Archives de catégorie : Animaux

Une vache et son veau dans le moteur (une innovation)

Publié dans Charlie-Hebdo le 28 novembre 2012

Intermarché et l’équarrisseur Saria, après copulation, construisent une usine pour transformer des restes d’animaux en carburant automobile. 

Le premier qui dit : « Ho, hé ! c’est quand même pas Soleil vert ! » gagne un grand verre de Viandox, cette belle boisson pleine de bidoche. Rappel utile : dans le film Soleil Vert, sorti en 1973, la multinationale Soylent distribue aux affamés chroniques de New York un aliment de synthèse fait à partir d’algues. Surprise :  il n’y a plus d’algues, en réalité, et le Soleil vert est une mixture à base de macchabs. Les morts nourrissent les (sur)vivants.

On n’en est pas là, car la France est un beau pays, rempli d’humanistes et de philosophes. La preuve instantanée par Saria, une boîte de 4 000 salariés, dont 1 400 en France. Que fait Saria pendant que les braves gens regardent Jean-Pierre Pernaut ? Eh ben, elle récupère chaque année une grande part des 3 millions de tonnes de restes d’animaux venus des abattoirs ou de carcasses trouvées sur la route. Grâce aux petites mains de Saria, le tout se change en engrais, médicaments, aliments pour d’autres animaux, produits sanguins, farines animales.

Oui, ces farines animales qu’on a finies par cramer dans des fours de cimenteries par peur de la vache folle, c’était Saria, grand pro de l’équarrissage. En mai 2 000, un inspecteur du travail visite l’usine Saria de Guer, dans le Morbihan, et note sobrement en reluquant la fosse où s’entassent des morceaux de bêtes : « L’atmosphère viciée comporte un risque sérieux pour la sécurité des travailleurs, le fond est couvert par une boue infecte sur plusieurs dizaines de centimètres d’épaisseur ». À l’époque, l’usine de Guer est gentiment appelée, dans les environs, « la petite boutique des horreurs ». Mais depuis, l’eau rouge sang a coulé sous les ponts, et Saria ne cesse d’inventer de nouveaux marchés. Toujours à partir des cadavres obligeamment fournis par les abattoirs. Dernière trouvaille : les biocarburants.

Saria, qui est loin d’être con, a créé une filiale commune avec Intermarché, qui s’appelle Écomotion. On ne présente plus Les Mousquetaires, leurs 1 783 magasins (en 2010) et leurs « idées fraîches contre la vie chère ». Parmi ses publicités, la vente à prix coûtant, dans les stations-service de la marque, de l’essence SP95-E10. Lequel carburant contient 10 % d’un biocarburant d’origine végétale. Mais pourquoi se contenter de blé ou de colza ou de betterave, alors qu’on peut rouler au veau, à sa mère, au cochon rose, à la charpie de coq et de poule ?

Voilà l’idée. Écomotion a investi 40 millions d’euros dans une usine sans aucun précédent, qui devrait ouvrir en 2013 sur la zone portuaire du Havre. Dans ce lieu idyllique, et chaque année, 75 000 tonnes de graisses animales deviendront, après une opération appelée « transestérification », un excellent biocarburant qu’Intermarché vendra directement à ses clients venus lui acheter des saucisses et du boudin.

L’avantage de cette technique, comme dit Michel Ortega, ponte d’Intermarché, c’est qu’elle « réduira la compétition agricole entre nourriture et carburant ». Ce mec est sublime, et sait ce que propagande veut dire. Les biocarburants actuels, qui proviennent de plantes alimentaires, affament des millions de gueux, comme le répètent depuis des années l’ONU, la FAO et jusqu’au FMI. Avec les philanthropes de la Saria, on aura deux saloperies pour le prix d’une. Le maïs, l’huile de palme, la canne à sucre, le manioc, le blé, le colza continueront bien entendu à donner du jus pour la bagnole, mais les animaux aussi.

Sans rire, ne s’agit-il pas d’une rupture mentale, morale, anthropologique ? Au temps lointain des supposés Barbares, les animaux d’élevage étaient considérés comme des dieux. Le taureau Hap de l’Égypte des Pharaons, qui deviendrait Apis chez les Grecs, était un personnage plus vivant, et un brin plus respecté que les morceaux de bidoche que nos marchands veulent transformer en SP95.

Avis aux oublieux : la chaîne d’assemblage des bagnoles – Assembly Line – a été mise au point par Henry Ford en 1908. Mais l’idée de départ appartient à l’ingénieur William Klann, qui visitant les abattoirs de Chicago en 1906, aurait déclaré : « If they can kill pigs and cows that way, we can build cars that way ».  Dans une fulgurance, Klann avait compris que ce qui était découpé en morceaux – la Disassembly line des abattoirs – pouvait, en inversant le processus, être réuni pièce par pièce dans un atelier automobile. Autrement dit, l’industrie de masse, le taylorisme, les Temps Modernes viennent de l’imaginaire du grand massacre des animaux. Les biocarburants tirés des graisses animales pourraient annoncer de nouvelles aventures. On a le droit de dégueuler.

La seconde mort du loup (remake)

Paru dans Charlie-Hebdo du 5 décembre 2012

Revenu par miracle en France après 70 ans de disparition forcée, le loup déchaîne à nouveau les plus beaux esprits de chez nous. Gaymard, Ciotti, Luca, Chevènement, Hue veulent lui faire la peau.

Pas contentes du tout. Dans une rare unanimité, onze associations – du WWF à la LPO, de France Nature Environnement à Ferus, de l’Aspas à Mille Traces – prennent la défense du loup. D’accord, sous la forme d’une pétition un rien faiblarde (1), mais quand même. Tout indique en effet qu’une coalition de tueurs se met en place, qui ne rêve que d’une chose : éradiquer une seconde fois, en France, cet animal maudit.

Résumons à très grands traits. Le loup est ici chez lui, depuis un poil plus longtemps que le chasseur. On a retrouvé le fossile d’un Leptocyon shermanensis – l’un des ancêtres – vieux de 7 millions d’années sur le territoire de l’Espagne actuelle. Dans la France historique, il était partout, jusqu’à la pointe du Raz. On pense qu’il pouvait rester 20 000 loups chez nous au moment de la Révolution française. Qui croquaient certes des brebis, et à l’occasion un petit berger ou un grand malade. Charlie ne prétend pas que le partage de l’espace est une affaire simple.

Par bonheur pour l’ordre humain, tout était fini autour de 1925, grâce à la strychnine, aux primes d’État et au fusil. Pendant près de 70 ans, calme plat dans les sous-bois : le loup est mort et la paix règne dans la société. Et puis ce connard revient sans prévenir, naturellement, depuis les monts Apennins d’Italie. En 1992, on en voit deux dans le Mercantour, au-dessus de Nice. Et comme une absurde Convention dite de Berne protège ce sauvage, il ne cesse depuis de réoccuper ses territoires historiques. D’abord l’arc alpin, puis les Cévennes via la vallée du Rhône, par franchissement du fleuve, de l’autoroute et de la ligne TGV, et jusqu’aux Pyrénées catalanes. Combien sont-ils à vagabonder sans Dieu ni maître ? Environ 250. 100 fois moins qu’il y a deux siècles. Mais la haine est plus forte que la raison.

Depuis 20 ans, les nouveaux éradicateurs ne cessent de marquer des points. Et cet automne marque à l’évidence un tournant. Premier avertissement le 10 octobre : une brochette de belles personnes dépose une proposition de loi à l’Assemblée nationale. Gaymard – viré du gouvernement en 2005 pour cause de duplex de 600 m2 -, Ciotti – noble député UMP des Alpes-Maritimes –, Luca – idem -, Lassalle – vieux pote de Bayrou – veulent « autoriser les éleveurs à tirer sur tout loup menaçant leurs élevages, cette autorisation s’appliquant également dans les cœurs des parcs nationaux ». Une précision : le cœur des parcs nationaux est le seul vrai sanctuaire pour la faune et la flore sauvages. Jusqu’ici, ces minuscules territoires ont été à l’abri de la destruction.

Le 19 octobre, la gauche de salon tente de reprendre l’initiative. Son Excellence Chevènement signe au Sénat, en compagnie du célèbre rocker Robert – Bob- Hue, une autre proposition de loi visant « à autoriser l’abattage des loups dans des zones d’exclusion à créer ». Comme à la parade, le conseil d’administration du parc national des Cévennes embraye le 19 octobre et déclare sans rire que le loup n’est pas compatible avec la biodiversité réclamant de le buter sur la totalité de son territoire. À quoi Raymond Faure, historique de la protection de la nature, répond, ouvertement effondré : « Si les grands prédateurs – loup, ours, lynx – n’ont pas leur place au cœur des Parcs Nationaux, à quoi ces derniers servent-ils ? ».

C’est la bonne question, et la réponse est aux abonnés absents. Notre grand Jean-Marc Ayrault a bien d’autres chats à fouetter, et pas seulement à Notre-Dame-des-Landes. Le Premier ministre a reçu le 8 novembre les Nemrod de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) et a promis d’en faire des « partenaires » dans la « gestion de la biodiversité ». Au même titre que les associations de protection de la nature ? Affirmatif.

Le reste n’est que babillage et entubage. Officiellement, la ministre de l’Écologie Delphine Batho peaufine un « nouveau plan d’action sur le loup », qui devrait être connu début 2013. En effet, fils, c’est du Belge.

(1) Entre autres sur : www.ferus.fr

Le loup comme plaque sensible (une triste leçon de choses)

Je connais bien deux des responsables de l’Aspas, Pierre Athanaze et Marc Giraud. Je les aime tous les deux. Le communiqué que leur association a publié ces derniers jours n’appelle qu’un commentaire. Une digue est en train de céder. Les ennemis du loup se sentent autorisés à parler plus fort, à hurler plus fort, à frapper plus fort. Je ne juge pas l’éleveur mis en cause ci-dessous. On verra bien la suite. Mais une chose est certaine : le climat général a changé. Il va falloir en tenir compte.

ASPAS Nature

ASPAS : Association pour la Protection des Animaux Sauvages

2 agents de l’État violemment agressés par un éleveur de moutons

Les anti-loups se mettent à mordre

L’impunité accordée à certains éleveurs de moutons a encouragé l’un d’eux à des voies de faits particulièrement violentes sur des agents de l’État venus, à sa demande, réaliser une expertise suite à une attaque sur son troupeau. Après un soutien inconditionnel de quelques élus, des dizaines d’autorisations de tirs de loups octroyées par les préfets, l’appel au braconnage des loups lancé par un député européen, on assiste maintenant à une recrudescence de violences de plus en plus fortes provenant d’une partie des acteurs de la filière ovine. Curieusement, l’affaire est restée sous silence.

Le 8 août, sur la commune de Villeneuve d’Entraunes (06), trois agents du Parc National du Mercantour qui réalisaient une expertise suite à une attaque de canidé sur un troupeau de moutons, ont été violements agressés par l’éleveur propriétaire du troupeau qui pourtant avait fait appel à eux. Un agent a reçu un coup de tête et des coups de manche de pioche, l’autre a reçu des soins nécessitant des points de suture à la mâchoire.

Si une enquête est bien en cours, l’ASPAS s’étonne du mutisme total qui entoure cette affaire pourtant très grave. Alors que chaque agression envers des policiers ou gendarmes fait l’objet d’une très forte médiatisation, il semblerait que le silence total soit de rigueur lorsqu’il s’agit d’agents de Parcs Nationaux, qui ont pourtant pour mission, entre autre, d’assurer la police de la nature. À moins qu’il ne s’agisse là de la démonstration d’une impunité totale donnée à certaines catégories socioprofessionnelles, au détriment de la protection des agents de l’État et de la préservation de la nature…

L’ASPAS en appelle au ministère de l’Écologie pour condamner très fermement de tels actes, réaffirmer son soutien aux personnels de ses établissement publics, remettre un peu d’ordre dans le dossier du loup qui depuis ces dernières années lui a complètement échappé : plus de 80 autorisations de tirs de loups ont été délivrées cette année par les préfets !

Il n’est plus admissible que le loup continue de servir de bouc émissaire à la crise que traverse la filière ovine. L’ASPAS demande non seulement une réelle prise en compte de la biodiversité dans les politiques publiques, mais également que l’on sorte enfin de cette « crise du loup et du pastoralisme » qui ne pourra se faire que par une généralisation des mesures de protection des troupeaux. Seule la cohabitation « intelligente » permettra la pérennité d’un élevage extensif de qualité. Le tir d’un ou de plusieurs loups n’a jamais, dans aucun pays, permis de protéger durablement les troupeaux. Entretenir cette croyance est totalement irresponsable. L’avenir de la faune sauvage et des activités économiques traditionnelles ne peut se faire avec de telles gesticulations.

Faute de quoi, les violences comme celles du 8 août se généraliseront sans que la filière ovine ne sorte de la crise, sans que les services de l’État ne puissent assurer leur mission, et sans que la protection de la nature ne puisse sortir des discours auxquels plus personne ne croit.

José Bové et le Loup (nous tous et la Bête)

Commençons par le commencement : je tiens José Bové pour un ami. Pas un ami de tous les jours, mais un ami, certes. On n’est pas obligé d’être d’accord avec un ami. On peut même s’opposer à lui de toutes sortes de manières. Moi, je ne partage pas les vues de José sur la marche du monde. Il le sait. Je le redis. Ce qui ne m’a pas empêché d’aller le trouver quand j’ai entendu parler des gaz de schiste, il y a environ deux ans. Je savais que José ferait le considérable travail de mettre au jour la question. Et qu’il entraînerait. Qu’il se battrait. Il l’a fait, d’une splendide manière. On ne saura jamais ce qui se serait passé sans lui. On sait ce qui est arrivé. Avec lui. Et tous les autres, cela va sans dire.

Bon, le Loup. Il y en avait sans doute 20 000 en France il y a 250 ans. Il y en aurait autour de 200, après un retour époustouflant réussi au début des années 90. José Bové a déclaré en Lozère, voici quelques jours, que la présence du Loup était incompatible avec l’élevage. Son argumentation (ici) est simple : « Voulons-nous encore des paysans, voulons-nous encore des bergers ? Nous, sur le Larzac, on a eu un loup il y a quelques années, eh bien on a retrouvé quelque temps après son squelette sur un clapas, et c’est très bien comme cela ». Je ne crois pas le caricaturer en ajoutant qu’il a une solution toute prête pour faire face à la présence du Loup : le flingue. C’est ainsi déjà, par une combinaison efficace du fusil et de la strychnine, que le Loup a disparu de France à la fin des années 20 du siècle écoulé. Après une présence sur le territoire de la France actuelle probablement bien plus longue que l’homme lui-même. On pense que les Loups d’aujourd’hui existent depuis environ 1,8 million d’années et que le mammifère d’où il provient a pu naître voici 50 millions d’années.

C’est dans ce cadre-là, me semble-t-il, qu’il faut poser la question du Loup en France. La confrontation spatiale, alimentaire, physique, psychique entre le Loup et nous est une très vieille histoire. Suivre Bové signifie sans détour continuer sur le chemin qui a toujours été le nôtre. L’homme, ayant des droits supérieurs inaliénables, ne peut supporter, ni subir, la concurrence d’un être qu’il peut réduire, puis exterminer. Ce qu’il a fait, il le refera. Et tout sera pour le mieux « dans le meilleur des mondes possibles ». Sans Loups bien sûr, mais aussi sans Ours ni Lynx, car ils posent au fond les mêmes problèmes. Donc, sans ces sales bêtes.

Mais bien entendu, José Bové étant pour l’égalité entre les êtres humains, le raisonnement s’applique aux autres contrées du monde. Il va de soi que les paysans africains, déjà accablés par tous les malheurs qu’on sait, ne sauraient tolérer bien plus longtemps la présence de monstres de plusieurs tonnes capables d’écraser une récolte en une seule parade. Les Éléphants, oui, on les avait reconnus. Il faudra aller les regarder au zoo. Ne parlons pas des tigres mangeurs d’homme, qui n’ont désormais d’autre utilité que de fournir aux bande-mou de Chine et d’ailleurs des aphrodisiaques garantis par le charlatan du quartier. Le Tigre étant devenu si rare qu’il va réellement disparaître, eh bien, comme on a commencé à le faire, les trafiquants tueront les panthères – des neiges, par exemple – ou les chats-léopards. Ces malins disent déjà que l’effet est le même. Le gras soigne la lèpre. L’os la fatigue. Les poils de la moustache les rages de dents. Les globes oculaires l’épilepsie. Et, last but not least, la soupe de pénis fait mieux encore que les comprimés bleus du Viagra.

On en a donc fini avec une flopée de salopards, mais vous savez comme moi que la liste s’allonge à mesure que les animaux meurent. L’aileron de requin vaut une fortune, pour les mêmes glorieuses raisons. Le shark finning consiste à pêcher un requin, découper son aileron et rejeter en mer l’animal encore vivant, qui crèvera entre deux eaux. L’aile sera ensuite transformée en soupe plus ou moins miraculeuse, non sans avoir élégamment enrichi les intermédiaires au passage. On se consolera en pensant que le requin est un vilain, qui vient de tuer un surfeur à La Réunion. N’est-il pas juste, dans ces conditions, de massacrer des dizaines de millions de ces assassins chaque année par shark finning ? Sous leur forme actuelle, la plupart des Requins ont 100 millions d’années d’existence. Ils étaient là quand nous n’étions qu’une vague possibilité de l’évolution.

Mais stop, vous compléterez la liste vous même. L’Homme ne tolère rien d’autre que lui-même, et lui-même de moins en moins bien. On verra le résultat. Quoi qu’il en soit, les déclarations de José Bové montrent à quel point une grande partie des altermondialistes ne sont pas des écologistes. Je rappelle – c’est en tout cas mon point de vue – qu’un écologiste tente de regarder le tout et sa complexité. La planète telle qu’elle est et telle qu’elle va, l’Homme bien sûr, mais aussi tous les êtres vivants qui partagent avec lui le même territoire. Compte-tenu de la puissance de feu de notre espèce, il me semble évident qu’il faut passer de toute urgence à cette révolution copernicienne qui consisterait à écrire enfin une Déclaration universelle des devoirs de l’Homme. J’ose affirmer, bien que profondément humaniste, que la défense des droits de l’Homme, ô combien nécessaire, ne peut plus servir de paravent à la destruction du monde. Face au vertigineux mystère de la vie sur Terre, je clame que nous avons l’impératif catégorique de défendre, au nom d’une morale transcendante, toutes les formes de vie existant encore. Quelles qu’elles soient. Où qu’elles soient.

Telle est la base. Telle devrait être la base de toute discussion. Ne vivons-nous pas la sixième crise d’extinction des espèces ? Il y a consensus mondial sur le sujet : jamais depuis au moins 65 millions d’années, date de la fin du Crétacé et des dinosaures, la vie n’a été à ce point menacée. Et, apparemment, jamais au rythme actuel de la disparition d’espèces qui ne demandent qu’à vivre, et qui meurent pour satisfaire nos démentiels appétits. Dans le même temps, de dérisoires politiciens nous abreuvent de dérisoires discours où ils blablatent sur la biodiversité, l’ardente obligation où nous sommes, etc. Et dans le même temps, donc, José Bové – qui n’est pas à mes yeux un dérisoire politicien – tranche une question réellement essentielle en ne considérant qu’une de ses infimes facettes. Le Loup n’aurait pas sa place en France pour la raison qu’il gêne les activités d’élevage.

C’est simplement déprimant. Car les vrais défenseurs du Loup, de l’Ours et du Lynx, dont je connais beaucoup d’acteurs de premier plan, autour de Ferus (ici) ou de France Nature Environnement (ici) n’ont jamais prétendu que le sujet était facile. Jamais ils n’ont exprimé la moindre once de mépris pour les éleveurs. Tout au contraire, ils ont constamment cherché les moyens d’une cohabitation, inévitablement difficile. Laquelle passe assurément par une mobilisation sociale, le déblocage de vrais moyens qui restent à notre portée, et la reconnaissance de tous les faits, aussi embêtants soient-ils. Oui, le Loup est un animal très dérangeant pour les activités pastorales. Non, il ne peut – hélas – se réinstaller partout où ses pas anarchistes le mènent. Mais oui, nous avons l’impérieux devoir de l’accueillir ici et de lui faire partout où c’est possible bon accueil. Il a toute sa place dans quantités de lieux où l’Homme est désormais en recul.

En effet, par un paradoxe qui me réjouit, une partie de la France s’ensauvage. La déprise agricole, la disparition de millions de paysans – que je déplore – ont rendu à la friche, à l’embuissonnement, à la forêt des millions d’hectares. Le territoire existe donc, bel et bien, pour une formidable politique en faveur de la biodiversité. Ne devons-nous pas, nous qui sommes farcis d’argent et de moyens matériels, montrer l’exemple aux sociétés du Sud, qui se débattent au milieu d’infinies difficultés ? Ne devons-nous pas montrer qu’il est une voie, aussi étroite qu’elle soit, pour l’Homme et l’ensemble de la création, et l’ensemble des créatures ? Il est évident, je répète : évident, que si nous ne défendons pas de toutes nos forces le Loup en France, il deviendra ridicule de prétendre sauver quelque animal que ce soit ailleurs.

Les mots terribles prononcés par José Bové tournent le dos à tout débat authentique. On répond à la question avant qu’elle ne puisse être exposée. Avant qu’elle soit discutée. Il crève les yeux que nous ne pouvons pas tous avoir le même point de vue. Il crève les yeux qu’un compromis intellectuel, moral, spatial pour finir, doit être recherché. Et trouvé. José Bové parle les accents de la guerre à l’autre, quand il s’agit de tracer le chemin d’une paix durable, honorable, heureuse même. J’ai oublié un point très important : le Loup est revenu spontanément chez nous il y a vingt ans, après être parti de ses refuges des monts Apennins, en Italie, où il n’a jamais été exterminé. Je considère cet événement comme un cadeau des cieux. Une chance inouïe de nous montrer un peu, tout petit peu meilleurs que n’ont été nos ancêtres.

La civilisation, si ce mot garde un sens, consiste à croire qu’on peut faire mieux que ce qui déjà été réalisé. De ce point de vue, le Loup, ce grand sauvage, est un formidable civilisateur. Et l’homme au fusil un simple barbare de plus dans une histoire qui les collectionne.

Pascal Canfin, nouveau ministre, face à un putain de barrage

Ne quittez pas de suite cette page, même si le préambule vous paraît long. Je vais bel et bien parler de Pascal Canfin, dirigeant d’Europe Écologie – Les Verts, devenu depuis peu ministre délégué en charge du « développement ». Mais patience, car je dois avant toute chose vous parler de la vallée de l’Omo, en Éthiopie. Je doute que beaucoup d’entre vous connaissent ce lieu, qu’il me faut donc présenter en quelques mots. L’Omo est une rivière, qui coule le long de 760 kilomètres depuis ses sources situées au sud-ouest d’Addis-Abeba, la capitale. La ville est installée sur un haut-plateau dont l’altitude varie de 2300 à 2600 mètres. L’Omo, après avoir taillé sa route là-haut, descend par une vallée sublime qui s’achève en delta dans le lac Turkana, qu’on a longtemps appelé Rudolf. Je laisse aux spécialistes le soin de dire si une rivière se jetant dans un lac est aussi un fleuve.

Cette partie inférieure de la vallée de l’Omo se trouve aux portes du Kenya – le lac Turkana est pour l’essentiel sur son territoire -, très près de cette Rift Valley – la vallée du Rift – où l’aventure humaine a connu de saisissants mouvements. On a découvert ici de nombreux fossiles humains, dont certains d’Homo abilis, un ancêtre qui pourrait bien avoir inventé l’outil. Mais il n’y a pas que les morts, dans cette vallée basse de l’Omo. Il y a les vivants, les survivants du terrifiant développement imposé au monde entier. Huit peuples au moins, 200 000 personnes peut-être, vivent le long de l’Omo. Qui est paradoxalement une zone semi-aride. L’eau est tout.

Les Bodi, les Daasanach, les Karo, les Muguji, les Mursi, les Nyangatom attendent tout des crues de l’Omo, en quoi ils ont raison (ici). Depuis des temps plus anciens qu’internet, ces peuples cohabitent avec la rivière, qui dépose sur ses rives un limon qui apporte, après travail, du sorgho, du maïs, des haricots, et quelques pâturages pour les bêtes. La biodiversité autre qu’humaine ? Ce territoire à peu près unique abrite 300 espèces d’oiseaux, 80 espèces de gros mammifères, sert de refuge aux lions, aux rhinos, aux éléphants, aux chimps, aux buffles, aux léopards, aux girafes. Merde, croyez bien que je n’en rajoute pas.

Mais il y a Addis. Où, comme partout ailleurs dans le Sud de ce monde malade, trône une folle bureaucratie urbaine. Qui réclame les mêmes standards de vie que les nôtres. Qui connaît parfaitement la chanson du « développement » et des aides publiques déversées par la Banque Mondiale et tous ses clones. Ne croyez pas que l’Éthiopie est une vague province oubliée. C’est un immense pays qui compte chaque jour un peu plus. Un pays grand comme deux fois la France, et dont la population dépasse 90 millions d’habitants. 90 millions ! L’Éthiopie fera parler d’elle sous peu, et ce ne sera pas pour jouer de la mandoline. J’ajoute qu’un régime atroce, inspiré par l’expérience soviétique stalinienne, et longtemps soutenue en France par notre si bon parti communiste, a régné en Éthiopie de 1974 à 1990. On appelait cela le Derg – gouvernement militaire provisoire de l’Éthiopie socialiste -, puis la République populaire démocratique d’Éthiopie, le tout mené après 1977 par l’une des plus belles crapules du siècle passé, Mengistu Haïlé Mariam. Lequel, après avoir été chassé du pouvoir en 1991, s’est réfugié au Zimbabwe, où sévit Robert Mugabe, un autre salopard qualifié.

C’est dans ce pays éthiopien qu’ont été construits une dizaine de grands barrages, de manière à pouvoir gaspiller l’électricité comme EDF nous a appris à le faire à la maison. L’un d’eux devrait être achevé en 2014, qui s’appelle Gibe III, à environ 300 km au sud-ouest d’Addis. Comme son nom l’indique, il est le troisième. Le troisième d’une série de barrages édifiés sur l’Omo. Mais Gibe III appartient à une race différente, car lorsqu’il fonctionnera – s’il doit jamais fonctionner -, il sera le plus haut barrage hydro-électrique d’Afrique, et permettra en un coup de doubler la capacité électrique installée de toute l’Éthiopie (sur la base des chiffres de 2007).

Ce qui se passera à l’aval des 240 mètres de hauteur du mur de béton, on le devine. Mieux, on le sait. Des peuples entiers – si l’on considère qu’un peuple est aussi sa culture – mourront à jamais. Cette manière si singulière qu’ont les Daasanach ou les Muguji d’habiter le monde partira à la benne. La gigantesque benne à ordures où tout s’entasse à une vitesse désormais stupéfiante. Plus de crue, plus de vie. Plus de pâturages, plus de villages. Est-ce bien compliqué ?

Comme le chantier est avancé, il faut tenter de comprendre ce qui passe par la tête des demeurés habitant aujourd’hui les rives de l’Omo. Pardi ! pour eux, c’est la vie ou la mort. Tout le reste est insignifiance. En ce moment, au moment précis où j’écris ces mots qui se perdront à coup certain, des flics et des militaires éthiopiens ratissent hameaux et villages de la vallée de l’Omo. Sans témoins, ils tabassent, arrêtent et emprisonnent les récalcitrants, volent et tuent le bétail. Vont-ils plus loin ? Je n’en serais pas autrement étonné – je doute fort que CNN et TF1 envoient sur place des équipes rutilantes -, mais je n’en ai aucune preuve. Je me base sur une enquête de terrain d’une des ONG les plus respectées de la planète, Human Rights Watch (ici). Outre le gaspillage d’électricité, le barrage servira à irriguer 100 000 hectares de terres vendues par Addis à l’encan. À des transnationales étrangères, dans le but principal de cultiver la canne à sucre, plante de grand rapport. L’accaparement des terres, c’est-à-dire le vol, c’est cela : s’emparer de vastes surfaces par tous moyens étatiques, puis détourner l’eau, sans laquelle le pillage ne serait pas assez rentable.

Ce barrage coûte très cher. Évidemment. Si le gouvernement éthiopien devait le financer, il ne le pourrait. Et c’est pourquoi, dans sa grande sagesse industrialiste, il a fait affaire avec le club des Grands Destructeurs Associés de la planète, au premier rang desquels la Banque Mondiale. Cette merde globale est une merde globale. Mondialisée, je veux dire. Et je ne me lasserai jamais de rappeler que deux institutions clés de la destruction du monde ont été récemment dirigées par des socialistes français. Plus exactement, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) l’est encore : le socialiste Pascal Lamy, qui serait autrement ministre français, commande à cette association de malfaiteurs depuis 2005. Et M.Strauss-Kahn, qu’on ne présente plus, a dirigé le Fonds Monétaire International de 2007 jusqu’à ses menus soucis sexuels.

La Banque Mondiale est donc au centre de ce maudit barrage éthiopien. Et elle vient de débloquer 243 millions de dollars à l’Ethopie et 441 millions au Kenya pour réaliser le raccordement électrique de ce dernier pays au grand barrage en construction. C’est dégueulasse ? C’est au-delà des mots. Sauf que notre belle Agence française du développement (ici) est dans le coup, qui finance elle aussi ce que les promoteurs nomment « l’autoroute électrique ». Je n’ai pas le temps de détailler ce qu’a été, ce qu’est encore cette AFD, véritable bras armé de l’État français depuis sa naissance en 1941. L’AFD est indissociable de ce qu’on a nommé à juste titre la Françafrique.

Et c’est à cet instant que nous retrouvons Pascal Canfin, membre éminent d’Europe Écologie – les Verts, et nouveau ministre délégué, en charge du « développement ». Je ne connais pas cet homme, que des amis, qui l’ont fréquenté, présentent comme un garçon respectable. Je vais donc faire comme si, et lui adresser la lettre suivante :

» Eh bien, monsieur le ministre, vous voilà d’ores et déjà au pied du mur. Du barrage, si vous me permettez. Je sais, et vous savez mieux que moi que les attributions de votre ministère vous donnent la tutelle de l’Agence française du développement (ici). Ne présidez-vous pas le conseil d’orientation stratégique de cette institution ?

» Aussi bien, votre responsabilité personnelle concernant le barrage sur l’Omo est-elle immense. Certes, vous pouvez vous abriter derrière les décisions déjà prises, et prétendre qu’elles n’engagent vraiment que vos prédécesseurs. Vous le pouvez. Ce serait commode, ce serait aussi suicidaire. Car vous suivriez alors, inéluctablement, le sort de Jean-Pierre Cot, éphémère ministre de la Coopération de Mitterrand après 1981, congédié tel un domestique des temps passés pour avoir osé parler de la Françafrique. Ou, en plus dérisoire encore, celui de Jean-Marie Bockel, « exfiltré » en catastrophe de son poste de secrétaire d’État à la Coopération, en 2008, pour avoir déplu à MM.Bongo et Sassou-Nguesso.

» Faut-il, dans un autre registre, rappeler le sort ministériel funeste fait à votre camarade de parti Dominique Voynet ? Incapable d’œuvrer comme la ministre écologiste qu’elle prétendait être, elle restera dans la (très) modeste histoire récente comme celle qui fut incapable de trouver les mots justes après la marée noire de l’Érika. Vous pourriez bien, mutatis mutandis, vous retrouver rapidement dans une situation proche. En accompagnant une politique indigne et en tournant le dos au vrai changement, lequel vous mettrait forcément en danger. Dans le monde tel qu’il est, monsieur le ministre, celui qui s’oppose à la marche à l’abîme ne finit pas avec une retraite de ministre.

» Il est pour vous une autre voie que celle du déshonneur ou de la démission. Si cela vous semble nécessaire à votre carrière, eh bien assumez donc ce financement, au nom du passé. De la France, si vous préférez. Chargez au passage la barque de ces messieurs de la Sarkozie, qui ne sont plus à cela près. Mais aussi et surtout, dénoncez ! Mais ruez ! Mais criez sur tous les toits que l’aide de la France au barrage de l’Omo est en contradiction totale avec les valeurs qui sont les vôtres. Une forte parole de cette France que vous représentez aurait un effet direct, majeur, sur les autres bâilleurs de fonds, qui se tiennent tous par la barbichette. Dont la présence d’un seul entraîne et rassure tous les autres. En revanche, si par malheur vous deviez rester muet, que vous soyez alors maudit à tout jamais ! Car rien ne vous interdit de poser des limites. Rien ne vous empêche de dire à vos alliés socialistes et au pays que vous ne serez pas une potiche. Une déclaration ferme de solidarité avec les peuples de l’Omo vous vaudrait l’exécration des industrialistes et le soutien définitif de ceux, partout dans le monde, qui savent ce que cache le mot amer de « développement ».

» Arrivé à ce stade, monsieur le ministre, je dois avouer qu’il me vient un doute. Ayant lu certains de vos propos depuis votre nomination, je me demande avec inquiétude si vous avez seulement parcouru ce très grand livre : « Le développement : Histoire d’une croyance occidentale ». Dans cet ouvrage essentiel, Gilbert Rist montre comme l’histoire fait d’une idée une idéologie, puis une force matérielle. Tenez, je suis prêt à vous l’envoyer à mes frais. Que diable entendez-vous nous dire, lorsque vous écrivez (ici): « Vous l’avez noté : en remplaçant le terme Coopération au profit de celui de Développement, l’intitulé du Ministère qui m’a été confié par le Premier ministre est d’ores et déjà un marqueur du changement souhaité par le Président de la République. Un symbole qui révèle aussi la marque de la volonté politique qui anime le Gouvernement dans son ensemble ». Je me répète, pardonnez ma familiarité : il me semble que la lecture de Gilbert Rist s’impose.

» Monsieur le ministre, vous et vos conseillers pouvez bien entendu passer ces mots par pertes et profits. Et suivre la voie si naturelle de ceux qui tiennent le pouvoir, puis s’y accrochent. Il me semble qu’il serait plus noble de commencer par aller faire un tour dans la vallée de l’Omo. Un voyage ministériel auprès des Bodi, Daasanach, Karo, Muguji, Mursi, Nyangatom marquerait réellement le changement dont tout le monde se réclame sans jamais avoir à le prouver. Si le cœur vous en dit – sait-on jamais ? -, je suis tout prêt à vous accompagner. Et je suis on ne peut plus sérieux. Avec mes salutations écologistes,

Fabrice Nicolino

Dites-moi, vous croyez qu’il va répondre ?

PS : L’avocat William Bourdon apparaît comme un proche du nouveau pouvoir (ici). Fort bien.  Grand défenseur des droits de l’homme – c’est sans ironie -, créateur de l’association Sherpa, critique résolu de la mondialisation cannibale dont le barrage éthiopien est comme un étendard, Bourdon peut et doit évidemment défendre les peuples de l’Omo. Et démontrer du même coup qu’il se distingue de tous ceux qui, après 1981, ont oublié c e qu’ils prétendaient être, au motif que la gauche était au pouvoir. Je lui demande, je nous demande à tous un sursaut. Bas les pattes devant la rivière Omo ! Cela semble ridicule ? Ça l’est. Qui s’attaque à l’Everest avec une pelle en plastique est ridicule.