Que souffle enfin le vent de l’optimisme ! Mais avant ce plaisir rare, un peu d’ennui quand même. En 2001, les États membres de la FAO – grosse bureaucratie mondiale chargée de l’alimentation et de l’agriculture – se mettent d’accord sur un Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa). En effet, cela commence très mal.
Ce Tirpaa a pourtant le noble objectif de « préserver la biodiversité des semences agricoles “pour une agriculture durable et pour la sécurité alimentaire” (ici) ». La plupart d’entre vous, je pense, savent que l’extraordinaire richesse des plantes cultivées par l’homme pendant des milliers d’années a disparu. Il n’en reste que ce que l’agriculture industrielle tolère encore. L’Inde du passé cultivait, ainsi, probablement, plusieurs dizaines de milliers de variétés de riz, adaptées au moindre relief, au plus discret microclimat, aux plus petites variations du sol. Un tel trésor, au service de l’alimentation, paraissait un réservoir sans fin dans lequel puiser pour de nouvelles et fructueuses sélections.
Je vous épargne le couplet sur les transnationales, qui s’emparent sous nos yeux du bien le plus précieux, c’est-à-dire les semences. Par bonheur, la résistance existe, menée en France par d’authentiques combattants, comme Guy Kastler. Ce dernier note, à propos du Tirpaa : « Il a été adopté par les Etats membres de la FAO en 2001 et est entré en vigueur en 2004 après ratification par une centaine d’Etats (les Etats-Unis ne l’ont pas ratifié). Il vise, selon son texte, à soutenir la conservation ex-situ (dans les banques de gènes) et in-situ (dans les champs) de la biodiversité cultivée, y compris par la reconnaissance de la contribution des agriculteurs et de leurs droits qui en découlent à conserver, ressemer, protéger et vendre leurs semences ».
Trop beau pour être vrai ? Un peu. Une réunion de ce fameux Traité international vient de se terminer à Carthage (Tunisie). 2009 est et sera une année déterminante à bien des égards. En novembre, Rome accueille un sommet sur la sécurité alimentaire et en décembre, Copenhague sera la capitale du dérèglement climatique. Il va de soi que le combat pour les semences est crucial à la fois pour nourrir les hommes et les préserver – si peu que ce soit – du changement climatique en cours. Or jusqu’à la fin de la réunion de Carthage, la discussion a été très dure, frôlant plusieurs fois le blocage complet. Car ne croyez pas qu’il suffise d’un traité pour changer quoi que ce soit. Voyez plutôt le sort du protocole signé à Kyoto en 1997. Un traité n’est jamais qu’un point le long d’une ligne sans fin. Et donc, Carthage. Et donc des empoignades.
Je viens de recevoir un communiqué de Via Campesina, organisation internationale de paysans, très active à Carthage. Son titre porte un point d’interrogation qui n’enlève pas grand chose à sa force : « Un pas considérable vers un véritable engagement de la FAO en faveur des droits des paysans ? ». Il semble bien que, pour une fois, les intérêts les plus mercantiles aient dû reculer. Il semble bien que les États aient enfin considéré la question de la souveraineté alimentaire, qui passe par le droit de disposer librement des semences. D’après Via Campesina, la réunion serait tombée d’accord sur deux points clés. Le premier : « Encourager les pays membres à examiner toutes les mesures affectant les droits des paysans et supprimer les barrières empêchant les agriculteurs de stocker, échanger ou vendre leurs semences ». Le second : « Impliquer les agriculteurs à part entière au sein d’ateliers régionaux et/ou nationaux portant sur l’application des droits des paysans et rendre compte de cette dernière lors de la prochaine réunion du Traité sur les semences, qui aura lieu dans environ 18 mois ».
Je dois avouer que ces paroles ne sont pas très rigolotes. Mais elles sont chargées du poids si lourd de la vie. Et de la mort. Une paysanne brésilienne présente à Carthage, Soniamara Maranho, a trouvé le mot juste en s’adressant à la docte assemblée des bureaucrates de la FAO : « Nous reviendrons ». Oui, nous reviendrons. Nous y reviendrons.