet. Dégueulis recommandé.

Hum. Il n’y a pas vraiment de mots pour cette nouveauté. Une usine, une construction (in)humaine où s’entasseraient 250 000 poulets, en attendant un million, dix millions, un milliard. Nul ne se souvient de ces mots du grand Isaac Bashevis Singer dans Un jeune homme à la recherche de l’amour, son autobiographie : « Les vrais martyrs innocents, sur cette Terre, ce sont les animaux, particulièrement les herbivores ».

Et c’est bien pourquoi tout recommence, éternellement en pire. La Somme semble devenu le rendez-vous des grands aventuriers de la concentration animale. À Drucat, près d’Abbeville, un industriel du BTP, Michel Ramery, a ouvert ces dernières semaines la fameuse « ferme des 1000 vaches ». Ardemment soutenu par les socialos de la région, le monsieur milliardaire est passé sur le ventre des opposants locaux de Novissen (http://www.novissen.com) et de la Confédération paysanne (1). Et voilà qu’apparaît en pleine lumière un autre capitaine d’industrie.

Pour mieux comprendre le mouvement, il faut se rendre – à contrecœur –  à Doulens, petite ville de la Somme de moins de 7000 habitants. Nous sommes le 7 janvier 2014, et le maire de droite Christian Vlaeminck présente ses vœux à ses électeurs. C’est très chiant, comme on se doute. Vlaeminck : « La mise en valeur de notre patrimoine, après l’église Notre-Dame, est un de nos projets futurs et j’y tiens. » Ou encore l’annonce de « l’installation de la vidéo protection à d’autres endroits de la ville, comme le complexe sportif et culturel ou le cimetière. »

C’est dans ce contexte puissamment français qu’il faut apprécier la proposition faite par le gérant d’Œufs Nord Europe, un certain Pascal Lemaire. Par un nouveau et splendide flash-back, nous voici cette fois en mai 2013 (Le Courrier Picard du 1 juin 2013). Envapant le maire de Doulens Vlaeminck – pas trop dur – Vlaeminck lui vend l’idée d’un élevage de poules d’environ 300 000 bêtes, à raison de 9 par mètre carré. Vlaeminck, les yeux ruisselant d’émotion : « On n’est pas habitué, dans le Doullennais, à un dossier de cette taille mais il devient notre priorité économique ! ». Pardi, l’énormité de 30 emplois promis est en jeu. On ne plaisante pas avec la croissance revenue. Le responsable du dossier chez Lemaire, Sylvain Dumortier, précise qu’il s’agit de « créer un élevage de poules au sol, dit de code 2. C’est-à-dire que les animaux, qui ne sortent pas, ne sont pas en cage mais dans une volière dans laquelle ils évoluent en totale liberté (…) Il y en aura exactement 319 500 réparties dans trois bâtiments de 6 000 m² ».

Ne rions pas trop vite : l’idée de poulets en prison, mais gambadant pourtant en pleine liberté, est au centre même de l’opération. Interrogé par le JDD il y a quelques jours (2), Lemaire n’y va pas avec le dos de la cravache : « Le quotidien des poules, c’est de se lever tranquillement le matin, à la lumière artificielle, malheureusement. Mais il y aura quand même de la lumière naturelle, je tiens à le préciser. Dans ce type d’élevage, il y a un pourcentage de lumière naturelle ».

Où est-on en cet automne 2014 ? Très près du début des travaux. La préfecture attend encore quelques papiers pour donner une autorisation qui ne fait aucun doute, bien que les 30 emplois de mai 2013 soient devenus entre-temps 6. 6 sous-prolos pour garder 250  000 taulards. Question idiote : pourquoi le ministre de l’Agriculture Le Foll laisse-t-il faire ? Ne prêche-t-il pas à chaque occasion en faveur de l’agro-écologie et de l’agriculture paysanne ? Banane ! c’est juste pour rire. Dans la réalité, le projet des 250 000 poulets est soutenu financièrement par la Banque Publique d’Investissement (BPI), ce machin créé en 2012 par un homme injustement oublié, Jean-Marc Ayrault.

Destiné à financer les PME dans les régions, la BPI a eu comme premier président Jean-Pierre Jouyet, aujourd’hui secrétaire général de l’Élysée, et comme vice-présidente Ségolène Royal, désormais en charge de l’Écologie. Eh bien, la BPI a banqué, comme il se doit. Le montage financier de la « ferme des 250 000 poulets » contient une aide de 7 millions d’euros, partagés entre la BPI et trois fonds de pension régionaux. Lemaire est donc une créature publique, soutenu au plus haut niveau politique.

Le plus drôle n’est pas encore là. Non. Lemaire est aussi un acteur de premier plan, dans le département du moins, des poulets bio. Allié depuis 2009 à des marchands et à des producteurs de céréales bio dans le cadre de Cap Bio Nord, il se présentait alors comme le leader de la production « alternative » d’œufs dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Mais les temps changent si vite. En ce mois d’octobre 2014, le propos de Lemaire est tout différent : « On ne peut pas mettre toutes les poules en plein air. C’est la solution pour sortir de la crise et manger français le moins cher possible ».

Moins cher. Le vrai mantra de notre époque déconnante. En 1960, selon les chiffres INSEE, on consacrait 38 % de notre fric à l’alimentation. Et 25 % en 2007. Et probablement 20 % aujourd’hui. De la merde, plein pot, mais si bon marché.

(1) Un vaste rassemblement avec débat et marché paysan contre « l’industrialisation de l’agriculture » est prévu à Amiens le 28 octobre : www.confederationpaysanne.fr/gen_article.php?id=2872

(2) la vidéo est sublime : http://www.lejdd.fr/Economie/Videos/Apres-les-1-000-vaches-la-ferme-des-250-000-poules-692534

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Milliardaire, indien, accapareur
Malheureux qui ne connaissez pas encore le collectif GRAIN (www.grain.org/fr), il n’est que temps de s’y mettre. GRAIN, né dans les années 80 du siècle passé, rassemble – entre autres – des informations capitales sur les mouvements sociaux paysans, l’affaissement de la diversité génétique et les stratégies des transnationales de l’agriculture. Où l’on voit que les 1000 vaches ou les 250 000 poulets ne sont que la partie émergée d’un iceberg planétaire.
Dans un document impeccable, tout récent, l’association révèle le rôle du milliardaire indien Chinnakannan Sivasankaran. Sur le papier, Silva Group est un géant de l’informatique mondiale, mais c’est aussi l’un des plus grands propriétaires agricoles du monde, avec au moins un million d’hectares achetés sur le continent américain, en Asie, en Afrique. Pour des gens comme Sivasankaran, habitué de la fraude fiscale et des paradis fiscaux, l’avenir est là, dans la possession de terres. Car il est convaincu de l’existence d’un cycle économique durable, et profitable. La croissance démographique et la « croissance » économique – au Sud, surtout – seraient la garantie de prix alimentaires toujours plus hauts. L’industrie s’empare sous nos yeux de ce qui restait de nos illusions.

Trio gagnant : paysans, pesticides, Parkinson

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 1er octobre 2014

Les pedzouilles montrent la voie et gagnent contre les marchands de pesticides. Mais à quel prix ! La Sécu et la médecine reconnaissent enfin les liens entre pesticides et maladie de Parkinson.

À la tribune, ce samedi 27 septembre, dans une salle du Conseil régional, à Poitiers. Ce n’est pas la foule des grands jours, mais les gens assis sur l’estrade ont des choses à dire. À gauche, Benoit Tornier, vigneron à la retraite, chemise à carreaux, solide, visiblement accablé. À ses côtés François Lafforgue, avocat d’un cabinet devenu mythique depuis qu’il s’occupe aussi bien des victimes de l’amiante que des essais nucléaires français. Puis Paul François, paysan de Charente, et maître de cérémonie depuis qu’il a lancé, en 2011, l’association Phyto-victimes (http://www.phyto-victimes.fr). Enfin Olivier Colin, un très jeune médecin – il a 29 ans – du CHU de Poitiers, et Gilbert Vendé, ancien paysan dans une usine de 1000 hectares de cultures intensives, coiffé façon Aimé Jacquet, l’ancien entraîneur de foot.

C’est la fin du silence. Les salopards qui ont vendu pendant des décennies des pesticides dangereux aux campagnes ne dormiront plus jamais tranquilles. Au point de départ, grâce à Paul François. C’est un type de cinquante ans, de droite – « centre-droit », précise-t-il à Charlie en se marrant – qui tient en Charente, avec un associé, 400 hectares de céréales. Un gros. Il utilise pendant des lustres engrais et pesticides, sans se poser de questions. En 2004, nettoyant une cuve où croupit une mixture Monsanto – un pesticide appelé Lasso -, il prend un jet de poison pleine face. Le reste est une horreur d’évanouissements, de nausées, d’amnésie, de troubles neurologiques qui le conduisent cinq mois à l’hosto. Rien n’est fini, mais entre-temps, par un miracle appelé Lafforgue, Monsanto a été jugé responsable par le tribunal de Lyon. L’affaire est en appel.

En 2011, la naissance de Phyto-victimes permet de réunir quantité de témoignages qui montrent une contamination généralisée. Combien de victimes des pesticides chez les paysans ? Nul ne sait, car nul n’a cherché. Mais certains faits commencent à s’imposer. Le 4 mai 2012, malgré un travail de sape inouï de la FNSEA – un « syndicat » paysan, rappelons-le -, la maladie de Parkinson est inscrite au tableau des maladies professionnelles des paysans. « Une avancée considérable, explique l’avocat François Lafforgue, qui institue la « présomption d’imputabilité ». La victime n’a pas besoin de prouver qu’une molécule a atteint ses neurones. Il faut et il suffit qu’elle soit atteinte d’un Parkinson et qu’elle ait bien travaillé au contact de pesticides ».

Cette petite révolution permet, à une échelle encore bien trop modeste, d’obtenir des reconnaissances en maladie professionnelle ouvrant des droits à pension, même s’ils sont le plus souvent ridicules. Mais au fait, Parkinson ? Le médecin-jouvenceau, Olivier Colin, pédagogue-né : « Pour nous, spécialistes, la date-clé est la parution d’un article scientifique en 2009, fort bien construit, qui vaut preuve (1). Parkinson, qui touche environ 150 000 personnes en France, dont plus de la moitié diagnostiqués avant 60 ans, n’est donc pas une maladie de la vieillesse. Elle est pour le moment la  seule maladie clairement reliée à l’exposition aux pesticides, mais d’autres pourraient suivre ».

D’autres ? Paul François et ses amis attendent et espèrent l’inscription au tableau des maladies professionnelles des lymphomes, ces cancers du système lymphatique, et tout indique que la liste sera bien plus longue. La médecine officielle, totalement absente de ce grand débat de santé publique, a le plus grand mal à reconnaître l’évidence. Le CHU de Poitiers, où exerce Colin, fait exception, qui a créé une Unité de consultation des pathologies professionnelles et environnementales (UCPPE). On y interroge – cela n’a l’air de rien, mais c’est essentiel – les malades sur leur profession et les produits qu’ils utilisent.

Reste les malades. Pour le coup, Charlie n’a guère envie de blaguer. Benoit Tornier : « Vers 200-2001, j’ai commencé à avoir des troubles. Dans la voiture, mes enfants me disaient : “Papa, pourquoi tu fais sauter la voiture comme ça ?” Je ne me rendais pas compte que mon pied appuyait tout seul sur l’accélérateur ».

La suite est aussi guillerette. Aggravation, diagnostic certain début 2008, retraite en 2012. « C’est terrible, explique Tornier. Quand le neurologue m’a demandé de réfléchir à ce qui avait pu arriver, j’ai cherché pendant trois jours et trois nuits, et puis je me suis souvenu. Le15 juillet 1983, j’ai fait une intoxication grave aux pesticides dans mes vignes. Il faisait une chaleur d’enfer, j’avais juste ma blouse d’étudiant sur le dos, dans un tracteur sans cabine, bien entendu. Le soir, après la douche, plus de bonhomme. On m’a fait trois intraveineuses en trois heures ». Pour obtenir une reconnaissance en maladie professionnelle, Tornier relit une à une toutes les pages de sa comptabilité. « De 1974 à 2002, dit-il, j’ai utilisé 195 pesticides différents ».

Gilbert Vendé, lui, a été contaminé par le Gaucho, ce génial produit Bayer qui a tué les abeilles par milliards, avant de s’attaquer à tout ce qui vit. « Quand on apprend à 47 ans qu’on a Parkinson, dit-il, le monde s’écroule. Aujourd’hui que j’ai soixante ans, j’ose parler des conséquences. L’incontinence, par exemple. Au cours d’un passage à Paris, j’ai quitté le métro pour chercher des toilettes, mais trop tard. Depuis mon arrêt de travail, en 2003, j’essaie de rester un humain. Je me bats ».
On en est à ce point exact de notre histoire : l’industrie contre les hommes.

(1) http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19847896

Derrière les pesticides, tout le reste (encadré)

C’est l’un des secrets les moins éventés. Combien de substances chimiques synthétisées par l’homme ? Combien de constructions moléculaires réussies au fond des laboratoires de l’industrie ? Selon cette dernière, en pleine désinformation planétaire, quelques dizaines de milliers. La vérité, ainsi que le montre la référence mondiale dans ce domaine, le Chemical Abstract Services (http://www.cas.org), près de 90 millions. Entre 20 000 et 30 000 substances nouvelles sont ajoutées chaque jour. Incroyable mais vrai.

À ce stade de folie et d’irresponsabilité, plus aucun contrôle n’est possible. Quand on teste, c’est avec des moyens dérisoires, sur des périodes très courtes, sans tenir compte des effets cocktail – les mélanges – des molécules mises au contact les unes des autres. Et on ne teste que 0,1 % de ce qui est inventé, au mieux. Bref, la chimie, c’est le crime. Mais il ne faut pas le dire, car le progrès est en marche, n’est-ce pas ? 150 000 Parkinson, un million d’Alzheimer, plus 110 % d’augmentation des cancers depuis 1980, de 25 à 30 d’asthmatiques, 4 millions de diabétiques, 15 % d’obèses. La France est en pleine forme.

Ce barrage qui arrose les amis

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 24 septembre 2014

À dix kilomètres de Gaillac (Tarn), l’infernal barrage de Sivens entend claquer 9 millions d’euros d’argent public en faveur de 22 irrigants. Les opposants, qui défendent au passage la vie des papillons, des grenouilles et des genettes, se ramassent plein de coups dans la gueule.

Charlie arrive après la bataille, et quelle bataille ! On résume pour ceux qui ne seraient pas au courant : une vallée doit disparaître sous les eaux d’un barrage appelé tantôt Sivens, tantôt Testet, deux lieux-dits. Où ? À Lisle-sur-Tarn (Tarn), à dix kilomètres de Gaillac et trente d’Albi. Ce vieux projet pourave date des années 60, à l’époque où le maïs intensif faisait la loi, toute la loi. Il a certes subi quantité de modifications, mais le fond reste le même : il s’agit de dorloter une poignée de paysans intensifs du coin en leur offrant une eau d’irrigation, payée sur fonds publics.

Après des années d’atermoiements, tout s’est emballé. Le projet, enfin dévoilé, est encore pire que tout ce qui avait été imaginé. Il s’agit de stocker 1,5 million de mètres cubes derrière un mur de 13 mètres de hauteur et de plus de 300 mètres de longueur. Les 45 hectares noieraient au passage l’une des plus belles zones humides de la région, et flingueraient les 94 espèces protégées vivant sur place. Soit des papillons et autres insectes aussi beaux que l’Azuré du serpolet, la cordulie à corps fin – une libellule -, le Grand Capricorne. Et la grenouille de Graaf. Et le campagnol amphibie. Et la lamproie de Planer, qu’on rapproche des poissons.

On s’en fout ? Exact, tout le monde s’en tape, sauf les opposants au délire. D’innombrables pleurnicheries officielles ont lieu chaque année en souvenir des zones humides défuntes. En France, plus de la moitié de ces terres si riches sur le plan biologique – marais, fagnes, tourbières, prairies mouillées – ont été drainées en cinquante ans. Le ministère de l’Écologie s’est fait une spécialité de colloques où l’on compte une à une les surfaces mortes. En résumé express, du béton, beaucoup de béton au profit d’un maïs assoiffé, subventionné, bourré de pesticides, au détriment des genettes, des martins pêcheurs et des milans noirs.

Combien ça coûte ? Un bras, un bras de près de neuf millions d’euros au total, qui ne profiterait qu’à 22 irrigants. Ce qui fait cher du pedzouille, et d’autant plus que le fric claqué sera à 100 % public : conseils généraux du Tarn et du Tarn-et-Garonne – 10 % chacun -, Agence de l’eau Adour Garonne – 50 % – et l’Europe enfin, à hauteur de 30 %. Ne pas se fier aux apparences : même s’il ne paie que 10 %, le grand Manitou de l’opération est le conseil général du Tarn.

Le Tarn, comme l’Ariège de Bel, comme les Bouches-du-Rhône de Guérini, comme le Nord-Pas-de-Calais de Dalongeville, est un fief socialo. Depuis 1945, la SFIO puis le PS règnent sans partage, mais sont tombés sur un os avec cette invraisemblable histoire de barrage, qui pourrait bien – rire préenregistré – être la goutte d’eau de trop. L’inamovible président du Conseil général, Thierry Carcenac, au pouvoir depuis 1991, comme un président azerbaïdjanais, s’entête d’une façon étonnante. Ce mystère doit bien avoir une explication.

En attendant, sur place, c’est baston et grèves de la faim. Un formidable collectif fédère les énergies, qui sont nombreuses (http://www.collectif-testet.org). À l’heure où vous lirez ces lignes, il est probable que le défrichement, préalable aux travaux du barrage eux-mêmes, sera terminé, sous haute protection policière. Les heurts violents, les jets de cocktails Molotov, les coups de matraque, les barricades n’ont pas cessé depuis des semaines. Comme à Notre-Dame-des-Landes, où un autre socialo déjà oublié – Ayrault – fantasme encore de construire un aéroport.

Qu’est-ce qu’on peut dire depuis Paris ? Qu’il ne faut pas lâcher, bien sûr. Qu’il faut tenir autant qu’il sera possible. Charlie, avec ses moyens dérisoires, soutient et soutiendra les énervés et enragés de Sivens, et toutes les plantes et animaux menacés de mort. Une mention pour notre excellent Premier ministre, Manuel Valls. Ignorant tout du dossier, qu’il découvrait, il a finalement osé (1) il y a quelques jours ces mots d’anthologie : « Mobiliser la ressource en eau est un élément décisif pour l’installation des jeunes agriculteurs, c’est pour cela que nous avons tenu bon à Sivens ». On te croit, grand socialiste.

(1) http://www.reporterre.net/spip.php?article6274