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Les 10 embrouilles des 1 000 vaches

épisode numéro 2

Les petits secrets du préfet
Pourquoi le préfet de la Somme a-t-il fait tant de résistance ? Récapitulons. Le 1er février 2013, il prend un arrêté qui autorise l’ouverture d’une ferme de 500 vaches associée à un méthaniseur industriel. Le 19 février, l’avocate de l’association Novissen lui réclame par courrier recommandé la copie du ténébreux dossier ayant conduit à cette décision. Le 18 mars, la même réitère la demande par lettre recommandée avec accusé de réception. Le même jour est saisie la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), qui donne le 18 avril un avis favorable à la communication des pièces réclamées par les opposants. Il faudra pourtant attendre novembre pour que le préfet accepte de communiquer le dossier, entretenant bien entendu doutes et inquiétudes. Pourquoi ce si singulier comportement d’un fonctionnaire de la République ? La question reste posée.

Le grand risque méconnu des médicaments
Le scandale est, dans ce domaine, légal. Pour se donner une idée de ce qui serait utilisé dans la « Ferme des 1000 vaches », se rapporter à deux sources principales. La première est l’Index des médicaments vétérinaires autorisés en France (http://www.ircp.anmv.anses.fr). La seconde est la liste, définie par arrêté, de ceux employés dans l’élevage (ici). Le tout est interminable, et contient des antibiotiques, des anthelminthiques, des anticoccidiens, des douvicides, des hormones, des vaccins, etc. À votre avis, comment soigne-t-on les mammites à staphylocoque doré ou la diarrhée virale bovine ?

La concentration en un même lieu de tant d’animaux rend inévitable l’usage constant, massif, de médications chimiques préventives ou curatives. Le résultat est inscrit dans le projet, et pour ne prendre que l’exemple des antibiotiques, il est catastrophique. Au plan mondial, 50% des antibiotiques produits sont destinés aux animaux, pour l’essentiel d’élevage, entraînant mécaniquement des phénomènes de résistance et l’apparition de souches microbiennes potentiellement meurtrières. Ce qu’on appelle couramment l’antibiorésistance.

Avis autorisé du professeur Antoine Andremont (Laboratoire de bactériologie médicale de l’hôpital Bichat – Claude-Bernard) : « Nous sommes dans une situation précatastrophique. C’est le moment d’agir ». Et c’est à ce moment qu’on tente d’ouvrir la « Ferme des 1000 milliards de microbes ». Cherchons l’erreur.

La disparition programmée d’au moins 40 éleveurs
Faut-il croire l’éternel discours sur la promesse d’emplois ? Un élevage de 1000 vaches ne saurait devenir le miracle de la multiplication du lait. Ce qu’on produirait ici d’un côté ne le serait évidemment pas ailleurs. Or 1000 vaches représentent environ 50 emplois dans l’élevage laitier ordinaire. Certes, l’autorisation ne porte sur l’heure que sur 500 vaches, mais comment croire que l’on s’arrêtera là ? Le seuil de rentabilité de l’affaire est fixé par ses promoteurs à 850 bêtes au moins. La Ferme des 1000 vaches pourrait employer une dizaine de personnes au mieux, ce qui implique mécaniquement une disparition d’une quarantaine d’emplois. Sans compte les effets secondaires, dont une désertification accrue. Commentaire général de la Confédération paysanne : « Ce type d’implantation signe la fin du monde paysan : avec ce modèle, combien d’élevages laitiers seront encore nécessaires en France en 2020 ? Le calcul est simple : 2 500 à la place de 70 000 ! ».

Les surprises de l’alimentation en eau
Comment alimenter en eau une pareille installation ? Selon les prévisions officielles (préfecture de Picardie), « l‘élevage nécessite la réalisation de forages pour l’alimentation en eau de l’exploitation (40.000 m3/an). En effet, le réseau d’alimentation en eau potable n‘est pas en mesure de fournir le volume nécessaire et présente une eau trop chlorée ». C’est presque rigolo. L’eau du robinet ne va pas. Il faudra puiser dans une nappe phréatique qui sera, dans le même temps, inévitablement polluée par l’épandage du lisier des vaches. Au programme : résidus médicamenteux, dont des antibiotiques, nitrates, pesticides. Il est prévu de se brancher sur le réseau d’adduction d’eau potable pour nettoyer le gigantesque hangar-étable et faire boire la poignée de salariés. Mais pour cela, il faudra tirer sur l’eau venue de Nouvion, village voisin. En effet, le captage de Drucat, menacé par les pesticides, est fermé.

Mais où ira donc le digestat ?
Bon appétit. Il s’agit en effet de récupérer un savoureux mélange d’urine et d’excrément, de mélanger ce digestat à d’autres déchets, et de passer le tout dans le méthaniseur géant, censé produire électricité et chaleur. Reste la délicate question du digestat, ce résidu solide composé de tout ce qui ne s’est pas changé en gaz. Où diable balancer ces 40 000 tonnes par an ? La Bretagne et la France se ruinent en plans d’action pour limiter les épandages, responsable des marées vertes. Malgré les promesses, la méthanisation ne règle rien. Extrait d’un rapport officiel du ministère de l’Agriculture (Philippe Balny, Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts) : « La méthanisation conserve les fertilisants que sont l’azote [précurseur des nitrates] et le phosphore » et ne saurait donc apporter « en elle-même de solutions aux excédents de fertilisants organiques »« où les plans d’épandage sont saturés ». Ramery aurait besoin de 3000 hectares pour épandre son digestat, et il n’en a probablement que la moitié. Où ira donc le digestat ? Bis repetita.

Pourquoi pas des déchets industriels ?
L’arrêté préfectoral du 1er février 2013, autorisant l’ouverture,  précise aimablement : « La capacité maximale de traitement du méthaniseur est limitée à 19 150 t/an pour les déchets agricoles de l’exploitant et à 13 050 t/an pour les déchets extérieurs, soit un total maximal de 32 200 t/an. Les apports extérieurs traités par le méthaniseur ne pourront excéder en aucun cas 41% du total ».

En clair, près de la moitié de ce qui serait enfourné dans le méthaniseur ne proviendra pas de la ferme industrielle. Mais d’où, alors ? Le moins que l’on puisse écrire, c’est que l’opacité est totale. La communauté de communes de l’Abbevillois, qui englobe Drucat, est à la recherche effrénée, depuis des années, d’un lieu pouvant abriter une déchetterie. La Ferme des 1000 vaches dissimule-t-elle au passage un projet de cette sorte ? Pis : les textes officiels prévoient qu’un méthaniseur peut être alimenté par des boues de stations d’épuration, des déchets hospitaliers ou de l’industrie pharmaceutique, des ordures ménagères. Que va-t-on faire fermenter dans le méthaniseur de Drucat ?

Un méthaniseur agricole ou industriel ?
Évidemment, il y a détournement de la loi. Pas de sa lettre, mais de son esprit. Le décret du 16 février 2011 « relatif aux modalités de production et de commercialisation agricoles de biogaz, d’électricité et de chaleur par la méthanisation » vise explicitement les paysans. Dans l’esprit du législateur, il s’agit d’accorder une (petite) ressource supplémentaire à des paysans souvent menacés de disparition. Mais M. Ramery est-il un paysan ?

Sur le papier, oui, car il est le propriétaire d’une ferme de 200 vaches à Airaines, non loin d’Abbeville. Mais en réalité, et personne ne le conteste, il est un grand industriel du BTP, et c’est en industriel qu’il a pensé le projet des « 1000 vaches ». Autrement dit, il utilise un dispositif créé pour d’autres, sans avoir à subir la réglementation et les contrôles d’une activité industrielle potentiellement dangereuse. Car faire fermenter des dizaines de milliers de tonnes d’un mélange produisant un gaz, c’est dangereux. Les deux « digesteurs » contiendront chacun 4500 m3 d’une tambouille fermentescible.

La taille du méthaniseur est en soi un problème, car avec sa puissance de 1,489 MW, il pulvérise la moyenne des méthaniseurs agricoles projetés la même année – 2011 – que lui : soit 0,12 MW. Enfin, soulignons qu’un méthaniseur agricole a le grand avantage d’être subventionné (http://www.ademe.fr/bretagne/upload/projet/fichier/63fichier.doc). Impossible, pour le moment du moins, de connaître dans le détail les aides publiques obtenues par la « Ferme des 1000 vaches ».

Les bonnes affaires de M.Mouton
Comme dans une fable, tout oppose jusqu’à la caricature les maires de Drucat et de Buigny-Saint-Maclou. Le méthaniseur serait installé sur le territoire de Drucat, mais la ferme elle-même sur celui de Buigny. En avril 2011, démontrant une parfaite maîtrise du lobbying, M. Ramery invite 40 personnes à faire un tour d’avion jusqu’en Allemagne, pour y admirer des fermes modèles, avec méthaniseur. Le maire de Drucat, Henri Gauret, exige de payer lui-même son billet d’avion. Mais pas Éric Mouton, le maire de Buigny. On saura plus tard que M. Mouton, par ailleurs architecte, a dessiné les plans de la « Ferme des 1000 vaches ». Il aurait reçu de M.Ramery environ 40 000 euros. On ne s’étonnera pas de son enthousiasme pour le projet.

La farce des gaz à effet de serre
Défense de rire. La France tente de faire croire qu’elle diminue ses émissions de gaz à effet de serre, qui tournent, selon les chiffres officiels, autour de 500 millions de tonnes d’équivalent-CO2 par an. Sont oubliées en route les importations, qui permettent d’externaliser – selon l’étude Davis-Caldeira de 2010 – environ 30 % de ces émissions contenues dans les jouets ou les tee-shirts venus d’ailleurs. Face à ces quantités astronomiques, le méthane qui serait économisé par la ferme-Ramery est si dérisoire, si proche de zéro que nulle autorité ne se hasarde à seulement l’estimer. C’est pourtant l’un des arguments prétendument massue utilisés contre les opposants. Ouvrir la Ferme serait une bonne chose pour le climat. Les mêmes rêvent d’exploitation des gaz de schiste en France, qui ferait exploser les compteurs des gaz à effet de serre.

Et la circulation, dans tout ça ?
Le projet Ramery ne s’embarrasse pas de précisions. Pour ce qui concerne la circulation automobile, la clé est la départementale 928, qui longe et dessert la ferme éventuelle, et où roulent déjà 7300 véhicules par jour. C’est par elle qu’arriveront les déchets venus d’ailleurs, par milliers de tonnes. C’est par elle que repartiront les 40 000 tonnes de digestat à épandre sur les 2700 hectares de terres agricoles prévus. Selon les calculs – faits sur un coin de table ? – de la préfecture, il ne peut y avoir de problème. Citation : « En période de pic : 60 tracteurs, 2 camions, 15 véhicules utilitaires. Cela représentera en moyenne entre 0.15% à 0.3% du trafic routier et en période de pointe entre 1% à 4% du trafic routier de la CD928 ». Réponse de l’association Novissen : « Ces chiffres n’ont aucune signification, faute de tenir compte de la « montée en puissance du site ». S’ils concernent la première année avec peu de vaches et pas encore de méthaniseur,  qu’en sera-t-il ensuite avec 1  750 bêtes et un méthaniseur à plein régime ? ».

Quand j’ai appris, je me suis dit : « Pauvres bêtes ! »

Vous trouverez à la queue-leu-leu les six articles que j’ai écrit pour Reporterre (ici), et publiés sur ce site à partir du 6 janvier 2014. Je me suis dit qu’il serait un poil curieux de ne pas les retrouver ici.

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Soit un plateau de craie intensivement livré à la pomme de terre, à la betterave, au colza, au blé. Le fleuve qui a donné son nom au département se jette dans la Manche, dans cette si fameuse baie de Somme où prospère tant bien que mal une colonie de phoques veaux-marins. Plus haut, le puissant Nord-Pas-de-Calais des barons socialistes ; plus bas, l’Île-de-France des ministères et des grandes décisions. C’est là, tout près d’Abbeville, qu’on prétend ouvrir la plus grande ferme de la longue histoire agricole française. 1 000 vaches. 1000 vaches prisonnières de l’industrie.

Quand on arrive sur le chantier de la Ferme des 1000 vaches, il vaut mieux avoir le cœur en fête, car la plaine agricole fait vaciller le regard. À perte de vue, des immenses monocultures, rases encore en ce début d’hiver. Aucun arbre. Nulle haie. L’industrie de la terre. De Drucat, aller jusqu’au hameau Le Plessiel, puis prendre à gauche la départementale 928, sur environ 500 mètres, en direction d’Abbeville, qui n’est qu’à deux pas. C’est donc là. Mais où ?

Il faut s’arrêter juste avant le Centre de formation de l’Automoto-école de la ZAC, et prendre un chemin de boue grise qui le borde. À main gauche, un no man’s land de bâtiments préfabriqués, d’asphalte râpé et d’herbes clairsemées. C’est dans ce lieu guilleret que l’on apprend à manier motos et poids lourds, avant de s’aventurer sur la route. À main droite, 300 mètres plus loin, le vaste chantier de la Ferme des 1000 vaches.  Un immense hangar posé sur des piliers en acier, sans murs encore, un petit bâtiment à l’entrée, un semblant de grue, deux bétonnières, quelques ouvriers de l’entreprise belge Vanbockrijck (http://www.vanbockrijck.fr), spécialiste des « plaques de béton coulées pour les silos ». L’objectif serait de vendre du lait au prix de revient très bas et de changer fumier et lisier des animaux en électricité au travers d’un gros méthaniseur.

Il en est plusieurs points de départ à cette stupéfiante affaire, mais le voyage en Allemagne préfigure de nombreux développements. Habitué aux mœurs du BTP – il en est un champion régional -, le promoteur Michel Ramery embarque le 14 avril 2011 une quarantaine de personnalités de la région. Par avion. Il y a là le maire socialiste d’Abbeville, Nicolas Dumont, des conseillers généraux, des maires, dont Henri Gauret, celui de Drucat, où pourrait être construit le méthaniseur. Gauret est d’une race si peu ordinaire qu’il accepte le voyage, mais exige de le payer, ce que ne feront pas les autres. Sur place, on leur fait visiter deux fermes modèles, avec méthaniseur bien sûr. Pas d’odeur, pas de malheur : tout a été soigneusement préparé.

Et puis plus rien. Mais un jour d’août 2011, Henri Gauret découvre avec stupéfaction qu’une enquête publique doit commencer le 22 août, alors que la moitié de la population est en vacances. « Vous comprenez, dit-il à Reporterre, Drucat est un village résidentiel de 900 habitants. Des habitants d’Abbeville ou même d’Amiens ont fait construire ici pour le calme, la nature. Mes premiers contacts avec Michel Ramery, fin 2010, n’ont pas été mauvais, mais quand j’ai découvert cette histoire d’enquête publique, là, comme on dit, ça m’a drôlement interpellé ». Et Gauret alerte la population du village par un courrier déposée dans la boîte à lettres, déclenchant une mobilisation générale.

Gilberte Wable s’en souvient comme si c’était hier. « Cette histoire m’a mise en colère, dit-elle à Reporterre. Mon premier mot a été pour les vaches. Je me suis dit : « Pauvres bêtes ! ». Les enfermer à 1000, dans un espace si petit qu’elles ne peuvent pas bouger leurs pattes, je ne pouvais pas supporter. J’ai pris un papier, un stylo, et j’ai rédigé une première pétition que  j’ai fait signer un soir à mon Amap. Tout le monde a signé, mais on n’était encore qu’un groupuscule. Dans un deuxième temps,  j’ai rallongé le texte, et on l’a fait circuler à Drucat, où entre 70 et 80 % des adultes ont signé. Après, il y a eu la réunion publique. »

Un autre moment fondateur. Le 26 septembre, 200 personnes se serrent dans la salle polyvalente de Drucat, qui n’a pas l’habitude d’une telle foule. Ramery est là, en compagnie de Michel Welter, son chef de projet, et du sous-préfet. Henri Gauret, qui préside, s’inquiète fort de l’ambiance et regrette, aujourd’hui encore, certains mots employés  contre Ramery par les opposants les plus chauds. « La colère grondait ! reprend Gilberte Wable. On a demandé à Ramery de s’expliquer, et il a juste lâché : « Vous avez vos droits, j’ai les miens ». Le dialogue était impossible. Ce soir-là, je suis sûre qu’il pensait pouvoir passer en force. Il ne voyait pas que nous allions nous souder. Mais nous non plus. ».

Habitué à tout obtenir des politiques, Ramery a toujours dédaigné l’opinion, ce qui va lui jouer un très mauvais tour. Car en effet, une équipe gagnante se met en place. Derrière Gilberte Wable et quelques autres pionniers apparaît un véritable tribun, Michek Kfoury, médecin-urgentiste à l’hôpital d’Abbeville. Et Kfoury, habitant de Drucat, ne se contente pas de fédérer l’opposition : il l’entraîne sur des chemins très inattendus.

Au passage, des centaines de contributions pleuvent sur le cahier de doléances de l’enquête publique, sans aucunement troubler le commissaire-enquêteur, qui donnera sans état d’âme un avis favorable. Le 17 novembre 2011, dans une certaine ferveur, naît l’association Novissen. Drucat est en pleine révolte populaire, ce dont se contrefichent, bien à tort, les élus locaux et les copains de Michel Ramery, qui sont souvent les mêmes. La suite n’est pas racontable ici, tant les épisodes du combat sont nombreux. Ceux de Novissen inventent leur combat jour après jour, inaugurant par exemple le 2 juin 2012 une Ronde des indignés sur la place Max Lejeune d’Abbeville, la sous-préfecture voisine.

Malgré tout, la lourde machine officielle avance. En février 2013, le préfet accorde une autorisation d’ouverture portant sur 500 vaches seulement. Tout le monde comprend qu’il s’agit d’une simple ruse administrative : l’essentiel est de lancer l’usine à vaches, qu’on pourra facilement agrandir ensuite. Mais que faire ? Le principal renfort viendra de la Confédération paysanne, qui va mettre des moyens exceptionnels au service d’un combat commun.

Ce syndicat minoritaire, connu il y a dix ans par son porte-parole de l’époque – José Bové -, se dote d’un « responsable des campagnes et actions »  jeune et enthousiaste, Pierre-Alain Prévost. Reporterre est allé l’attraper au siège de la Conf’, comme on appelle le syndicat, dans la banlieue parisienne. « J’ai rencontré les gens de Novissen à Abbeville, confie-t-il, et puis nous nous sommes retrouvés pour une manif au Salon de l’Agriculture, en mars 2013. Et c’est alors que j’ai dit au Comité national du syndicat : « Il faut y aller ! ».  J’ai creusé le dossier, j’ai appelé pas mal de gens, et on a commencé. Laurent Pinatel, notre porte-parole, a embrayé ».

À partir de juin 2013, la Conf’ prépare dans le plus grand secret une opération grand style. Ce qui donnera, dans la nuit du 11 au 12 septembre 2013 une visite mouvementée sur le chantier de la Ferme des 1000 vaches. Vingt syndicalistes peignent sur place une inscription de 250 mètres de long : « Non aux 1000 vaches ! ». Au passage, ils subtilisent des pièces des engins de chantier – qui seront rendues – et dégonflent les pneus des véhicules présents. Non seulement Ramery porte plainte, ce qui peut se comprendre, mais son chef de projet, Michel Welter, se ridiculise en affirmant sans rire : « C’est du terrorisme pur et dur ».

La suite est moins distrayante, car 6 personnes, dont le président de Novissen Michel Kfoury, sont placées en garde à vue, bien que l’association n’ait nullement été mêlée à l’action de la Conf’. Ce qui n’entrave d’aucune façon la détermination générale. Il faut dire que Novissen dispose d’un avocat en or massif, Grégoire Frison. Ce spécialiste du droit de l’environnement, installé à Amiens, reçoit Reporterre en rappelant quelques heureuses évidences. « Le fric, mais ça ne doit servir qu’à vivre mieux ensemble, pas à spéculer ! Un tel projet ne peut que créer de la misère sociale en ruinant des dizaines de petits éleveurs laitiers. En faisant disparaître nos potes. Oui, nos potes ! Ceux avec qui nous pouvons envisager un art de vivre, une communauté vivante. Ce que Ramery et ses soutiens détestent, c’est justement cette solidarité qui renaît entre paysans et néo-ruraux ».

Sur le plan juridique, explique Frison, le combat pourrait bien rebondir dès ce mois de janvier, grâce à une plainte déposée pour non-respect du permis de construire. La faute à l’un des vice-présidents de Novissen, Claude Dubois. Ce dernier, plutôt rigolard, confie à Reporterre : « J’ai un permis d’avion, mais depuis quelques années, je fais surtout de l’ULM à partir de l’aérodrome d’Abbeville, qui est tout proche du chantier de la Ferme. Comme je faisais beaucoup de photos aériennes, j’ai plutôt l’œil. Et puis le 28 novembre dernier, on a appris que M.Ramery avait déposé une demande de permis de construire modificatif. J’ai pris des photos, j’ai comparé avec les plans officiels de la Ferme, j’ai sorti mon triple décimètre, et j’ai compris ».

Les photos de Claude Dubois sont sans appel. On y voit notamment un espace entre deux bâtiments bien plus grand que sur le plan déposé. Et, pire, des fondations au beau milieu, alors qu’aucun hangar ne devrait être construit si l’on s’en tient au permis de construire. Ce splendide pied de nez ne plaît en tout cas pas du tout à Ramery, qui a sonné les gendarmes locaux, qui n’ont pas hésité à aller tancer le président de l’aérodrome. « Le président, rigole Claude Dubois, m’a dit : “Ramery n’est pas content qu’on survole son chantier. Sois gentil, respecte l’altitude minium”. Ce que j’ai toujours fait. Mais depuis quand n’aurait-on pas le droit de survoler un chantier ? ».

Certes, ce nouveau front ne fait que s’ouvrir, mais il réjouit déjà ceux de Novissen. « C’est très bon signe, assure Gilberte Wable. M. Ramery fait des bêtises ahurissantes. Comment ose-t-il ne pas respecter un permis de construire aussi controversé ? ». La Confédération paysanne lance à partir du 6 janvier une nouvelle vague de manifestations. Cette fois, partout en France. La « Ferme des 1000 vaches » est loin d’avoir gagné la partie.

Connaissez-vous Haïdar ?

Dans tous les cas, vous êtes chanceux. Soit vous connaissez Haïdar el Ali, et quelle joie, alors, de savoir qu’il existe sur Terre des hommes profondément valeureux. Soit vous n’en avez jamais entendu parler, et le moment qui vient devrait, en toute certitude, amener à vos lèvres le sourire des jours heureux. Moi, je connais ce gaillard – de loin – depuis des années, et j’ai bien failli faire un reportage sur lui, pour le magazine Terre Sauvage. Bernadette Gilbertas – que je salue au passage – est allée au Sénégal et en a ramené une belle biographie (Haïdar el Ali, itinéraire d’un écologiste au Sénégal, Terre Vivante, 2010).

Haïdar est un Sénégalais d’origine libanaise, amoureux fou de la mer et de ses habitants. Un plongeur sous-marin d’exception qui aime aussi le peuple, les petites gens dont tant dépendent de l’état de santé de l’océan pour survivre. Il a organisé pendant des années des séances en plein-air dans les villages côtiers, présentant des films sur ce que les pêcheurs locaux ne voyaient jamais : ce qui se passe sous l’eau. Il a créé un mouvement, aucun doute là-dessus. Sans doute fragile, probablement limité. Mais un mouvement tout de même. De protection des mers par leurs usagers directs. Même s’il s’était arrêté là, je le tiendrais évidemment pour un héros de notre futur commun.

Mais Haïdar est aussi entré en politique. Dans un gouvernement dont je m’abstiendrai de parler, en tout cas ici et maintenant. Vous imaginez, je pense, mon opinion sur le président actuel, Macky Sall, qui a fait l’essentiel de sa carrière auprès du libéral Abdoulaye Wade. J’avoue qu’en la circonstance, cela ne compte pas. Haïdar a d’abord été ministre de l’Écologie de ce pays si pauvre, puis ministre de la Pêche. C’est dans ce cadre qu’il a lancé l’étonnant combat raconté dans l’excellent article ci-dessous, qui vient du Journal de l’Environnement (ici). Je me permets d’insister sur ce point extraordinaire : le partenariat noué avec l’association, si chère à mon cœur, qu’est Sea Shepherd (ici). Autrement dit, les pirates de Paul Watson mettent leurs moyens au service d’un pays du Sud martyrisé par les soudards de la pêche industrielle. Vous ne pouvez pas savoir combien cette nouvelle me chavire. Sans jeu de mot aucun, elle me chavire.

 Le journal de l'environnement

«On pille nos poissons pour nourrir les porcs des pays développés!»

 

Le 20 janvier 2014 par Marine Jobert

La pêche illégale au large des côtes sénégalaises sera-t-elle bientôt un mauvais souvenir? Ministre de la pêche et des affaires maritimes du Sénégal depuis septembre 2013, Haïdar El Ali semble vouloir tirer son pays vers une voie nouvelle: protéger la ressource halieutique des appétits étrangers et promouvoir une pêche artisanale de subsistance. Le nouveau ministre, excellent plongeur et écologiste actif, a expliqué au Journal de l’Environnement la nouvelle politique qu’il entend mener.

JDLE – Le récent arraisonnement, musclé, et le remorquage d’un chalutier russe –l’Oleg Naydenov- soupçonné d’avoir pêché illégalement dans les eaux territoriales du pays marquerait-il un tournant dans la façon dont le Sénégal entend gérer ses ressources halieutiques? Etes-vous soutenu dans cette démarche?

Haïdar El Ali – Le président Macky Sall est dans de bonnes dispositions par rapport à ces questions et me soutient beaucoup dans ma volonté de mettre un terne à ce pillage. Notre problème, c’est que nous avons des ressources et des compétences limitées au sein du ministère des pêches et des affaires maritimes. Notamment pour la réalisation des inventaires scientifiques des espèces présentes au large de nos côtes. Les petits pélagiques[1] représentent pour le Sénégal la sécurité alimentaire. Mais ils nourrissent aussi toute la sous-région, car nous exportons ces poissons vers le Burkina Faso, le Ghana et le Mali. Or quand on sait que les bateaux-pirates les pêchent pour les transformer en farines de poisson pour nourrir des animaux… Rendez-vous compte: on pille nos poissons pour nourrir les porcs des pays développés! Et dans le même temps, vous avez toute cette jeunesse démunie, qui s’embarque sur des pirogues dans l’espoir de trouver des petits boulots! C’est inadmissible moralement.

JDLE – De quels outils disposez-vous pour agir?

Haïdar El Ali – On va se servir du droit pour mettre un terme à cette situation, avec un projet de loi plus musclé. Aujourd’hui, nous ne sommes en mesure que de saisir la cargaison et les filets et d’infliger une amende de 200.000 francs CFA (300.000 euros) maximum, qui peut être doublée en cas de récidive. C’est totalement insuffisant. Je souhaite que dans la nouvelle loi, les membres d’équipage puissent être envoyés en prison, car ils savent très bien ce qu’ils font: du pillage à but lucratif. En outre, nous voulons pouvoir saisir le bateau lui-même, soit pour le couler, soit pour le vendre, soit pour qu’il devienne la propriété de l’Etat sénégalais. Nous butons aussi sur un problème de moyens en matériel. A titre d’exemple, il faut savoir que l’Oleg Naydenov est le 6e bateau repéré ces trois derniers mois [depuis la prise de fonction d’Haïdar El Ali], mais le premier que nous parvenons à arraisonner et à contraindre à nous suivre vers les côtes.

JDLE – Les accords régissant les quotas de pêche ont beaucoup évolué ces dernières années. Où en êtes-vous aujourd’hui?

Haïdar El Ali – En 2010, des contrats ont été signés, autorisant ces chalutiers étrangers de 120 mètres [ils seraient une quarantaine] à venir pêcher chez nous. Il s’agissait de contrats totalement léonins. D’autant que les propriétaires des chalutiers s’étaient engagés à verser 35 FCFA par kilo de petits pélagiques pêchés, alors qu’en fait, ils le payaient 100. Donc 65 FCFA disparaissaient dans la poche de certaines personnes, avec la complicité des propriétaires des chalutiers. Le président Macky Sall a mis un terme à ces pratiques en refusant, en 2012, de reconduire ces contrats. Les bateaux concernés se sont donc repliés sur la Guinée Bissau [au sud du Sénégal], avec qui les chalutiers ont conclu de nouveaux accords de pêche. Et c’est depuis là qu’ils réalisent des incursions dans nos eaux. Ce qui est d’autant plus facile qu’il s’agit d’une partie de la côte très peu surveillée. Il faut se rendre compte que nous avons 700 kilomètres de côtes à patrouiller, à quoi se rajoutent 200 milles marins (370 km), qui sont sous notre souveraineté. Or au-delà de 50 miles, nous surveillons très peu, faute de moyens. C’est pour cela que le partenariat que nous venons de nouer avec l’association Sea Sheperd –et d’autres s’ils veulent nous aider- va nous être précieux.

JDLE – Sea Sheperd est une ONG internationale qui s’est fait une spécialité d’intervenir, souvent physiquement, contre les chasseurs d’espèces marines. C’est notamment le cas contre les baleiniers japonais, qui ont dû rentrer au port sans pouvoir réaliser les prises escomptées. L’ONG annonce qu’elle met à votre disposition un navire[2], le carburant et un équipage, qui passeront plusieurs mois à patrouiller les eaux sénégalaises. Pourquoi avoir fait appel à eux, qui se désignent volontiers comme des pirates?

Haïdar El Ali – Mais qui les accuse donc d’être des pirates? Les pilleurs eux-mêmes! Cette réputation me réconforte et me conforte dans mon choix: ils vont aller sur le terrain pour démasquer les vrais pilleurs. Leur première mission va consister à réaliser un inventaire de la situation. Ils vont recenser l’ampleur des dégâts sur la faune halieutique, mais aussi géo-localiser les bateaux étrangers. Notre marine nationale prendra le relais. Ce sont des gens d’action, qui ne perdent pas de temps en grandes théories et qui se battent vraiment contre les bateaux pilleurs. On est demandeur de ça. J’ai toujours l’image de ce petit enfant qui jette une pièce dans la tirelire du WWF en pensant que ça va sauver les pandas… Il y a trop d’ONG internationales qui accaparent les subventions et organisent des tas de séminaires ou vendent des animaux en peluche… Et pendant ce temps-là, la planète meurt! Nous, on le voit au quotidien: la ressource est en train de disparaître! Le désert avance, les réserves halieutiques disparaissent et notre jeunesse prend des pirogues dans l’espoir de trouver un Eldorado de l’autre côté de la mer…

JDLE – Cette révolution dans la gestion des ressources que vous appelez de vos vœux, quels effets en escomptez-vous?

Haïdar El Ali – L’US AID, l’agence de coopération américaine, a calculé que le Sénégal perd chaque année 150 Md FCFA à cause de ces pillages. A terme, nous voulons que ces ressources soient mieux gérées, mieux connaître les périodes de reproduction et de repos, etc. pour amener la pêche artisanale à adopter des techniques de pêche durable. Si nous gérons bien nos ressources, tant minières qu’halieutiques, agricoles ou forestières, l’emploi de la jeunesse est assuré. L’Afrique vit d’une économie de prélèvement. Or les conditions se dégradent. Aujourd’hui, 40% des terres cultivables du Sénégal sont gagnées par le sel, à cause de la déforestation ou des feux de brousse [contre lesquels Haïdar El Ali a lancé, en mars 2013, un plan d’action]. Un pêcheur qui n’attrape rien restera pauvre, ne pourra pas nourrir sa famille, envoyer ses enfants à l’école, etc. C’est de sécurité alimentaire qu’il s’agit, mais aussi de sécurité tout court, puisqu’un pêcheur pauvre renoncera à acheter le gilet de sauvetage qui lui permettrait de protéger sa vie! Ces questions ne sont pas prises en compte dans leur globalité. Alors qu’on met toujours en avant la croissance, la vraie préoccupation, aujourd’hui, devrait être environnementale.

 


[1] Selon un rapport de la FAO, ces termes désignent les sardinelles (Sardinella aurita et Sardinella maderensis), la sardine (Sardina pilchardus), le pilchard (Sardinops ocellatus), l’anchois (Engraulis encrasicolus), les chinchards (Trachurus trachurus et Trachurus trecae), l’alose rasoir (Ilisha africana), l’ethmalose (Ethmalosa fimbriata), les maquereaux (Scomber japonicus et Scomber scombrus), le Brachydeuterus auritus et le Decapterus ronchus, le poisson-sabre (Trichiurus lepturus).

[2] Il s’agit du Jairo Mora Sandoval, du nom d’un activiste costa-ricain de 26 ans, tué par balles en mai 2013 sur une plage. Il protégeait les nids de bébés tortues sur la plage.

Ratonnade anticampagnol à Notre-Dame-des-Landes

Cet article a été publié dans Charlie Hebdo le 7 janvier 2014

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Grande manif à Nantes le 22 février, juste avant les municipales. De part et d’autre de la barricade, on graisse l’artillerie. Les travaux de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes vont-ils commencer cette année ?

C’est donc reparti. Comme en 14. Flamberge au vent, comme il se doit, le père Ayrault s’apprête à fondre sur le camp retranché de Notre-Dame-des-Landes. On se souvient sûrement que c’est là, dans ce petit bourg du bocage, près de Nantes, que le Premier ministre veut déposer sa crotte, sous la forme d’un vaste aéroport international. Que se passe-t-il à l’entrée dans 2014 ?

Pas mal de choses, à commencer par les arrêtés concernant l’eau et la biodiversité, pris le 20 décembre par le préfet de Loire-Atlantique. En résumé approximatif, les textes comportent une dérogation à la Loi sur l’eau, ainsi que le « déplacement » d’espèces protégées par la loi, et qu’il est en principe interdit de buter purement et simplement. Parmi elles, le triton marbré – noir, tacheté de somptueuses peintures vertes -, dont Ayrault, Vinci-le-bétonneur et tous leurs chers amis se contrefoutent. L’emmerde, c’est qu’il est classé parmi les espèces vulnérables dans le Livre rouge des vertébrés de France. Il faut donc mettre les gants, et concrètement les choper dans les mares du très éventuel futur chantier, puis les déposer dans d’autres mares, ailleurs.

Bien entendu, c’est une fumisterie de première, mais elle est en tout cas légale. Et de même pour quantité d’autres espèces animales et végétales, qu’il faut faire semblant de sauver du béton par la grâce de « mesures compensatoires ». Selon le réseau des Naturalistes en lutte, auteur collectif d’une impeccable étude de terrain (http://naturalistesenlutte.overblog.com), les petits rigolos des arrêtés préfectoraux ont purement et simplement oublié en route « 13 espèces nouvelles pour la Loire-Atlantique », qui ne sont connues que sur le territoire visé par Vinci, ainsi que « 6 espèces supplémentaires, rares et protégées par la Loi ».

Dernière ligne droite dans ce domaine : le campagnol amphibie. Vivant près des mares et des cours d’eau, la bestiole nage, plonge et n’emmerde jamais personne, discrète au point que peu de gens connaissent son existence. Pour lui régler son compte, il faudra quand même attendre une réunion du (consultatif) Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN), qui devrait donner un avis le 16 janvier. Commentaire général des Naturalistes en lutte : « Il n’y a pas qu’en Amazonie où des espèces sont massacrées, à Notre-Dame-des-Landes aussi grâce à l’aval de l’État français ! ».

À bien regarder la situation générale, il n’y a pas de doute : tout est en place pour un vaste drame. Côté bouffons, Ayrault pense qu’il ne peut pas reculer. Il a trop promis au complexe industriel, et sa défaite ici marquerait le déclin certain de sa carrière politique. Du côté des opposants, c’est plus grave. Les 200 (jeunes) occupants du chantier virtuel, installés dans des cabanes au fond des bois (http://zad.nadir.org) estiment à juste titre être des habitants légitimes. La plupart ne sont pas du genre à tendre la joue gauche après avoir pris un pain sur la droite. Quant aux indigènes – habitants des hameaux ou paysans de la Confédération paysanne -, une bonne partie est fortement engagée dans la bagarre contre l’aéroport.

Nul doute que Hollande a plutôt intérêt à une issue de secours, faute de quoi tout indique des violences d’un niveau rarement vu. Sur le plan politique, les paris sont ouverts. Le parti écologiste (EELV) pourrait-il rester au gouvernement en cas de début des travaux à Notre-Dame-des-Landes ? Un vieux routier de l’écologie, impliqué dans l’opération Europe Écologie de 2009, lâche à Charlie : « En principe, nos ministres quitteraient aussitôt le gouvernement, car nous n’avons jamais cessé de soutenir les opposants. Mais nous sommes quelques-uns à redouter une énième manœuvre de Placé. En restant au gouvernement, son clan provoquerait une scission, mais qui le débarrasserait d’une bonne partie de ses critiques internes. Ce serait pain béni ».

En attendant, action. On prépare à Nantes une manifestation géante. Ce sera le 22 février, juste avant les municipales. 100 000 personnes ? 200 000 ? On sera là pour compter.

1000 vaches, 1000 prisonnières, un jackpot

Ci-dessous, un article que j’ai écrit, publié le 31 décembre 2013 par Charlie Hebdo. Sur le même sujet, toujours sous ma signature, une série de six articles sur le site de Reporterre, dont celui-ci.

Le papier de Charlie

La France n’avait encore jamais vu ça. Un industriel du BTP, qui a fait fortune grâce à des contrats publics,  veut ouvrir de force une usine à vaches de 1000 bêtes, sans compter 750 veaux et génisses. Le camp produirait à la fois du lait et de l’électricité, grâce à une méthaniseur. Mais dans la Somme, on sort les fourches.

Attention, c’est difficile à imaginer, surtout après les rots du repas de Noël. Soit un hangar de 234 mètres de long ouvert sur d’immenses champs de betteraves et de pommes de terre, à perte de vue. Pas un arbre. Dedans, 1000 vaches, sans compter 750 génisses et veaux. La plus grande ferme de toute l’histoire agricole française, plantée entre les villages de Buigny-Saint-Maclou et Drucat (Somme). Abbeville est à 6 kilomètres, Amiens à 40, Paris à 180 au sud.

Le promoteur de ce vaste camp de travail s’appelle Michel Ramery, un garçon qui ne plaisante pas avec les chiffres. Né en 1949, il a créé sa première boîte minuscule avec deux frangins en 1972. Le groupe est aujourd’hui le géant du BTP dans le Nord-Pas-de-Calais voisin, et après avoir racheté une soixantaine de sociétés, compte 3550 salariés. Comment a-t-il fait ? Ben, on ne sait pas trop. Ce qui est certain, c’est que les socialos, au pouvoir dans cette région depuis des décennies, n’ont pas été trop durs avec papa Ramery, qui remporte tous les marchés publics qu’il veut, très loin devant des groupes pourtant bien plus puissants que lui, comme Vinci ou Bouygues.

Le 23 février 2011, une des sociétés de Ramery  demande l’ouverture de la dite « Ferme des 1000 vaches », qui sera ramenée – provisoirement en tout cas – à 500 par un arrêté préfectoral de 2013.  Le progrès en marche : avec une poignée de salariés pour faire tourner l’usine, la production de lait ne saurait être que rentable. Pour lui, Ramery. D’autant plus que la belle fusée multicolore compte un autre étage : le méthaniseur.

Ami lecteur, le méthaniseur est une fée qui change la merde en électricité. Ramery compte récupérer des milliers de tonnes de fumier et de lisier par an, avant de les faire gaiement fermenter dans une cuve géante, le temps que le ragoût donne du méthane. Lequel, car ce n’est pas fini, serait transformé en une électricité rachetée au prix fort (au moins deux fois celui du marché) par EDF. Avec une garantie de notre électricien chéri portant sur 15 ans. Ce système, authentique jackpot, a les grandes faveurs du gouvernement, qui a lancé en mars 2013 un plan Energie méthanisation autonomie azote (EMAA).

On est prié de ne pas ricaner, car ces nobles actions visent à sauver de la misère les petits paysans. Réfléchissons ensemble. N’est-il pas génial de vendre de l’électricité provenant de la merde de vaches donnant du lait ? Les fâcheux notent que Ramery n’a rien d’un paysan, et encore moins d’un paysan besogneux. L’affaire pourrait lui rapporter, en net, plusieurs millions d’euros par an. Et la « Ferme des 1000 » vaches pourrait au passage devenir le prototype, clés en mains, d’un nouvel élevage définitivement débarrassé de tout lien avec le métier de paysan.

Au fait, et les résidus ? Ami lecteur, bonne question, car le système Ramery récupère le méthane, mais laisse en plan une sorte de matière organique, qu’il faut bien balancer quelque part. Une bagatelle : 40 000 tonnes par an. Or le méthaniseur ne tutute pas seulement du pissat et de la bouse. Il a également besoin d’autres déchets – au moins 15 000 tonnes par an -, sans que personne ne sache encore d’où ils pourraient venir. Des déchets verts, ménagers, hospitaliers, pharmaceutiques ? Rien n’est vraiment impossible.

Revenons-en à la saine bouillie restant au fond de l’appareil. La seule solution est d’épandre sur des champs, en faisant passer cela pour un excellent engrais. C’est d’ailleurs ce qu’on fait en Bretagne, avec le si beau résultat qu’on connaît, dont la floraison saisonnière de marées vertes. Pas une seule molécule d’azote, précurseur des nitrates, ne saurait être éliminée par la méthanisation. La boue du méthaniseur, s’il ouvre un jour, contiendra donc fatalement des nitrates, mais aussi des restes d’antibiotiques, anthelminthiques, ?anticoccidiens, douvicides, hormones, tous produits vétérinaires légalement et massivement utilisés. Et des pesticides.

Arrivé à ce point, osons l’audace : percolant au travers du sol de craie, ces saloperies ne risquent-elles pas d’atteindre la nappe phréatique ? Est-ce si grave ? De toute façon, les 1 000 vaches boiront cette même eau, puisée grâce à un forage dans la nappe. Compter 40 000 mètres cubes d’eau par an. Ce qui ne veut pas dire que Ramery n’aura pas besoin du circuit d’eau potable. En effet, le brave homme pompera aussi sur le réseau, mais seulement pour nettoyer les installations et abreuver la poignée d’ouvriers. Quelle eau ? Pas celle, pourtant toute proche, de Drucat, pour la raison simple que son captage est fermé à cause d’une pollution aux pesticides. Il faudra donc se rabattre sur celle de Nouvion.

Et ce n’est pas tout, car pour se débarrasser de ce bon bouillon des familles, il faut disposer d’environ 3000 hectares. Pour l’heure, Ramery n’en aurait trouvé que la moitié, ce qui laisse présager de nouvelles surprises. C’est dans ce contexte revigorant qu’est née une formidable association locale, Novissen (http://www.novissen.com). Presque toute la population de Drucat – 900 habitants, où doit s’installer le méthaniseur, a rejoint un groupe emmené par un médecin-urgentiste de l’hôpital d’Abbeville, Michel Kfoury.

Un petit miracle s’est produit. Lancé pour la défense des intérêts locaux, ce qu’on peut facilement comprendre, le combat est devenu une vaste réflexion sur la souffrance animale, le modèle agricole, la pollution chimique, la corruption, la démocratie. On ne peut résumer ici la flopée de manifs, de tracts, de happenings imaginés depuis deux ans que dure la mobilisation. Une mention tout de même  pour la Ronde des indignés, inaugurée le 2 juin 2012 sur une place d’Abbeville, dont le maire socialiste Nicolas Dumont soutient sans oser l’assumer le projet Ramery.

De son côté, la Confédération paysanne, emmenée par un jeune type punchy, Pierre-Alain Prévost, et son porte-parole Laurent Pinatel, est entrée dans la danse en 2013, fortissimo. Avec notamment le démontage d’une partie du chantier dans la nuit du 11 au 12 septembre 2013, qui a conduit à une plainte de Ramery et à la garde à vue de six opposants.

Mais ce n’était qu’un début : la Conf’ lance dès le 6 janvier de nouvelles opérations, cette fois dans toute la France.