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Vive l’Ademe ! Vive la France ! Vive l’arnaque !

Comme je n’ai pas de temps en ce moment, vous me permettrez de recycler ci-dessous un article de moi paru dans l’hebdomadaire Charlie-Hebdo. Vous y verrez comme se porte bien l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (Ademe). J’y ajoute pour le même prix une information très, mais réellement très importante. Xavier Beulin vient d’être élu président du syndicat de l’agriculture industrielle, la FNSEA. Cela tombe admirablement bien, car Beulin est le patron d’une transnationale appelée Sofiproteol, qui pèse cinq milliards d’euros de chiffre d’affaires. Sofiproteol, c’est notamment l’industrie des nécrocarburants, que ses promoteurs appellent biocarburants. Et que soutient au travers d’Agrice l’agence publique, payée sur fonds publics, appelée Ademe. Vous voyez que cela se tient. Voici l’article de Charlie.

L’Ademe, ami lecteur, c’est très beau. D’ailleurs, c’est écolo. Créée en 1974 pour faire des économies d’énergie, au temps où ces salopards d’Arabes augmentaient les prix du pétrole, elle a pris plusieurs noms. En 1982, les socialos en ont fait l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME). Elle est aujourd’hui , retiens ton souffle, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

Et voilà que ces corniauds de la Cour des Comptes ont décidé d’aller éplucher les dépenses et l’organisation interne. Cela donne un document très drôle, écrit pourtant dans une langue morte : « Communication à la commission du Sénat (article 58-2 de la LOLF) ». On en apprend de belles. L’Ademe ne connaît pas la crise. Au 31 décembre 2009, l’agence employait 1032 personnes, en augmentation de 8,5% par rapport à 2008 et de 12% par rapport à 2007. Avec en outre un « dépassement du plafond » des emplois temporaires, incluant la sous-traitance et l’intérim. Généreux, l’État n’applique pas à l’Ademe la règle de non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux.

Question budget d’intervention, tout baigne de la même manière. Il est passé de 340 millions d’euros à 670 millions d’euros entre 2008 et 2009. Sauf erreur de CM1, on n’est pas loin du double. Mais le plus extraordinaire est ailleurs : le grand Emprunt national lancé le 22 juin par Sarkozy prévoit de refiler 2,85 milliards d’euros à l’Ademe. On entre là dans la cour des grands. Pourquoi tant d’argent ? Pour remplir quatre missions magnifiquement vagues : « connaître, convaincre et mobiliser, conseiller, aider à réaliser ». Cela fait cher la conviction. Mais après tout, et si l’Ademe était à la hauteur ?

La Cour des comptes exprime à mots camouflés les doutes les plus sérieux sur la question. D’abord, l’agence est installée sur trois sites – Paris, Angers, Valbonne (Alpes-Maritimes) – très éloignés les uns des autres. Ce qui provoque cloisonnement et surcoûts. Mais pas question de déménager. Ensuite et surtout, le travail de l’Ademe ressemble à un vaste merdier. « Les listes de projets financés, note la Cour, montrent qu’à l’exception de quelques grands équipements (unités d’incinération d’ordures ménagères, réseaux de chaleur etc…), l’Ademe finance en région une multitude de petits projets portant sur un grand nombre de thématiques pour lesquelles les besoins sont virtuellement infinis (des HLM en haute qualité environnementale, des plans de déplacement d’entreprises, des achats de véhicules électriques, des analyses d’éclairage public etc.), sans que l’Ademe paraisse particulièrement proactive ».

Toute cette belle dépense « n’a de sens que si ces petites opérations créent des précédents et visent un effet de contagion. Pour que cet objectif soit atteint, il faudrait que l’Ademe soit capable de faire remonter ce qui est réellement innovant ». Mais, crotte de bique, ce n’est pas le cas. Et pour comble, l’Ademe n’a plus de conseil scientifique depuis septembre 2009, ce « qui est particulièrement pénalisant dans une période où les activités de recherche de l’établissement sont au cœur des nouveaux dispositifs Grenelle et Grand emprunt »

 Nous y voilà peut-être. Le Grenelle de l’Environnement. Cette grande farce montée en 2007 était destinée à faire de Sarkozy le roi planétaire de l’écologie. Pour la seule com’ autour de ce grandiose événement, l’Ademe a été autorisée à claquer 80 millions d’euros. Pas mal. L’Ademe, présidée jusqu’en 2008 par une proche de Sarlozy, Michèle Pappalardo, servirait-elle les mises en scène présidentielles ? Charlie verse au dossier un point indirectement évoqué par la Cour des Comptes, qui note sans insister : «  Au titre de l’action “démonstrateurs énergies renouvelables et chimie verte”, la convention Etat-Ademe publiée au Journal officiel le 8 août 2010 affecte 450 millions d’euros au  versement de subventions et 900 millions d’euros à des interventions sous forme de prêts, avances remboursables et prises de participation ».

 Ce qui se cache derrière ces beaux cadeaux s’appelle Agrice. Un invraisemblable lobby industriel abrité au cœur de l’Ademe, qui défend les intérêts des biocarburants (autrement appelés nécrocarburants). Ceux qu’on obtient en transformant des plantes alimentaires en carburant, dans un monde qui compte un milliard d’affamées chroniques. L’Ademe aide donc avec élégance Agrice, qui regroupe entre autres le chimiste Rhodia, Total, Limagrain, Bayer CropScience, l’Association Générale des Producteurs de Blé et autres céréales (AGPB), le CEA. On voit mieux où part l’argent. Le blé.

Je cède ma place à Bruno Le Maire (de bon cœur)

Soyons franc : je n’ai pas le temps. De vous écrire. Cela reviendra. Mais là, impossible. Il est heureusement d’autres lectures possibles, et je vous mets ci-dessous un entretien accordé par Bruno Le Maire, notre ministre de l’Agriculture, aux journalistes de Libération Guillaume Launay et Christian Losson (vendredi 26 novembre 2010). C’est un document en or massif qui dit, plutôt qui confirme ce qu’est aujourd’hui en France un ministre de l’Agriculture. Rien d’autre qu’un lobbyiste au service d’un modèle industriel. J’ajoute que Le Maire, villepiniste bon teint – il doit à Villepin l’essentiel de sa carrière publique -, ne sait évidemment rien des problèmes agricoles. Il est titulaire d’une agrégation de Lettres modernes, il a fait Sciences-Po et l’ENA, bref.

S’il a été nommé à ce poste par Sarkozy, c’est essentiellement pour deux raisons. La première, c’est qu’ainsi Sarkozy commençait – nous étions en juin 2009 – sa manœuvre de destruction politique de Villepin, estimé tout de même menaçant dans la perspective du 1er tour de la présidentielle de 2012. Et la seconde, c’est qu’il a jugé Le Maire intelligent – c’est juste – et suffisamment souple pour servir Sarkozy en même temps que sa propre carrière. Le Maire n’est là que pour cajoler un monde paysan qui se détourne massivement de Sarkozy – selon de nombreux sondages – alors qu’il vote très majoritairement à droite. D’ici les élections de 2012, tous les cadeaux seront faits aux pedzouilles pour qu’ils retrouvent, in fine, le bon bulletin de vote.

Cela s’appelle du clientélisme ? Pardi oui, et rien d’autre. Je vous conseille respectueusement de lire lentement l’entretien qui suit, dont chaque phrase a été pesée au trébuchet. Je vous livre tout de même mes préférées. À propos du thon rouge, que la rapacité d’une poignée de (riches) pêcheurs fait disparaître de Méditerranée : « Si on va trop vite, on va mettre à la casse des bateaux de pêche, on va perdre des emplois – 1 000 emplois sont concernés ». Sur le cauchemar de l’agriculture productiviste, qui a détruit une partie notable de l’âme de l’Europe : « Mais n’oublions pas que l’agriculture la plus propre au monde, si on parle des grands pays agricoles, c’est l’agriculture européenne ». Sur la farce de la bio, que le Grenelle de l’Environnement voulait faire passer de 2 % de la surface agricole utile (SAU) à 6 % de 2007 à 2012 : « Je suis prêt à soutenir le bio, et je rappelle que j’ai maintenu l’intégralité des crédits pour le soutien au bio sur 2011, après les avoir augmentés en 2010 ». Pour apprécier toute la saveur de ce propos, sachez que nous en sommes, à un peu plus d’un an des échéances, autour de 2,50 %. Autrement dit, les engagements pris sont déjà oubliés, et sans regret.

Dernière citation, qui résume tout : « Mon travail, c’est que tout le monde travaille ensemble. Il n’y a pas d’agriculteurs forts sans une industrie forte. Et il n’y a pas d’industrie agroalimentaire qui puisse vivre sans que les paysans soient correctement rémunérés ». On prévoit que jusqu’à 30 % des paysans ayant survécu à la politique des amis de Bruno Le Maire – celle de la terre brûlée – pourraient encore disparaître en France d’ici deux ou trois ans. Bien joué ! Bien vu ! Place aux gros engins, aux pesticides, aux engrais et à la mort programmée des sols fertiles qui nous restent. En attendant, retenez le nom de Le Maire. Cet homme en apparence insignifiant – il l’est, d’ailleurs – vise Matignon. Et peut-être davantage. Nous en sommes là.

Entretien avec Bruno Le Maire paru le 26 novembre 2010 dans Libération

Les dossiers chauds n’auront finalement pas quitté la table de Bruno Le Maire, confirmé la semaine dernière dans ses fonctions de ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Pêche. Thon rouge, PAC, environnement, régulation… le ministre défend ses positions.

Pourquoi la France campe-t-elle sur une position maximaliste, en demandant le maintien du quota de thon rouge, alors que l’opinion française comme la Commission européenne demandent une baisse ?

Ce n’est pas une position maximaliste, c’est une position équilibrée, entre préservation de la ressource et maintien de l’activité de pêche traditionnelle. J’ai écouté beaucoup de monde, en France et en Europe. Les scientifiques nous disent que pour atteindre l’objectif de renouvellement de la ressource en 2022, avec des chances de succès élevées, il faut un quota de 13 500 tonnes. Je ne fais que suivre cet avis.

L’avis scientifique dit :«avec des chances de succès de 60%»…

De plus de 60%. Je comprends ceux qui disent qu’on pourrait aller plus vite avec des chances de succès de 100%. Mais ma responsabilité, c’est de trouver un équilibre. Si on va trop vite, on va mettre à la casse des bateaux de pêche, on va perdre des emplois – 1 000 emplois sont concernés.

Mais 80% du quota français va à la pêche «industrielle», à la senne [pêche au filet, ndlr]…

Pas de caricature sur les pêcheurs senneurs : ce n’est pas de la pêche industrielle. Par ailleurs, on a réduit considérablement la voilure : entre 2010 et 2011, le nombre de bateaux qui vont partir en campagne de pêche va baisser de 30 à 40%. La France a tiré les leçons du passé. Elle a fait des erreurs, elle a fait de la surpêche. Nous sommes le seul Etat à l’avoir reconnu et à déduire de son quota les erreurs du passé.

La Commission européenne a publié la semaine dernière ses propositions pour la PAC après 2013. Elle suggère de «verdir» les aides. Y êtes-vous favorable ?

C’est une bonne proposition, sous réserve que cela se fasse en concertation étroite avec les agriculteurs, que cela ne signifie pas plus de paperasse, plus de contrôle, mais que ce soit bien une direction fixée à l’Europe, vers une agriculture durable. C’est l’attente des citoyens européens, et c’est l’intérêt économique des agriculteurs. Mais n’oublions pas que l’agriculture la plus propre au monde, si on parle des grands pays agricoles, c’est l’agriculture européenne. La Chine emploie plus de 300 kg d’intrants [engrais, pesticides, etc.] par hectare, la France aux alentours de 130.

Ce qui la place en tête des agricultures européennes…

Cela montre surtout nos progrès par rapport aux autres grandes agricultures mondiales.

L’agriculture européenne est-elle vraiment la moins polluante ?

C’est celle qui a fait le plus d’efforts. On lui a demandé de produire le plus possible, de manière intensive, puis de changer totalement d’orientation, en lui disant «vous produisez et polluez trop». Ces efforts ont été faits. Ne mettons pas systématiquement les agriculteurs en cause, je suis là pour les défendre, avec force. N’oublions pas la crise économique qu’ils ont vécue en 2009. C’est une réalité qui pousse des paysans à mettre la clé sous la porte.

Certains syndicats prévoient une baisse de 30% du nombre de paysans d’ici deux ans…

Je me bats pour que ça n’arrive pas. Je crois à une agriculture qui représente aussi de l’emploi. Mais certaines des règles environnementales ont un coût. Il faut savoir adapter le rythme en fonction de la réalité économique. On a un monde agricole fragile, qui reprend son souffle : il ne faut pas casser l’élan. Et il faut aller vers davantage d’harmonisation européenne. Les agriculteurs français ne supportent pas d’avoir des règles plus strictes que leurs voisins. Vouloir systématiquement donner l’exemple, c’est se tirer une balle dans le pied.

La France ne montre pas encore vraiment l’exemple sur le bio…

Je suis prêt à soutenir le bio, et je rappelle que j’ai maintenu l’intégralité des crédits pour le soutien au bio sur 2011, après les avoir augmentés en 2010.

Dire que l’environnement a un coût, n’est-ce pas une façon de le présenter comme une contrainte ?

Ce n’est pas une contrainte. Mais il faut écouter ce que disent les agriculteurs. Soyons pragmatiques.

Vous insistez depuis un an pour que votre ministère reprenne la main sur les questions d’environnement…

Il n’est pas question de maîtrise, de périmètre ou de pouvoir. L’enjeu, c’est que les agriculteurs soient associés, aient leur mot à dire. Je m’entends parfaitement avec Nathalie Kosciusko-Morizet [la ministre de l’Ecologie]. Sous l’autorité du Premier ministre, nous travaillerons ensemble.

Les ministres de l’Ecologie et de l’Agriculture ne sont-ils pas condamnés à s’affronter ?

Au contraire. Je ne dis pas que c’est facile, que ça se fait du jour au lendemain. On ne revient pas sur des décennies de différences en un claquement de doigt.

Et le prochain dossier qui fâche ?

Notre ligne, c’est tout le Grenelle, rien que le Grenelle. On peut discuter thon rouge, nitrates, installations classées en Bretagne. Les équilibres, on les trouve quand on discute.

Cet équilibre n’a-t-il pas été rompu lorsque Nicolas Sarkozy a dit que l’environnement, «ça commence à bien faire» ?

Il n’y a pas eu de basculement. Le cap fixé par le Président, c’est l’agriculture durable…

Pour revenir à la PAC, le volet régulation de la proposition de la Commission est-il assez ambitieux ?

La proposition de Dacian Ciolos [commissaire européen à l’Agriculture] sur la régulation est un bon point de départ, cependant le compte n’y est pas encore. Mais d’où venons-nous ? Il y a un an, la proposition, c’était la réduction de 30 à 40% du budget de la PAC et l’élimination de tout dispositif d’intervention sur le marché. Grâce à la France, la PAC va être préservée, et la régulation est revenue au cœur du débat. On a renversé la tendance, mais il faut aller plus loin en matière de transparence sur les volumes afin de permettre aux producteurs de mieux s’organiser pour négocier les prix. Nous voulons avec l’Allemagne un budget ambitieux.

La France n’est-elle pas écartelée entre agrobusiness et petits paysans ?

Mon travail, c’est que tout le monde travaille ensemble. Il n’y a pas d’agriculteurs forts sans une industrie forte. Et il n’y a pas d’industrie agroalimentaire qui puisse vivre sans que les paysans soient correctement rémunérés.

Prenons Yoplait, sur lequel Lactalis et Nestlé ont jeté leur dévolu. Cela vous dérangerait de voir passer ce symbole sous contrôle étranger ?

Notre préoccupation, c’est de nous assurer que les intérêts des producteurs français et des emplois salariés de nos industries agroalimentaires sont bien préservés.

Faut-il constituer des gros pôles d’agrobusiness français ?

Le modèle agricole français est singulier. Je veux le défendre. Ce modèle repose sur l’emploi présent sur tout le territoire. Il garantit une production diversifiée et une alimentation de qualité. Mais il faut savoir évoluer pour garantir sa pérennité. Cela passe par une industrie agroalimentaire puissante, capable de prendre des parts de marché à l’étranger. Il faut des champions, on en a…

De moins en moins…

On en a de moins en moins. Il faut donc que les PME grossissent.

Ce n’est pas contradictoire avec les intérêts des producteurs ?

Non, si on prend les mesures nécessaires pour qu’ils puissent mieux se regrouper. Il faut penser filières.

Au sein de l’Organisation mondiale du commerce, la France campe sur une ligne plutôt radicale, et le cycle de Doha est toujours paralysé…

Tant que nous n’avons pas de garanties qui montrent que les échanges seront équilibrés, avec une stricte réciprocité des règles, je continuerai à dire «niet». On ne peut abandonner nos intérêts agricoles contre d’autres intérêts, sur les biens ou les services. Nous sommes allés au maximum de nos concessions. Nous n’irons pas plus loin.

L’un des trois dossiers de la présidence française du G20 vise à lutter contre la volatilité des prix des matières premières. Concrètement ?

A la demande du président de la République, nous travaillons sur trois pistes. D’abord, une meilleure coopération entre les acteurs du G20. Est-il normal que le premier producteur mondial de blé, la Russie, frappé par une sécheresse et des incendies, décide sans concertation avec ses grands partenaires un blocus de ses exportations, déstabilisant le marché ?

Pour le bonheur de la France qui a pu doper ses exportations…

Pour le bonheur des céréaliers, mais le grand malheur des éleveurs, qui paient leur alimentation 20 à 25% plus cher. Il faut ensuite davantage de transparence sur la production et les stocks. Enfin, il faut un meilleur encadrement de la spéculation. A la Bourse de Chicago, le plus grand marché des produits agricoles, pour un échange physique, il y a 2 000 échanges immatériels. Ce n’est pas normal.

Borloo, Marc Le Fur et les amis du cochon

Ben mon cochon ! Toute la farce du Grenelle de l’Environnement, toute la rouerie de Jean-Louis Borloo se résument dans l’historiette qui suit. Officiellement, on le sait, Borloo est un écologiste convaincu, qui a engagé la France sur la voie d’une « révolution », d’un « New Deal » qui mettrait enfin au premier plan les intérêts de la planète. On appelle cela de la communication. Borloo est un as. Cela, au moins cela, nul ne peut le discuter sérieusement. Apparemment, les portes de Matignon lui seraient refermées sur les doigts. Ouille ! Mais je vous reparlerai d’une hypothèse qui cadre fort bien avec les personnalités connues de notre président adoré et de notre si bon ministre de l’Écologie. Elle porte, comme c’est étrange, sur l’élection présidentielle de 2012. En attendant, méfiez-vous des faux-semblants, et surtout de ceux qui parlent d’une grande colère et d’un vif dépit de Borloo. Cela pourrait fort bien relever d’une nouvelle mise en scène. Encore une fois, j’y reviendrai.

Mais ce dont je veux vous entretenir est seulement drôle. Irrésistible. Hier au soir, mardi 9 novembre 2010, Borloo a reçu une poignée d’amis politiques. Ceux des centristes et des « radicaux » qui, pourtant membres de l’UMP, jouent la carte Borloo. Il leur a raconté je ne sais quoi sur l’avenir glorieux à lui promis, et donc à eux. Le grand fun est ailleurs. Dans ce quarteron des favoris, un certain Marc Le Fur, député des Côtes d’Armor. Surnommé le « député du cochon », Le Fur est membre du « Club des amis du cochon » à l’Assemblée nationale, où il se bat comme un beau diable pour que vive une certaine Bretagne. Il a donné en janvier 2007 un entretien retentissant au magazine hélas méconnu Porc magazine, dans lequel il déclare : « Les producteurs de porc sont de véritables chevaux de course entravés dans leur envie d’entreprendre et leur volonté d’être compétitifs ».

Au début de l’été 2010, Le Fur a placé un amendement dans la Loi de modernisation agricole, pour relever le seuil des porcheries industrielles nécessitant des études d’impact de 450 porcs à 2 000. Peut-on être plus aimable avec l’agriculture industrielle ? Et peut-on être plus proche de l’écologiste Jean-Louis Borloo ? Allez, passez muscade.

Les grossières entourloupes de la bio (une si belle annonce)

Il y a un côté pile, ce qui est miraculeux. En 2009, 10 paysans français se sont tournés vers la bio chaque jour (ici). C’est le triomphe des chiffres. La France comptait 677 500 hectares en bio cette même année, soit une augmentation de 16 % par rapport à 2008. Et la fête continue : fin septembre 2010, la barre des 20 000 exploitations en bio aurait été franchie. Commentaire d’Elisabeth Mercier, directrice de l’Agence Bio, qui est un groupement d’intérêt public sous tutelle officielle : « Nous pensons qu’elles seront entre 20 500 et 21 000 à la fin de l’année, soit environ 3 % de la surface agricole utile (SAU)».

Et c’est là que commence le côté face. Toutes ces annonces ont été faites en grande pompe, et sous la présidence du ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire (ici). Pour l’essentiel, il s’agit de faire croire que la France rattraperait un « retard », et qu’elle serait dans les clous par rapport aux promesses du funeste Grenelle de l’Environnement. Lesquelles prévoyaient 6 % de la surface agricole utile (SAU) de notre pays en bio d’ici 2012. Fin 2009, nous en étions à 2,46 %. Autrement dit, nous sommes en pleine propagande. L’important est de berlurer l’opinion, évidemment. Il n’y aucune chance pour que l’objectif de 2012 soit atteint. Aucune.

Mais la malignité de cette mise en scène tient au fait que tout le monde, en tout cas dans les milieux intéressés, parle et parlera de l’agenda ministériel, tel que rappelé par Le Maire. Pour dire qu’il est à portée. Pour dire qu’il est irréaliste. Selon. En oubliant l’essentiel, qui domine et dominera longtemps encore l’époque : l’agriculture industrielle règne sur 97 % de notre territoire agricole. On se moquerait donc du peuple ? Le Maire serait un énième illusionniste, copain comme cochon (intensif) avec la FNSEA de toujours ?  Je vois que je ne parviens pas à vous cacher quoi que ce soit.

Pourquoi ne pas bloquer les ports français ?

Élections présidentielles au Brésil le 3 octobre. Lula, « grand homme de gauche », ne peut se présenter une troisième fois et a placé sur orbite Dilma Rousseff, qui a toutes chances de l’emporter. Pendant ce temps, l’un des milieux naturels les plus importants au monde – le cerrado  – disparaît. Pour faire plaisir aux amis de Lula.

Le cerrado est lointain, mais il nous est pourtant essentiel. Avis aux nombreux petits rigolos qui ont marché dans la combine du Grenelle de l’Environnement, cette farce aux seules dimensions de la France. Cerrado, en espagnol comme en portugais signifie fermé, refermé, touffu, épais. Et tel est bien le cerrado du Brésil, une immensité d’environ 2 millions de km2, soit à peu près quatre fois la France. Une gigantesque savane arborée qui sépare grossièrement la vaste forêt tropicale amazonienne et l’océan, passant du niveau de la mer jusqu’à l’altitude de 1800 mètres. Il s’agit de ce que l’écologie scientifique nomme un biome. C’est-à-dire l’ensemble des formes vivantes présentes sur une vaste surface. Une cohérence d’écosystèmes corrélé à une aire géographique. La taïga est un biome. Le cerrado un autre.

Dans ce continent d’herbes et d’arbustes, plein de cachettes, d’eaux vives, d’épineux, de clairières, on trouve au total – pense-t-on – 160 000 espèces de plantes, de champignons et d’animaux. 100 espèces d’herbes, par exemple. 430 espèces d’arbres et d’arbustes. Il y aurait 4 400 espèces végétales endémiques, qu’on ne trouve donc que là sur la terre. Et 1 500 espèces animales de même, dont certes beaucoup d’invertébrés. Ce n’est pas tout, car c’est inépuisable. Le cerrado abrite par ailleurs les sources de nombreux affluents de l’Amazone et entretient par ses flots la plus vaste zone humide du monde, le Pantanal. Héros animaux de ce pays de rêve : le jaguar, le fourmilier géant, le tatou jaune et le capybara, qui se trouve être le plus gros rongeur de la planète.

Trop beau pour être vrai ? En effet. Le cerrado subit la plus grave agression de sa longue histoire, de loin. Selon les chiffres officiels du gouvernement brésilien, il aurait perdu la moitié de son territoire en cinquante ans (ici). Évidemment, la surface est toujours là, mais le cerrado, lui, a disparu. Bouffé par les activités humaines, en particulier par l’élevage et le soja transgénique, celui que nous importons par millions de tonnes chaque année pour nourrir notre bétail industriel. Celui qui débarque chaque jour à Lorient ou Brest. Le soja n’existait pas au Brésil il y a cinquante ans. Il couvre aujourd’hui peut-être 25 millions d’hectares, et comme il fait gagner de colossales fortunes aux producteurs et exportateurs, cela n’est pas près de finir. Le « roi du soja » brésilien, qui est probablement le plus gros producteur mondial, s’appelle Blairo Maggi. Non content d’avoir longtemps été le gouverneur de l’État du Mato Grosso – il vient de refiler la charge à un proche -, Maggi est aussi un allié fidèle de Lula, et donc de cette gauche brésilienne aussi pourrie que ne l’était la droite.

Le cerrado est donc dévoré de l’intérieur par ce développement qui est celui de la dévastation générale. Mais ne pas croire que les bureaucrates locaux sont indifférents. Ce serait mal les connaître. Eux aussi ont leurs Borloo et leurs Jouanno. Ils ont un plan, les amis, qui consiste à diminuer de 40 % les destructions d’ici 2020. Remarquez avec moi qu’ils n’ont pas même l’ambition d’arrêter le grand massacre. Non. Diminuer son rythme sera bien assez. Moi, qui vis à des milliers de kilomètres des lieux, je peux vous dire que ce dérisoire objectif ne sera pas même atteint. Ce qui se passe dans le cerrado est comparable à la guerre menée contre la Grande Prairie américaine aux 19 et 20 èmes siècles. Que reste-t-il de cet océan végétal ? Du maïs et des pesticides. Le cerrado aura droit au même destin, sauf révolte radicale. Et pulvérisation de l’industrie du soja. Nous y pouvons quelque chose ? Oui, nous pouvons tenter de détruire de notre côté l’élevage industriel. La tâche n’est pas évidente. Il est vrai. Elle est seulement fondamentale. Morale, écologique, humaine et fondamentale.

Si je m’autorise à écrire que le cerrado n’a, en l’état actuel, pas une chance, c’est qu’on pleure sur son sort depuis des lustres. Lisez avec moi ces quelques mots (le reste est ici, en français) : « Ces cinq à dix dernières années, 300 rivière se sont asséchées dans le cerrado à cause de la culture intensive du soja. Or elles sont parmi les plus importants affluents des grands fleuves qui rendent le Brésil aussi riche en ressources hydriques ». Je n’ai pas eu le cran de remonter à Mathusalem. Ce texte date de 2003, ce qui est bien suffisant. Lula est le président en titre depuis 2002. Mais pourquoi aurait-il embêté ses amis si chers ?

Morale de l’histoire. Il est douteux que j’en trouve une. Mais je sais qu’il est plus que temps de cesser les pleurnicheries. Il est un but clair, cohérent, positif qui pourrait réunir ce que la France compte de véritables écologistes. Bloquer, tenter de bloquer le débarquement du soja dans les ports français. C’est un appel ? C’est un appel. Crédible ? Je m’en fous.

PS : Suite à la remarque justifiée d’Hacène, j’ai modifié un court passage du texte ci-dessus. Celui concernant le nombre d’espèces recensées dans le cerrado. Sur le fond, bien sûr, c’est exactement le même texte.