Archives de catégorie : Agriculture(s)

Le grand désastre des campagnes silencieuses

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 2 juillet 2014

Le crime était presque parfait. Les transnationales de la chimie fourguent depuis vingt ans des pesticides tuant les abeilles par milliards. Sous les applaudissements de la gauche et de la droite. Mais voilà qu’on apprend bien pire.

Que le Gaucho de nos chers amis de Bayer soit une merde, on le savait. Ce pesticide foudroyant et systémique – il diffuse et circule dans l’ensemble de la plante traitée – n’a cessé de bousiller les abeilles par milliards depuis ses premières applications en France, en 1994. À l’époque, on ne connaissait pas cette nouvelle classe de tueurs, dits néonicotinoïdes, qui a donné naissance à d’autres merveilles comme le Cruiser ou le Poncho-Maïs.

Après une bataille de vingt ans sur laquelle on va revenir, l’Europe a suspendu en 2013  la vente de trois saloperies, dont le Gaucho, pendant trois ans. Mais une étude vient de tomber, qui rebat toutes les cartes et fait claquer des dents (1). On résume : un groupe de chercheurs internationaux – Task Force on Systemic Pesticides – a regardé dans les coins la bagatelle de 800 études publiées dans des revues scientifiques. Un travail de dinguo, qui a duré cinq ans et mobilisé une cinquantaine de savants de quinze nationalités. Ce qu’on appelle une méta-analyse.

Portant à la fois sur les néonicotinoïdes et une autre matière active, le fipronil – son nom commercial est Régent -, elle montre que la situation est beaucoup plus grave que ce qu’on pensait jusqu’ici. Les abeilles et bourdons, dont dépend en large part l’agriculture – par le sublime cadeau de la pollinisation – ne sont pas les seuls atteints par le grand massacre. La moitié des papillons a disparu en seulement vingt ans, et jusqu’à 52 % des oiseaux des champs en une trentaine d’années. Les sols sont également frappés, au travers des micro-organismes et des vers de terre, essentiels artisans de la fertilité.

Certes, les auteurs ne prétendent pas que tout viendrait des pesticides nouveaux. Mais il ne fait plus aucun doute qu’ils jouent un rôle central dans l’effondrement de la biodiversité des campagnes. Et c’est à ce moment précis que Charlie enfile son manteau de justicier sans masque. Car l’affaire du Gaucho et de ses putains de cousins est (aussi) un immense scandale français, qui met en cause les socialos comme la droite. Excusez à l’avance si l’on saute des étapes, car l’affaire en compte des dizaines.

En 2000, alors que l’on sait déjà l’essentiel grâce à des chercheurs comme Jean-Marc Bonmatin ou Marc-Édouard Colin, une certaine Catherine Geslain-Lanéelle devient la patronne de la puissante Direction générale de l’alimentation (DGAL), place-forte du ministère de l’Agriculture. Plus ou moins de gauche, elle est en relation étroite avec le ministre socialo, Jean Glavany, et couvre avec lui une invraisemblable décision : le renouvellement pour dix ans, en janvier 2002, de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) du Gaucho. Son rôle exemplaire lui vaudra dès 2001 une perquise au siège de la DGAL – une première -, mais tout se terminera comme il se doit par une promotion.

Geslain-Lanéelle, nommée en 2006 directrice de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), y défendra mordicus Dana Bati, la présidente de l’EFSA, jusqu’à sa démission forcée. Bati cumulait dans le secret son job officiel et un rôle important dans le plus grand lobby agro-alimentaire de la planète, International Life Science Institute (ILSI).

Pour en revenir au Gaucho, la droite française n’a évidemment pas fait mieux. En juin 2002, après la déroute de Jospin, Geslain-Lanéelle est remplacée à la DGAL par un préfet de combat, Thierry Klinger. Pour lui, la cause est entendue : si les abeilles meurent, c’est p’être bien à cause des acariens qu’on retrouve dans les ruches, ou parce que ces cruches d’apiculteurs achètent des reines en Chine, qui seraient de trop basse qualité. Moins drôle : il adresse sans se gêner des courriers à des scientifiques travaillant sur le Gaucho, pour qu’ils rectifient le tir, avant de voir son bureau occupé par une bande de la Confédération paysanne.

Et c’est ainsi que s’installa l’empoisonnement généralisé des campagnes, sur fond d’accord politique parfait entre la gauche et la droite. Pourquoi ? Parce que. Qui se souvient du brave Henri Nallet ? Né en 1939, il devient en 1965 l’un des responsables de l’Institut de formation des cadres paysans, une structure de la FNSEA, le grand syndicat de l’agriculture industrielle. Il est dans la foulée un chargé de mission de cette même FNSEA, qui a accompagné et même réclamé l’industrialisation lourde par les pesticides.

Ensuite ? Il est touché par la grâce et devient socialo. Il est le principal conseiller de Mitterrand pour les affaires agricoles, entre 1981 et 1985, et sera ministre de l’Agriculture à deux reprises. Entre 1985 et 1986. Entre 1988 et 1990. Avant, bien plus tard, de se changer en lobbyiste du laboratoire pharmaceutique Servier – le Mediator – et d’être éclaboussé par le scandale. Comprend-on mieux ?

La situation n’a pas beaucoup changé. Hollande, Valls et Le Foll font une lèche permanente au nouveau patron de la FNSEA, Xavier Beulin, qui leur promet de créer des emplois. Si, il promet. Mais Beulin est en même temps le patron d’une énorme boîte de l’agro-industrie, Sofiprotéol, dont le chiffre d’affaires atteint 7 milliards d’euros. La moitié des pesticides utilisés en France seraient commercialisés par Beulin and Co, si bien qu’on se posera pour finir cette question de bon sens : pourquoi sommes-nous si cons ?

(1) La première synthèse parue, d’une série de sept, est en ligne : http://link.springer.com/article/10.1007/s11356-014-3180-5

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Mais quel rapport avec l’autisme ?

Attention, c’est polémique. Les lettres d’insulte seront évidemment toutes lues. Le monde connaît une augmentation stupéfiante du nombre de cas d’autisme. En partie, sans doute, parce qu’on classe autrement et qu’on regarde mieux. Mais il est manifeste que d’autres causes expliquent ce que la ministre québécoise de la Santé, Véronique Hivon, appelle (le 6 janvier 2014) un « tsunami d’autisme ». Tous les quatre ans là-bas, le nombre de cas double. Et la tendance est mondiale.

Or une nouvelle étude- car il y en a d’autres – pointe des liens entre pesticides et certains cas d’autisme (1). Une équipe de l’université californienne Davis y montre que des femmes, surtout celles exposées au cours des deuxièmes et troisièmes trimestres de grossesse ont un risque bien plus élevé d’avoir des enfants autistes ou souffrant de troubles du comportement. Le cerveau des fœtus pourrait être tout spécialement sensible aux pesticides. Aux Etats-Unis, l’autisme touche en 2014 un gosse sur 68, contre un sur 150 en 2000.

(1) http://ehp.niehs.nih.gov/1307044

Marie-Lys Bibeyran contre les châteaux du Médoc

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 4 juin 2014

Les pesticides tuent, mais au pays des Bouygues, Rothschild, Pinault, rien ne va plus. Une prolo de la vigne mène un combat au couteau contre la chimie de synthèse, en souvenir de son frère, mort d’un cancer rare en 2009.

Fallait pas emmerder cette fille, c’est clair. Aurait pas fallu que son frangin Denis meure d’un cancer en 2009. Aurait pas fallu qu’elle lise autre chose que Le Journal de Mickey. Aurait pas fallu que Marie-Lys Bibeyran soit une combattante. Dommage pour les grands crus du Médoc, dommage pour les châteaux du Médoc, dommage pour le margaux, le saint-estèphe, le moulis.

Mais reprenons dans l’ordre. La fille a 36 ans et elle a grandi dans les vignes de Listrac-Médoc comme d’autres à la mine de Loos-en-Gohelle. Son père est maître de chai – il élève et chouchoute le vin –, elle a commencé à travailler dans les vignes dès l’âge de 13 ans, entre deux cours. Quand son frère Denis meurt à 47 ans, elle ne supporte pas. Son cancer des voies biliaires est rare – un cholangiocarcinome -, et il bossait comme elles dans les vignes, depuis plus de trente ans, pissant le sang à répétition pendant les épandages de pesticides.

Marie-Lys, qui ne croit pas à la coïncidence, réclame dès 2011 une reconnaissance en maladie professionnelle, qui lui est refusée. En 2012, elle tombe sur un article du magazine Lyon Capitale qui raconte l’aventure du petit labo Kudzu Science. En gros, il devient possible, grâce à un test, de tracer la présence d’une quarantaine de pesticides en analysant une simple mèche de cheveux.

La grande bagarre peut commencer. Aidée par l’association Générations Futures (http://www.generations-futures.fr), Marie-Lys organise entre octobre et novembre 2012 une collecte de cheveux. Elle a réussi à convaincre des prolos agricoles de son coin, et le résultat, connu en février 2013, est sans appel. Il y a 11 fois plus de pesticides dans les tifs de ces derniers que chez les riverains qui habitent loin des vignes.

On retrouve jusqu’à dix pesticides différents chez une seule mèche, et les malheureux qui vivent près vignes sans y travailler ont encore cinq fois plus de résidus de pesticides dans le cheveu que les veinards qui vivent à des kilomètres de là. Plus de 45 % des « molécules retrouvées sont classées cancérigènes possibles en Europe et aux USA », et « plus de 36 % sont suspectées d’être des perturbateurs endocriniens ».

La suite est sans fin. Marie-Lys, qui a une gosse de 9 ans, continue à travailler dans les vignes, et à traiter. Mais elles gueule comme jamais, semant un souk invraisemblable dans le village de Listrac-Médoc (Gironde), où elle habite, entourée de 600 hectares de vignes. Or le Médoc est devenu le pays des Bouygues, Pinault et Rothschild, qui se battent contre des boîtes comme Axa ou Allianz pour acheter vignes, caves et châteaux.

Autant dire que l’action de Marie-Lys Bibeyran n’est pas populaire, surtout chez les puissants. Elle vient d’obtenir à la mairie une copie du registre des décès entre 2002 et 2011, qui pourrait lui permettre de comparer le taux de cancer à Listrac et dans le reste de la France. Et presque tous les jours, sur sa page Facebook, elle monte à l’assaut comme en 14. Extrait du 25 mai : « Ça traite sur Listrac malgré le vent, côté Donissan, Moulin de Laborde, le Tris… ».

Extrait du lendemain : « Courrier à l’attention de Mr le Maire de Listrac remis en mairie hier matin, courrier comportant ma requête sur l’affichage de la mention “Traitements insecticides contre la flavescence dorée du 02 au 22 juin” ». Avant de pointer des infractions liées à la vitesse du vent au moment des épandages, et de rappeler des textes dont tout le monde s’est toujours contrefoutu.

Mais quelque chose est en train de basculer, et elle n’y est pas pour rien. Fin avril, un proprio de vignes – en Dordogne – a été reconnu définitivement coupable de « faute inexcusable « pour n’avoir pas suffisamment protégé ses salariés. L’une d’entre eux avait été gravement intoxiquée en 2007 par des pesticides au cours d’un énième épandage. Le 8 novembre prochain, l’avocat François Lafforgue, grand spécialiste du désastre de l’amiante, tentera d’arracher une reconnaissance de maladie professionnelle pour Denis, le frère zigouillé de Marie-Lys Bibeyran. On vous tient au courant.

Royale prise de tête pour l’écologie

Ce papier a été publié par Charlie Hebdo le 9 avril 2014

Mission impossible pour Ségolène Royal, qui doit se coltiner au ministère les ingénieurs des Ponts et des Eaux et forêts. Derrière les rideaux de fumée, la « noblesse d’État » décrite par Bourdieu réclame la seule chose qu’elle connaît : des coulées de béton.

Pas la peine de mentir : on ne voyait pas Ségolène Royal revenir au ministère de l’Écologie, 20 ans après avoir occupé le poste. Ben oui. Royal a été ministre de ce qu’on appelait l’Environnement entre avril 1992 et mars 1993, juste avant la branlée monumentale des législatives, qui a dû rappeler des souvenirs au père Hollande. Député sortant de Corrèze – déjà -, il avait en effet été sèchement battu par le candidat UDF-RPR de l’époque.

Donc, Royal. Ne jamais oublier qu’elle n’a pas réussi grand-chose. À l’Environnement, en 1992, elle a lamentablement foiré une Loi sur les déchets, qui devait interdire les décharges dès 2002, sauf pour les déchets dits ultimes. 22 ans plus tard, il existe encore des centaines de décharges en France, et rien n’indique le moindre mouvement en sens contraire. Certes, toute la société a merdé. Mais Royal encore plus.

Deuxième raté : le Marais poitevin. Élue du coin comme députée, puis présidente de la Région, elle connaît le dossier par cœur. L’une des plus splendides zones humides de France a été drainée en bonne part, et transformée en une immensité de maïs dopé aux pesticides. Elle a  blablaté, ferraillé à l’occasion avec Raffarin, l’autre ponte local, côté droite, mais elle a laissé faire. Elle y pouvait rien ? En tout cas, elle n’a rien foutu.

Que vient-elle traîner dans la galère gouvernementale ? Le ministère de l’Écologie appartient de longue date aux grands ingénieurs, cette « noblesse d’État » décrite avec bonheur par Bourdieu dans un livre de 1989. En la circonstance, au corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts (IPEF). On ne peut que survoler : les ingénieurs des Ponts ont absorbé par fusion ceux des Eaux et Forêts (Igref), et forment l’ossature administrative du ministère de l’Écologie. Or les Ponts, qui existent depuis avant la révolution de 1789, auront tout fait : les routes et ronds-points, les autoroutes, les villes nouvelles comme l’atroce Marne-la-Vallée, les ZUP pouraves de banlieue. Les Igref, de leur côté, ont assaisonné les restes : remembrement des campagnes, destructions des haies, « rectification » ou canalisation des voies d’eau, plantations massives de résineux. L’anti-écologie.

Royal sait à quoi s’en tenir, et elle ne va certainement pas mener des combats perdus d’avance. Elle a en ligne de mire deux dates clés : la loi de transition énergétique d’une part ; le sommet mondial sur le climat qui doit se tenir en 2015 à Paris. Charlie a déjà parlé de la prochaine loi Énergie, prévue avant l’été. Pour l’heure, les grands lobbies industriels – Total et de Margerie, EDF et Proglio – mènent le bal, en plein accord avec Hollande, qui a un besoin crucial de ces poids lourds pour fourguer son Pacte de responsabilité.

Margerie comme Proglio refusent à l’avance qu’on leur fasse payer une transition vers des énergies vraiment renouvelables. Business as usual. Total guigne une hypothétique exploitation des gaz et pétroles de schiste en France et EDF exige qu’on lui foute la paix avec le nucléaire. Que peut espérer Royal contre son ancien jules, Valls, Montebourg et Cazeneuve, appelé jadis le « député Cogema » à cause de son militantisme pronucléaire ? Elle a intérêt à trouver avant les grandes vacances.

Quant à la réunion sur le climat, l’affaire s’annonce là aussi délicate pour Royal. Car jusqu’ici, tous les rendez-vous depuis la conférence de Kyoto, en 1997, ont échoué, faute d’accord sérieux entre le Nord et le Sud. Ajoutons un mot sur l’Agriculture, secteur décisif pour qui se préoccupe des écosystèmes. Le Foll maintenu, c’est l’assurance que les liens noués en profondeur avec la FNSEA de Xavier Beulin seront maintenus.

Or Beulin, chantre de l’agriculture industrielle, ne rêve que d’une chose : installer des fermes des 1000 vaches et des usines à biocarburants. Il est donc raccord avec Proglio et Margerie, mais aussi avec les ingénieurs anciennement des Eaux et Forêts qui tiennent le ministère de l’Agriculture. Lesquels ne rêvent que d’une chose : industrialiser ce qui ne l’a pas encore été. Les surprises ne sont pas terminées.

Contre l’agroécologie à la sauce Le Foll

Enfin ! Enfin ! Je vous ai déjà raconté (ici) la farce sinistre inventée par le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll et ses services. Par un hold-up sur les mots, nos productivistes de toujours tentent de faire avaler ce qu’ils osent nommer l’agroécologie. Qui deviendrait dans leurs mains un simple avatar de l’agriculture industrielle, avec les mêmes acteurs bien sûr, dont la FNSEA au premier rang. Je vous signale d’ailleurs que Xavier Beulin – patron à la fois de la FNSEA et du géant industriel Sofiprotéol – prépare pour le 21 février un grand raout appelé États généraux de l’agriculture (ici). Quatre, peut-être cinq ministres iront comme de juste se prosterner.

Dans ce climat écœurant, il est donc heureux de voir, comme vous lirez ci-dessous, que des associations chères à mon cœur et un syndicat paysan itou commencent à relever la tête. Il était temps. Mais il n’est pas trop tard pour se battre sous notre bannière. Car c’est de cela qu’il s’agit : d’un combat. Et notre drapeau est le plus beau.

Collectif agroécologie


Les organisations signataires de ce communiqué* ont décidé de se constituer en « collectif pour une agroécolgie paysanne ». Ce texte de position est un premier pas. Après l’agriculture biologique, le commerce équitable, l’éco-construction, le projet de société dont est porteur l’agroécologie est lui aussi en train d’ être détourné. Notre collectif ne croit pas que la fuite en avant technicienne puisse répondre aux problématiques environnementales et politiques. Il entend défendre les valeurs et promouvoir les initiatives portées par les paysans, les citoyens, et tout acteur du mouvement social
et dénoncer les fausses solutions. Le présent communiqué marque l’amorce d’un travail de rapprochement, de convergence et d’organisation collective. Le collectif est ouvert à toutes les organisations qui se retrouvent dans cette démarche.

– Pour une agroécologie paysanne –
Nous, mouvements sociaux organisés, associatifs, syndicaux et professionnels, affirmons qu’une agroécologie paysanne existe aujourd’hui en France. Nous sommes obligés de la qualifier d’ « agroécologie paysanne » pour la distinguer de la campagne de communication du Ministère de l’Agriculture qui brandit le drapeau de l’agroécologie dans le seul but de mieux camoufler la fuite en avant de l’agriculture industrielle vers la marchandisation du vivant et la bioéconomie.
En effet, les méthaniseurs industriels qui détournent la production alimentaire au profit de la poursuite du gaspillage énergétique, les semis directs avec l’herbicide Round Up® et les technologies génétiques destinées à breveter les semences sont des supercheries qui sont scandaleusement inscrites sous le vocable agroécologie par ce ministère. Par ailleurs, celui-ci, tout en élaborant la loi d’orientation agricole et en se réclamant de l’agroécologie , est en train de valider une loi sur les propriétés intellectuelles qui élargit, par les brevets sur les marqueurs biochimiques, moléculaires ou génétiques, le pouvoir des transnationales sur tous les domaines du vivant, et interdit les semences paysannes et reproductibles !
L’agroécologie paysanne est avant tout un corpus de pratiques vivantes et de mouvements sociaux avec un objectif politique commun : une agriculture sociale et écologique ancrée dans les territoires.
Elle s’inclut dans un mouvement de transformation sociétale global qui touche tous les secteurs d’activité (énergie, transformation, commerce, transport, habitat, éducation, santé, etc). Nous critiquons l’idéologie productiviste, le modèle agro-industriel et même le concept de développement agricole. Le terme de développement est assimilé à la notion de croissance économique illimitée. Cette notion est antinomique avec le vivant dont le développement n’est pas fait que de croissance, mais est contenu par des équilibres dynamiques complexes à tous les niveaux d’organisation.
Appliqué à l’agriculture, le développement est un mirage entretenu par les intrants pétrochimiques et les subventions. Le projet du ministère français perpétue un modèle agricole industriel où le travail humain est taxé, l’emploi est détruit et les intérêts du capital préservés. L’énergie fossile est subventionnée, les impacts négatifs sont à la charge de la collectivité et les bénéfices sont privatisés. Actuellement, nous avons en France 5 millions de chômeurs, dont des paysans sans terre, et 500 000 agriculteurs.

C’est une situation aberrante dans un contexte de réchauffement climatique qui nécessite une réduction de la consommation des énergies fossiles et une augmentation significative de la population agricole. Or depuis les années 80, il n’y a plus d’augmentation du rendement des cultures mais seulement une augmentation de la consommation des énergies fossiles qui remplacent le travail humain par la mécanisation, l’utilisation croissante des intrants chimiques et l’agrandissement des surfaces des exploitations. Seule aujourd’hui une réinstallation paysanne massive est capable de relever les défis
écologiques, alimentaires et sociaux auxquels nous sommes toutes et tous confrontés.
L’effondrement du modèle agro-industriel breton nous invite à regarder la réalité en face : plutôt que de se mettre la tête dans le sable en attendant le retour d’une croissance inaccessible, face à la crise et à la précarité administrée, nous sommes aujourd’hui arrivés à l’heure des choix fondamentaux. La généralisation d’une agriculture écologique n’est pas hors de portée mais constitue un véritable choix politique allant plus loin que de simples évolutions techniques. L’agroécologie renverse la hiérarchie des savoirs, en remettant en cause un académisme qui oppose savoir-faire et connaissance théorique. Les savoirs scientifiques et techniques ne peuvent être dissociés des savoirs et des pratiques populaires ; ils en sont même l’émanation. Les premiers savoirs agronomiques ont été les savoirs et savoir-faire paysans qui n’ont cessé de s’adapter à leur environnement et aux sociétés. Les pratiques qui se revendiquent de l’agroécologie sont vivantes et au coeur des processus créatifs, culturels et sociaux. En s’opposant à la privatisation du vivant, en revendiquant la réalisation concrète des droits collectifs d’usage des communs, elles combattent un modèle économique dominant fondé sur la primauté du droit de propriété.

L’agroécologie paysanne est avant tout un outil de transformation sociale. Cette conception est partagée avec d’autres organisations paysannes et de la société civile dans le monde et notamment la Via Campesina, dans un projet de société nécessairement basé sur la paysannerie. Nous avançons avec une main tendue vers toutes les personnes qui par leur travail salarié, indépendant ou domestique participent à l’économie réelle. L’objectif est de replacer l’humain et la nature au centre des préoccupations sociétales, de sortir de la dictature de l’argent et de la finance.
Nous continuerons à nous retrouver pour construire les bases de nos actions, pour faire poids contre les tentatives d’encadrer, par le travestissement des mots ou la contrainte réglementaire, les initiatives populaires à finalités sociales et écologiques.

*Organisations membres du collectif :

Logos collectif agroecologie

Des algues vertes pour chaque petit Français

Publié par Charlie Hebdo le 15 janvier 2014

La farce est splendide. D’un côté, on prétend mobiliser contre les marées vertes sur les côtes. De l’autre, le mal s’étend jusqu’en Méditerranée, et le gouvernement fait de nouveaux cadeaux aux porcheries industrielles.

Ce gouvernement est vraiment très con. Pas plus que sous Sarkozy, mais pas moins. Dans le même temps qu’il annonce chaque matin un plan de lutte contre les algues vertes, on apprend que ces dernières ont essaimé. On les trouvait en Bretagne, l’été ; elles sont désormais partout, et même en hiver. Qui le dit ? Un pompeux machin officiel nommé Commissariat général au développement durable (CGDD). Dans une note publiée ces jours-ci (Les proliférations d’algues sur les côtes métropolitaines), notre bel organisme publie une carte qui ne laisse place à aucun espoir : y en a partout. Partout.

Outre la Bretagne – 51 plages et 33 vasières touchées, mais bien plus selon les écologistes de la région -, toute la façade atlantique est dévastée, et même la Méditerranée. Bienvenue au club des gros dégueulasses pour le Calvados, les îles de Ré et d’Oléron, la Vendée, les débouchés de la Loire, de la Gironde, de l’Adour, du Rhône, du Var. C’est un festival. Dans un commentaire plutôt décoiffant, le CGDD constate l’existence de : « blooms phytoplanctoniques potentiellement dangereux pour la santé » Le bloom, c’est la floraison, ou plutôt l’explosion, et le phytoplanction les algues elles-mêmes, qui peuvent être microscopiques et atteindre plusieurs millions d’unités par litre d’eau. Millions.

Le CGDD distingue, sans s’appesantir sur ce vilain sujet, trois types de toxines. Les diarrhéiques, dans le genre Dinophysis. Les amnésiantes, qu’on trouve chez les Pseudonitzschia. Et les paralysantes, chez les Alexandrium. La bonne nouvelle, que Charlie transmet aimablement aux offices de tourisme concernés, c’est qu’on ne trouve pas de toxines paralysantes en Bretagne Sud. Ailleurs, si.

D’où vient le poison ? Sublime, le CGDD note scrupuleusement : « Selon les bassins hydrographiques et les années, de 54 % (Seine-Normandie) à 90 % (Loire-Bretagne) de l’azote présent dans les cours d’eau seraient d’origine agricole ». Or cet azote, qui vient du lisier des bêtes d’élevage, déversé par milliers de tonnes, provoque les marées vertes. Chacun le sait depuis bien quarante ans, mais tous les ministres de l’Agriculture depuis Chirac – il a occupé le poste entre 1972 et 1974 – ont préféré pisser dans un violon que d’embêter les porchers industriels.

La situation générale est donc hors de contrôle, mais il en faudrait davantage pour émouvoir nos Excellences. Au cours de la calamiteuse Conférence environnementale de septembre 2013, le gouvernement a affirmé du bout des lèvres, sans y croire une seconde, qu’il se donnait dix ans pour éliminer les algues vertes en…Bretagne. Ah ! les farceurs.

Un qui ne rit pas tous les jours de ces blagues lourdingues, c’est le Jean-François Piquot, pilier de l’association Eau et Rivières de Bretagne (http://www.eau-et-rivieres.asso.fr). L’homme ne se déplace jamais sans un chapeau sous lequel se cache une forte tête. Et pour lui, il est clair que « la guerre du cochon est rallumée ». Piquot ne parle pas directement des algues vertes, mais d’un incroyable décret passé inaperçu, publié en catimini le 27 décembre dernier. Jusqu’ici, il fallait une autorisation spécifique pour ouvrir toute porcherie de plus de 450 porcs. Grâce à Ayrault et Le Foll, le seuil passe à 2 000 bêtes. En dessous, que dalle. Pas d’enquête publique, pas d’étude d’impact.

« C’est un très mauvais coup porté à la protection de l’environnement, gueule Piquot. Alors que la France est déjà mise en cause par l’Europe pour l’inefficacité de ses actions de reconquête de l’eau, baisser la garde sur les outils qui permettent de réguler la concentration de l’élevage hors sol est une aberration ». Inutile de dire que la concentration de porcheries industrielles de grande taille ne peut qu’augmenter les épandages de lisier sur des surfaces agricoles déjà saturées d’engrais azotés. Et donc aggraver en proportion les marées vertes.

Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, sait tout cela, comme il sait où mènera le projet de « Ferme des 1000 vaches » raconté ici fin décembre. Mais ce proche de Hollande a une mission, et une seule : empêcher que la FNSEA ne tire à son  tour sur l’ambulance de l’Élysée. Pour l’instant, ça tient. À peu près.