Archives de catégorie : Animaux

De quel droit ? (José Bové et le Loup)

Merci à Raymond Faure

Les lecteurs les plus réguliers de Planète sans visa me pardonneront ce qui leur apparaîtra un pur radotage : j’apprécie José Bové. Je le connais – un peu – depuis une vingtaine d’années, et je le vois régulièrement. Pour dire toute la vérité, j’ai pour lui une affection qui ne m’a jamais empêché de le critiquer, et parfois vivement, notamment sur la question du Loup (ici). Je ne vais pas recommencer tout mon argument. Bové est tout ce qu’on voudra, mais pas un écologiste au sens où je l’entends en tout cas. Disons que c’est un environnementaliste, ce qui n’est pas du tout la même chose. Et ajoutons qu’il vient de s’illustrer une fois encore au sujet de la Bête, cette fois en faisant preuve de ce que j’appellerai gentiment de l’irresponsabilité.

C’est une reprise d’un journal suisse par Le Dauphiné Libéré (ici), remplie de consternantes sornettes. Sans qu’il ait daigné mener le moindre débat – je lui ai proposé -, Bové se présente comme le meilleur ennemi de l’animal, prétendant contre l’évidence même qu’il faut choisir entre lui et l’Homme. Pis, il appelle les socialistes au pouvoir à remettre en cause la directive européenne Habitats et la Convention de Berne, qui sont les ultimes remparts contre le retour de la barbarie. Car l’éradication du Loup en France, à peu près complète à la fin des années 20 du siècle passé, a été une barbarie de plus, dans une liste qui en contient tant.

Abattre les protections, et jeter en pâture le Loup, en attendant les autres, qui viendront fatalement derrière. Bové ne comprend-il pas qu’il ouvre la boîte de Pandore, et que bien d’autres monstres en surgiront ? Sincèrement, je suis indigné. Puis, un mot sur le sens politicien de ces propos. Bové est en campagne électorale pour les Européennes, et caresser dans le sens du poil sa base sociale d’origine ne saurait lui nuire. Le clientélisme, c’est toujours l’autre. Ben non. Parfois, c’est juste devant la porte.

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L’article

  José Bové : « Il faut éliminer le loup »

José Bové persiste et signe. Dans un entretien avec nos confères suisses du Nouvelliste , il assurait cette semaine qu’« il y a trop de loups dans nos montagnes ».Joint hier au téléphone, il a confirmé et même amplifié ses propos. « Oui, je le dis : le loup n’est pas une espèce en voie de disparition. La preuve, l’extension de son territoire est constante. On en a même repéré à moins de 200 km de Paris. » De quoi faire frémir dans les chaumières.

Mais au-delà de la symbolique, c’est surtout en montagne qu’il faut, selon l’élu européen, s’inquiéter. « La cohabitation entre le loup et l’élevage n’est pas possible », martèle-t-il.

Et lorsqu’on lui fait observer que beaucoup de ses amis écologistes sont pro-loup, il balaye l’argument. « Bien sûr, les associations environnementalistes défendent l’animal. C’est leur droit. Mais elles n’ont pas de vision du monde rural. La question qu’il faut se poser, c’est celle de la place des éleveurs en montagne. Doivent-ils continuer d’être présents pour entretenir le territoire ? Je pense que oui. »

Pour José Bové, soixante années d’absence de l’animal en France (NDLR : jusqu’en 1992) ont contribué à lui donner une image idéalisée.

« On a écrit de belles histoires, façon Kevin Costner. Mais ici, nous ne sommes ni dans le Grand nord, ni dans les plaines de l’Ouest américain. Il n’y a pas assez de place pour le loup ».

José Bové entend donc réclamer une augmentation des autorisations d’abattage en France.

Et surtout, une révision urgente de la directive européenne Habitat, qui, avec la Convention de Berne, protège la bête : « Je lance un appel solennel aux ministres de l’Écologie et de l’Agriculture, Philippe Martin et Stéphane Le Foll, pour qu’ils entament au plus vite des discussions en ce sens avec la Commission européenne. »

Le si grand méchant loup (vu par moi)

Il y a quelques semaines, Sabine Andrieux-Rolland, de l’association Ferus (ici), m’a demandé un article sur le Loup. Il vient de paraître dans la revue de Ferus, La Gazette des grands prédateurs (numéro 50). Le moins que je pouvais faire, après avoir donné la parole hier au journaliste David Caviglioli, c’était de vous offrir mon point de vue. Pour me lire, il faut et il suffit de cliquer juste après : La Gazette.pdf

Le si grand méchant loup (vu par le Nouvel Observateur)

 Il n’est pas bien de boire, mais Dieu que c’est bon. Les vapeurs obscurcissant encore ma vue, je vous livre pour réflexion un article publié dans le  « grand journal de la gauche intellectuelle et morale », c’est-à-dire Le Nouvel Observateur. J’ai mis d’autorité des guillemets, car tout de même, on conserve le droit de se moquer des Précieuses ridicules. Et ce droit, je l’exerce sans demander l’autorisation. Donc, Le Nouvel Obs.

Dans le papier qui suit, un François [rectification du 2 janvier] Caviglioli enfile les perles les plus usées par tripotage qui soient. Son propos est tellement imbécile, à ce point éloigné des réalités qu’il en devient une cible trop facile. Bien entendu – mais comment faire face à un sourd professionnel ? -, le Loup n’a pas été réintroduit. Il est revenu de façon naturelle depuis ses refuges italiens des monts Apennins, ainsi que des biologistes de réputation mondiale, comme Luigi Boitani, l’avaient annoncé dix années avant sa réapparition officielle, en 1992. Et s’il a été exterminé une première fois, ce n’est nullement grâce aux lieutenants de louveterie, mais aux primes d’État, à la strychnine et aux pétoires des villageois.

Évidemment, la rumeur visant Manfred Reinartz, opportunément Allemand, n’est que resucée des pires légendes du passé. Tout le reste est de la même eau empoisonnée. Le Loup est cruel, le berger est bien à plaindre. L’animal est même une « vache sacrée », façon Inde de pacotille, le paysan est méprisé, etc. Or, il faut s’attendre à tout de la part de ce monstre, qui ne pense qu’à une chose, le soir autour du feu : pénétrer « au cœur des villes pour y déchiqueter des enfants ».

Le sommet est peut-être atteint – mais comment être sûr, de la part d’un tel grand journaliste ? – avec cette présentation loufoque de la pensée supposément profonde de mes chers amis de l’Association pour la Protection des Animaux sauvages (Aspas). Pour cet excellent monsieur Caviglioli, l’Aspas et les « durs de l’environnement », dont je suis fatalement,  estiment que « le monde est trop policé, l’homme a souillé, domestiqué et dévasté la nature, alors que le loup incarne la liberté ». Notre grand reporter aura peut-être abusé de la lecture de Tintin et Milou, mâtinée comme il se doit d’un soupçon de Luc Ferry.

Une telle stupidité, une telle absence de la moindre recherche, une telle suffisance sont-elles graves ? Ma foi, je ne sais pas trop. Ce que démontre une fois de plus le texte de Caviglioli, c’est qu’un abîme sépare les petits marquis de son genre, soutenus par les grands féodaux de la « gauche intellectuelle et morale » et ceux qui cherchent des réponses à la crise de la vie sur Terre. Ils sont fats. Nous sommes peu.

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L’article du Nouvel Obs

Actualité > Société > Le gentil petit loup et le grand méchant berger

Le gentil petit loup et le grand méchant berger

 

Par 

Par un incroyable retournement de situation, les carnassiers sont devenus une espèce protégée, tandis que paysans et bergers sont en voie de disparition

Dans le Mercantour, il y a toujours un loup à l'origine de nos peurs. (Patrice Lapoirie-Maxppp)

(photo Patrice Lapoirie-Maxppp)

On croyait que le loup, exterminé par les lieutenants de louveterie, puis par l’urbanisation, avait disparu pour toujours. Il avait si longtemps fait régner la terreur. C’était la bête cruelle, aux techniques de prédation et de combat infaillibles, qui ne se contentait pas d’attaquer les troupeaux et leurs gardiens, mais qui entrait dans les villages, les années de grand froid, de guerre et de famine, pour y dévorer des enfants. Elle traquait aussi bien les humbles serfs que les grands de ce monde comme Charles Quint, harcelé par une meute de loups affamés sur une route de son immense empire. Mais on se trompait.

Les loups vont-ils entrer dans Paris comme dans la chanson de Serge Reggiani ? La capitale va-t-elle ressembler à la vision qu’en donne Péguy, « la plus énorme horde où le loup et l’agneau aient jamais confondu leur commune misère » ? »Le loup est revenu ». Ainsi l’affirme Anne Vallaeys dans son livre (1). Tout a commencé dans le Mercantour. En 1977, on découvre douze dépouilles de mouton. Le cauchemar n’est pas fini. Il y a toujours un loup à l’origine de nos peurs. Au début, on a peine à y croire dans ce parc naturel de châtaigneraies et déjà peuplé de lynx, de sangliers, de chamois, de mouflons et de lagopèdes. On parle d’un drôle d’animal au pelage gris jaunâtre. Mais il faut se rendre à l’évidence : il s’agit bien d’un loup. Le Mercantour a beau être presque inhabité, il n’en bruisse pas moins de rumeurs. On évoque une vieille légende, celle du maître des loups, ce personnage inquiétant qui élève des loups, parle leur langage et les dresse à lui obéir au doigt et à l’oeil avant de les lâcher dans la nature pour le plaisir de terroriser les humains. Tous les regards se tournent vers un industriel allemand, Manfred Reinartz, qui a clôturé son domaine de hauts murs dans la forêt.

Les solitudes du Mercantour

L’été dernier, Didier Trigance, un éleveur d’ovins exaspéré par trois loups qui lui ont tué deux agneaux, trois brebis et six de ses chiens, frappe avec un manche de pioche deux agents du parc national venus faire un « constat loup ». Il avait entendu ou cru entendre l’un d’eux lui dire avec mépris : »Ici, on n’a plus besoin de vous. » On ne saura jamais ce qui s’est exactement dit dans les solitudes du Mercantour, ce massif qui s’étend, au sud des Alpes, sur près de 70.000 hectares et s’étage de 490 à 3.143 mètres. Toujours est-il que Didier Trigance, dont les ancêtres ont toujours mené leur troupeau sur cette estive, le prend très mal. Il est véritablement endeuillé par la mort de ses chiens. Il ne lui reste plus qu’une chienne un peu craintive, et les chiens de berger sont de plus en plus rares et de plus en plus chers. Il a un coup de sang, et déclenche une jacquerie à lui tout seul. Le tribunal de Nice lui infligera trois mois de prison avec sursis, une clémence qui traduit l’embarras et la culpabilité de l’Etat.

Cette affaire survient à un moment critique : la fin de l’ère agricole où le paysan était intouchable et l’avènement d’une nouvelle ère furieusement écologiste où les derniers paysans sont des ennemis qui s’opposent au retour à la vraie nature dans la pureté de ses origines. Aujourd’hui, c’est le loup qui est intouchable. La convention de Berne de 1979 et la directive Habitats Faune Flore de 1992 lui assurent un statut de protection et ont fait des éleveurs et des bergers une espèce en voie de disparition dont personne ne se soucie. Les éleveurs sont des survivants abandonnés à leur sort. On n’a plus besoin d’eux, comme l’a peut-être dit le garde du parc national.

Un animal domestique comme les agneaux qu’il dévore

Les pouvoirs publics se sont peu à peu rendus aux raisons de l’Association pour la Protection des Animaux sauvages (Aspas) et des durs de l’environnement : en gros, le monde est trop policé, l’homme a souillé, domestiqué et dévasté la nature, alors que le loup incarne la liberté. Le méchant, aujourd’hui, c’est le berger. Le croquant. Mais ce loup réintroduit n’est plus un animal sauvage puisqu’il est protégé. C’est un animal domestique, comme les agneaux qu’il dévore.
A l’abri d’une législation qui fait d’eux des animaux sacrés, comme les vaches en Inde, les loups sont de plus en plus nombreux, ils agrandissent leur territoire et s’aventurent maintenant dans les plaines. Ils peuvent parcourir 50 kilomètres par nuit. Leurs attaques sont de plus en plus fréquentes dans les élevages ovins de la Haute-Marne et de l’Aube où se réveillent les grandes colères paysannes du passé.

Le loup a un solide appétit. Il consomme 2 ou 3 kilos de viande par jour. Ce sont les éleveurs qui régalent : les animaux domestiques constituent de 10% à 25% de son régime alimentaire. Le loup est partout chez lui, dans les montagnes, les grandes plaines agricoles. Il s’est affranchi de la forêt. Il est encore rebuté par les villes parce qu’il a peur de l’homme. Mais pour combien de temps ?

Les loups se risqueront-ils bientôt au coeur des villes pour y déchiqueter des enfants, comme le font parfois les chiens qui ont pourtant la faveur du public ? Méfions-nous de « nos amies les bêtes ». Les croisés de l’écologie dure, les partisans d’un retour à une virginité édénique devraient méditer ce qu’Alfred de Vigny fait dire à la nature : « On me dit une mère et je suis une tombe. »

(1) « Le loup est revenu », par Anne Vallaeys, Editions Fayard, 300 pages.

http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20131220.OBS0335/le-gentil-petit-loup-et-le-grand-mechant-berger.html nike air max trainers nike air max trainers

Giscard à la chasse

Amis lecteurs, c’est une première : je partage avec vous un article du journal Le Figaro, charmant quotidien aux mains d’un marchand d’armes. Et comme cela tombe bien ! Ce qui suit est en effet consacré à la chasse, telle que vue par l’un de nos grands chasseurs, Valéry Giscard d’Estaing. Je dois préciser pour les plus jeunes d’entre vous que Giscard a bel et bien existé. La preuve, c’est qu’il continue à tuer.

Cet homme renversant de sottise pseudo-aristocratique, confit dans un absurde sentiment de supériorité, a été président de notre pauvre République entre 1974 et 1981. Que reste-t-il ? Rien. Peut-être la photo jaunie, dans des collections anciennes, de Giscard invitant les éboueurs du quartier à partager son petit-déjeuner de l’Élysée. Tout le reste n’aura servi à rien, tout le reste n’est déjà plus qu’un infime tas de poussière sur les étagères du passé.

Si je vous offre sans rechigner le morceau de bravoure qui suit, c’est parce qu’il éclaire un pan de notre ténébreuse psyché. Pourquoi le mal ? Pourquoi la tuerie ? Pourquoi ces plaisirs si malsains ? Je n’en sais rien. Mais sous couvert de la grotesque personne de Giscard, cette interrogation lancinante m’arrache un sourire. J’espère qu’il en sera de même pour vous.

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Entretien paru dans Le Figaro du 3 novembre 20013

INTERVIEW – Poil ou plume, chasses présidentielles ou safaris privés, l’ancien président de la République a toujours revendiqué sa passion pour la chasse.

LE FIGARO. – Que signifiela chasse pour vous?

Valéry GISCARD D’ESTAING. – La chasse a été la première activité de l’homme. En France, c’était à l’origine un privilège féodal, qui a été aboli à la Révolution. Depuis, le nombre de chasseurs se compte par millions, c’est un sport national bien plus étendu que le foot. Une activité profondément ancrée dans l’humanité, un vaste monde.

Quelles sont vos chasses à vous?

Elles ont été diverses. J’ai d’abord eu le privilège de participer aux chasses présidentielles, à Rambouillet, à Chambord et à Marly. Le général de Gaulle ne chassait pas, mais, par tradition, il participait à la dernière battue, et j’en ai suivi quelques-unes avec lui.

J’ai aussi toujours chassé avec des amis, en France, pour le plaisir. Je continue d’ailleurs : je ne sais pas pourquoi on a écrit que je n’ai pas renouvelé mon permis de chasse, c’est inexact. Je traque des petits animaux, des perdreaux, des faisans. Je regrette d’ailleurs que les perdreaux gris, qui étaient par excellence le gibier français, aient disparu, à cause des pesticides. Je chasse parfois le cerf, animal emblématique dans tous les pays d’Europe. On doit pour cela attendre la saison du brame, sinon ils se terrent et on ne les voit pas. Si l’on veut rencontrer de grands cerfs, il faut se rendre dans les pays de l’Est, comme la Pologne, ce que j’ai fait régulièrement. Pour les grands animaux comme le buffle, l’éléphant ou les grandes antilopes, je suis beaucoup allé en Afrique, au Cameroun, au Gabon, au Kenya, en Tanzanie, dans les anciennes colonies françaises et anglaises. Mais j’ai cessé un jour, car ma fille, lorsqu’elle était petite, me le reprochait.

Quel plaisir de poursuivre ainsi un animal?

Chasser est un sport, on peut marcher des dizaines de kilomètres en pistant un animal. Mais le vrai plaisir est celui procuré par la nature. La chasse est souvent une solitude, et on se retrouve parfois seul face à la forêt. En Afrique, j’ai vu la planète telle qu’elle devait être depuis les origines. C’est vrai que le chasseur est dans une relation étrange avec les animaux : on ne tue plus pour la nourriture, l’industrie s’en charge désormais. Alors quand un grand animal tombe, on éprouve une sensation de nostalgie, une émotion triste. Tous les chasseurs connaissent ce sentiment curieux.

Vous avez tous les «anti»contre vous désormais.

L’espèce humaine s’urbanise de plus en plus, elle ne comprend plus la chasse. Nous sommes dans un monde où les «anti» font beaucoup de bruit, même s’ils ne représentent pas grand-chose. J’ai tout de même l’impression que les jeunes de la campagne continuent d’aimer et de pratiquer la chasse.

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Ci-dessous le lien de l’article :

http://www.lefigaro.fr/culture/2013/11/03/03004-20131103ARTFIG00028-valery-giscard-d-estaing-la-chasse-est-souvent-une-solitude.php?m_i=SfVSkXuiONQhJw10LxLszEl4WacUfSfkFAgfRIo0bZOuxfISl

« Vive l’abolition de la chasse ! »

Ces deux articles ont paru dans Charlie Hebdo le 18 septembre 2013. Le premier est un entretien que j’ai mené avec Gérard Charollois ; le second un court récapitulatif de l’été. Au passage, les chasseurs du Var et des Alpes Maritimes ont désormais le droit de tirer des loups au cours de leurs habituelles battues au gibier. Deux loups ont été abattus en deux jours. Le loup est redevenu un gibier. Nous sommes retournés à la belle époque de l’éradication, entre 1870 et 1925. Le progrès, aucun doute.

Un mot sur Gérard Charollois, grand héros du mouvement antichasse. Ce type est réellement un cas. Aveugle, il est juge à Périgueux, où il préside la Chambre de la famille du tribunal de grande instance. Amoureux de la vie, de la nature, des animaux, il a été le vice-président du glorieux Rassemblement des opposants à la chasse (ROC), du temps de Théodore Monod. Il vient de publier une nouvelle édition de Pour en finir avec la chasse (éditions Imho) et il prépare une manif. Le 21 septembre, à 14 heures, place d’Iéna. Une partie de l’équipe de Charlie sera là, dont Cabu et Luce Lapin.

Vous organisez donc une manif contre la chasse, ce qu’on n’avait pas vu en France depuis des lustres. Mais pourquoi ?

(Il rigole) Pourquoi ? Mais parce que l’opposition à la chasse est en France majoritaire, et qu’il est grand temps de la rendre visible. L’association que je préside, la Convention Vie et Nature (CVN, www.ecologie-radicale.org) a commandé à la Sofres, en janvier 2011 un sondage. La question posée était celle-ci : « Êtes-vous plutôt favorable à ce que l’animal sauvage bénéficie, comme l’animal domestique, de la protection légale contre les actes de cruauté et les mauvais traitements ? ». 87 % ont répondu oui, et 7 % non. C’est écrasant ! C’est formidable ! Et pourtant, rien ne bouge.

Justement. J’allais vous dire : rien ne change. Vous avez l’explication ?

L’évidence, c’est qu’il y a divorce entre l’opinion publique et la classe politique. Cette dernière se sent obligée de s’agenouiller devant les fédérations de chasse, et tous les deux ou trois ans, les députés votent une nouvelle loi chasse pour faire plaisir au lobby. Franchement ! Certes, nous n’avons pas la puissance matérielle, la puissance financière des chasseurs. Eux, quand ils organisent une manifestation importante, ils louent des cars et font monter les leurs par dizaines de milliers. J’en sais quelque chose, car le 25 février 1989, au cours d’une grande manifestation du parti de l’extrême-chasse CPNT dans les rues de Périgueux, où je travaille, j’ai été pendu en effigie. Seulement, moi, je suis fier d’avoir essuyé leurs injures.

> Pour la manifestation que nous organisons le 21 septembre, nous n’avons pas un sou. CVN ne touche pas un euro de l’État, et je sais des sympathisants qui viendront à leurs frais de province, alors qu’ils sont aux minimums sociaux. C’est à ce prix, élevé, que nous entendons donner enfin une visibilité à ceux qui, en France, refusent et condamnent la chasse.

Sérieusement, vous la voyez venir, la fin de la chasse ?

Tout a une fin. Les combats de gladiateurs, les bûchers, le bagne, l’esclavage appartiennent au passé. Beaucoup, qui sont victimes du syndrome de la faiblesse, croient que la chasse est forte. C’est une illusion ! Je me suis battu des années – au passage, je salue la vaillance d’Allain Bougrain-Dubourg – contre la chasse à la tourterelle dans le Médoc. Tout le monde craignait une jacquerie, avec des incidents graves à la clé, en cas d’action de l’État. Il aura suffi de la dissolution du « comité tourterelles » des braconniers et d’une action judiciaire enfin concrète pour faire disparaître le problème.

>Tout l’édifice repose sur deux pieds vermoulus. Un, les fédérations de chasse sont les héritières directes de structures corporatistes créées par Pétain le 28 juin 1941, les sociétés départementales de chasseurs. Deux, les décideurs entretiennent la vision bucolique et passéiste d’une France qui n’existe pas.

La chasse est peut-être moribonde, mais elle bouge encore…

Les chasseurs étaient 2 millions 400 000 en 1975, ils ne sont plus qu’1 million 200 000, et encore ! car on compte les cartes distribuées et certains peuvent en avoir une départementale et une nationale. Le monde de la chasse se comporte comme une Bastille assiégée, comme si elle était à l’abri d’une ligne Maginot imprenable. Alors que l’Europe se dirige doucement vers l’abolition, la France s’obstine. Or il n’est plus possible que moins de 2 % de la population s’octroie des droits pareils sur la faune sauvage et le territoire national tout entier. C’est un déni de démocratie. Et n’oublions pas la question éthique : a-t-on le droit de tuer un être sensible pour se distraire ? Ma réponse est : NON.

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L’été des vautours anthropophages
C’est le bordel. Les paysans ont foutu le camp, des millions d’hectares retournent à la friche, le loup revient, les chasseurs sont de moins en moins nombreux. Et comme ils ont, par des pratiques comme l’agrainage, multiplié sangliers et cochangliers – croisements avec les porcs domestiques – les voilà dépassés. Ils n’arrivent même plus à tenir leurs plans de chasse départementaux. Les pauvres.

C’est dans ce contexte déprimé que l’été a passé. Mal, du moins pour les animaux. Les chasseurs les plus foldingues inventent chaque jour de nouveaux scénarios destinés à justifier leurs tueries contre le Loup, revenu d’Italie il y a vingt ans, ou l’ours, réintroduit dans les Pyrénées centrales à partir de 1996.

Mais les délires les plus inventifs concernent le Vautour. Il y en a quelques centaines en France, et c’est déjà trop. Des Alpes aux Pyrénées, passant par le Massif central, la presse régionale, chauffée par les fédérations de chasse, rapporte des faits-divers fantastiques. Ici, une randonneuse achevée par des vautours dans un ravin des Pyrénées-Atlantiques. Là des génisses en pleine forme attaquées par des escadrilles de vautours en folie. Genre : « Une génisse en pension au lieu-dit Fondorsol a été attaquée par une cinquantaine de vautours. Ces derniers ont réussi à (…) se jeter sur l’animal âgé de deux ans. Des vététistes passant à proximité n’ont rien pu faire ».

C’est le retour des chouettes clouées sur la porte des granges. En réalité, les vautours sont des nécrophages, et leur conformation physique les empêcherait de devenir des prédateurs, même s’ils en avaient envie. Variante à propos des blaireaux, accusés désormais de bouffer le maïs des gentils cultivateurs. Dans La République des Pyrénées du 29 août dernier, un « lieutenant en louveterie » s’est reconverti dans la chasse au blaireau : « Je viens d’en avoir trois, il a fallu creuser à plus de quatre mètres et ils m’ont esquinté deux chiens ».

Même les cerfs s’y mettent. En Haute-Saône, un chasseur émérite a été éperonné le 8 septembre par un cerf psychopathe. Commentaire éclairé de L’Est Républicain : « Le chasseur présentait une plaie de quelque 10 cm à la gorge, “à quelques millimètres de la carotide”, commente encore sous le choc, Serge Garnier ». Salauds de bêtes.