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Ça se passe comme ça chez McDonald’s

Je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous ignorez tout de lui. Lui. François Villon. Mon Dieu, ai-je le droit de l’écrire ? Il est pour moi un frère lointain. Un voyou. Un authentique truand du XVe siècle. Un incroyable et frénétique rebelle à l’ordre en place. Né en 1431, il blesse mortellement, au cours d’un duel, celui qui – peut-être – lui aurait disputé le cœur d’une belle. Je le reconnais, cela ne se fait pas.

Pour parler sans détour, Villon n’aura jamais fait que le con, tout au long de sa vie repérable. Il est probable qu’il s’acoquina avec les Coquillards, une bande connue de malfrats, mais les preuves réelles manquent. Le sûr, l’à-peu-près certain, c’est qu’après 1463, Villon disparaît définitivement. Qu’est-il devenu ? A-t-il vécu ? A-t-il été pendu quelque part ? Mystère. À trente-deux ans, rideau.

C’est à lui que j’ai pensé tout à l’heure, de façon acrobatique, j’en conviens. Je découvrais un entretien avec Steven Chu, le nouveau secrétaire d’État à l’énergie des États-Unis. Prix Nobel de physique 1997, Chu a dirigé le Laboratoire national Lawrence Berkeley, en Californie. On le sait très sensible à la question climatique. On le pense même écologiste. Certains, dois-je aussitôt ajouter.

Eh bien, pourquoi ce cher Villon ? L’un de ses poèmes les plus connus, La Ballade des pendus, commence de la sorte :

Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les cœurs contre nous endurciz,
Car, ce pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.

Il y a un rapport, en tout cas pour moi. J’y lis la considération réelle d’un homme – il est alors en prison, si je ne me trompe – pour ceux qui viendront après lui. Et comme il sait ce que nous sommes, il ne demande que peu. Que le cœur de nos descendants ne soit pas trop endurci contre nos innombrables faiblesses. Qu’on nous pardonne un peu, un tout petit peu. Que l’on nous prenne en pitié, s’il le faut !

Chu, donc. L’essentiel de la presse mondiale, fût-elle (autoproclamée) sérieuse, prétend que la nomination de Steven Chu change la donne. Eh bien, ce n’est pas vrai. Chu est, à sa manière, qui diffère du commun, un scientiste. Un scientifique profondément convaincu que la technologie sauvera le monde de ses insupportables contradictions. Il ne sait ce qu’est une société. Il ignore ce qu’est la justice. Il est incapable de comprendre qu’un monde qui ne lève pas ses milliards de gueux pour changer le cours des choses n’a pas une chance devant lui. Bref, ce très brillant esprit est un imbécile. Mais chut ! il ne faut pas dire cela. Un Villon, je vous le jure, aurait sans douté écrit cette vérité plus entière : Chu est un connard. Il l’est.

Il l’est. Voici un extrait d’un entretien accordé au journaliste du Nouvel Observateur Claude Soula quelques jours avant d’être nommé par Obama. Lisez lentement. Moi, j’en souffre lentement, je vous le dis (ici) :

Le Nouvel Observateur – On dit que vous avez réorienté le Berkeley Lab sur l’environnement ?

Steven Chu – Depuis les années Carter, la recherche sur les énergies non fossiles était au point mort. Il fallait donc inciter nos meilleurs cerveaux à se pencher sur la question. Avec le projet Helios, nous travaillons sur les biocarburants de deuxième génération, les panneaux solaires avancés, les matériaux de construction écologiques, la capture et la séquestration du carbone… Cela représente plus du quart de notre budget annuel (650 millions de dollars).

N. O. – A vous entendre, l’environnement est « la question la plus importante que la science et la technologie aient jamais eu à résoudre »…

S. Chu – Il est bien sûr important de faire progresser la science médicale. Si nous n’arrivons pas, par exemple, à soigner tel cas de cancer du cerveau, certains malades mourront. Mais si on ne résout pas la question environnementale, c’est l’humanité entière qui souffrira. S’il y a, comme le prédit le rapport Stern, 50% de chances pour que la température augmente de 5 °C dans cent ans, des millions de gens mourront, des milliards deviendront des réfugiés climatiques, des espèces disparaîtront…

N. O. – Vous avez signé avec British Petroleum un contrat de recherche à 500 millions de dollars sur dix ans. Pour quel objectif ?

S. Chu – Nous travaillons sur les biocarburants dérivés de plantes, à la fois à travers ce partenariat et dans un nouveau centre de recherches financé par le ministère de l’Energie. Les biocarburants de première génération, comme l’éthanol de maïs, n’ont pas un bilan énergétique satisfaisant. Ils entrent en compétition avec les cultures alimentaires. Les biocarburants de demain seront fabriqués à partir de la cellulose de déchets végétaux ou de plantes dédiées, utilisant peu d’eau, pas de fertilisants, sans vocation alimentaire. Par exemple les pailles de riz, les résidus forestiers, ou certaines graminées tropicales comme le miscanthus. Produire ces biocarburants à un coût intéressant demande des percées scientifiques majeures, notamment en biologie synthétique.

N. O. – C’est-à-dire ?

S. Chu – II faut fabriquer de nouvelles formes de communauté microbienne, capables de déstructurer la cellulose des plantes et d’optimiser le processus de fermentation des sucres libérés. Nous étudions de près les micro-organismes qui prolifèrent à la surface des marais tropicaux ou colonisent l’estomac des termites.

Vous ferez le commentaire qui vous convient. Vous êtes assez grands, ma foi. Mais voici le mien, qui pourrait emplir un livre. Rassurez-vous, ce sera plus court. Cet excellent M. Chu note comme en passant que les biocarburants actuels « entrent en compétition avec les cultures alimentaires ». Et non pas pour clamer cette évidence humaine qu’on ne peut admettre leur déferlement. Qu’on ne peut admettre qu’Obama soutiendra de toutes les forces de l’Empire la culture de maïs destiné au réservoir des SUV et autres 4X4 de là-bas (ici). Oh non, M. Chu est bien trop intelligent pour laisser parler son cœur et son âme. Pensez donc.

M. Chu songe déjà aux biocarburants de deuxième génération, pour l’heure purement virtuels. Qui ne servent qu’à la propagande en faveur de ceux de la première génération. Ceux qui affament les vrais pauvres du monde. M. Chu, comme tous les gens de sa misérable caste, nous promet donc que, dès demain, on rasera gratis. On séquestrera le carbone, on capturera l’énergie du soleil au lasso, et l’on continuera à bouffer du McDo sans faire progresser l’artériosclérose.

Ô Frères humains qui après nous vivez.

PS 1 : Je dois ajouter que l’orthographe de la Ballade des pendus est fluctuante, ce qui n’étonnait personne à cette époque. J’en ai donné une version, il en est d’autres. J’ai par exemple écrit cœurs, alors que j’aurai pu mettre cuers. Mais alors, on n’aurait plus rien compris. Il me semble.

PS2 : Je viens de changer un mot dans le texte qui précède. Par une terrible erreur – de bonne foi -, j’ai attribué le mot de marlou à ce diable de Villon. Or marlou – remplacé depuis par truand – est un mot parfaitement déshonorant puisqu’il désigne un proxénète. Ce que Villon ne fut jamais, à ma connaissance en tout cas. Je dois avouer que j’avais oublié dans un premier temps le sens du mot marlou. Je pensais qu’il voulait dire louche et même pire. Mais certainement pas maquereau. J’ai ainsi calomnié Villon par un épouvantable lapsus scriptae. Qu’il veuille bien me pardonner.

Aimez-vous (encore) Obama ?

Que ferait-on sans les amis ? David Rosane m’envoie un lien américain que j’invite les connaisseurs de l’anglais à visiter (ici). Ce n’est pas triste, et c’est encore moins gai que ce que j’imaginais (ici-même). Le nouveau président Barack Obama devrait incessamment nommer secrétaire à l’Agriculture – un poste ministériel d’une rare puissance – l’ancien gouverneur de l’Iowa Tom Vilsack. Si cela devait se confirmer dans les prochaines heures, ce serait une nouvelle exécrable pour le monde entier, et surtout pour ses innombrables gueux.

Vilsack, qui copine avec Monsanto, est tout ce que j’exècre. Il milite – mais réellement ! – pour la viande clonée, l’agriculture industrielle et ses élevages concentrationnaires du MidWest, les OGM, les biotechnologies en général, les biocarburants bien entendu. En septembre 2001, il a même reçu le prix honteux de la Biotechnology Industry Organization (BIO) pour sa vaillance à défendre les intérêts industriels dans ce qu’ils ont de plus extrémiste (ici).

Je vous le dis, et j’en suis désolé pour nous tous : mauvais présage, immense nuage.

PS : Ci-dessous, l’argumentaire du groupe Organic Consumers Association, c’est-à-dire l’Association des consommateurs bio. Même quelqu’un qui ne lit pas l’anglais peut comprendre au moins dans les grandes lignes, et c’est pourquoi je le mets en ligne sans traduire.

Il ne FAUT PAS choisir ce mec, pour au moins les six raisons que voici :

* Former Iowa Governor Tom Vilsack’s support of genetically engineered pharmaceutical crops, especially pharmaceutical corn : http://www.gene.ch/genet/2002/Oct/msg00057.html


http://www.organicconsumers.org/gefood/drugsincorn102302.cfm

* The biggest biotechnology industry group, the Biotechnology Industry Organization, named Vilsack Governor of the Year. He was also the founder and former chair of the Governor’s Biotechnology Partnership.

http://www.bio.org/news/pressreleases/newsitem.asp?id=200…



* When Vilsack created the Iowa Values Fund, his first poster child of economic development potential was Trans Ova and their pursuit of cloning dairy cows.

* Vilsack was the origin of the seed pre-emption bill in 2005, which many people here in Iowa fought because it took away local government’s possibility of ever having a regulation on seeds- where GE would be grown, having GE-free buffers, banning pharma corn locally, etc. Representative Sandy Greiner, the Republican sponsor of the bill, bragged on the House Floor that Vilsack put her up to it right after his state of the state address.

* Vilsack has a glowing reputation as being a schill for agribusiness biotech giants like Monsanto. Sustainable ag advocated across the country were spreading the word of Vilsack’s history as he was attempting to appeal to voters in his presidential bid. An activist from the west coast even made this youtube animation about Vilsack

http://www.youtube.com/watch?v=Hmoc4Qgcm4s

The airplane in this animation is a referral to the controversy that Vilsack often traveled in Monsanto’s jet.

*Vilsack is an ardent support of corn and soy based biofuels, which use as much or more fossil energy to produce them as they generate, while driving up world food prices and literally starving the poor.

Les biocarburants sont au pouvoir (le sacre d’Obama)

Vite, vite, je suis désolé de devoir foncer. Le MAG Cultures est un magazine envoyé chaque mois à 110 000 grandes exploitations céréalières françaises (144 ha en moyenne). Une ode perpétuelle à l’agriculture intensive. On ne saurait mieux faire dans ce domaine. Or je viens de lire un article fort intéressant que je propose en priorité aux adorateurs de Barack Obama (ici).Certains d’entre vous savent déjà comment je vois l’élection d’Obama à la présidence des États-Unis d’Amérique (ici). Mais ils ignorent probablement ce que révèle l’article de MAG Cultures, dont j’isole cet extrait lumineux :

« Pour le Farm Bill, pas d’illusions à se faire : il a été adopté sous pression démocrate, malgré le veto de Bush, et le sénateur Obama a voté pour. “Le nouveau président a une approche pragmatique plutôt que dogmatique de la libéralisation. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour nous. Sur l’agriculture, j’ai le sentiment qu’il veillera aux intérêts de ses farmers, comme il l’a fait en affirmant son soutien aux biocarburants qui sont un levier puissant pour assurer un revenu aux agriculteurs ”, explique Christian Liegeard. C’était l’un de ses principaux points de désaccord avec le candidat républicain. Obama s’engage à prendre la suite du plan Bush pour l’éthanol. Il ne changera rien, et ça change tout pour le marché mondial du maïs ».

Je n’ai pas même envie de faire le moindre commentaire. Le plan éthanol. Le maïs changé en carburant. La faim qui déferle et détruit des vies par centaines de millions. Pas de commentaire. Ainsi.

Cette autre information que je ne commente pas non plus. C’est une dépêche de l’AFP, datée du 5 décembre 2008, destinée à ceux qui croient – ils sont nombreux, même chez les soi-disant altermondialistes – que l’industrie des biocarburants a été déjà battue, sans le moindre combat. Oyez, naïfs confondants :

« PARIS (AFP) — Les betteraviers français vont augmenter leurs surfaces de culture pour la fabrication d’éthanol alors que les agrocarburants font l’objet d’une polémique en raison de leur impact sur les prix agricoles, a annoncé vendredi la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB).
Entre la campagne actuelle (2008-2009) et la prochaine (2009-2010), la surface totale de culture va passer de 349.000 à 360.000 hectares, soit une augmentation de 3 à 4%, a indiqué la CGB, branche spécialisée de la FNSEA, lors d’un point de presse. La surface consacrée au sucre reste identique à 245.000 hectares. Pour l’éthanol, elle augmente de 50.000 à 60.000 hectares. Pour l’alcool et les autres usages, les surfaces baissent de 60.000 à 55.000 hectares.
La production d’éthanol en France devrait dépasser 9 millions hl en 2008, dont 50 % pour la betterave et le reste en blé.
Pour 2010, la CGB mise sur une production de 5 millions d’hl à partir de la betterave ».

Qu’au moins personne n’ose dire dans dix ans qu’il ne savait pas. Qu’au moins ceux qui n’agissent pas aujourd’hui – France Nature Environnement, WWF, Greenpeace – ne versent pas plus tard des larmes de crocodile. Qu’au moins ils continuent de se taire et se contentent des réunions au sommet avec Borloo and co. Le champagne est si doux.

La réponse est oui (sur la famine, sur l’Afrique, sur Bill Gates)

Vous le savez peut-être, et même probablement : la crise alimentaire mondiale a fait passer le nombre (officiel) des affamés de 854 à 923 millions. Mais ces chiffres sont vieux comme la mort elle-même. La Banque mondiale prévoit pour cette année 44 millions de ventres creux supplémentaires. On en sera donc à 967 millions.

Et pourtant, elle tourne ? Oui, mais dans le mauvais sens. Rien n’effacera jamais l’infamie des derniers mois. Rien. Quand la crise financière n’avait pas encore vidé le bas de laine de ceux du Nord – nous -, nos sociétés faisaient la sourde oreille au cri des gueux. La France aura accordé autour de 900 millions d’euros d’aides fiscales à la criminelle industrie des biocarburants, pour la seule année 2008. Vous le savez si vous me connaissez un peu : qui soutient l’usage de plantes alimentaires pour faire tourner un moteur est un salaud. Un pur salaud.

Comparons ces 900 millions d’euros – pour la seule France – avec les promesses de toute l’Union européenne (UE), faites en avril 2008. En ce printemps maudit, les émeutes de la faim explosaient d’un bout à l’autre de la planète, et il fallait bien montrer son humanisme, n’est-ce pas ? L’UE avait en sa grande générosité débloqué en urgence 182,21 millions de dollars, qui s’ajoutaient aux 258 millions de dollars déjà promis. L’Europe démocratique envisageait donc de « donner » un peu plus de 440 millions de dollars à la misère du monde. Une misère, certes.

En juillet, la crise alimentaire s’aggravant chaque jour, l’UE portait son engagement à un milliard d’euros, à peine plus que les seules aides française aux biocarburants, qui ont été l’allumette jetée dans le baril de poudre. Mais même cela, elle ne l’aura pas fait. Avant-hier, lundi 10 novembre 2008 (ici), le commissaire européen au Développement a simplement dénoncé les subterfuges des bureaucrates qui nous représentent à Bruxelles. Des ruses pour ne pas payer. « Ce petit milliard d’euros est confronté à toutes sortes de prétextes institutionnels », a-t-il notamment déclaré.

Un milliard d’euros pour 27 États de l’Union, qui ne vient pas. Et 360 milliards d’euros pour la seule France, destinés à sauver de sa propre gabegie le système bancaire et ses parachutes dorés, qui seront eux trouvés. L’histoire de ce jour pourrait s’arrêter là, mais je viens de lire un article écrit depuis Shanghai (Chine) par deux journalistes du Washington Post, Ariana Eunjung Cha et Stephanie McCrummen (ici, en anglais).

Il est vraiment remarquable, car il raconte ce qui se passe, chose devenue rare dans les journaux. Je ne peux le résumer, sauf sur un point clé. La baisse des prix alimentaires, liée en partie à la crise financière – et aux bonnes récoltes annoncées en 2008 – ne règle rien. Au contraire ? Peut-être. Les deux journalistes relient par un fil précieux la politique chinoise et le sort du paysan kényan.

Pour protéger ses intérêts menacés par l’effondrement boursier, la Chine a commencé de prendre de fortes mesures protectionnistes. Elle qui exportait massivement des engrais dans les pays du Sud, vient d’imposer des taxes sur les ventes à l’étranger qui vont de 150 % à 185 % du prix de départ. Les engrais ne sortiront donc plus. Et le Washington Post constate les effets de cette décision au Kenya, où les paysans réduisent massivement leurs plantations. Le sac d’engrais est passé à 38 euros en quelques semaines.

Ce n’est qu’un élément d’un puzzle planétaire dont personne ne voit la totalité. Et qui me fait penser à l’indigence intellectuelle – et intrinsèque – des humains, de tous les humains. Quand la morue a disparu de Terre-Neuve pour cause de surexploitation manifeste, les autorités canadiennes ont décrété un moratoire, en 1993. Et ont attendu que les populations se reforment gentiment. Nous sommes en 2008 et la morue n’est pas revenue, car la totalité des écosystèmes sous-marins de la zone ont été bouleversés par la disparition d’un animal haut placé dans la chaîne alimentaire. Les niches écologiques libérées ont été occupées, et la situation qui prévalait ne reviendra pas.

De même pour le climat, ce diable sorti de sa boîte, et qui n’y retournera pas de sitôt. La crise alimentaire mondiale est une illustration de plus de la facilité avec laquelle l’humanité verse dans la pensée mécanique. On a faim ? On aide, en attendant que le marché rétablisse l’équilibre. En oubliant qu’un équilibre de cette taille et de cette complexité ne se rompt pas comme on coupe une tranche de pain. Des boucles de rétroaction tous azimuts se sont déployées à la surface de la terre, pour le très grand malheur de nos frères du Sud.

Je tire les phrases suivantes d’un article du Monde, paru le 15 octobre passé : « Cette aggravation de la sous-alimentation n’est peut-être qu’un début. “Ce que nous avons vécu cette année, avec les émeutes de la faim, n’était pas une crise, mais une alarme. Si crise alimentaire d’ampleur mondiale il y a, elle est devant nous”, estime Abdolreza Abbassian, économiste à la FAO. Car les marchés agricoles restent tendus, et la crise financière risque d’aggraver la situation ».

Vous ne rêvez pas. Nous n’allons pas vers les beaux jours des ventres rebondis. Oh non ! Dans ce même Kenya où les paysans vont droit au mur, la fondation Rockefeller finance une structure appelée African crops (ici). Laquelle souhaite entre autres diffuser des « connaissances » sur l’intérêt de nouvelles variétés. Et donc, bien sûr, lutter contre la faim. Mais ce n’est pas tout, car Bill Gates a lui aussi sa fondation, plus puissante, bien plus puissante que celle de Rockefeller.

Rassurez-vous, ils s’aiment. Et les deux monstres humanitaires soutiennent l’idée superbe d’une Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra) dotée dans un tout premier temps de 150 millions de dollars (en français, ici). Je traîne comme un boulet ma réputation de pessimiste, mais j’assume. La crise alimentaire mondiale, le désastre en cours, le malheur universel ouvrent un boulevard à l’industrialisation de l’agriculture africaine, OGM compris. Ce n’est pas un complot, c’est une logique.

Bienvenue au pays des paysans (Chewa, Chichewa, Malawi)

Avant de vous raconter ce qui est peut-être une formidable nouvelle, je dois évoquer en quelques mots le Chewa. Je vois que cela ne vous dit rien – pardonnez, je devine à distance – et je vais donc m’expliquer plus avant. Le Chewa, autrement appelé le Chichewa, c’est le Malawi. Et tout le monde se contrefout de ce pays d’Afrique, je vous l’accorde.

Pour commencer, il est impossible. On dirait une crotte de nez jetée entre Zambie, Tanzanie et Mozambique. On appelle cela un territoire enclavé, sans aucun accès à la mer. Pour comble, il figure un serpent long de 900 km, effilé, dont la largeur varie entre 80 et 150 km. Quelle surface ? Aux dimensions de l’Afrique, mieux vaut en rire : 118 484 km2, soit un gros cinquième de notre douce France. Et j’ajoute que le quart du territoire est constitué de lacs prodigieux, mais où il est difficile de planter sa houe. Le lac Malawi, qui court sur une grande partie de la frontière Est du Chewa, fait 580 km de long.

Sera-ce tout pour ces messieurs-dames ? Non pas. Au Malawi, on claque des dents depuis bien longtemps. Trop de gens y habitent – 11 millions en 2001, peut-être 13 aujourd’hui – et trop d’infernales sécheresses ruinent chaque fois un peu plus son agriculture. En 2005, l’eau a manqué comme jamais, et le gouvernement a été contraint d’importer en urgence 400 000 tonnes de maïs. Un coût géant pour un si petit pays.

La suite nous est racontée par une journaliste locale, Catherine Riungu (lire ici, mais en anglais). Je dois préciser, par précaution, que je n’ai aucun moyen de vérifier. Et que le Malawi est un pays étrange où la langue officielle, celle du Parlement comme celle de la justice, est l’anglais, que ne parlent qu’une partie des politiciens et des juges, et pas le peuple. Le premier président du pays, Hastings Kamuzu Banda – au pouvoir de 1966 à 1994… – ne parlait que la langue du colonisateur, et devait utiliser les services d’un interprète pour parler à ses « sujets ».

Bon, assez dénigré. Riungu. Elle raconte qu’après la sécheresse de 2005, le gouvernement local a envoyé promener ceux qu’on appelle les « bailleurs de fonds », ces institutions financières qui imposent leur loi aux pauvres, avec les résultats prodigieux qu’on commence à entrevoir. Une mention pour le FMI, dirigé par notre grand ami socialiste DSK ( pour rappel, ici).

Donc, aux pelotes. Le gouvernement de Lilongwe  – la capitale – décide de subventionner ses paysans. Une folie dans un monde où il ne faut surtout pas aider l’agriculture vivrière, qui rapporte si peu aux truands d’ici et de là-bas. N’importe : des subventions massives. Soit 53 millions d’euros sur une année, distribués, officiellement du moins, à 1,5 million de paysans sous forme d’engrais et de semences. La production de maïs double. Double. Peut-on imaginer ?

Depuis, les aides sont passées à 106 millions d’euros par an. Et 14 % du budget national seraient consacrés à l’agriculure. Si tel est le cas, le Malawi est unique en Afrique, et mérite le premier prix Nobel de la paix jamais décerné à un pays. Le président en place serait derrière ce stupéfiant défi à l’ordre du monde. Je vous donne son nom, à tout hasard : Mbingu wa Mutharika. Selon Catherine Riungu, cet homme est fier du travail accompli, et se laisse aller à des phrases dont nous ne savons plus la signification. Il a ainsi déclaré, tout récemment :  « You cannot be proud if you cannot feed your family; everybody looks at you with pity ». Et, oui, c’est l’évidence même : si l’on ne peut nourrir sa famille, on ne peut pas être fier. Et les autres vous regardent avec commisération.

J’y insiste, je ne garantis pas la teneur des informations sur cette révolution agricole. Mais une chose est certaine : des délégations venues du Kenya, de l’Ouganda, de la Tanzanie et du Swaziland se sont succédé sur place, pour essayer de percer le mystère. Mais est-ce un mystère ? Ne sommes-nous pas en face de l’oeuf de Christophe Colomb, tout simplement ?