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Cachez cette bidoche que je ne saurais voir (ni manger)

Ce n’est plus guère un secret pour la plupart d’entre vous. Je viens de publier un livre qui s’appelle Bidoche, et qui a pour sous-titre : L’industrie de la viande menace le monde. Ce livre a été édité par un ancien de Fayard, Henri Trubert, que j’ai décidé de suivre dans l’aventure d’une nouvelle maison, Les liens qui libèrent (LLL).

Je ne vais pas être long sur le sujet. J’ai ouvert (ici) un lieu virtuel où l’on peut voir quelques vidéos et lire les critiques – ou entendre les émissions – consacrées au livre. À cette nouvelle adresse, je reçois des courriers, qui ne sont pas, à proprement parler, des commentaires. Ces derniers sont rendus impossibles, techniquement impossibles, pour la raison que je n’ai pas le temps matériel de les suivre. Mais je les lis, et ils sont le plus souvent instructifs.

Passons sur les louanges, même s’ils font bien entendu plaisir. Ce qui me frappe, c’est le nombre de gens qui me disent qu’ils n’ont pas acheté le livre et qu’ils ne le liront peut-être pas, car ils ont peur d’y trouver ce qu’ils craignent. Ma foi, je comprends, mais je récuse aussi ! Ne pas chercher à savoir, ne pas chercher à comprendre, n’est-ce pas la pire des attitudes concevables ? Je dois dire que je suis étonné, et le mot est faible !

Bidoche se vend bien, au point qu’il a déjà été réimprimé. Mais je rappelle que la seule chance véritable de ce livre est le bouche-à-oreille, d’autant que LLL est une maison d’édition qui reste inconnue des libraires. Lesquels ont déjà le plus grand mal à se retrouver dans le labyrinthe des nouvelles parutions. Un dernier mot : j’ai tenté de raconter une vaste histoire, avec des personnages, des rencontres, des visions, des anecdotes, des folies, de folles recherches, de fols résultats. Le reste ne m’appartient déjà plus. Et je vais peu à peu passer à autre chose.

PS : mon prochain papier, demain, concernera un village karen du nord de la Thaïlande, Sanephong. Les 661 habitants de ce pays perdu utilisent, pour se nourrir, 387 espèces ou variétés différentes, dont 17 % animales et 83 % végétales. Ce n’est pas chez nous qu’on verrait de telles horreurs.

À propos des nécrocarburants (une fois de plus)

Je pressens que vous ne lisez pas tous le quotidien économique Les Échos. Pardon aux fidèles lecteurs du titre, mais je vais faire comme si personne n’avait lu cela. Je résume pour ceux qui n’ont pas le temps. La France des lobbies – et croyez-moi, celui des biocarburants est sacrément puissant – a réussi à extorquer à l’État 100 millions d’euros pour des études sur les nécrocarburants de deuxième génération. Ceux qui existent, les seuls qui existent, dévastent les forêts tropicales, affament les peuples, aggravent la crise du climat. J’en ai fait un livre, La faim, la bagnole, le blé et nous (Fayard). Malgré le désastre global et planétaire en cours, les gros céréaliers français ont réussi à décrocher la timbale. Et nous paierons donc tous pour permettre à l’industrie de répondre aux critiques que les labos travaillent, sérieusement, sur une deuxième génération. Laquelle, par miracle, règlerait tous les problèmes.

Je n’ai ni le temps, ni le goût de détailler une fois de plus. Mais je vous glisse tout de même cette phrase impayable de Nathalie Kosciusko-Morizet au printemps 2008, alors qu’elle était secrétaire d’État à l’écologie : « Le problème [ des biocarburants de seconde génération ], c’est que ces techniques ne seront au point que dans dix à vingt ans ». Or donc, on entend faire passer l’horrible pilule des nécrocarburants actuels au nom de chimères qui ne verront peut-être jamais le jour. L’argent public ne coûte rien, saviez-vous ?

J’ajoute qu’un responsable national écologiste – que j’apprécie – m’a demandé aujourd’hui même ce que je pensais de l’article des Échos. Et du rôle attribué aux carburants végétaux dans cette crise alimentaire qui n’en finit pas. Ne disposant que de très peu de temps, je lui ai fait la réponse suivante :

XYZ,

Je ne vais pas être long, car aux dernières nouvelles, tout est abondamment contenu et référencé dans le livre que j’ai écrit sur le sujet.
On ne comprend rien, réellement rien, à la question des biocarburants si l’on oublie cette évidence qu’un puissant lobby industriel est à l’œuvre dans le monde entier, à l’appui d’une production en tous points désastreuse. Un, les biocarburants ont joué un rôle majeur dans l’explosion du prix des denrées alimentaires depuis deux ans. De très nombreuses études l’attestent. Je te glisse un échantillon rapide de citations des années 2007 et 2008.

*Pour le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, « les biocarburants sont sans aucun doute un facteur important dans l’accroissement de la demande en produits alimentaires », le prix du maïs ayant ainsi doublé en deux ans. 2008

 *John Lipsky, numéro deux du Fond monétaire international (FMI) a estimé jeudi 8 mai 2008 que le développement des biocarburants serait responsable à 70% de la hausse récente des prix du maïs et 40% de celle des graines de soja.

* La FAO, à l’automne 2008 : «  Les consommateurs urbains pauvres et les acheteurs nets de denrées alimentaires dans les zones rurales sont tout particulièrement menacés. Une grande partie des pauvres de la planète dépensent plus de la moitié de leurs revenus pour s’acheter de la nourriture.“Les décisions liées aux biocarburants devraient tenir compte de la situation de la sécurité alimentaire, mais aussi de la disponibilité de terres et d’eau”, selon M. Diouf. “Tous les efforts devraient être ciblés sur la conservation du but suprême consistant à libérer l’humanité du fléau de la faim”. »

 *Le Belge Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, en 2008 : « Les objectifs ambitieux en matière de production de biocarburants que se sont fixés les Etats-Unis et l’Union européenne sont irresponsables. La production de colza, l’huile de palme, qui détruit les forêts en Indonésie, l’utilisation d’un quart de la récolte de maïs aux Etats-Unis, c’est un scandale, qui sert uniquement les intérêts d’un petit lobby, avec l’argent du contribuable. J’appelle au gel de tout investissement dans ce secteur ».

 *Rapport de l’OCDE, septembre 2007 : « The current push to expand the use of biofuels is creating unsustainable tensions that will disrupt markets without generating significant environmental benefits »

*Stephen Corry, directeur de Survival, en 2008 : « Le boom du biocarburant n’a pas seulement de graves conséquences sur l’environnement, la hausse du prix des denrées alimentaires ou la survie des orang-outang – il a aussi un impact dévastateur sur les peuples indigènes. Les compagnies qui promeuvent cette industrie ont réellement la volonté de se débarrasser des peuples indigènes afin d’accaparer leurs terres ».

*Au cours d’un Forum pour la souveraineté alimentaire, en marge de la conférence de la FAO à Brasilia, le mouvement paysan international Via Campesina a condamné la production de biocarburants. « Le problème, c’est non seulement l’utilisation de produits agricoles à des fins autres que l’alimentation mais aussi la quantité d’eau que l’on utilise, les pesticides et la monoculture qui finit par tuer la terre », a ainsi déclaré Juana Ferrer, la représentante de la Confédération nationale des femmes paysannes de la République Dominicaine (2008).

Je te le répète, il ne s’agit que d’un maigre échantillon. J’aurais aisément pu montrer la même chose à propos des atteintes à la biodiversité par destruction de forêts tropicales ou de milieux aussi riches que le cerrado brésilien. J’aurais pu, de même, citer quantité de grands noms de la science – Paul Crutzen, prix Nobel de chimie – qui jugent le boom mondial en faveur des biocarburants responsable d’une hausse considérable des émissions de gaz à effet de serre. Notamment au travers du drainage des tourbières d’Asie.

Franchement, le dossier est clair, net et sans bavure. Il faut et il suffit de rassembler les informations disponibles. Pour ce qui concerne la France, le lobby est celui de l’agriculture industrielle et des grandes coopératives céréalières. Faut-il faire un dessin ? Quant aux biocarburants de seconde génération, ils servent essentiellement d’argument publicitaire en faveur de ceux réellement existants. Il s’agit essentiellement de propagande qui permet de faire passer le bilan dévastateur de ceux de première génération. En somme, demain, on rasera gratis.

Est-ce qu’il t’en faut davantage ? Bien à toi,
Fabrice

Antonio Gramsci et le salon agricole de Rennes

J’ai eu jadis un intérêt, mêlé de tendresse, pour la figure d’Antonio Gramsci. Ce communiste italien, né en 1891, est mort dans une prison mussolinienne au printemps de 1937, après onze années de réclusion. Nous ne saurons jamais comment il se serait situé face au stalinisme, qui  déferlait au moment de sa mort dans le monde entier, après avoir dévasté l’Union soviétique.

Pour vous dire le vrai, cela ne m’intéresse pas plus que cela. Et même le Gramsci d’avant la geôle fasciste me laisse aujourd’hui indifférent. J’ai pourtant pensé à lui tout à l’heure en regardant un supplément du journal Ouest France. C’est ainsi, ce n’est pas autrement. Pour bien comprendre ce que je souhaite vous dire, il me faut rappeler que Gramsci, qui était un intellectuel raffiné,  avait forgé en son temps l’expression « hégémonie culturelle ». Il pensait que les travailleurs des pays comme le sien ne gagneraient la partie qu’à la condition d’exercer, dans la société, une hégémonie culturelle. Que leurs valeurs, leurs conceptions, leurs choix apparaissent enfin comme meilleurs que ceux de la bourgeoisie. Faute de quoi, celle-ci garderait indéfiniment le pouvoir.

Cette hégémonie signifie donc la victoire des signes et symboles. Et de ce point de vue, la défaite de ce qu’on appela le mouvement ouvrier, est patente. Il n’aura pas su imposer sa vision de l’avenir, et tous ses points d’appui cèdent un à un sous nos yeux. Le mouvement ouvrier, splendide ouvrage de civilisation au moins jusqu’en 1914, est moribond.

Et le mouvement écologiste ? Je n’ai pas le temps de détailler tout ce qui lui manque, qui pèse si lourd. Il n’a par exemple aucune organisation digne de ce nom, ce qui lui interdit de peser du poids qui est déjà le sien. C’est un grand dommage, auquel nul ne peut beaucoup. En tout cas, il me semble que l’écologie est en train de réaliser le vieux rêve gramscien. Oui, j’ai l’impression que son hégémonie culturelle se profile désormais à l’horizon. Nous en sommes loin encore, mais cela se rapproche.

Témoin ce supplément de Ouest France, que je juge historique. Inséré dans l’édition du 15 septembre 2009 du journal de Rennes, il s’appelle Paysans de l’Ouest. Le quotidien Ouest France a été l’un des principaux vecteurs de la révolution agricole complète que la Bretagne a connue entre 1950 et nos jours. Il a accompagné, applaudissements compris, le remembrement, la fin du bocage et le triomphe du maïs, les épandages, les pesticides, les porcheries, les poulaillers géants, la puanteur, la nourriture industrielle, etc. Ouest France est le medium par lequel se sont senti exprimés des centaines de milliers de paysans modernes.

Et patatras. Le « miracle économique breton » se retourne tel un gant, et se change en un cauchemar. C’est un peu, à une autre échelle, le fameux conte d’Andersen, où seul un gosse ose crier : « Le roi est nu ! Le roi est nu ! ». Nous sommes, en Bretagne, juste au moment où le roi – l’agriculture industrielle – sort à poil dans la rue, pensant qu’il est paré des plus beaux habits de la terre. Nul n’a encore osé l’outrage.

Paysans de l’Ouest, supplément de Ouest France, est entièrement consacré au salon de l’agriculture intensive SPACE, qui s’est déroulé à Rennes du 15 au 18 septembre. Plus de 100 000 visiteurs se sont comme chaque année pressés autour des stands où l’on fait tonner les moteurs des plus gros engins. Mais Ouest France est déjà passé de l’autre côté. Mais Ouest France a déjà reconnu l’hégémonie culturelle de l’écologie. Sans le claironner, on s’en doute.

Que trouve-t-on dans Paysans de l’Ouest ? Deux ensembles parfaitement contradictoires. D’un côté, des articles remarquables, coordonnés par le journaliste Patrice Moyon. Tout y passe : la bio, la fertilité menacée des sols, les cultures sans labour, le rôle des bactéries, des vers, la nécessité des rotations, le danger des gros engins agricoles, qui tassent la terre. Parmi les invités, les Bourguignon, héros encore méconnus (ici), un maraîcher bio, Sjoerd Wartena, fondateur de Terre de liens (ici), Najat Nassr, qui défend depuis son laboratoire de Colmar l’équilibre entre la faune du sol et les pratiques agricoles.

Que ne trouve-t-on pas dans Paysans de l’Ouest ? Ce qui était auparavant omniprésent : des odes aux capitaines d’industrie de la bidoche, comme Doux. Des portraits de potentats, prompts à déverser du lisier sur la tête du premier écolo venu. Des visites parapublicitaires d’exploitations folles où l’on entasse par milliers des porcs, leur interdisant jusqu’à la mort le moindre mouvement. De cela, de cet univers tant vanté au fil des décennies, plus rien. Rien.

En revanche, et c’est je crois ce qu’on peut appeler un point de bascule, des pages entières de publicités pour les tracteurs John Deere, les tapis élévateurs Lucas, les toits de hangars Éternit – longtemps champion de l’amiante -, la coop de Garun, où l’on traite la truie comme elle le mérite, la tonne à lisier Demarest, les équipements d’élevage Lactalis Sotec, les racleurs à câble CRD, qui permettent de « séparer les fèces et l’urine » des cochons, chez qui tout est bon, etc.

Et voilà le travail. Gramsci serait content. La Bretagne me semble mûre pour un mouvement collectif sans précédent en France. Un mouvement qui unirait des forces disparates, en apparence opposées parfois. Mais qui serait poussé par l’irrésistible pression d’une autre vision de l’avenir. La Bretagne pourrait bien, dans les années qui viennent, nous surprendre. Gramsci dans le texte : «La supremazia di un gruppo sociale si manifesta in due modi, come dominio e come direzione intellettuale e morale. Un gruppo sociale è dominante dei gruppi avversari che tende a liquidare o a sottomettere anche con la forza armata, ed è dirigente dei gruppi affini e alleati. Un gruppo sociale può e anzi deve essere dirigente già prima di conquistare il potere governativo (è questa una delle condizioni principali per la stessa conquista del potere); dopo, quando esercita il potere ed anche se lo tiene fortemente in pugno, diventa dominante ma deve continuare ad essere anche dirigente ».

Cet extrait est tiré de Quaderni del carcere, Il Risorgimento. Ce qu’il dit s’applique assez bien à notre situation bretonne, mine de rien. En trois phrases : la suprématie d’un groupe social peut s’exercer sous la forme de la domination, mais aussi sous celle de la direction intellectuelle et morale. Un groupe social peut devenir dirigeant avant même d’avoir conquis le pouvoir politique, et c’est même l’une des conditions pour la prise de pouvoir. Ensuite, quand il exerce réellement le pouvoir, ce groupe, même s’il tient les rênes d’une main ferme, devient du même coup dominant, mais doit aussi continuer à être dirigeant .

En somme, voilà. Gramsci, se penchant sur le supplément de Ouest France écrit 72 ans après sa mort, nous signale l’importance de définir le cadre – ce que nous appelons le paradigme – et de tenir la barre de façon à montrer la voie à tous. Ma foi, Antonio, siamo d’accordo. Nous sommes d’accord.

Madame Janus parle aux paysans (Judith Jiguet en plein travail)

Amis lecteurs, nous sommes le 18 juin 2009. Ce n’est pas de ma faute. Ce n’est pas de ma faute si ce jour est aussi celui d’un appel à la résistance contre la nuit noire du fascisme, celui de De Gaulle en 1940. Coïncidence, dans le genre amusant. Car le 18 juin 2009, l’État si bien incarné par notre bon roi Sarkozy 1er se couche une fois de plus devant le syndicat. Le Syndicat. Le SYNDICAT, le seul dans son genre extrême, la FNSEA.

La FNSEA, je le rappelle quand même, est cette étonnante structure de paysans industriels née dans l’après-guerre, et qui aura accompagné au son des fifrelins la disparition par millions de ses mandants. Encore bravo. Le 18 juin dernier avait lieu la réunion du Conseil syndical de la FNSEA. Et Chantal Jouanno, aide de camp de Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie, avait dépêché sur place sa directrice de cabinet, madame Judith Jiguet. Qui se révèle, vu de près, une formidable Janus. Lequel était, je le rappelle, un dieu romain à deux visages.

Madame Jiguet a un beau parcours technocratique et politique, c’est indiscutable. Ingénieur du génie rural, des eaux et des forêts (IGREF), elle a travaillé à la Direction départementale de l’agriculture de la Vienne, puis a rejoint le cabinet de Dominique Bussereau au ministère de l’Agriculture. Formidable ! Elle est ensuite entrée au service de la transnationale de l’eau Veolia, puis est devenue directrice-adjointe du ministre de l’Agriculture Michel Barnier, en 2007. Formidable ! Elle n’avait que 36 ans.

La voici désormais directrice de cabinet de Chantal Jouanno (si vous voulez voir une étonnante vidéo, c’est ici) et nous en sommes très heureux. Chacun sait bien comme il est simple de marier la carpe et le lapin, fussent-ils tous deux transgéniques. Le 18 juin 2009 – décidément, je traîne en route -, madame Jiguet vient donc à la rencontre des chefs de l’agriculture industrielle. Et elle leur offre une déclaration qu’il faut savoir lire entre les lignes. À cette condition, je n’hésite pas à parler de monument.

L’association Eau et Rivières de Bretagne nous offre le verbatim de ce discours, qui vaut tous les applaudissements (ici). J’en retiens la misérable, la dérisoire présentation du Grenelle de l’Environnement. Ce grand ramdam, ce serait donc cela seulement ? Mais il y a mieux, certes. La France a perdu au moins la moitié de ses zones humides en cinquante ans, et continue d’assécher des merveilles comme le Marais poitevin ou de massacrer des territoires aussi sacrés que la Camargue. Eh bien, crotte !

Crotte, c’est tout ce que nous aurons. La madame Jiguet explique à ses petits amis – c’est le soi-disant ministère de l’Écologie qui parle par sa bouche ! – que « nous sommes en train également de redéfinir les critères pour apprécier ce qu’est une zone humide ». Redéfinir ! Des centaines de scientifiques du monde entier ont étudié la question sous tous angles, la convention internationale signée à Ramsar (Iran) en 1971 fait consensus, mais la madame a d’autres idées. Lesquelles ? Voici, et texto : « Les critères de sols ont été revus, ce qui conduit mécaniquement à restreindre de façon importante les zones susceptibles d’être classées comme zones humides ».

En criminologie, cela s’appelle un flagrant délit. On fait un petit hold-up sur les mots, et comme tout le monde s’en fiche, ni vu ni connu je t’embrouille. C’est la technique du joueur de bonneteau. Au marché aux Puces de Montreuil, madame Jiguet se ferait embarquer par les flics. Autre point, concernant cette fois les SDAGE, cette invention bureaucratique qui signifie Schéma directeur d’aménagement des eaux. Pour ne pas ennuyer la FNSEA, eh bien, « les projets vont être étudiés par l’administration centrale pour évaluer leur harmonisation, et éviter les mesures exorbitantes ». En clair, pas question de faire payer ces malheureux à la hauteur des immenses dégâts qu’ils commettent.

Cette madame Jiguet ira loin, j’en jurerais. Un dernier exemple – il y en a bien d’autres ! – et je m’arrête. Concernant les nitrates, « les préfets sauront déterminer les mesures du programme en fonction du contexte, de l’acceptabilité et de la faisabilité des mesures, en prévoyant éventuellement des avenants et des évolutions progressives les années suivantes ».

Là, tout de même, ma (lointaine ) fibre légaliste se manifeste enfin. Nous parlons là, amis lecteurs, d’une directive européenne. D’une loi de droit français, s’appliquant à tous. Mais une directrice de cabinet vient dire à d’éventuels contrevenants que cette directive doit tenir compte du « contexte », de « l’acceptabilité et de la faisabilité » de mesures exigées par le législateur européen. Avouez que c’est tout de même un peu farce. Je n’ose demander une fois de plus ce que foutent les ceusses de France Nature Environnement (FNE), qui siègent dans tant de comités Théodule, et dont tant sont désormais dotés de colifichets comme la croix du Mérite ou la Légion d’honneur. Allez, non, je n’ose pas.

Au bonheur de l’hydrogène sulfuré (sur les algues vertes)

Vous savez quoi ? Je pense que cela vous fera rire, mais franchement, j’ai le sentiment que quelque chose déconne, en profondeur s’il vous plaît. Vous avez suivi comme moi l’affaire des algues vertes de Bretagne, qui prolifèrent et désormais tuent les animaux, chiens et chevaux, s’attaquant aussi, bien entendu, aux humains. Notre Premier ministre en titre, François Fillon si je ne me trompe, est venu sur place le 20 août, et s’est payé une séance de foutage de gueule homérique.

La responsabilité de l’agriculture intensive dans la genèse de la prolifération ? Faut voir. Pas si simple. La cause serait multifactorielle. Il a même osé une phrase de rêve, celle-ci : « La question de l’environnement est prise en compte depuis des années en Bretagne, au prix d’efforts considérables ». Je ne sais pas si l’on peut traiter un Premier ministre de charlot – sérieusement, le grand Chaplin ne mérite pas cela -, mais enfin, je le fais. Fillon est un charlot, qui annonce la création d’une commission, et des mesures de nettoyage qui. Qui laisseront la merde en place jusqu’à ce qu’une révolte populaire ne contraigne nos Seigneuries à de véritables actions.

Le drame, c’est que le pire est ailleurs. Le chercheur de l’Ifremer Jean-Yves Piriou alerte consciencieusement sur le danger des algues vertes depuis…1986. Jetez un regard sur ses multiples publications, et vous comprendrez ce que je veux dire (ici). En janvier 2002, en plein hiver, donc, les agues vertes ont fait une apparition fulgurante, devinez où ?, dans les Côtes d’Armor, là où le cheval est mort en juillet, là où son cavalier a été gravement intoxiqué. Grosse surprise, puisque les algues vertes étaient jusque là censées attendre le touriste, et l’été.

Le quotidien de Rennes Ouest-France, dans son édition du 14 janvier 2002 – il n’y a jamais que sept ans et demi -, écrivait précisément ceci :  « Le coupable, Jean-Yves Piriou le connaît depuis longtemps : l’azote, essentiellement issu des engrais chimiques et des déjections animales, qui se transforme en nitrates. “En vingt ans, leur concentration a doublé dans les principales rivières de Bretagne”. Dans le même temps, stimulée par ce fertilisant, la production d’algues vertes est passée à plus de 50 000 tonnes. Les principaux sites sont la baie de Saint-Brieuc et la baie de Lannion, suivis des baies de Douarnenez, Concarneau, La Fresnais, Guisseny et Binic. La masse étouffe faune et flore. L’odeur fait fuir les touristes. Surtout, Jean-Yves Piriou craint l’ammoniac et l’hydrogène sulfuré qui se dégagent dans l’air, du fait du pourrissement ».

Vous lisez tout comme moi. Cet hydrogène sulfuré, qui a tué cet été, et tuera encore, était on ne peut plus identifié en 2002. Et en 1995. Et probablement plus tôt encore. Mais tous les pouvoirs, de gauche comme de droite, ont laissé faire. Car la seule solution est de s’attaquer enfin et pour de vrai à cette puissance enkystée dans l’appareil d’État central, qu’on appelle agriculture intensive. Et qui est représentée par la FNSEA, cogestionnaire de tous les dossiers la concernant.

Le drame – bis repetita -, c’est que le drame est encore ailleurs. Le drame, c’est nous. Des scientifiques valeureux comme Piriou ou Lefeuvre – qui alertait sur les nitrates dès 1970 !!! – ne trouvent aucun écho, aucun soutien, aucune rébellion. Je vous dis cela, car en ce moment, mutatis mutandis, nous devrions être des milliers devant Minatec, à Grenoble, où travaillent déjà, dans notre dos, 2400 chercheurs, 1200 étudiants et 600 industriels. Que font-ils ? Joujou. Avec des nanoparticules dont nul ne sait dans quoi elles nous entraîneront. Demain sera trop tard. Demain est déjà trop tard. Aussi bien, je vous le dis calmement mais fermement, quelque chose déconne, en profondeur. Et ce quelque chose est quelqu’un. Nous.