Archives de catégorie : Agriculture(s)

OGM sans frontières, d’Obama à Hollande

Paru dans  Charlie Hebdo le 22 mai 2013

En Amérique, Monsanto fait la loi, jusqu’à la Cour suprême. Si on veut planter du soja, il faut payer la taille et la gabelle. En France, l’Inra fait joujou dans le Loiret et veut changer des peupliers OGM en biocarburants. C’est la fête transgénique.

L’Amérique d’Obama. Il ne faut pas dire du mal, on va se gêner. Début avril, des petits malins glissent dans un projet de loi budgétaire ce qu’on appelle ici un cavalier législatif. C’est-à-dire un amendement qui n’a pas de rapport direct avec le texte présenté. C’est classique et sans vaseline.

Le cavalier, aussitôt appelé « Amendement Monsanto », interdit à la justice de suspendre la vente et la culture de plantes OGM, même dans le cas où l’homologation légale leur serait retirée. Une pétition de 250 000 signatures est apportée, en manif, jusqu’aux abords de la Maison-Blanche. Obama, qui doit bien y trouver son intérêt, s’assoit sur les protestations et donne son feu vert au projet de loi, amendement compris, quelques jours avant le vote.

Et ça continue le 13 mai, sous la forme d’une décision de la Cour suprême des Etats-Unis. Certes oui, les vieux birbes qui y siègent sont « indépendants », mais ils semblent sacrément sensibles à l’air du temps. En gros, la Cour condamne un pedzouille de l’Indiana – Vernon Hugh Bowman, 75 ans aux fraises -, confirmant un jugement de 2009 l’obligeant à refiler à Monsanto, le maître du monde, 65 000 euros. Qu’a fait Bowman ? De 1999 à 2007, il a replanté des graines de soja issues de sa propre récolte, ce que font tous les paysans de la Terre depuis l’invention de l’agriculture.

Sauf que le soja était OGM et que les semences appartenaient, par brevet commercial, à l’ami de la nature, Monsanto soi-même. Le groupe interdit qu’on réutilise les semences qu’il vend, car selon lui – et la Cour suprême désormais – ce serait du vol. Les contrats signés avec les paysans les contraignent à racheter chaque année des semences à Monsanto, ce qui peut se révéler pratique. Dans un rapport publié en février (1), on apprend que planter du soja transgénique coûte bonbon : entre 1995 et 2011, l’augmentation moyenne, à l’hectare, est de 325 %. Or l’Amérique compte à elle seule 60 millions d’hectares de cultures OGM (toutes plantes confondues), soit plus que la surface entière de la France.

C’est donc pas chez nous qu’on verrait ça. Et de fait, grâce notamment aux Faucheurs volontaires (http://sans-gene.org/), qui zigouillent les plants OGM de plein champ depuis 1999, Limagrain, le petit frère auvergnat de Monsanto, n’est jamais parvenu à ses fins. Un à un, tous les essais de terrain ont reculé, ne laissant place qu’à un seul et unique survivant : la plantation de 1 000 peupliers OGM de l’Inra, à Saint-Cyr-en-Val (Loiret). Depuis 1995, nos excellents amis ingénieurs agronomes regardent pousser les arbres, et ils aimeraient continuer.

Une consultation publique, pas qu’un peu bidon, est ouverte jusqu’au 27 mai, portant sur « la prolongation d’une expérimentation en plein champ de peupliers génétiquement modifiés ». Comme on se doute, les ennemis du progrès essaient, de leur côté, d’empêcher la poursuite de cette belle aventure scientifique. Dans un communiqué (2), les Amis de la Terre, la Confédération paysanne, Greenpeace, les paysans bio de la Fnab piquent une crise, car ils redoutent un coup de Jarnac. Selon la dernière autorisation, celle de 2007, les peupliers OGM auraient dû être coupés au printemps 2013. Mais les gens de l’Inra semblent concocter un autre projet.

Conçu au départ pour tester la capacité des arbres OGM à faire du papier – sur ce plan-là, échec complet -, l’essai de l’Inra pourrait bien servir à la fabrication à terme, d’un biocarburant. Depuis l’apparition de cette vérole – on transforme des plantes, essentiellement alimentaires, en carburant automobile -, des dizaines de rapports ont démontré ses liens avec la faim. Ce n’est pas bien compliqué : dans un monde qui compte près d’un milliard d’affamés chroniques, si on distrait une partie des récoltes au profit des biocarburants, il y a fatalement moins à bouffer pour les plus pauvres.

Est-ce que l’Inra se fout à ce point-là de ces questions morales élémentaires ? Et Le Foll, le ministre de l’Agriculture ? Et Hollande, son bon maître ? C’est possible. On va voir.

(1)  http://www.centerforfoodsafety.org/reports/1770/seed-giants-vs-us-farmers
(2)  http://www.amisdelaterre.org/Plusieurs-associations-appellent-a.html

À l’assaut du maïs mexicain

Paru dans Charlie Hebdo le 15 mai 2013

Le maïs est la première céréale mondiale, avant le blé ou le riz. Et cette plante est née au Mexique, où les paysans font vivre des milliers de variétés résistant à tout. Les transnationales, Monsanto en tête, veulent y planter des millions d’hectares d’OGM, aidés par Bill Gates et Carlos Slim.

Carlos Slim. On ne connaît pas ici ce Mexicain, désigné en mars 2013 comme l’homme le plus riche du monde selon le classement de Forbes. Il pèse 10 % de la Bourse de Mexico, et il est aussi, car le monde est merveilleux, le deuxième actionnaire du New York Times. Comment règne-t-on sur une fortune personnelle de 73 milliards de dollars ? En vivant dans un pays où tout s’achète. Où les présidents couchent avec les caïds de la came, où l’on décapite à la machete ceux qui se mettent en travers de la route.

Mais Slim est un philanthrope, et parmi ses nombreux amis, il fréquente un certain Bill Gates, qui jongle avec les centaines de milliards de sa Fondation depuis qu’il a largué Microsoft. Le 12 février dernier, les deux hommes se retrouvent au siège du Centre international d’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT, selon l’acronyme espagnol), à Mexico. Et signent à cette institution de l’agriculture industrielle un chèque de 25 millions de dollars, devant les caméras. Mais que cherchent-ils ? Pour bien comprendre la manœuvre, il faut dire un mot de l’histoire de ce centre, d’où est partie la soi-disant Révolution verte. Il y a 50 ans, sous couvert de lutte contre la faim, l’agrobusiness a pu répandre dans une bonne part des pays du Sud, Inde en tête, les engrais, les pesticides, l’irrigation industrielle, les gros engins. Slim et Gates auraient-ils l’intention de récidiver, à commencer par le continent africain, où la Révolution verte n’a pas pénétré la première fois ?

C’est plausible et c’est même probable, car une bagarre d’une ampleur surprenante, dont Charlie a déjà parlé (le 28 novembre 2012), a lieu en ce moment au Mexique. L’enjeu s’appelle le maïs, né dans ce territoire, et dont la souche historique est désormais menacée par les OGM, notamment ceux de Monsanto. Le 11 février 2013, deux scientifiques mexicains spécialistes du maïs, Alejandro Espinosa Calderón et Antonio Turrent Fernández, signent une tribune dans le quotidien La Jornada. Ils y expliquent le rôle essentiel de la diversité génétique des maïs cultivés au Mexique depuis des milliers d’années, et mettent en garde contre un projet simplement crapuleux. Le gouvernement envisage sérieusement de filer des millions d’hectares à des transnationales comme Monsanto pour y semer du maïs OGM. Dans ce cas, écrivent les deux auteurs, « il deviendrait impossible d’empêcher la contamination » du maïs non-OGM.

Sur place, ainsi que le raconte l’association Grain (www.grain.org), c’est l’effervescence. D’innombrables réunions publiques, articles, films et spots sur Internet, ont lieu depuis des mois, coordonnés par le Red en Defensa del Maíz (http://redendefensadelmaiz.net), un réseau social et politique très efficace. L’Indienne Vandana Shiva a même fait le déplacement à Oaxaca, terre zapatiste, où elle a donné le 30 avril une conférence de presse.

Les Slim et autres Gates ont oublié d’être cons, et avancent sous couvert de la Cruzada contra el Hambre, ou Croisade contre la faim, un grand plan lancé dans l’enthousiasme préenregistré par le gouvernement mexicain. Tout se déglingue ? Le dérèglement climatique s’ajoute à l’épuisement des sols et des nappes phréatiques alors que nous serons bientôt dix milliards ? Pas si grave, car il y a des solutions. Enrique Martínez y Martínez, ministre de l’Agriculture mexicain : « Les biotechnologies sont nécessaires pour faire face aux famines, au Mexique et dans le monde (…), nous devons chercher les semences génétiquement améliorées qui nous permettent de faire face aux sécheresses, aux pestes agricoles, aux gelées ».

Mais revenons une seconde à Slim et Gates, qui ont donc donné 25 millions de dollars au Centre de recherche qui a lancé la Révolution verte. Le quotidien britannique The Guardian (15 février 2013) a eu la curiosité d’interroger à ce sujet Thomas Lumpkin, le directeur du Centre. Non seulement le fric va permettre de travailler davantage sur le maïs OGM, mais en plus, des programmes sont en cours au Kenya et dans plusieurs pays africains, premières cibles, à l’évidence. Pendant qu’on se passionne pour Hollande et Sarkozy, le monde bascule.

Comment le gouvernement s’assoit sur le ventre des abeilles

Publié dans Charlie Hebdo le 7 mai 2013

Les abeilles, assurent par la pollinisation le tiers de l’alimentation humaine, mais elles meurent par milliards. L’Europe fait un geste contre les pesticides qui les butent, et Charlie raconte les coulisses.

Résumons, car cette histoire en a bien besoin. La semaine passée, la Commission européenne a décidé de suspendre pendant deux ans l’usage de trois pesticides, ou plutôt de trois matières actives entrant dans leur composition : l’imidaclopride, la clothianidine et le thiaméthoxame. La grande folie, c’est qu’on sait depuis quinze ans que ces charmants personnages butent les abeilles par milliards. Ces abeilles qui garantissent, par la pollinisation, environ un tiers de l’alimentation humaine.

Résumons donc. En 1991, les chimistes du groupe Bayer touchent le gros lot. Leur nouvelle invention pour liquider les insectes dans les champs industriels de tournesol ou de maïs est dite systémique. En appliquant sur la semence le petit nouveau, on « protège » la plantule puis la totalité de la plante, via la sève. Le truc s’appelle imidaclopride et sera commercialisé sous le nom de Gaucho. De 1994 à 1997, les apiculteurs voient crever leurs abeilles par milliards, mais chut. L’hécatombe devient telle qu’en janvier 1999, Jean Glavany, ministre socialo de l’Agriculture, suspend l’utilisation du Gaucho pendant un an, sur le seul tournesol. Mais ce n’est qu’une gentille farce.

En janvier 2002, une main très inspirée, au ministère, donne un coup de tampon sur l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) du Gaucho. Cette dernière est prolongée de dix ans, malgré la mort des abeilles. Alors arrive le petit juge Ripoll, saisi par une plainte d’un syndicat d’apiculteurs. Le voilà qui perquisitionne l’une des citadelles les mieux protégées du ministère de l’Agriculture, la Direction générale de l’alimentation (DGAL). Il tombe sur la directrice, Catherine Geslain-Lanéelle, qui l’envoie chier direct. Elle lui refuse communication des documents ayant permis l’Autorisation de mise sur le marché. Bien qu’ayant frôlé la garde-à-vue, la Catherine tient bon, et le juge repart la queue basse. Ripoll sera muté peu après à Papeete, là où le lagon est si bleu.

On ne peut raconter ici la suite, pourtant si éclairante, mais on va retrouver au coin de la rue Geslain-Lanéelle, ne quittez surtout pas. D’autres pesticides du même genre inondent le marché français : le Régent, le Cruiser (thiaméthoxame), le Poncho (clothianidine). Les abeilles disparaissent sans laisser de trace, car parties butiner, elles ne parviennent plus à retrouver leur ruche. Leur système nerveux est simplement anéanti. Et les apiculteurs suivent le mouvement : de 2004 à 2010, leur nombre a baissé de 40 % (chiffres officiels FranceAgriMer).

Mais revenons à Geslain-Lanéelle. Officiellement proche des socialos, elle devient en 2006 la directrice de l’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa, selon son acronyme anglais). En 2010, on apprend – grâce à José Bové – que la nouvelle présidente du Conseil d’administration de l’Efsa, la Hongroise Diána Bánáti, bosse en loucedé pour un lobby industriel comprenant notamment Bayer et BASF, les propriétaires du Gaucho et du Regent. Or Geslain-Lanéelle s’en accommode si bien qu’elle défend le maintien de Bánáti à la tête du Conseil d’administration de l’Efsa jusqu’en mai 2012, date de sa démission.

Est-il possible que ces micmacs expliquent l’inertie française – et européenne – de ces quinze dernières années ? Notons en tout vas, avec une vive surprise, que l’agrochimie a mis le paquet pour tenter d’empêcher l’interdiction des trois pesticides par l’Europe. Dans un hallucinant rapport, Corporate Europe Observatory (CEO), spécialisé dans la surveillance des lobbies industriels, révèle la teneur de courriers adressés à la Commission européenne (1). Les lettres, dont certaines signées Bayer (le Gaucho), varient entre plan com’, dénigrement des études scientifiques, menaces de poursuite. Extrait impeccable d’une lettre de Bayer, le 12 juin 2012, adressée au commissaire européen (Santé et Consommation) John Dally : « Soyez bien assuré que pour notre entreprise, la santé des abeilles est notre priorité numéro 1 ». Dally, malheureux homme, a dû démissionner, lui aussi, en octobre 2012, à cause de son implication dans une affaire de corruption par l’industrie du tabac.

Et nous là-dedans, braves couillons que nous sommes ? Le 30 avril 2013, l’Institut national de veille sanitaire (InVS) rend public un rapport sur « l’imprégnation » aux pesticides des Français (2). Notre sang et notre urine sont farcis de résidus de PCB et de pesticides organophosphorés ou organochlorés, parfois plus que les Amerloques, que l’on croyait champions du monde. Rien sur les trois molécules suspendues pour deux ans : les études viendront plus tard, dans vingt ans, quand tout le monde aura Alzheimer.

(1) http://corporateeurope.org/publications/pesticides-against-pollinators

(2) http://www.invs.sante.fr/Publications-et-outils/Rapports-et-syntheses/Environnement-et-sante/2013/Exposition-de-la-population-francaise-aux-substances-chimiques-de-l-environnement-Tome-2-Polychlorobiphenyles-PCB-NDL-Pesticides

ENCADRÉ PARU LE MÊME JOUR

Tout bouge mais rien ne change (ritournelle)

Est-ce que cela va mieux ? Est-ce que les pesticides sont mieux surveillés en France depuis l’affaire du Gaucho (voir ci-dessus) ? Dans un livre paru en 2007 (1), l’essentiel avait été rapporté, à commencer par cette consanguinité totale entre l’industrie des pesticides et les services d’État qui donnent les précieuses Autorisations de mise sur le marché (AMM) de ces si bons produits chimiques.

Depuis, malgré la cosmétique –  industrie en vogue -, il se passe dans les arrière-cours des arrangements entre amis qui réchauffent le cœur. Le 27 août 2012, ainsi que le révèle l’association Générations futures (www.generations-futures.fr), Marc Mortureux écrit une bafouille à Patrick Dehaumont. Pour bien apprécier la saveur de ce qui suit, précisons que Mortureux est le patron de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), créée après la faillite opérationnelle et morale de deux autres agences d’État, l’Afssa et l’Afsset. Mortureux est chargé, comme indiqué, de notre sécurité. Quant à Dehaumont, il est aux manettes de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), qui s’est lourdement illustrée dans la « gestion » des pesticides massacreurs d’abeilles.

Mortureux : « Par courrier du 7 octobre 2009, j’avais attiré l’attention de votre Direction sur les problèmes posés par le fait que les avis de l’Agence relatifs aux dossiers de produits phytopharmaceutique… » et bla-bla-bla. Ce que Mortureux veut dire, qu’il présente de manière diplomatique, c’est que la DGAL s’assoit avec volupté sur les mises en garde sanitaires. Malgré des avis détaillés de l’Anses qu’il dirige, l’administration française a autorisé la mise sur le marché de dizaines de pesticides inquiétants. Mortureux met en cause « le maintien sur le marché de produits pour lesquels avait été émis un avis défavorable ou un avis favorable avec restrictions ». En matière criminelle, aucun doute, il s’agirait d’un flag.

Tête du ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, qui aimerait tant faire croire qu’il est en train de terrasser le monstre industriel avec ses petites mains à lui. Comme contraint, le ministre a finalement donné plus qu’un petit peu raison à Générations futures en commandant un audit dont les résultats doivent être connus entre le 7 et le 10 mai 2013. Problème de CM1 : s’il a fallu quinze ans pour s’en prendre au Gaucho, et compte tenu que Le Foll avance d’un millimètre par mois, combien faudra-il de millénaires pour se débarrasser des pesticides ?

(1) Pesticides, révélations sur un scandale français (Fayard)

Lettre ouverte de Bhaskar H. Save (sur l’agriculture de l’Inde)

La lettre qui suit m’a été envoyée par un ami lointain, très proche pourtant, de Planète sans visa. Laurent Fournier, que je salue, vit en effet en Inde. Ce courrier public d’un vieil homme qui se se penche sur le passé et le futur d’un seul mouvement m’a beaucoup touché. Il date de 2006, mais il est surtout de notre temps. Les interrogations de Bhaskar H. Save devraient être discutées dans les écoles, elles devraient être dans tous les journaux et sur toutes les lèvres. Mais enfin, puisque c’est ainsi, soyons donc seuls encore.

« Kalpavrushka » Farm
Village Dehri, Via Umergam, District Valisad, Gujarat – 396 170 (INDIA)

http://www.savesanghavi.com/

To : Shri M.S. Swaminathan,
The Chairperson, National Commission on Farmers
Ministery of Agriculture, Government of India

Juillet 29, 2006

Objet: Augmentation de Suicides et Politique Agricole Nationale

Cher Mr Swaminathan,

Je suis un fermier de 84 ans, pratiquant l’agriculture naturelle/organique depuis plus de six décades, et la culture d’une grande diversité de plantes alimentaires. J’ai, au cours des ans, mis en pratique plusieurs systèmes de culture, incluant la méthode chimique dans les années cinquante – dont j’ai bien vite vu les pièges.

J’affirme que c’est seulement par l’agriculture organique, en harmonie avec la Nature, que l’Inde peut fournir à sa population, de façon durable, une nourriture abondante et saine – et couvrir l’ensemble des besoins pour vivre sainement, dignement et en paix.

Vous, Mr. Swaminathan, êtes considéré comme le « Père » de ce qu’on appelle la « Révolution Verte » de l’Inde, qui a délibérément laissé la porte ouverte aux produits toxiques de l’agrochimie qui ont ravagé les terres et les vies de millions de fermiers indiens au cours des cinquante dernières années. Plus qu’aucune autre personne au cours de notre longue histoire, c’est Vous que je tiens pour responsable de la dramatique situation de nos sols et de nos fermiers accablés de dettes, poussés au suicide en nombre croissant chaque année.

Ironie du sort, vous voilà devenu à présent le Président de la « National Commission on Farmers », chargée de définir une nouvelle politique agricole. Je vous demande de saisir cette opportunité pour apporter des modifications pour le bien des enfants, présents et à venir. Sachant que votre Commission sollicite les avis des fermiers pour définir la nouvelle politique, et puisqu’il s’agit d’une consultation ouverte, j’adresse une copie de ma lettre : Au Président, au Premier Ministre, au Ministre de l’Agriculture, au Président du Conseil et aux médias, pour une plus ample diffusion. J’espère que cela provoquera une prise de conscience et un débat ouvert à tous les niveaux sur les enjeux extrêmement vitaux en question. Ceci afin d’éviter que se reproduise le même genre d’erreur stupide qui nous a conduit à l’actuel désordre, profond et généralisé.

Le grand poète Rabindranath Tagore évoquait, il n’y a pas si longtemps, notre « sujhalam, sufalam » pays, qui était, en effet, une région remarquablement fertile et prospère, avec des sols riches, de l’eau et du soleil en abondance, des forêts épaisses, un trésor de biodiversité … Et un peuple cultivé et pacifique, disposant d’un vaste fonds de connaissances agricoles et de sagesse.

Nous sommes fermiers dans le sang. Mais cela m’attriste que notre génération (aujourd’hui grisonnante) de fermiers indiens, ait accepté d’être dupée en adoptant le mode d’agriculture, à courte-vue et dévastateur au plan écologique, qui a été importé dans ce pays – Par ceux, comme Vous, qui n’ont aucune expérience agricole !

Depuis d’innombrables générations, cette terre a pourvu aux besoins d’une population parmi les plus nombreuses de la planète. Sans aucun « fertilisant » chimique, aucun pesticide, aucune de ces quelques variétés de céréales exotiques, ni aucune de ces chimériques nouveautés « biotechnologiques » dont vous semblez appuyer le transfert. Les nombreuses vagues d’occupants dans notre pays, au cours des siècles, ont beaucoup pris. Mais la fertilité de notre pays n’a pas été affectée pour autant.

Les Upanishads disent :

« Om Purnamadaha
Purnamidam Purnat Purnamudachyate
Parnasya Purnamadaya Purnamawa Vashishyate »

« Cette création est totale et complète.
Du Tout émergent des créations, chacune totale et complète.
Chacune prend tout du Tout, mais le Tout subsiste encore,
Non diminué, complet ! »

Dans nos forêts, les arbres comme her (jujubier), jambul (jambolan), manguier, umbar (figuier sauvage), mahua (Maduha indica), imli (tamarinier), … fructifient si abondamment à leur saison que les branches ploient sous le poids des fruits. La charge annuelle de chaque arbre est souvent de plus d’une tonne, année après année. Mais la terre alentour demeure entière et non amoindrie. Il n’y a pas de trou béant dans le sol !

D’où les arbres – y compris ceux des Montagnes Rocheuses, obtiennent-ils leur eau, leur NPK [azote, phosphore et potassium, FN], etc. ? Bien qu’immobiles, la Nature pourvoit à leurs besoins, efficacement, là où ils se dressent. Mais les scientifiques et les technocrates comme Vous – avec un entêtement borné et déplacé – paraissent aveugles à cela. Sur quelle base prescrivez-vous ce qu’un arbre ou une plante requiert ? Et combien ? Et quand ?

Comme on le dit : « Quand il y a manque de connaissance, l’ignorance se déguise en « Science » !  Or, la Science, que vous avez épousée, trompe les fermiers et les envoie vers les gouffres de la misère.

Alors qu’il n’y a pas de honte à être ignorant, la prise de conscience de cette ignorance est le nécessaire premier pas vers la connaissance. Mais le refus de la voir procède d’une vaine arrogance.

Ce pays compte plus de 150 Instituts d’Agronomie et nombreux sont ceux  qui disposent de vastes propriétés de plusieurs milliers d’acres. Ils ne manquent ni d’infrastructure, ni d’équipement, ni de personnel, ni de moyens financiers … Et pourtant, aucun de ces Instituts fortement subventionnés ne réalise le moindre bénéfice, ne produit quelque quantité significative d’aliments, ne serait-ce que pour nourrir son propre personnel et ses étudiants. Mais chaque année, chacun d’eux lâche plusieurs centaines de « diplômés », inemployables car formés seulement pour fourvoyer les fermiers et pour semer la dévastation écologique.

Au cours des 6 années que l’étudiant y passe pour obtenir un Master d’agronomie, le seul objectif, à court terme et assez vague, est la « productivité ». Pour cela, on presse le fermier de faire et d’acheter cent choses différentes. Mais on n’a pas une pensée pour ce que le fermier doit ne jamais faire pour que la terre demeure indemne pour les générations futures et toutes les autres créatures
Il est temps pour notre peuple et notre gouvernement de réaliser que ce mode industriel de pratique agricole – prôné par nos institutions – est foncièrement criminel et suicidaire !

Gandhi a dit : « Quand il y a soshan, ou exploitation, il ne peut pas y avoir poshan, ou éducation ! »

Vinoba Bhave a ajouté : « La Science unie à la compassion peut quasiment apporter un paradis sur la terre. Mais divorcée de la non-violence, elle ne peut que causer une immense catastrophe qui nous avalera tous dans ses flammes ! »

Tenter d’augmenter la « productivité » de la Nature est bien la gaffe fondamentale qui met en évidence l’ignorance des tenants de l’agriculture scientifique.

La Nature, quand elle n’est pas spoliée par l’Homme, est déjà plus généreuse dans ses rendements. Quand un seul grain de riz peut en reproduire une centaine en quelques mois, où se situe le besoin d’accroître la productivité ?

Nombreuses sont les variétés d’arbres fruitiers qui produisent aussi, chacun au cours de son existence, plusieurs centaines de milliers de kilos de nourriture ! Ceci, à condition que le fermier ne répande pas poison et désastre autour de l’arbre, dans son avidité pour un profit rapide ! Un enfant a le droit de se nourrir du lait de sa mère. Mais si nous épuisons aussi le sang et la chair de la Terre-Mère, comment pouvons-nous lui demander de continuer à nous alimenter ?

La mentalité d’ « asservissement au commerce et à l’industrie » qui ignore tout le reste, est la racine du problème. Mais l’industrie ne fait guère que transformer les « matières premières » issues de la Nature en produits commerciaux, en commodities. Elle ne peut rien créer de nouveau. La Nature seule est véritablement créative et capable de s’auto-régénérer par synergie avec le frais influx quotidien de l’énergie solaire.

Les Six Paribals de l’auto-renouvellement de la Nature.

Il y a sur la Terre un jeu constant entre les six paribals (facteurs-clé) de la Nature, en interaction avec le soleil. Les trois premiers sont l’air, l’eau et le sol. Opérant en alliance avec eux, sont les trois ordres de la vie : « vanaspati srushti » (le monde des plantes), « jeev srushti » (le royaume des insectes et des micro-organismes) et « prani srushti » (le règne animal). Ces six paribals maintiennent un équilibre dynamique. Ensemble, ils harmonisent la grande symphonie de la Nature, et tissent du neuf !

L’Homme n’a aucun droit de perturber ainsi les Paribals de la Nature. Mais la technologie moderne, unie au commerce, plutôt qu’à la sagesse et à la compassion – s’est révélée désastreuse à tous les niveaux … Nous avons spolié l’eau et pollué le sol, l’eau et l’air. Nous avons effacé la plupart de nos forêts et tué leurs créatures … Et, sans relâche, les fermiers modernes répandent des poisons mortels dans leurs champs. Ce faisant, ils massacrent le jeev srushti de la Nature – ces modestes mais infatigables petits travailleurs qui maintiennent le sol aéré et recyclent la biomasse fanée en nutriments pour les plantes. Les produits chimiques toxiques empoisonnent inévitablement l’eau, et le prani srushti de la Nature, qui inclut les êtres humains.

La durabilité est un concept actuel, à peine évoqué à l’époque où vous défendiez la « Révolution Verte ». Pouvez-vous nier que sur plus de 40 siècles, nos ancêtres ont cultivé sur le mode de l’agriculture organique – sans aucun déclin notable de la fertilité du sol, comme au cours des 4 ou 5 dernières décennies ?

Ce n’est pas une nouveauté que l’utilisation intensive des produits chimiques et de l’irrigation appliquée à la monoculture commerciale constitue le premier responsable de la dévastation écologique largement répandue dans ce pays, sur la durée d’une seule génération !

Erosion industrielle de la diversité des cultures, pénurie de matière organique et dégradation du sol.

Ce pays pouvait être fier de son immense diversité de cultures, adaptées depuis des millénaires aux conditions locales et aux besoins – Notre grand nombre de variétés indigènes de céréales fournissaient plus de biomasse et protégeaient le sol du soleil, et contre les fortes pluies de mousson. Mais dans le but d’augmenter le rendement des récoltes, un petit nombre de variétés étrangères ont été introduites et Vous vous êtes efforcé de les promouvoir. Cela a conduit à de plus vigoureuses levées de mauvaises herbes, qui pouvaient désormais concurrencer avec succès pour la photosynthèse les nouvelles herbes chétives. Les fermiers devaient donc dépenser plus d’efforts et d’argent pour désherber ou répandre des herbicides.

La paille obtenue avec les cultures de céréales chétives a carrément perdu un tiers du volume des pailles des espèces natives des céréales ! Au Penjab et en Haryena, elle était même brûlée, comme conseillé afin de détruire les germes « pathogènes » (en fait, elle était trop toxique pour nourrir les animaux de la ferme qui étaient progressivement remplacés par des tracteurs). En conséquence, il y avait beaucoup moins de matière organique disponible pour restaurer la fertilité du sol, forçant au besoin artificiel d’apports extérieurs. Inévitablement, les fermiers ont été obligés d’utiliser plus de produits chimiques, et sans cesse, la dégradation du sol et l’érosion ont progressé.

Pestilence industrielle.

Les variétés exotiques, cultivées à l’aide des engrais chimiques, ont été plus sensibles aux fléaux et aux maladies, obligeant à l’emploi d’encore plus de poison (insecticides, etc.). Mais les insectes combattus ont développé des résistances et se sont multipliés. Leurs prédateurs (araignées, grenouilles, etc.) qui se nourrissent de ces insectes, opérant ainsi le « contrôle biologique » de leurs populations ont été exterminés. Ainsi l’ont été plusieurs espèces bénéfiques comme les vers de terre et les abeilles.

L’agrobusiness et les technocrates, ont conseillé des doses plus fortes et, à nouveau, des produits chimiques plus toxiques (et plus coûteux). Cependant, les problèmes de « pestes » et de « maladies » n’ont fait qu’empirer. La spirale des coûts écologiques, financiers et humains s’est enclenchée.

Le développement de la pénurie d’eau et la mort des sols salinisés.

Avec l’utilisation des fertilisants de synthèse et le développement des cultures commerciales, les besoins d’irrigation se sont considérablement accrus. En 1952, a été construit le barrage de Bhakra au Penjab, un Etat riche en eau car traversé par 5 rivières venant de l’Himalaya. Plusieurs milliers de plus grands et moyens barrages ont suivi, dans tout le pays, culminant avec l’énorme Sardar Sarovar. Et, à présent, notre gouvernement joue avec des projets grandioses, à la hauteur de 560 Milliards de roupies, visant à détourner et à relier le cours de nos rivières. C’est de la pure « Tuhglaqian » mégalomanie sans une pensée pour les futures générations !

L’Inde, après l’Amérique du Sud, est la région du monde qui reçoit les plus fortes précipitations. Le niveau actuel est d’environ 4 pieds (plus de 1200 mm). Là où une épaisse végétation couvre le sol, et où le sol est vivant et poreux, au moins la moitié de cette eau de pluie est absorbée et conservée dans le sol et les strates du sous-sol. Une bonne quantité s’infiltre profondément et recharge les aquifères et les nappes phréatiques. Le sol vivant et les nappes phréatiques constituent des réservoirs naturels gratuitement offerts par la Nature. Particulièrement efficaces pour absorber la pluie, sont les terres couvertes de forêts et d’arbres. C’est ainsi qu’il y a un demi-siècle, la majeure    partie du territoire de l’Inde disposait d’assez d’eau fraîche tout au long de l’année, longtemps après la saison des pluies. Mais, à l’évidence, les forêts et la capacité de la terre à absorber la pluie ont chuté de façon dramatique. Les cours d’eau et les puits sont à sec. C’est déjà ce s’est passé dans trop d’endroits.

Alors que la recharge de l’eau du sol s’est considérablement réduite, son utilisation a augmenté. L’Inde puise chaque jour plus de 20 fois plus d’eau dans le sol qu’elle ne le faisait en 1950 ! Ce véritable gaspillage est le fait d’une minorité. Car, la majorité de la population de l’Inde – qui vit en puisant ou en pompant l’eau manuellement et qui pratique l’agriculture pluviale – continue à utiliser la même quantité d’eau souterraine par personne, comme elle l’a fait au fil des générations.

Plus de 80 % de la consommation d’eau en Inde sert à l’irrigation, et la plus grande partie est monopolisée par les cultures commerciales traitées chimiquement. Maharastra, par exemple, réunit le plus grand nombre de grands et de moyens barrages dans ce pays. Mais, à elle seule, la canne à sucre, qui pousse sur tout juste 3 à 4 % de la sole cultivable, engloutit près de 70 % des eaux d’irrigation. 1 acre de culture chimique de canne à sucre nécessite autant d’eau qu’il en faut pour 25 acres de jowar, bajra ou maïs. Les fabriques de sucre aussi en consomment d’énormes quantités. De la culture à la transformation, chaque kilo de sucre raffiné demande 2 à 3 tonnes d’eau. Avec cela, on pourrait cultiver sur le mode traditionnel de l’agriculture organique, environ 150 à 200 kg de nourrissant jowar ou bajra (variétés natives de millet).  Alors que le riz se prête bien à la culture pluviale, la vaste extension des cultures irriguées, pratiquées aussi bien en hiver qu’en été, a englouti de la même façon nos ressources en eau et épuisé les nappes phréatiques. Comme avec la canne à sucre, cela entraîne de façon irréversible la ruine des terres par l’effet de la salinité.

La salinisation des sols est le plus grand fléau lié à l’irrigation agricole intensive, en raison de la croûte de sels qui se forme à la surface des sols et s’épaissit progressivement. Des millions d’hectares de terres cultivées ont ainsi été ruinées. Les problèmes les plus graves sont apparus là où des plantes gorgées d’eau comme la canne à sucre ou le riz basmati sont cultivées à longueur d’année et où ont été abandonnés les anciens systèmes traditionnels de cultures mixtes et de rotation des cultures, qui demandent un minimum d’arrosage ou pas du tout.

Comme au moins 60 % de l’eau utilisée pour l’irrigation actuellement en Inde est excessive, donc néfaste, la première chose à faire est de contrôler cela. Ainsi, non seulement le grave dommage causé par trop d’irrigation sera stoppé, mais un bon quota de l’eau épargnée peut ainsi devenir utilisable localement, en priorité pour les zones qui subissent une grave pénurie.

Irrigation normale et recharge des nappes phréatiques à Kalpavrushka

Efficace, la culture organique nécessite très peu d’irrigation – beaucoup moins que ce qui est communément utilisé en agriculture moderne. Les rendements des récoltes sont meilleurs quand le sol est juste humide. Le riz est la seule exception car il pousse même sur les terres inondées, ce qui en fait une culture de mousson des zones de plaine naturellement vouées à l’inondation. L’excès d’irrigation dans le cas de toutes les autres cultures expulse l’air contenu dans les interstices du sol – absolument nécessaires pour la respiration des racines – et l’arrosage prolongé cause le pourrissement des racines.
L’irrigation sur ma ferme ne représente qu’une petite fraction de celle qui est apportée actuellement aux fermes modernes. De plus, le sol poreux sous l’épaisse végétation du verger est comme une éponge qui absorbe et infiltre l’eau vers les aquifères et la nappe phréatique, une énorme quantité d’eau de pluie lors de chaque mousson. La quantité d’eau ainsi retenue dans le sol à Kalpavrushka dépasse de beaucoup la quantité totale de l’eau tirée du puits pour l’irrigation dans les mois où il ne pleut pas. Ainsi ma ferme apporte plus d’eau à l’écosystème de la région qu’elle n’en consomme ! A l’évidence, la bonne voie pour sécuriser l’approvisionnement en eau et en aliments de cette nation passe par la pratique de cultures mixtes, adaptées au contexte local, de plantes et d’arbres, sur le mode organique, suivant les lois de la Nature.

La nécessité de 30 % de couvert forestier.

Nous devons restaurer au moins 30 % du couvert forestier d’espèces indigènes d’arbres et de forêts variées, au cours de la prochaine ou des 2 prochaines décennies. Telle est la tâche centrale de la collecte écologique de l’eau, la clé pour restaurer l’abondance naturelle des réserves d’eau dans le sol. D’exceptionnels avantages peuvent en être tirés, pour un coût comparativement minime. Malheureusement, nous n’arrivons pas à comprendre que le potentiel de captation naturelle de l’eau dans le sol est plusieurs fois supérieur à la capacité totale de l’ensemble des grands et moyens projets d’irrigation en Inde – opérationnels, en cours d’exécution ou encore sur le papier ! Un tel stockage souterrain décentralisé est plus efficace qu’un stockage de surface à protéger de la forte évaporation.

La plantation d’arbres permettrait également de disposer d’une diversité de produits utiles favorisant le bien-être d’un grand nombre de personnes. Même les déserts peuvent être reverdis en moins d’une décade. En intercalant des cultures et des arbres de courte, moyenne et longue durée de vie, il est possible pour un fermier d’assurer une disponibilité continue de nourriture au cours d’une période de transition jusqu’à ce que les arbres fruitiers de longue durée soient assez développés pour commencer à produire. La plus grande disponibilité de biomasse et une complète couverture du sol accélèreront aussi la régénération de la fertilité du sol.

Production, Pauvreté et Population.

Après le départ des Anglais, après 250 ans de vol de notre revenu agricole, l’agriculture indienne s’est rapidement récupérée. Il n’y avait pas de pénurie des divers aliments dans nos campagnes où vivaient les trois-quarts de la population de l’Inde.

La vraie raison pour impulser la « Révolution Verte » était un objectif beaucoup plus étroit : Celui d’augmenter les excédents commerciaux de quelques céréales relativement moins périssables afin d’alimenter l’expansion urbaine – industrielle favorisée par le gouvernement. Le nouveau système parasitaire d’agriculture que vous avez vigoureusement promu n’a guère profité qu’aux industriels, aux marchands et aux hommes de pouvoir. Les coûts des fermiers ont augmenté massivement et les marges ont fondu. Avec l’érosion de la fertilité naturelle de leur terre, on les laisse quasiment les mains vides, quand ils n’accumulent pas les dettes sur leurs sols détruits. Nombreux sont ceux qui ont cessé de cultiver. Plus nombreux encore sont ceux qui veulent le faire, pressionnés par les coûts qui n’en finissent pas de grimper.

C’est d’autant plus tragique que la Nature nous a généreusement offert tout ce dont nous avons besoin pour l’agriculture organique qui, elle, produit une nourriture saine, et non des aliments empoisonnés.

Restaurer la santé naturelle de l’Agriculture Indienne est la voie pour résoudre les problèmes interconnectés de la pauvreté, de la désoccupation et de la croissance démographique. Un maximum de gens peuvent devenir autonomes par la pratique agricole, seulement si les apports nécessaires sont réduits au strict minimum.

Une telle pratique agricole doit requérir un minimum de capital financier et d’achats, un minimum d’équipement agricole (charrue, outils, etc.), un minimum de travail indispensable et un minimum de technologie importée. Ainsi, la production agricole augmentée sans augmentation des coûts, la pauvreté diminuera et le mieux-être de la population sera bien visible.

La pratique agricole autonome – avec peu ou pas d’apports extérieurs – était notre mode d’agriculture qui nous réussissait, par le passé. Sauf dans les périodes de guerre et d’excessive oppression coloniale, nos fermiers étaient largement autosuffisants, et même ils produisaient des excédents, bien que généralement en moindres quantités et de produits beaucoup plus variés. Ces produits, particulièrement périssables, pouvaient difficilement fournir les marchés des villes. C’est ainsi que les fermiers de la nation ont été amenés à pratiquer la monoculture chimique d’un petit nombre de produits commerciaux comme l’avoine, le riz ou le sucre, plutôt que leur polyculture traditionnelle qui ne nécessitait pas d’achats extérieurs et qui réussissait aux fermiers des régions à faibles précipitations, avec plus de diversité et plus de continuité de récoltes tout au long de l’année – Sans aucune irrigation et sans apport extérieur.

En conclusion :

Je souhaite que vous ayez l’honnêteté d’appuyer un vaste changement de cap vers la pratique de l’agriculture organique diversifiée, le reboisement et la régénération des forêts (ainsi que les ressources naturelles et les droits des populations locales) – dont l’Inde a grandement besoin.

Je serai heureux de répondre à toute question (ou inquiétude) qui me sera posée, par écrit de préférence.

Je vous invite également à visiter ma ferme et d’autres fermes qui sont cultivées selon mon système, sous réserve d’en être informé à l’avance. Depuis de nombreuses années, nous avons lancé une invitation ouverte à quiconque s’intéresse à l’agriculture organique / naturelle pour visiter la « Sanghavi Farm » de 10 h à 12 h et la « Kalpavrushka Farm » de 14 h à 16 h, tous les Samedi. Cette invitation est toujours d’actualité.

J’ajouterai finalement que cette lettre a été transcrite en Anglais par Bharat Mansata, à partir de nos entretiens en Gujarati.

Pour en savoir plus, visitez le website : www.savesanghavi.com

Que vous coïncidiez ou non avec mes points de vue, j’attendrai votre réponse.

Sincèrement Vôtre,

Bhaskar H. Save

Comparaison entre Agriculture Chimique et Agriculture Organique

par Bhaskar Save

1-    L’agriculture chimique fragmente le réseau du vivant ; L’agriculture organique le nourrit dans sa totalité.
2-    L’agriculture chimique dépend des combustibles fossiles ; l’agriculture organique du sol vivant.
3-    L’agriculture voit sa terre comme un substrat inerte ; l’agriculture organique sait que la sienne foisonne de vie.
4-    L’agriculture chimique pollue l’air, l’eau et le sol ; l’agriculture organique les purifie et les renouvelle.
5-    L’agriculture chimique utilise de grandes quantités d’eau et épuise les nappes phréatiques ; l’agriculture organique demande beaucoup moins d’irrigation et recharge l’eau du sol.
6-    L’agriculture chimique pratique la monoculture et détruit la diversité ; l’agriculture organique pratique la polyculture et nourrit la diversité.
7-    L’agriculture chimique produit des aliments empoisonnés ; l’agriculture organique produit de la nourriture saine.
8-    L’agriculture chimique a une courte histoire et elle porte la menace d’un futur sombre; l’agriculture organique a une longue histoire et elle est promise à un brillant avenir.
9-    L’agriculture chimique est une technologie exogène, importée ; l’agriculture organique a évolué de façon indigène.
10-    L’agriculture chimique est propagée au moyen d’une information scolaire et institutionnelle dévoyée ; l’agriculture organique s’apprend de la Nature et de l’expérience des fermiers.
11-    L’agriculture chimique profite aux marchands et aux industriels ; l’agriculture organique bénéficie aux fermiers, à l’envir@onnement et à la société dans son ensemble.
12-    L’agriculture chimique vole l’autonomie et l’auto-estime des fermiers et des populations villageoises ; l’agriculture organique les restaure et les renforce.
13-    L’agriculture chimique conduit à la ruine et à la misère ; l’agriculture organique libère des dettes et du malheur.
14-    L’agriculture chimique est violente et entropique ; l’agriculture organique est non-violente et synergique.
15-    L’agriculture chimique est une fausse « révolution verte » ; l’agriculture organique est une véritable « révolution verte ».
16-    L’agriculture chimique est crûment matérialiste, sans ancrage idéologique ; l’agriculture organique est durablement enracinée dans la spiritualité et la vérité.
17-    L’agriculture chimique est suicidaire, allant de la vie vers la mort ; l’agriculture organique est la voie de la régénération.
18-    L’agriculture chimique est le véhicule du commerce et de l’oppression ; l’agriculture organique est le chemin de la culture et de la coévolution.

Bhaskar Save Open Letter (Juillet 2006)
Transcription en Anglais à partir d’entretiens en Gujarati : Bharat Mansata
Traduction Anglais – Français : Duval Gil Garcin (Mars 2013)

Je n’ai (presque) rien contre France Nature Environnement

Avis : le vrai sujet du jour, Jean-Claude Bévillard, est caché plus bas.

Tout le monde ne connaît pas France Nature Environnement (FNE). C’est la principale structure de protection de la nature en France, et de loin. FNE prétend fédérer 3 000 associations locales, au travers de grandes associations régionales comme Alsace Nature, Nord Nature, Bretagne vivante ou encore la Frapna (ici). Le chiffre est peut-être exagéré, mais l’ordre de grandeur est là. Je précise d’emblée que je suis membre de Bretagne vivante depuis 25 ans, et que j’écris un billet dans chaque livraison de la revue de cette belle association. En somme, je suis membre de FNE, ce qui en fait enrager plus d’un, et voici pourquoi.

FNE est née en 1968 sous le nom de Fédération française des sociétés de protection de la nature et de l’environnement (FFSPNE), et a changé de nom en 1990. En résumé brutal, cette structure est le fruit d’une rencontre entre des sortes de sociétés savantes emplies de bon naturalistes – souvent des professeurs – et une partie de la jeunesse révoltée de l’après-68. Les sociétés savantes naturalistes ont une histoire, qui plonge ses racines dans notre 19ème siècle. Je ne crois pas calomnier en disant qu’elles ont le plus souvent été du côté des pouvoirs en place. Sans 68, ce train-train aurait continué sans aucun doute, et il faut reconnaître que dans ces années-là, nos naturalistes estampillés ont fait le notable effort de s’ouvrir à la société.

70 % de financements publics

Comme j’ai écrit un livre sur le sujet (Qui a tué l’écologie ? LLL, 2011, Points-Seuil pour l’édition de poche en 2012) je ne m’attarde pas. Ce livre m’a conduit à des ruptures avec des responsables de FNE que je connaissais depuis des lustres. Et qui n’ont pas supporté, et c’est bien leur droit, la très vive mise en cause de FNE que j’y ai exposée. En deux mots, il me semble que cette fédération s’est bureaucratisée, qu’elle ne mène plus aucun grand combat, qu’elle mange dans la main des pouvoirs politiques en place, ligotée qu’elle est par un financement public qui, toutes sources confondues, doit approcher, voire dépasser 70 % de ses revenus. Chemin faisant, FNE s’est compromis dans de très mauvaises actions avec des fabricants de pesticides (ici) ou des tronçonneurs des Antipodes (ici), et de plus en plus souvent, côtoie des gens que je considère comme des ennemis, et qui sont traités comme des copains.

Une anecdote inédite permettra de situer la détestation qu’éprouvent pour moi bien des chefs et chefaillons de France Nature Environnement. Je la crois très drôle, et j’espère que vous rirez avec moi. Nos sommes en mai 2011 et Sarkozy, alors maître de l’Élysée, reçoit pour la énième fois les associations écologistes officielles qui lui ont permis de produire le Barnum du Grenelle de l’Environnement, à l’automne 2007. Tout le monde est là : la fondation Hulot, Greenpeace, le WWF, FNE, Écologie sans frontières, etc. Quel est l’ordre du jour du raout ? Je gage que tout le monde l’a oublié. À un moment, contre toute attente, un geignard de FNE dont je tairai charitablement le nom, s’adresse directement au président Sarkozy. Pour lui parler enfin de la gravité de la crise écologique ? Hé non ! Pour se plaindre de moi. En substance, le pleurnichard raconte à Sarkozy qu’un vilain méchant du nom de Nicolino vient de publier un livre qui s’attaque d’une manière odieuse à FNE, et à tous les gogos du Grenelle.

Sarkozy et Nicolino à l’Élysée

Attendait-il que Sarkozy envoie le GIGN ? Plus probablement qu’il envisage des sanctions. En tout cas,  Sarkozy écarquille les yeux, se tourne vers Serge Orru, du WWF, pour lui dire : « Mais c’est qui, ce Nicolino ?». Orru aurait calmé le jeu en affirmant qu’il n’était pas convenable de déballer son linge de cette manière. Je ne garantis pas tout, mais l’esprit général de la scène, oui. Deux personnes, indépendamment l’une de l’autre, m’ont raconté l’épisode. Je crois pourvoir donc dire que les bureaucrates-en-chef de FNE me détestent. J’espère qu’ils savent à quel point je m’en fous.

Reprenons. Si j’écris aujourd’hui, c’est pour parler d’un de ces bureaucrates, Jean-Claude Bévillard. Il est vice-président de FNE, en charge des questions agricoles. Le sujet est chaud, car le Parlement européen, travaillé par les habituels lobbies industriels – dont fait partie, au premier rang, l’étrange syndicat paysan FNSEA (1) – a voté le 13 mars une réforme de la Politique agricole commune (PAC) qui ne change rien, hélas, à la puissance colossale de l’agro-industrie (ici). Un Bévillard devrait en ce moment être sur les barricades, fussent-elles symboliques. N’est-il pas, censément, un écologiste ?

Oh pas si vite ! Cela fait des années qu’à l’occasion, toujours par hasard, je tombe sur des propos de Bévillard. On ne saurait trouver plus conciliant avec les grandes structures de l’agriculture intensive, dont la FNSEA, le Forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement (Farre), entourloupe maintes fois dénoncée, les coopératives agricoles, et même l’industrie des pesticides. Pour vous donner une idée, et si vous en avez le temps bien sûr, jetez un regard à l’entretien que Bévillard a accordé à l’automne 2012 (ici) à Farre. Cela dure 4mn18, et je vous conseille la fin, quand Bévillard exprime sa vision de l’agriculture de demain. Précisons que Farre (ici) regroupe à la bonne franquette Monsanto, In Vivo, la FNSEA, Syngenta, DuPont, l’UIPP (l’industrie des pesticides), etc.

Une tribune parue dans L’Écologiste

Donc, Bévillard. Je n’aurais rien écrit sur lui si je n’avais lu la tribune qu’il a signée dans le dernier numéro de L’Écologiste (janvier-mars 2013). Cette fois, j’en ai eu franchement marre, mais grave. Sous le titre « Les nitrates sont-ils vraiment un danger », il nous sert des bluettes tout à fait dignes de ses amis de Farre. Mais le pire, selon moi, est cette phrase, qui résume jusqu’où va la compromission : « L’agriculture biologique montre le chemin par la qualité de ces [sic] pratiques et de ces [resic] produits mais de nombreux agriculteurs, dits conventionnels, démontrent aussi que l’on peut être compétitif en respectant mieux la qualité de l’eau, du sol, de la biodiversité ».

Je n’ai pas un goût particulier pour l’exégèse, mais je crois nécessaire de commenter ce morceau de bravoure bien involontaire. Notez d’abord la manière de parler de la bio. Ce n’est plus une manière nouvelle, cohérente d’habiter la Terre. Ce n’est pas un système écologique et social susceptible d’enfin rebattre les cartes. Non, Bévillard vante la qualité des produits. La suite n’est jamais que pleine et entière réhabilitation de l’agriculture industrielle, présentée gentiment sous l’euphémisme « agriculteurs dits conventionnels ». Et ces braves qui font le bien ne sont nullement une minorité, car voyez, ils sont « nombreux ». Enfin, je vous invite à réfléchir à la présence tonitruante de l’adverbe « aussi », qui introduit sans détour l’idée d’égalité entre les deux parties de la phrase bévillardienne. La bio et ces excellents paysans « conventionnels » sont mis sur le même plan.

C’est lamentable ? Pour moi, aucun doute, c’est lamentable. Déshonorant serait plus juste, mais ce mot n’aurait de sens que si Bévillard était un écologiste. Mais il ne l’est pas. Il est évidemment la caution verte d’un capitalisme agricole qui continue de détruire les équilibres naturels, et promeut l’usage criminel des biocarburants dans un monde qui compte près de 900 millions d’affamés chroniques. Est-ce que je passerai mes vacances avec lui ? Plutôt rester chez moi.

Le salon de l’Agriculture de 2007

Pour la route, une seconde anecdote. Nous sommes en mars 2007, au salon de l’Agriculture de la porte de Versailles, à Paris. François Veillerette, mon vieil ami, et moi-même, venons juste de publier Pesticides, révélations sur un scandale français (Fayard). Le journaliste Bernard de La Villardière s’occupe d’une télé qui émet à l’intérieur du salon, et nous a invités, François et moi, pour un débat qui s’annonce vif. Je me marre intérieurement, car je me réjouis d’affronter ceux que nous venons de secouer comme des pruniers dans notre livre. Nous arrivons. Pas de bouses lancées sur nos têtes, mais une certaine tension, oui. La Villardière a visiblement dealé avec les organisateurs (voir le nota bene), car nous sommes confrontés, sur le plateau à quelque chose comme six représentants du système agro-industriel. Ou peut-être sept ? Il y a là la FNSEA, l’industrie, une chambre d’agriculture, je ne sais plus trop qui. En face de nous deux.

Le débat a lieu, qui ne m’a pas laissé de francs souvenirs. L’idée de nos adversaires était de nous asphyxier, mais je crois pouvoir écrire sans forfanterie qu’on ne nous étouffe pas aisément. Bref, cela se termine. À ce moment-là, et j’espère que l’on me croira, je découvre, stupéfait, que, sur le papier du moins, nous n’étions pas seuls, François et moi. Car, et vous l’avez sans doute deviné, Jean-Claude Bévillard avait lui aussi été invité. Mais, par Dieu ! il avait choisi son camp, au point de siéger de l’autre côté de la table, avec ses bons amis. Je jure, je vous jure solennellement que je pensais qu’il faisait partie de la clique. Tous ses propos, en tout cas, pouvaient me le laisser croire. Si quelqu’un, par extraordinaire, dispose d’un enregistrement de ce grand moment de vérité, je suis preneur. Oh oui !

(1) Existe-t-il beaucoup de structures dont l’activité principale consiste à faire disparaître au plus vite leurs membres ? La FNSEA a cogéré depuis près de 70 ans, avec tous les gouvernements, la mort des paysans. Qui formaient le tiers de la population active française en 1945 et peut-être le trentième aujourd’hui. Ou moins encore.

Nota Bene du 16 mars au soir : Bernard de La Villardière écrit qu’il n’est pas content de cet article. Il affirme qu’il a été mis devant le fait accompli et qu’il ne savait pas qu’il y aurait au Salon de l’Agriculture, face à François Veillerette et moi, une escouade de l’agriculture intensive. Je me souviens en effet qu’il n’était pas content, et je retire donc volontiers le mot « dealé ». Il s’agissait bel et bien d’un procès d’intention, et je n’ai pas de raison de douter de sa parole. Dont acte.