Archives de catégorie : Agriculture(s)

Besoin d’un coup de main

Ceci n’est pas un article, avis ! C’est une demande, car vous pouvez m’aider. Je suis à la recherche d’informations de toute sorte sur l’usage que nos sociétés font de la viande. Je cherche à comprendre pourquoi, et comment nous sommes passés si vite d’un régime alimentaire basé sur les céréales à une telle consommation, souvent quotidienne, d’une viande qui pose tant de problèmes. Je crois qu’on peut parler d’une révolution, qu’il n’est pas si aisé de dater. Mais, pour l’essentiel, il est manifeste qu’elle accompagne l’industrialisation de l’agriculture et de l’élevage qui se déploie en France après 1945, et plus encore après 1960.

Bref. Je recherche des témoignages, des adresses, des personnages, des lieux, des documents qui me permettraient de mieux comprendre ce qui s’est passé. Cela inclut aussi bien les réalités de l’élevage que le végétarisme, les campagnes publicitaires que les importations massives de soja. N’hésitez donc pas à m’adresser tout renseignement qui vous passerait devant les yeux. Je vous laisse une adresse électronique, qui n’est pas celle que j’utilise chaque jour, je vous le précise. Et merci à l’avance de faire circuler le message. Bien à vous tous,

Fabrice Nicolino

 

Le Prince Charles, le général Ludd et moi

Vous savez quoi ? Si nous étions moins français dans notre manière de voir le réel, je crois pouvoir dire que nous nous porterions mieux. Si nous cessions de voir le monde au travers des lunettes déformantes d’une histoire nationale que nous jugeons admirable et parfois même incomparable, eh bien, nous en saurions davantage sur l’état réel de la planète.

Ainsi des OGM. Nous sommes si fiers des Faucheurs volontaires ! À juste titre, d’un certain côté, puisque tant d’autres se couchent instantanément devant l’ordre marchand. Mais nous oublions au passage à quel point le déferlement de la manipulation génétique est planétaire, tragiquement planétaire. Dernier exemple à ma connaissance : le Vietnam résistant aux B52 – du temps de mon adolescence – est aujourd’hui parti pour en remontrer à la Chine sur la « croissance ». Ce pays martyr expérimente les pires folies du temps.

Pour simplement nourrir son bétail, le Vietnam importe 2,4 millions de tonnes de soja par an, ce qui en fait le champion de toute l’Asie. Ô mânes de Dien-Bien-Phu, de la plaine des Jarres et de la piste Ho Chi Minh ! Les bureaucrates du parti au pouvoir, imitateurs grotesques de cet Occident qui leur a fait découvrir les joies de la dioxine, veulent atteindre 70 % de cultures OGM dans la production nationale du soja d’ici à 2020. Les vendeurs d’OGM leur ont dit que c’était bien, et nos excellents amis en place l’ ont cru. Il faut dire que de gros chèques libellés en dollars, et destinés à des comptes numérotés offshore, favorisent le cours des affaires mondiales.

Le Vietnam. Et le prince Charles. Si je peux me permettre, il n’est pas tout à fait ma tasse de thé favorite. Or, j’aime le thé. Mais le prince Charles, donc, très probable futur roi d’Angleterre. Il vient d’accorder un entretien remarquable à un quotidien de droite, très lu dans les milieux patronaux et à la campagne, ce qui en reste du moins. Dans the Daily Telegraph (ici, en anglais),  Charles – pardon pour cette coupable familiarité – pilonne comme rarement les OGM. Selon lui, les organismes génétiquement modifiés menacent la planète de la pire catastrophe écologique de son histoire.

C’est un point de vue, qu’on peut discuter à l’infini. Car en ce vaste domaine du malheur général, les alarmes sonnent partout en même temps. Il n’empêche que le grand coup de gueule du Prince fait chaud au coeur. Car il s’en prend aussi, surtout, à la formidable puissance accumulée par les transnationales de l’alimentation, et en appelle au sursaut par les petits paysans : « Dépendre de groupes gigantesques pour la production alimentaire plutôt que de petits fermiers ne peut déboucher que sur un désastre total ». J’adhère, je dois le reconnaître.

Et Charles ne s’arrête pas en si bon chemin, précisant pour les mal-entendants : « Si c’est ça [l’invasion par les OGM] l’avenir, ne comptez pas sur moi ! (…) Nous finirons avec des millions de petits paysans du monde entier chassés de leur terre en direction de villes tentaculaires, d’une horreur indicible, dégradées, ingérables, insoutenables et non fonctionnelles ». Lancé à vive allure, il attaque y compris ces scientifiques imbéciles – ce mot est de moi, pas de lui – qui croient dompter l’avenir et jusqu’aux effets de la crise climatique avec les OGM. Selon lui, la science a conduit à une surexploitation de la nature, qui détruit les équilibres les plus essentiels.

Vous pensez bien qu’une telle charge ne pouvait laisser indifférents les nombreux amis du progrès génétique sans rivage. Même en plein mois d’août. Une mention spéciale pour le parlementaire travailliste Des Turner, qui appartient à l’importante commission Science et technologie du parlement britannique. Dénonçant le supposé obscurantisme de Charles, il a précisé sa haute pensée en déclarant : « It’s an entirely Luddite attitude to simply reject them (GM crops) out of hand ». Ce qui signifie : « Simplement rejeter d’emblée les OGM relève d’une attitude complètement luddite ».

Voilà le gros mot lâché : luddite. En 1780, en Angleterre, un certain John – ou Ned ? – Ludd aurait détruit deux métiers à tisser. A-t-il seulement existé ? En 1811, en tout cas, des ecowarriors du temps passé ont exhumé son nom et envoyé des lettres à certains patrons du textile, signées le plus souvent General Ludd. Des lettres de menace, soyons franc. Des lettres menaçant de sabotage les usines et surtout les nouveaux métiers à tisser qui jetaient dans la misère noire les anciens artisans.

Et du sabotage, il y en eut ! Jusqu’en 1817, les luddites détruisirent à qui mieux mieux ces nouvelles technologies qui avaient – déjà – tout oublié des devoirs humains élémentaires. On pense qu’à un moment de cette grande révolte, l’Angleterre capitaliste naissante a mobilisé davantage de troupes contre les luddites que contre notre grand tyran Napoléon.

Bon, et puis après ? Ils ont perdu, comme nous savons, mais ils se sont bien battus. Depuis cette date, quand on veut disqualifier les ennemis de ce monde, de cette science, de ces technologies, on les accuse de plus en plus souvent de luddisme, du moins en terre anglosaxonne. En France, dans notre petite France provinciale qui déteste le vent du large, on se contente de dire, sur tous les tons possibles : « Alors les écolos, vous voulez revenir à la bougie et à l’âge des cavernes ? ». Après quoi, rigolade pour (presque) tous.

Mes deux conclusions de ce 15 août 2008, les voici. Un, j’aime bien ce quasi-roi d’Angleterre. Je me demande si j’aurais un jour l’occasion de lui serrer la main, mais je n’en suis pas certain. Et deux, je suis absolument, résolument, définitivement un luddite. Vous vous en doutiez, non ?

PS : Au fait, nobles amis écologistes du Grenelle de l’environnement, et ces OGM ? J’espère vivement que vous saurez fêter dignement le premier anniversaire de l’événement qui vous a rendus célèbres et enthousiastes. Octobre sera bientôt là, les gars !

Calade et cagadou (une mauvaise odeur)

Bon, j’ignore si vous savez ce qu’est une calade. C’est une technique, une trouvaille, une invention de l’esprit humain, qui n’est pas la pire. Une calade, c’est un chemin, une ruelle, une rue éventuellement. En pente. Oui, en pente. On en fait dans le Sud depuis des siècles et des siècles, depuis mon enfance au moins. Quelquefois, l’artisan génial à l’œuvre place à la verticale dans le sol des pierres serrées entre elles que le mouvement des roues de la charrette et des bœufs finira par polir. Je m’égare, car ce temps a disparu pendant que je me retournais, et il n’y a plus de bœufs chez nous. Chez vous, peut-être ?

Donc, des calades, des restes de calades qui témoignent de ce que fut l’histoire pénible des hommes, lorsqu’il fallait monter des pierres et du bois depuis le ruisseau. Ou, de manière plus drolatique, quand les gosses du village glissaient dans la couche de cagadou qui obstruait le passage dès le haut du chemin. Le cagadou, oui, c’est de la crotte.

Je précise pour les lecteurs de ce rendez-vous que je suis dans un hameau entre Causses et Cévennes, par bonheur. Sauf que j’ai deux côtes cassées, pour cause d’imbécillité, qui ne saurait disparaître de ma vie, car c’est un destin. L’autre soir, l’esprit surchargé d’humeurs de vin rouge et bio, je suis sorti dans la nuit, et j’ai marché au hasard des pas. Et dans une calade pleine de ronces, je me suis proprement étendu de ma hauteur sur le sol. Lequel avait conservé assez de pierre dure pour me faire (très) mal.

Depuis, je suis un petit vieux égrotant, qui va sa route en se tenant le flanc. Así están las cosas. Mais comme je suis par ailleurs vaillant, faut pas croire, je continue de tailler au sécateur ce qui peut l’être. Je remets en état, ainsi, une calade de Jean, qui descend jusqu’au fond du vallon. En faisant attention à mes gestes, oui da. Un matin vers 8 heures, Jean, passant avec son troupeau de brebis devant l’entrée de la calade où je me trouvais, m’a engueulé. À sa façon, n’est-ce pas. Il redoutait apparemment que je ne disperse ronciers et prunelliers sur la petite route, en quoi il avait tort. Le temps que j’explique mes plans, il était parti, emporté par ses bêtes. Ahimè ! J’ai continué mon travail, mais qui oserait appeler cela un travail ? Une tâche, peut-être ?

J’en oublie de vous parler du reste. Je viens de lire que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) demande un moratoire sur les biocarburants. L’OCDE ! Cette structure abominable abreuve les États membres, tous développés, de conseils avisés sur la manière – libérale – de détruire ce qui peut l’être encore. On peut trouver pire, mais il faut chercher.

Quoi qu’il en soit, cette prise de position a un sens. Au moment où je vous parle, la presque totalité des institutions les plus infâmes de la planète ont pris position contre les biocarburants. C’est le cas, mais la liste n’est pas limitative, du FMI, de la Banque mondiale, et de l’OCDE donc. Tous les doctes experts de ces assemblées reconnaissent un rôle clé des biocarburants dans l’affolement qui s’est emparé du prix des aliments de base dans le monde. Je vous le rappelle, la Banque mondiale estime que cette criminelle production est responsable pour 75 % de l’inflation en cours.

Et puis quoi ? Et puis me voilà à radoter, ce qui ne surprendra guère les lecteurs les plus assidus de ce blog. Car dans le même temps, le mouvement écologiste, qui devrait être au premier rang de ce combat humain essentiel, décisif, ontologique, n’a pas encore bougé le moindre orteil. Pas plus tard qu’avant-hier au soir, croisant José Bové en voisin – ou presque -, je l’ai pressé une nouvelle fois d’engager son nom dans cette bataille. Le fera-t-il ? Hum.

En France, les chiffres existent pourtant, et n’ont rien de secret. J’en ai publié certains dans mon livre de l’automne dernier, La faim, la bagnole, le blé et nous (Une dénonciation des biocarburants). Si je suis à ce point furieux, mais furieux à mordre, c’est que ce monde sans âme saigne plus que jamais. Je vous disais l’autre jour que selon Jacques Diouf, de la FAO, 50 millions d’humains de plus ont été jetés dans la famine en 2007. Les biocarburants jouent un rôle essentiel dans cette abomination.

Je ne suis pas amer, mais, je le répète, follement furieux. Surtout, je dois le dire, contre les écologistes, qui forment pourtant ma famille. Je vous jure solennellement que j’ai fait ce que je pouvais pour remuer Greenpeace, le WWF, Nicolas Hulot, José Bové donc. Et beaucoup d’autres. Mais rien ne vient. Nous nous retrouvons ainsi dans une situation inouïe : les maîtres du monde laissent filtrer des vérités premières sur le crime, et la critique se tait, se rendant complice.

Car ce n’est pas la peine de se voiler la face : ceux qui ne luttent pas contre le déferlement des biocarburants acceptent du même coup la multiplication des famines, la détérioration accrue du climat et la destruction de forêts tropicales. Osons dire l’évidence : le mouvement écologiste français se déshonore. Et je me permets de renvoyer à un article écrit sur ce blog voici quelques semaines (ici). Oui, le mouvement qui est le mien va avoir quarante ans. Et il est malade. Et il sent la mort.

BHL, Roger Anet, la Côte d’Ivoire (une salade au jatropha)

Un pays peut disparaître. Si, je vous jure bien. Ou en tout cas changer si totalement qu’il est devenu autre. Je connais un homme que j’estime au plus haut point, Pierre Pfeffer. C’est à mes yeux un grand naturaliste, spécialiste notamment de l’éléphant, anciennement attaché au Muséum national d’histoire naturelle. Il y a quelque chose entre lui et moi, qu’il est malaisé de définir. Nous ne nous voyons pas, ou plutôt, quand nous nous voyons, nous sommes contents.

Pfeffer a eu un destin que je ne peux raconter, sauf sur le point suivant. Après guerre, jeune, aventureux, il est parti en Afrique en bateau, et s’est retrouvé vivre dans un village forestier de Côte d’Ivoire, partie de ce qu’on appelait alors l’Afrique occidentale française (AOF). Là, il servait de tireur appointé, chargé d’abattre dans les environs les éléphants énervés ou franchement misanthropes. Ce qui ne l’a jamais empêché d’être leur défenseur acharné, hier comme aujourd’hui. Il était un sniper, qualité qu’il avait déployée contre la soldatesque allemande et nazie, dans la Résistance.

Pour en avoir discuté avec lui, je peux vous dire ce que tous les connaisseurs savent : il y a cinquante ans, la Côte d’Ivoire était couverte d’une splendide forêt tropicale. Primaire, bruyante, habitée par quelques hommes et quantité de bêtes. Les chiffres varient beaucoup, car nul ne ait jamais de quoi l’on parle réellement. Une forêt primaire n’est pas une forêt secondaire, qui elle-même ne ressemble pas à ces horribles zones surexploitées où ne subsistent que quelques arbres.

Il est probable qu’en 1900, la Côte d’Ivoire comptait 16 millions d’hectares de vraie forêt. Soit plus de la moitié de la surface totale du pays. Il n’y en aurait plus que 3 millions. Peut-être moins de deux. Et le massacre continue.  Je vous signale au passage que cette déforestation doit beaucoup à un certain André Lévy, patron-fondateur de la Becob en 1946. La Becob, qui emploiera plus tard le chroniqueur bien connu Guy Carlier, a fait fortune en détruisant la forêt. Officier de l’ordre national ivoirien pour services rendus – mais à qui ? -, André Lévy était le papa de Bernard-Henri Lévy, spécialiste des droits de l’homme, tels que vus de Saint-Paul de Vence. Ce dernier vit donc des rentes de cette noble activité, et s’en va répétant à quel point les méchants ne sont pas de gentils garçons. Sauf l’ami Lagardère (défunt). Sauf l’ami Pinault (vivant).

Comme on ne se refait pas, ce qui précède n’était qu’une introduction. J’exagère, ce me semble. Je voulais vous signaler dans ce long préambule que la Côte d’Ivoire, concédée à Félix Houphouët-Boigny par la France coloniale, est l’archétype du pays à la botte. Houphouët, ministre d’État français dès juin 1957, sous la Quatrième République, grand ami d’un certain François Mitterrand, a refusé l’indépendance de son pays jusqu’au moment fatal où il a dû l’accepter. Mais à contrecoeur, croyez-moi !

Dans ce pays soumis, deux cultures d’exportation ont permis de payer les fonctionnaires locaux et d’engraisser jusqu’à l’indécence le clan au pouvoir après « l’indépendance » de 1960 : la cacao et le café. Inutile de préciser que le tout était entre les mains d’industriels de chez nous. Pendant des décennies, la propagande a présenté ce pays comme une réussite exemplaire, un pôle de stabilité au milieu d’un continent chaotique. La preuve que tout restait possible à qui courbait l’échine dans les plantations destinées au Nord.

Houphouët, toujours aussi sympathique, a fini par transformer son village natal de Yamoussoukro, situé à 240 km au nord d’Abidjan, en capitale administrative. C’est joyeux. On y a bâti avec l’argent de la corruption un Institut polytechnique, un aéroport international, et surtout la basilique Notre-Dame de la Paix. Entre 1985 et 1989, la société française Dumez y a réalisé une superbe affaire, car cette chose est une réplique en béton de Saint-Pierre de Rome. Le dôme pourrait contenir sans problème Notre-Dame de Paris. Et ne parlons pas du prix, cela serait insultant pour les mânes d’Houphouët. 250 millions d’euros ? 300 ?

Dans ces conditions, on s’étonnerait presque que la guerre civile, commencée en 2002, n’ait pas débuté bien plus tôt. Mais elle est là, aujourd’hui, divisant la zone tenue par Abidjan au sud, et celle aux mains de Bouaké, la ville du nord. Bouaké ! Voilà où je voulais en venir. Un excellent homme, Français d’origine ivoirienne – un petit Houphouët, quoi -, est le président des anciens élèves du lycée municipal de Bouaké. Il s’appelle Roger Anet, et vit en France tant qu’il n’a pas de belles affaires à monter là-bas, en Côte d’Ivoire. Or c’est le cas en ce moment.

Anet a créé une société pleine d’allant qui s’appelle Jatroci (Jatropha alternatifs tropicaux Côte d’Ivoire). Son but unique : planter massivement du jatropha dans le pays, pour en faire un biocarburant. Le jatropha, dont l’huile n’est pas alimentaire, a peu d’exigences écologiques et parvient à se satisfaire de conditions climatiques semi-arides. Les promoteurs des biocarburants actuels le vantent comme un miracle.

Anet aussi. À ce stade, fascinant, deux informations circulent. Selon l’AFP (ici), l’entreprise Jatroci a « déjà planté 5.000 ha de jatropha dans les régions de Toumodi, Taabo et Dimbokro (centre de la Côte d’Ivoire), dont 100 ha servant de banques semencières ». Et 100 000 hectares de plus seraient convoités. Mais d’après le quotidien d’Abidjan Fraternité Matin (ici), pour l’essentiel, rien n’est fait encore. Il n’importe : M. Anet ne semble pas né de la dernière pluie, et il réussira certainement.

Au-delà des ces menues contradictions, je me dis, je vous dis que tout est possible. Oui, on peut, avec l’entregent voulu – à vous d’imaginer, sans que j’insiste – arriver dans un pays ruiné et dévasté, et lancer ex nihilo, sans aucune étude préalable, la culture d’une plante venue d’Amérique latine, que beaucoup de spécialistes jugent invasive. Car elle peut s’échapper, proliférer, menacer la flore locale et d’autres cultures, y compris vivrières. Laissez-moi vous citer un extrait d’une dépêche consacrée à une réunion scientifique importante, qui s’est tenue à Bonn en mai dernier (ici) : « A l’heure où l’Union européenne veut imposer 10 % de biocarburant dans les transports, un nouveau rapport apporte un argument supplémentaire aux opposants à ce projet. En effet, à l’occasion de la conférence sur la biodiversité de Bonn, en Allemagne, le Programme Mondial sur les Espèces Invasives (GISP) a présenté une analyse du niveau de risque, en tant qu’espèce invasive potentielle, de l’ensemble des plantes qui sont actuellement utilisées ou pressenties pour produire des agro-carburants.
Sur les 70 plantes recensées, 59 sont considérées comme envahissantes (elles croissent vite et se multiplient facilement) si elles sont introduites dans de nouveaux habitats, 2 le sont très faiblement tandis que 9 ne présentent pas de risque particulier. Or, selon le GISP, peu de pays ont mis en place des procédures appropriées pour évaluer le risque potentiel, et limiter les dégâts si nécessaire.
Pourtant, pour Sarah Simmons, directrice du GISP, les plantes invasives ‘…sont l’une des principales causes de la perte de biodiversité et constituent une menace pour le bien-être et la santé humaine’. Aussi, le GISP appelle les pays à évaluer les risques avant de se lancer dans la culture de nouvelles variétés et à utiliser des espèces à faible niveau de risque »
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Dans cet autre extrait, tiré d’un bon article du New York Times, (ici), traduit par mes soins, on lit ceci : «Le jatropha, qui est la petite chérie des promoteurs de biocarburants de deuxième génération, est désormais largement cultivé dans l’est de l’Afrique, dans de toutes nouvelles plantations pour biocarburants. Mais le jatropha a été récemment interdit par deux États d’Australie parce qu’il est une espèce invasive. Si le jatropha, qui un poison, envahit les champs et las pâturages, il pourrait être désastreux pour l’accès local à la nourriture sur le continent africain ».

J’ajoute que ce toxique secrète un vrai poison, dangereux pour les animaux. Mais pensez-vous que de si menus questionnements vont arrêter la main du commerce ? Croyez-vous naïvement qu’après avoir détruit un pays entier à la racine, les marchands vont faire la pause sur le bord de la route, et réfléchir ne serait-ce qu’une seconde aux conséquences de leurs actes ? Ce serait bien mal les connaître. Tout merde ? Alors, accélérons, et tentons d’éviter les éclaboussures.

La prochaine fois que vous entendrez parler de la Côte d’Ivoire à la télé, ayez une pensée pour Roger Anet. Et pour ce grand philosophe éternel appelé Bernard-Henri Lévy.

Sur ce qui se passe en Argentine (grave !)

Il ne fait aucun doute que le soja s’attaque au principe de la vie. Les informations sur le sujet sont si massives, tant et tant de fois recoupées, que la messe est dite. Dans le bassin amazonien, cette saloperie industrielle, souvent transgénique, est en train de changer la structure même des pays qu’elle a infestés. Je vous renvoie à la campagne menée en France par nombre d’associations, dont le Comité catholique contre la faim (CCFD), le réseau Cohérence et la Confédération paysanne (ici).

Le soja est une arme de destruction massive des écosystèmes et des paysans. Rien ne lui résiste, car un marché géant existe. L’Europe, d’abord, et ses consommateurs fous de viande. De quoi sont nourris nos bestiaux, sinon de soja débarqué à Lorient ou Brest ? L’Europe donc, et désormais aussi la Chine et l’Inde, dont les petits-bourgeois on ne peut plus provisoires veulent aussi goûter de la viande de boeuf avant l’extinction des feux. Savez-vous quelle part du soja produit en Argentine est exportée ? Pratiquement 100 %.

La production mondiale de soja a augmenté de 495 % de 1970 à 2005. De 44 millions de tonnes à 216 millions. On prévoit – pourquoi pas, puisque la folie règne ? – 303 millions de tonnes en 2020. Ces chiffres ne disent rien de la réalité, évidemment. Rien de l’expulsion des petits paysans. Rien de la fin de l’agriculture vivrière. Rien des millions d’hectares matraqués par les pesticides. Rien du recul de la forêt tropicale. Rien des profits des transnationales. Rien.

J’ai déjà eu l’occasion de parler du soja, du journal Le Monde et des activités de madame Tubiana, écologiste bien connue dans certains quartiers de la capitale française (ici et ). Vous retrouverez, si vous regardez, l’un des personnages clés du drame en cours, le gouverneur brésilien du Mato Grosso, Blairo Borges Maggi, par ailleurs « roi du soja ». Cela vaut le temps d’une lecture, je crois.

Mais si j’y reviens ce jour, c’est pour une autre raison qui me fait mal, simplement mal. En Argentine, pays martyr du soja industriel, des associations écologistes jouent un jeu écoeurant. Pardonnez-moi, je vais encore dire du mal du WWF et de Greenpeace. Le WWF a pris la lourde responsabilité de réunir dès mars 2005, à Foz do Iguaçu (Brésil) une table-ronde sur le soja prétendument « soutenable », avec des industriels et des banques.

D’autres rendez-vous du même genre ont suivi, dont le dernier, en Argentine cette fois, a eu lieu en avril 2008. Je ne crois pas dans la bonne foi de ce WWF-là (ici, en anglais). Non, on ne me fera pas avaler cette couleuvre. La logique qui pousse les transnationales à détruire, et les gouvernements à exporter, cette logique de mort est connue depuis des lustres, et ceux qui ne la combattent pas sont fatalement des collaborateurs du système. Tel est le choix qu’a fait en conscience le WWF d’Argentine.

Quand à l’association Greenpeace, bien plus critique pourtant, elle poursuit là-bas une politique scandaleuse, et vaine bien sûr. Dans le texte en espagnol que je vous invite à lire si vous connaissez un peu cette langue (ici), elle mendie auprès de la présidente de l’Argentine, Cristina Fernández de Kirchner. Greenpeace demande en effet à la dame, aussi favorable au soja que l’était le président précédent – son mari -, de prononcer une ou deux phrases au cours d’un sommet latino-américain (qui s’est tenu en mai). Lesquelles ? Des voeux pieux concernant les biocarburants, et donc le soja transgénique (ici, en espagnol). Ce serait tout de même mieux, écrivent ces étranges « écologistes », si les biocarburants cessaient d’affamer les gens et de dérégler le climat tout en détruisant les forêts. Eh oui ! ce serait mieux. Et ma tante en serait aussitôt changée en mon oncle.

Je préfère quant à moi lire la prose du Grupo de Reflexión Rural, créé en Argentine dans les années 90 (ici, en espagnol). Voilà des gens qui disent ce qui est, et qui agissent. Dans un de ses derniers communiqués, le GRR attaque bille en tête un certain Moisés Burachik. Ce monsieur Bucharik a été lobbyiste de grandes firmes de l’agrobusiness, et a joué un rôle clé dans la révolution des paysages agricoles argentins. Et alors ? Eh bien, il est devenu par la grâce des affaires le chef de la délégation argentine – officielle et publique – à la Cop-Mop 4. Si ce sigle vous semble mystérieux, tant pis pour vous. Le Cop-Mop 4 est un bastringue mondial auquel les peuples ne sont pas invités, soit le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques. Pigé ?

Le GRR, considérant le rôle passé et présent du personnage, et le fait que la présidente, auprès de qui pleurniche Greenpeace, est l’otage de l’agro-industrie, tranche comme j’aime : « Nous considérons cette personne comme incompétente pour représenter notre pays ». ¡Arriba y adelante!

Pour finir, je dois reconnaître que l’attitude de Greenpeace et du WWF m’atteint. Car nous avons besoin de forces, tout de suite. Mais pas de celles-là, oh non, pas de celles-là !