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Cette chose qui ressemble à la viande (sur le clonage)

C’est un truc de ouf, comme dit notre saine jeunesse. De fou, aucun doute. Pendant le désastre financier en cours, les travaux de démolition continuent exactement comme avant. Je ne dirais pas que je suis surpris, non, mais révulsé, un peu tout de même. Vous allez juger sur pièces.

Petit un, les Américains sont en avance. C’est une antienne, une vieille scie que tous les crétins du monde – ils sont nombreux – reprennent en choeur depuis des éternités. En avance sur quoi, par rapport à quoi, et pour quoi ? Cela n’a pas l’ombre d’une importance. En avance, cela suffit bien.

Petit deux, fort logiquement compte tenu de la place de l’Empire sur terre, ce qui est imaginé là-bas débarque tôt ou tard chez nous. Ce n’est pas tout à fait faux. Or la Food and Drug Administration (FDA), puissante agence fédérale, a donné dès janvier 2008 son feu vert à la commercialisation de la viande. Je ménage mes petits effets, pardonnez-moi. D’une certaine viande. Une viande clonée (ici, en anglais). Ah.

La FDA est une grande puissance publique, dont nous n’avons pas tout à fait l’équivalent. Elle est en quelque sorte la loi commune, et après avoir analysé des centaines d’études pendant des années, la FDA a donc annoncé au début de l’année que le lait et la viande des animaux clonés étaient aussi safe, aussi sains que ceux des bestiaux plus ordinaires. À ce stade de l’affaire, je n’ai déjà plus beaucoup besoin d’un éclairage. Car sincèrement, je vois comme si j’y étais la machine de guerre de l’agriculture industrielle américaine. Celle qui a vendu à l’Europe ruinée de 1945 le fabuleux triptyque tracteurs-engrais-pesticides. Celle qui a dévasté le monde avec la révolution verte et les OGM. Celle qui ne peut survivre que par la fuite en avant perpétuelle. Celle qui est toujours en avance d’un coup tordu sur ses concurrents.

À ce stade, je vous le dis, je n’attends plus qu’une chose. Que le premier bateau débarque la première carcasse à Brest ou Lorient, clonée à souhait. D’autant – comme c’est heureux ! – qu’aucun test n’existe qui permettrait de distinguer une viande-Frankenstein d’une bidoche habituelle. Donc, seule question qui vaille : quand ?

Eh bien, la réponse n’a rien d’évident. Car l’Europe, cette fois, est tentée par la résistance. À mon sens, sûrement pas pour les raisons qui seraient les miennes. Certainement pas pour la raison évidente qu’il est infâme, criminel, délirant même de créer de la viande de boucherie à partir d’animaux industriellement dupliqués. Je crois pour ma part, et si je me trompe, je m’en excuserai auprès des nos Excellences, que l’Europe n’est pas encore dans le coup. Commercialement, politiquement, socialement, psychologiquement. Qu’elle est en retard, en somme.

Que j’aie raison ou tort, le fait est que la Commission européenne est en train de mettre en place un dispositif. Un machin susceptible de justifier un éventuel refus d’une future importation de viande clonée américaine. Elle s’appuie pour cela sur un grand sondage mené dans toute l’Union européenne (ici) qui, par extraordinaire, donne peut-être et pour une fois de précieuses indications.

Je résume : 81 % pensent qu’on ne connaît pas les effets à long terme du clonage animal et 84 % estiment logiquement que les conséquences sanitaires d’une consommation par l’homme de cette viande restent incertaines. Plus marquant encore : 58 % des Européens interrogés condamnent la création d’animaux clonés à des fins alimentaires (lire ici). Pour eux, cette technique est et « sera toujours injustifiable ».

Racontée de la sorte, l’histoire semble d’une simplicité biblique. Les citoyens de notre vaste Union ne veulent pas entendre parler de cet immondice. L’Europe démocratique, qui est comme on sait à leur service exclusif, les protégera contre l’hydre marchande, et nous ne mangerons pas, ni jamais, de viande clonée.

J’aimerais beaucoup croire à ce conte de fées, mais je dois avouer comme un doute. La mécanique qui a changé l’agriculture  en industrie a fait des animaux, qui sont nos frères, des machines et des objets. Le mal comme le malheur sont dans les élevages concentrationnaires. Nous avons accepté sans réfléchir, il y a quarante ans, d’applaudir aux cages et clapiers de l’enfer. J’ai peur, mais réellement peur, que la viande clonée soit le prochain rendez-vous de notre déchéance.

Nouvelles de l’an passé (pesticide, cher ami)

L’an passé, à la même époque, les écologistes officiels – tous n’ont pas la médaille, mais cela viendra – sablaient le champagne en compagnie des ministres. Borloo et Kosciusko-Morizet semblaient triompher dans une pièce de boulevard il est vrai hilarante : La grande embrouille du petit Grenelle. Comme on riait !

Le 25 octobre 2007, j’écrivais ici même ces mots : «  Bien entendu, je veux vous entretenir du Grenelle de l’Environnement, qui s’achève ce jour. À l’heure où j’écris ces mots, je découvre un communiqué de l’Alliance pour la planète, qui regroupe nombre d’ONG, parmi lesquelles le WWF ou Greenpeace. Son titre : Victoire sur les pesticides ! L’Alliance « félicite Jean-Louis Borloo de son engagement à réduire de 50 % les pesticides en dix ans ». Et mon ami François Veillerette ajoute – son association, le MDRGF est membre de la coalition – que “La France, premier pays consommateur de pesticides en Europe, s’engage enfin sur la voie d’une agriculture moderne et respectueuse de l’environnement et de la santé” (lire ici)».

Un détail avait aussitôt attiré ma soupçonneuse attention. Sitôt l’annonce de la victoire faite, les acteurs du grand jeu rigolo du Grenelle ajoutèrent que la réduction de 50 % des pesticides en dix ans ne se concevait que dans la mesure du possible. Et, comme chacun le sait, à l’impossible nul n’est tenu. Dès les origines, le Grenelle de l’Environnement était une oeuvre de composition et de présentation. Une entreprise publicitaire à la gloire d’un gouvernement qui ne peut en aucune façon impulser quelque rupture écologique que ce soit.

Et ? Je recommence une année plus tard. En vérité, mon ami François Veillerette récidive, et je le suis, comme au poker. J’ai écrit avec François un livre sur les pesticides, et j’ai la plus haute opinion de lui. Il est, je le rappelle, président d’une association vivace et combative, le Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (Mdrgf, ici). Cela ne doit pas empêcher la critique. Car François, prisonnier du piège de l’an passé, ne peut plus dire ce qui crève les yeux. Tirant le bilan de la discussion parlementaire récente sur la loi dite Grenelle 1 (lire ici), le MDRGF, s’en tenant à sa spécialité – les pesticides – vient de publier un communiqué dont le titre est : Grenelle-pesticides, un bilan mitigé.

Mitigé ? Tu parles, Charles ! Le MDRGF en arrive à se féliciter que l’objectif d’une réduction de 50 % ne soit pas remis en cause. On fait comme si l’on allait dans cette direction, alors même que les lobbies ont obtenu qu’il soit conditionné aux possibilités d’adaptation de l’industrie des pesticides. On le fera si c’est possible ! Et sinon, rien.

Pour le reste, les écologistes, dont l’ami François, n’ont cessé de faire, depuis l’automne dernier, comme si la France était une île, d’une autre galaxie peut-être, comme si elle n’était pas tenue par ses engagements européens. Or tel est le cas. Et le MDRGF est bien obligé de constater une entourloupe de taille. Car nos députés français, manoeuvrés comme il se doit, ont voté un amendement qui prévoit de retirer du marché français les molécules les plus préoccupantes. Un succès ? Mais non, une défaite en rase campagne (polluée). L’amendement est en effet assorti de ce complément : « en tenant compte des substances actives autorisées au niveau européen ». Ce qui signifie, selon le MDRGF lui-même, que « la mesure n’aura aucun effet spécifique en France puisqu’on ne pourrait pas, si cet amendement devait survivre, interdire au niveau français une substance autorisée au niveau européen ! ».

Pas grave ? Jugez par vous-même. Dans l’Union européenne, depuis le 1er septembre 2008 (lire ici), on peut vendre sans contraintes des produits dépassant nos normes nationales de Limite maximale de résidus (LMR). Imaginons que notre norme soit, pour tel pesticide, 0,1 nanogramme par kilo. Eh bien, si cette norme est de 1,0 en Pologne, soit dix fois plus, il faudra bouffer sans protester.

Ce n’est pas théorique. Une association, Global 2 000, a calculé que dans un pays comme l’Autriche, très strict en matière de pesticides, la mesure européenne va provoquer un changement radical. La LMR de certains pesticides pourrait, de fait, être multipliée par plusieurs centaines de fois. Plusieurs centaines de fois !

Est-il besoin d’autres éléments pour juger la pantomime d’octobre passé ? Faire croire que l’on peut inverser le courant en France, en se mettant d’accord sur un coin de table, devant les caméras il est vrai, relève du charlatanisme. Une telle attitude sème la confusion, amollit la prise de conscience, retarde tout un processus intellectuel et moral d’une importance majeure. En bref, c’est une mauvaise action.

Tiens, ce serait comme si Sarkozy, grand ami de Bernard Arnault, François Pinault, Serge Dassault, Vincent Bolloré, Martin Bouygues, annonçait son adhésion au parti communiste chinois. Ou prétendait refonder le capitalisme sur des bases plus morales. On rirait, n’est-ce pas ? Alors, je pouffe.

Manger, c’est possible (bis repetita)

Préambule : Une campagne contre le crime des biocarburants est en cours. Il suffit d’un clic, ne prétendez pas que c’est trop, je ne le croirai pas : c’est ici.

Il y a trois jours, j’ai écrit ici un article qui parlait de la terra preta, que j’ai ensuite enlevé par choix. Je reviendrai plus tard sur ce sujet, mais comme j’ai loupé la journée mondiale de l’alimentation, qui se tenait hier, je vous livre à nouveau, ci-dessous, la fin de l’article supprimé par moi. En y ajoutant une grandiose information dont vous me direz des nouvelles. Si vous n’avez pas bien suivi l’embrouillamini qui précède, sachez que c’est normal.

Allonz’enfants. La Commission des finances de l’Assemblée nationale vient de confirmer la fin progressive des aides fiscales aux biocarburants (lire ici). Pour tous les ventres ballonnés du monde, dont le nombre s’accroît à mesure que l’industrie du carburant végétal s’étend, c’est simplement formidable. Je suis heureux, même si cela ne se voit pas. Je dois tenir du chien Droopy (ici).

Il faudra attendre 2012 pour que les aides disparaissent en totalité, mais dès 2009, 401 millions d’euros d’argent public n’iront plus dans la poche de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) et du Syndicat de producteurs d’alcool agricole (SNPAA). Comme c’est bon ! Comme me plaît la noble réaction de la CGB, dénonçant ainsi les vilains qui lui font des misères : « Revenir ainsi sur la fiscalité des biocarburants, c’est remettre en cause l’existence même d’outils industriels lancés au vu d’objectifs fixés par l’Etat ». Oh, si c’était un disque, je me le repasserais cent fois. Quelles que soient les raisons de cette décision – elles sont fatalement loin des miennes -, on peut à juste titre parler d’une grande victoire pour l’homme et la nature. Vous avez bien lu, et je ne suis pas, pas encore saoul : un victoire.

J’ajouterai aussitôt une deuxième victoire, qui date de plus d’un an, et dont nous n’avons hélas à peu près rien fait. En mai 2007, pour la première fois de son histoire productiviste, la FAO – agence de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation – a dit la vérité sur l’agriculture biologique (lire ici). Je rectifie : la vérité en laquelle je crois profondément. Quelle est-elle ? Cette première citation : « La principale caractéristique de l’agriculture biologique est qu’elle s’appuie sur des biens de production disponibles sur place et n’utilise pas de carburants fossiles; le recours à des procédés naturels améliore aussi bien le rapport efficience-coût que la résilience des écosystèmes agricoles au stress climatique ».

Deuxième citation : « En gérant la biodiversité dans le temps (rotation des cultures) et l’espace (cultures associées), les agriculteurs bio utilisent la main-d’oeuvre et les services environnementaux pour intensifier la production de manière durable. Autre avantage: l’agriculture biologique rompt le cercle vicieux de l’endettement pour l’achat d’intrants agricoles, endettement qui entraîne un taux alarmant de suicides dans le monde rural ».

Enfin cerise bio sur le gâteau itou, et je vous recommande de garder le tout en bouche deux ou trois minutes : « Ces modèles suggèrent que l’agriculture biologique a le potentiel de satisfaire la demande alimentaire mondiale, tout comme l’agriculture conventionnelle d’aujourd’hui, mais avec un impact mineur sur l’environnement ».

Disons-le tout net : ces phrases constituent un tournant historique, et nous devons tous – tous – nous en emparer. L’industrie de l’agriculture ne nourrit ni ne nourrira jamais tous les gueux de la planète. Elle continuera seulement à saloper le monde jusqu’à épuisement des nappes et des sols. Il y a réellement une autre voie. Y a plus qu’à trouver l’entrée.

Soleil noir suivi d’une éclaircie (sur les biocarburants)

Névrose et psychose, les deux pour le même prix. La crise financière actuelle est au passage une honte pour l’esprit humain. Nous ne sommes plus très loin d’un appel au Sauveur suprême. À celui qui rachètera, au moins ravaudera notre bas de laine. À celui qui permettra à l’infernale machine de repartir et d’accélérer encore la fin de tout ce qui compte vraiment.

Complices ? Certes. Tous ? Évidemment, bien que nous ne soyons pas placés, et de loin, au même point. Il faudrait trouver des moyens inédits de marquer notre refus, et je crois que nous sommes quelques uns à réellement chercher une voie. Nous verrons la suite.

Je veux vous signaler ce matin deux faits. L’un brille de tous ses feux noirs. La FAO – agence de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture – vient de mettre en garde contre les biocarburants. Ce qui devrait être une bonne nouvelle n’en est pas une à mes yeux (lire ici). D’abord, la FAO l’a déjà fait, et plusieurs fois. Que ne hurle-t-elle cette fois ?

Elle ne hurle pas parce qu’elle est au fond d’accord. Créée en 1945, la FAO est l’un des bras articulés de l’agriculture industrielle. Elle a accompagné, quand elle n’a pas provoqué, la ruine de l’agriculture réelle, paysanne et populaire, vivrière, celle qui nourrit les peuples et structure leur esprit. Ses innombrables bureaucrates, ses innombrables technocrates empilent depuis soixante ans les rapports qui disent que tout va de mieux en mieux. Ils ont applaudi aux pesticides, aux OGM, à l’irrigation, aux grands barrages, à l’aquaculture intensive, à la surpêche.

Si ce n’était à ce point triste, il faudrait au moins en sourire. Car l’objectif de la FAO, perpétuellement mis en avant, est celui-ci : « Aider à construire un monde libéré de la faim ». Quant à sa devise latine, inscrite sur nombre de documents, elle proclame fièrement : Fiat panis ! On la traduit généralement par Qu’il y ait du pain pour tous !

Il n’y en a pas, tristes sires. Selon vos propres chiffres, ceux qui souffrent de la faim sont passés en quelques mois de 854 millions à 925. Voilà ce que j’appelle un bilan de faillite. Une telle institution devrait, pour cause, être dissoute. Mais elle prospère, sur les ruines du monde réel, qui n’a jamais rien eu à voir avec le Dow Jones ou le Cac 40.

Il faut bien dire quelque chose, néanmoins. D’où ce communiqué évoqué plus haut, où la FAO concède, par la voix de son inamovible directeur Jacques Diouf, que l’irruption des biocarburants a été « l’un des facteurs de la hausse des prix agricoles et de la crise alimentaire mondiale ». Ajoutant même que « les modifications de l’affectation des terres et la déforestation, représentent une grave menace pour la qualité des sols, la biodiversité, et les émissions de gaz à effet de serre ».

La simple logique voudrait donc que la FAO se lève contre cette criminelle industrie, mais ce serait la révolte contre les maîtres, et on ne la verra pas de sitôt. Diouf affirme donc, et en l’occurrence il a raison – pour les corrompus du Sud -, que les biocarburants représentent des « opportunités ».  Pouah !

Par bonheur, il est une bonne nouvelle. Pour la première fois, le mouvement associatif se lance dans une action claire et coordonnée. Je veux citer tous les héros du jour, qui ne sont pas seulement français, comme on va voir. Outre les Amis de la Terre – je m’incline, vous êtes les meilleurs -, le CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement), Oxfam France – Agir ici; l’Institut Dayakologi (il aide les Dayaks d’Indonésie), Synergie paysanne (syndicat agricole du Bénin), FASE (Fédération d’organisations pour l’assistance sociale et l’éducation, brésilienne), le CINEP  et l’ASCOBA, deux associations colombiennes.

J’imagine que vous avez compris. Le Nord et le Sud ensemble contre le crime. C’est beau, c’est poignant, et je vous invite à visiter (merci, Bernard) le site Internet de la campagne internationale qui vient d’être lancée (ici). Enfin ! un chat y est appelé un chat. Enfin ! on y réclame par pétition – cliquez, pour une fois, cliquez – la fin des subventions aux biocarburants et un changement de fond de la politique européenne.

Où sont les autres associations françaises ? Où est le WWF ? Greenpeace ? La Fondation Hulot ? France Nature Environnement ? Probablement en train de préparer l’anniversaire du Grenelle de l’Environnement. Déjà un an ! Rappelez-vous : tout sourire, nos belles ONG nous annonçaient, en compagnie de Borloo et Kosciusko-Morizet, que nous vivions une « révolution écologique ». Je ne blague pas. Eux, si. Mais ils ne me font pas rire.

Trois raisons d’espérer (pour de vrai)

Du calme, car nous en aurons bien besoin. L’avenir n’étant pas écrit, je vous propose aujourd’hui, à contre-emploi certes, trois leçons d’optimisme concret. Tout arrive donc à qui sait attendre : la preuve ci-dessous.

1/Living the Good Life. Il y a de cela un sérieux moment, Katia Kanas m’a fait un cadeau. Katia est l’actuelle présidente de Greenpeace France, et je la connais depuis vingt ans. Ne me demandez pas comment c’est possible. C’est possible. Un jour, elle m’a parlé d’Helen et Scott Nearing. « Tu sais quoi, on n’a rien inventé du tout. Tu connais The Good Life ? ». Non, je ne connaissais pas. Jamais entendu parler. Alors elle m’a parlé d’un couple d’Américains gonflés à bloc, Helen et Scott, qui au début des années Trente du siècle passé ont fait leur baluchon, pour la raison simple que le monde de la Grande Dépression commençait à sérieusement leur déplaire. Ils étaient de New-York, et avaient décidé ce que nous appellerions nous un retour à la terre. Bon, j’ai mis longtemps à trouver ce livre, qui n’a jamais été traduit. Pour les Parisiens, sachez que j’ai passé commande à un libraire canadien (The Abbey Book Shop, 29, rue de la Parcheminerie 75005 Paris), remarquable pour les recherches spéléologiques.

Quand il a eu trouvé la bête, j’avais oublié. Je suis venu la chercher – eh, cette librairie est sensationnelle ! – et j’ai lu. Mazette, ça c’est un livre.  Helen et Scoot auront passé 20 ans dans le Vermont, après avoir acheté une ruine de ferme, faite de bois pourri. Bâti une maison en pierre, reçu des centaines d’amis, joué de la flûte le dimanche, mangé ce qu’ils cultivaient sur place, parcouru les bois enneigés grâce à des chevaux endurcis. Cette expérience de vingt années a tout simplement marché, et même triomphé. Je n’ai pas relu le livre, qui est en cet instant sur ma table. Mais voilà la citation que je trouve sur la jaquette, présentée comme venant de la Chine d’il y a 4500 ans : « When the sun rises, I go to work,/When the sun goes down, I take my rest,/I dig the well from which I drink,/I farm the soil that yields my food,/I share creation, Kings can do no more ». Je ne traduis pas dans le détail. Elle dit que même les rois ne peuvent mieux faire que ceux qui vivent dans la simplicité des jours.

2/Un jardin dans les Appalaches. C’est un livre signé par la romancière Barbara Kingsolver, aidée de son mari et d’une de ses filles, paru en février 2008 (Rivages). Kingsolver est peut-être légèrement filoute, je ne saurais être plus affirmatif. N’aurait-elle pas senti un filon ? Mais son livre reste formidable. Au début, elle nous parle de ce désert de l’Arizona où elle et sa famille ont vécu une vingtaine d’années. Cinglé. L’eau arrive de centaines de kilomètres. Pratiquement aucun aliment n’est produit dans un rayon de 100 kilomètres. Or Steven, le mari, a une propriété dans le sud des Appalaches, sur l’autre bord de l’Amérique. Là où il pleut encore. Là où l’herbe pousse. Ils partent, et recommencent leur vie. Le livre est le récit d’une année où la famille redécouvre tout. Le temps et la saison. Le bonheur de l’asperge. Les oeufs. Les serres. Les recettes mitonnées. Le potager. C’est un hymne, un beau chant à l’agriculture biologique, au manger local, à la révolution de la vie quotidienne. Mais ça vaut 23 euros, ce que je trouve cher. Pas pour moi, pour d’autres.

3/David Rosane m’a envoyé hier copie d’un article du New York Times (ici). Si vous lisez l’anglais, pas d’hésitation ! Will Allen, un Black resplendissant, vient de recevoir un prix de la fondation John D. and Catherine T. MacArthur. 500 000 dollars, ce qui n’est pas rien. Allen a quitté en 1993 Procter et Gamble – tout ce qu’on aime : détergents, produits d’entretien, nourriture pour chat, merde en gros – pour créer dans la banlieue de Milwaukee une sorte de ferme. Sorte de. Il s’agit surtout de vastes serres qui produisent au total, chaque année, 500 000 dollars – même montant que la récompense – d’une bouffe abordable et de bonne qualité. Des légumes, des fruits, de la viande, du poisson. C’est donc une véritable entreprise qui emploie trois douzaines de maraîchers et fermiers. Le compost est à l’honneur, comme le lombric. Les déchets servent aussi à fabriquer de l’énergie.

Ce mec de 59 ans n’est pas qu’un fermier. C’est un lutteur. Un utopiste concret comme il nous en faudrait un million en France. Lisez plutôt ce qu’il a déclaré au Times : « The movement I am part of is growing food and justice, and to make sure that everyone in the world has access to healthy food ». Ma traduction : « Le mouvement auquel j’appartiens produit à la fois de la nourriture et de la justice. Pour être sûr que chacun dans ce monde dispose d’une alimentation de qualité ».

Et voilà le travail. Que les lecteurs de ce blog qui me reprochent parfois de ne rien proposer en prennent de la graine. Bio. Tel est le chemin. Il n’y a plus qu’à marcher.