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Faut-il renoncer à la viande ? (un chat paru dans Le Monde)

Cela tombe excellemment bien, car j’ai de moins en moins de temps. Je vous mets ci-dessous le texte d’un chat – une discussion avec les internautes – organisé par le journal Le Monde, vendredi passé. Voilà comment ça se passe. Un journaliste vous appelle à l’heure prévue, au téléphone, et vous lit des questions d’internautes. Vous, vous causez dans l’appareil, en essayant de ne pas parler trop vite, car il y a quelqu’un, qui est d’ailleurs quelqu’une, qui tape à la vitesse du son vos réponses. Au bout d’une heure, c’est fini, et tant mieux, car vous avez envie de boire une bière. Le journaliste prépare pendant deux ou trois heures la discussion, qui est ensuite mise en ligne. Comme dans la version qui suit.

L’intégralité du débat avec Fabrice Nicolino, auteur de Bidoche, vendredi 28 janvier 2011

Auteur de « Bidoche », Fabrice Nicolino prépare actuellement un livre sur l’état du mouvement écologiste en France, à paraître en mars 2011 (éditions LLL).

François François : Qu’est-ce qui a changé depuis la sortie de votre livre « Bidoche », il y a un an ?
Fabrice Nicolino : Depuis, j’ai été frappé par le fait que les questions que je me posais dans le livre arrivaient au bon moment. Juste après, en décembre 2009, il y a eu le sommet sur le climat à Copenhague et on a vu à ce moment-là apparaitre un début d’opposition organisée à la surconsommation de viande, notamment au travers des déclarations de l’ancien Beatle Paul Mc Cartney et aussi au travers d’une déclaration symbolique de grève de la consommation de viande, lancée par une dizaine de personnalités françaises, dont les écologistes Jean-Paul Besset et Yves Cochet.

L’industrie de la viande a pris très au sérieux cette affaire. Il y a des documents internes que j’ai pu lire des industriels de la viande qui mettent en garde la profession. Ils semblent inquiets et certains estiment que ça pourrait être une menace plus grande que la crise de la vache folle il y a 20 ans.

DDE : Que pensez-vous du livre de Jonathan Safran Foer – Faut-il manger des animaux ? – N’est-il pas un peu extrême et trop « américain » dans sa pensée, ce qui rend ses arguments faciles à contrer par le lobby de la viande français ?

J’ai juste commencé à le lire, il est donc difficile d’en parler. La seule chose évidente c’est que c’est en effet un livre américain qui parle de l’Amérique, où les conditions de l’élevage sont un peu différentes de celles qu’on connait en Europe.

Lyly : La situation européenne diffère beaucoup de la situation américaine, donc ne devrait-on pas parler de ce qui cloche chez nous ? Agriculture intensive, utilisation de pesticides, etc

La différence entre les systèmes américains et européen est un différence de degré et non pas de nature. Je crois que le système industriel de la viande est largement un système planétaire. Même s’il n’existe pas en France des porcheries aussi géantes que dans certains Etats américains où peuvent être réunis plusieurs dizaines de milliers de porcs.

Ce qu’il faut retenir c’est que c’est un seule et même système. La région Bretagne en France est un lieu de très haute concentration de l’élevage industriel avec des centaines de « fermes » où sont traités – et mal traités – des millions d’animaux d’élevage, notamment les poulets et les porcs mais aussi à un degré moindre les bovins.

Jack : Concernant le bien-être animal, la France fait-elle figure de frein, notamment contre les réformes au niveau européen ?

Oui. La France freine des quatre fers. Pour résumer il y a une alliance historique en France qui date de l’après-guerre entre l’Etat, le ministère de l’agriculture, l’INRA, la grande industrie, des laboratoires et des scientifiques qui appartiennent, ou pas, à l’INRA. Il existe en France un modèle industriel de l’agriculture qui pour des raisons de rentabilités évidentes refuse de prendre en compte la question essentielle du bien-être animal, qu’on peut aussi formuler par la souffrance animale.

Il y a des scientifiques en France réputés qui travaillent directement avec l’industrie de la viande et qui par leurs travaux, souvent financés par l’industrie elle-même tentent de nier tous les problèmes liés à la souffrance des animaux.

Par exemple, la question symbolique du foie gras. C’est une institution dite gastronomique en France. On a pas le droit d’y toucher et il faut savoir que la France représente à elle plus de 90 % des exportations de foie gras. L’Union Européenne et ses experts, qui travaillent sur la question du bien-être animal ont établi à de nombreuses reprises l’extrême souffrance des canards et des oies chez lesquels on fabrique un foie malade qu’on appelle donc le foie gras.

Guest : On entend souvent qu’il est possible de se passer de viande. Pourtant, les alternatives semblent plutôt contraignantes au quotidien. Cela implique notamment d’avoir un régime alimentaire différent des autres et donc souvent très limité. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas végétarien. Je mange très peu de viande néanmoins. Ce que je sais c’est que manger nettement moins de viande est meilleur pour la santé humaine et ce que j’ai constaté au cours de mon travail c’est que les végétariens se portent très bien. Tous ceux avec qui j’ai pu parler disent qu’il est relativement facile de se passer de viande et de maintenir une excellente santé physique.

Don Diègue : Pour un homme ayant une activité sédentaire (bureau), y a-t-il une quantité de viande hebdomadaire recommandée par les nutritionnistes ?

Non. C’est un sujet très polémique car les industriels de la viande ont intérêt – et ont des moyens pour ça – à nous faire consommer beaucoup de viande. Dans le même temps il existe un très grand nombre d’études, parues dans les plus grandes revues scientifiques sur la planète, qui démontrent qu’en Occident, l’Europe en tête mais également dans un nombre croissant de pays émergents, le niveau de consommation de viande entraîne des problèmes de santé publique très graves. Il y a des peuves scientifiques qui montrent des liens entre une forte consommation de viande rouge et des maladies lourdes telles que les maladies cardio-vasculaires, certaines formes de cancers, l’obésité, le diabète…

Il y a l’étude du professeur Colin Campbell, considéré comme l’un des plus grands nutritionnistes vivants. Il a mené un étude sur un quart de siècle appelée l’étude chinoise, en relation donc avec les autorités chinoises. Il a comparé l’alimentation dans un canton chinois et aux Etats-Unis. Son résultat, c’est que les Chinois mangent essentiellement une nourriture végétale avec très peu de viande et les Américains au contraire beaucoup de produits carnés. Chez les chinois on trouve un certain nombre de maladies associées à la pauvreté (la tuberculose, des maladies respiratoires…) mais ils sont très largement à l’abri des maladies qu’on trouve chez les Américains. L’explication centrale serait le taux de cholestérol qui serait relié directement à la consommation de viande.

Ebene : N’y a t-il pas « quelque chose » de symbolique dans la viande ? Dès que l’on commence à en parler (même sans parler de végétarisme), le débat se ferme… C’est le mot réduction (qui passe pas mal pour le Co2) ou le mot viande ?

C’est vrai mais c’est parce que c’est aussi un débat anthropologique. Il plonge ses racines au plus profond de l’histoire humaine. Il faut comprendre qu’il y a un conpagnonnage entre l’homme et les animaux domestiques qui date de 10 000 ans. L’animal domestique a longtemps été divinisé. Des animaux comme la vache ont été considérés comme des dieux. C’est très profond.

L’animal avait un rôle éminent et puis il y a eu une rupture mentale et historique très importante au 17e siècle. C’est une date arbitraire mais à cette époque en France il y a eu un phénomène très important : le fameux discours de la méthode de Descartes. Descartes y parle des animaux et, pour la première fois à ma connaissance, un intellectuel écrit que les animaux sont des machines. Des machines très complexes mais des machines quand même. Descartes n’est évidemment pas responsable de tout ce qui a suivi mais c’est vrai que la vision mécanique des animaux les prive d’une âme. Il est fondateur d’une nouvelle vision des animaux qui elle va nous conduire à l’élevage industriel et d’une certaine façon, à la barbarie dans nos relations avec les animaux.

Henry delf : Les défenseurs des animaux français ne sont-ils pas condamnés à entendre des écolos et politiques français qu’ils ne sont pas des bons défenseurs des humains ? Que pensez-vous de leurs arguments selon lesquels on devrait renoncer à l’exploitation des animaux, comme on a mis fin à l’esclavagisme, au sexisme…

Je pense que l’élevage industriel et cette barbarie organisée contre les animaux ont des effets sur la psyché des humains. C’est faire sauter des digues dans les esprits des hommes. Exercer de la barbarie sur des animaux, c’est préparer le terrain à la barbarie contre les humains. Le parallèle avec l’esclavagisme ou le sexisme me paraît raisonnable. Au fond, quand on connait l’Histoire, on voit la façon dont les hommes ont nié le caratère d’homme aux esclaves. On se souvient des polémiques, lors de la conquête par les Espagnols de l’Amérique centrale, sur le fait de savoir si les Indiens avaient une âme. Cette polémique a éclatée car, si les Indiens étaient dotés d’une âme, alors on ne pouvait pas les surexploiter jusqu’à la mort comme ça a été le cas dans l’actuel Pérou avec les mines d’argent et les Incas. La même question a été posée aux hommes, en tant que genre, dans leur relation avec les femmes. En France, on a contesté le droit des femmes à voter jusqu’en 1946. C’est la même chose sous des formes différentes. Changer les animaux en machine c’est permettre de les traiter comme de la marchandise.

2514 : Si on suite votre raisonnement sur la barbarie, peut-on en conclure que les urbains sont définitivement plus évolués que les agriculteurs, tortionnaires d’animaux ?

Pour suivre ce raisonnement je dirais l’inverse. Nous déléguons l’élevage industriel et l’abattage des animaux à des gens dont nous ne voulons rien savoir. C’est vraiment « cachez ces abattoirs que nous ne saurions voir ». J’y vois la marque d’une hypocrisie sans nom qui m’indigne. Je pense qu’il faudrait au moins que tous les consommateurs de viande sachent la vérité sur l’élevage et l’abattage des animaux.

Robin : Pour vous, est-ce le fait de tuer et de manger les animaux qui est barbare, ou bien seulement l’élevage industriel ?

C’est une question ouverte qui est très importante mais sans réponse définitive. Je dirais que l’élevage industriel est globalement une barbarie et je suis pour sa disparition pure et simple. Maintenant la question de savoir si le fait de manger de la viande s’apparente à la barbarie, c’est devenu pour moi une question dont j’ignore la réponse.

G Said : La critique de la viande a-t-elle le moindre relais parmi les politiques français ? Droite et gauche sont-ils différents ? Trouvez vous aussi que les écolos continuent de ne pas aller sur ce terrain, pourtant intéressant, et snobent les défenseurs des animaux ?

Oui, la classe politique française en général récuse toute interrogation sur le sort des animaux. Droite et gauche confondus. Même dans les milieux de l’écologie politique tels qu’Europe Ecologie, à quelques exceptions près, personne ne s’intéresse à ces questions. D’abord par indifférence mais aussi par peur qu’on accuse ceux qui prendraient la défense des animaux de se désintéresser du sort des humains. Alors que les deux questions sont intimement liées.

Il y a quelques personnalités au Parlement, à droite comme à gauche, Yves Cochet par exemple, mais c’est rarissime. Il y a surtout des lobbies, tels que l’ « association des amis du cochon ». Qui cachent en fait une défense de l’élevage industriel. Ce qui domine c’est le soutien à l’élevage industriel sous toutes ses formes.

Sébastien : Le SNIV, le syndicat de l’industrie de la viande, a diffusé une lettre ouverte suite à la couverture des Inrocks sur le livre de Jonathan Safran Foer. Le SNIV en appelle au président Sarkozy pour venir défendre le modèle alimentaire français. Est-ce vraiment un modèle à suivre ?

C’est du pipeau. C’est une blague. C’est une pure propagande commerciale et industrielle. Il faut faire croire qu’il existe un modèle français raisonnable, gastronomique, pour maintenir les parts de marché de l’industrie française de la viande. C’est de la publicité.

En cuisine, il y a de plus en plus de chefs qui se tournent vers la viande biologique, qui certe coûte cher mais dont le cahier des charges impose un certain nombre de règles meilleures pour les animaux : des considérations de durée de la vie, l’espace accordé à l’animal, son alimentation, la possibilité d’être en extérieur et non pas enfermé dans des lieux sans lumière.

Tuer des animaux pour les manger c’est une choses, les maltraiter pendant la durée de leur vie sur terre c’en est une autre. De plus en plus de chefs donc se tournent vers ça mais aussi vers les plantes et l’alimentation végétale. C ‘est un phénomène de fond et non pas conjoncturel à mon avis.

Robin : Avec l’augmentation de pouvoir d’achat des Chinois et autres, le problème de l’élevage industriel risque de s’aggraver, non ? Ils veulent manger plus de viande. Mais pourquoi ?

C’est aussi une question très importante car le modèle alimentaire occidental et donc français basé sur une forte consommation de viande n’est pas un modèle généralisable. C’est impossible pour des raisons physiques et objectives.

Produire de la viande, sur le plan énergétique, c’est une folie. Pourquoi ? Parce que pour obtenir une calorie animale, il faut utiliser entre 7 et 9 calories végétales (le boeuf est celui qui nécessite le plus de calories – avec 9, le porc 7, le poulet descendant à 3 calories, selon un scientifique de l’Inra, ndlr) . L’animal est un très mauvais transformateur d’énergie. Il faut des quantité phénoménales de végétaux pour nourrir les animaux qui vont ensuite nous nourrir. En Europe et en France donc, 60 % des surfaces agricoles sont déjà utilisées pour les animaux. Soit sous la forme de paturage soit sous la forme de céréales pour les alimenter.

Les terres agricoles dans le monde sont limitées. On ne peut pas espérer augmenter massivement leur surface. Or dans un pays comme la Chine, sur fond d’hyper-croissance, il existe entre 150 et 200 millions de personnes qui disposent d’un pouvoir d’achat leur permettant de consommer de la viande. Quand on va aujourd’hui en Chine, et qu’on est invité à déjeuner par exemple dans une famille de la classe moyenne urbaine, il y asur la table, fatalement, entre 5 et 10 plats de viande car c’est un signe extérieur de richesse. Un signe de distinction sociale et c’est un mouvement qui semble irrépressible.

Seulement cela pose un problème insoluble. Personne ne sait où on pourra trouver les céréales qui permettraient de nourrir le bétail, chinois notamment. Pour cela, il faut importer des millions et des millions de tonnes de céréales qui font défaut au marché mondial actuel pour nourrir les humains.

Il y a de fait et de plus en plus une concurrence tragique entre l’obligation de nourrir les humains et l’envie de nourrir les animaux pour permettre à la fraction riche de l’humanité de consommer de la viande. On devra peut-être choisir entre nourrir les hommes ou les animaux.

Les loups sont entrés en Ariège (chanson)

D’abord cette précision : je n’écrirai rien sur Planète sans visa ces prochains jours. Probablement pendant une semaine. Les commentaires que vous pourriez faire en attendant seront bloqués dans la machine et il ne s’agira donc pas, à ce stade, d’un acte de censure ou d’indifférence. Il faudra patienter. Voilà ce que je nous souhaite à tous, voilà ce que j’espère vivement pour vous et pour nous : apprendre ou réapprendre l’art d’être patient. Sans oublier l’ardente obligation où nous sommes d’agir vite. C’est une contradiction ? Comme nous sommes à quelques jours d’une autre année, je me contenterai de dire : une tension. Une satanée tension. Une de plus. À très bientôt.

Un brave monsieur – je prends des cours de politesse – appelé Jean-Luc Fernandez, président de la Fédération des chasseurs de l’Ariège, est en colère (ici). Je ne pense pas qu’il l’aura deviné, mais il m’a distrait en cette fin d’après-midi de dimanche. Il m’aura même fait rire devant cet ordinateur, seul, à côté de ma fenêtre, qui ouvre sur la neige. Monsieur Jean-Luc crie au loup et annonce que ce monstre antédiluvien est revenu en Ariège, d’où les ancêtres l’avaient chassé à coups de fusil et de strychnine. Il est malin, Jean-Luc, on ne la lui fait pas. Il déclare notamment (ici) : « Je n’accuse personne. Seulement, nous les chasseurs, nous connaissons bien la nature. Et nous avons du mal à nous imaginer que des loups puissent venir aussi facilement qu’on nous le dit depuis les Alpes ou les Abruzzes, en passant par le Massif Central, comme on nous le raconte. Ainsi, pourquoi est-ce que nous avons des loups qui viennent d’Italie, alors que les loups espagnols eux, ne viennent pas ? ».

Plein de bon sens, hein ? Ben non. Je vous raconte en quelques phrases trop brèves, faute de temps. Le loup a été exterminé en France grâce aux Jean-Luc Fernandez d’antan et aux primes d’État. Le très probable, c’est qu’il n’y en avait plus un seul sur notre territoire à la fin des années 20 du siècle passé. Après une présence continue, ici même, pendant plus de temps que nous, les hommes. Il y en avait partout par milliers, en plaine, dans les prés, au bord des rivières et des mers, auprès des villes et villages bien plus tard. La civilisation ayant progressé comme jamais, il n’y en eut plus. Et les nobles humains vécurent enfin dans la paix retrouvée, préparant avec la gentillesse qu’on leur connaît Auschwitz, Treblinka et le Rwanda.

Il y a de cela dix ans, j’ai rencontré à Rome Luigi Boitani, un biologiste de réputation mondiale. Il est l’un des meilleurs connaisseurs du loup. En outre, et je ne sais pas comment il fait, mais c’est un type sympathique, qui force en vérité la sympathie. Il est vrai que j’étais dans de bonnes dispositions. Je revenais d’une virée dans le quartier de Trastevere, je ne sais pas si vous connaissez. Je m’éloigne, non ? Je n’ai pourtant pas le temps, pour de vrai.  Boitani m’avait raconté toute l’histoire. Soit une population résiduelle de loups, dans les Apennins  – une montagne d’Italie -, dont le nombre commence à augmenter vers 1975, à la suite de mesures de protection. Et qui fait ce que tous les groupes de loups ont toujours fait et qu’on nomme la dispersion. Des jeunes quittent la meute et font parfois des centaines de kilomètres pour conquérir de nouveaux territoires favorables. Cela marche, ou non.

Boitani, qui savait cela, avait prévenu les autorités françaises que le loup reviendrait tôt ou tard par les Alpes, ce qui s’est fait. Sa lettre doit être dans le coffre-fort d’un imbécile de l’administration, qui au lieu de la montrer, préfère que le fantasme sature la moindre discussion sur le sujet. On a vu le loup dans un vallon du massif du Mercantour en 1992, et depuis, il avance. Et c’est une merveille totale que d’assister à une telle poussée de la vie sur cette terre malmenée. Hourra ! Triple hourra ! Vive le loup ! Vive le loup libre ! Bienvenue à la maison, grand fou !

Des Alpes, il a franchi la vallée du Rhône, le fleuve, la ligne TGV, l’autoroute, puis gagné des parties des Cévennes, et même – les analyses ADN de poils et de crottes sont certaines – les Pyrénées catalanes dites françaises. L’Ariège est à deux pas. Il n’y a aucun mystère. Mais monsieur Fernandez, avec son gros fusil, a besoin de mystère et d’obscur complot pour passer à la télé et dénoncer ce scandale intolérable. Non pas que nos modes de consommation ont trucidé cette culture merveilleuse qu’est le pastoralisme, changeant les bergers en fonctionnaires additionnant les primes. Non pas. Mais plutôt que la police des forêts n’a pas encore abattu l’anarchiste, ce combattant anarchiste qui défie l’ordre et le monde. C’est de l’anthropomorphisme ? Je confirme. Pleinement.

Je suis à la fois pessimiste et optimiste. Une sale petite crapule vient de tuer un loup dans les Alpes avant de le coller dans un sac et de jeter le tout, lesté, dans un étang d’Isère (ici). Connard. Triste connard. Il n’est pas le premier, il ne sera pas le dernier. Ni le connard, ni le loup. Mais d’un autre côté, le retour miraculeux du loup nous donne une occasion unique de refonder nos relations avec ce qui nous échappe et ne nous appartiendra jamais. Je n’ai jamais dit et je n’ai jamais pensé que la présence d’animaux comme l’ours et le loup était facile à accepter. En France, en particulier, par je ne sais trop quelle singularité. Mais justement ! C’est précisément parce que c’est difficile, voire impossible, que c’est nécessaire et grandiose.

Notre rapport au sauvage doit changer. Maintenant. La mémoire ancienne de notre espèce – cet inconscient collectif qui nous vient de dizaines de milliers d’années de confrontation avec la bête -, pèse lourd. Très lourd. Monsieur Fernandez ne se doute pas, mais sa tête en est si pleine que, lorsqu’il se penche devant une caméra, il lui faut faire un héroïque effort pour se redresser. Oui, cette sinistre envie de flinguer tout ce qui dérange domine l’esprit. Mais nous n’avons d’autre choix que de miser sur la liberté, la beauté, la coexistence, la diversité. Ou nous sommes morts.

Les bouquetins sont des diablotins (vive la vie !)

Joelle m’envoie des photos époustouflantes, que je m’empresse de partager avec vous. Où sommes-nous ? Dans le Piémont italien, dans les Alpes. Le lac de Cingino, qui se trouve à 2250 mètres d’altitude, est de retenue. On a construit là-haut un barrage, qui ferme – mille fois hélas – une vallée sublime. Bon, il y a des compensations. La preuve.

Les bouquetins que vous admirerez sur les photos sont des animaux ordinaires qui font des choses extraordinaires. S’ils arrivent à monter sur ce mur vertical, c’est qu’ils disposent de sabots magiques, véritables chaussons d’escalade. Là où ils vont parfois, nul autre mammifère ne saurait les suivre. Sur les photos, ils lèchent le sel exsudé par la pierre. Pour assurer leur bien-être et leur santé.

Telle est l’une des raisons pour lesquelles j’aimerai toujours la vie. Et refuserai à jamais, je l’espère du moins, le désespoir. Une autre nouvelle – qui n’a rien à voir – m’a fait bondir d’enthousiasme il y a quelques jours. Comme vous savez sûrement, la Nasa américaine a découvert dans un lac (ici) une bactérie capable de remplacer dans la réplication de la vie le phosphore qui la constitue en partie par de l’arsenic. En 1977, le sous-marin Alvin avait déjà découvert à 2500 mètres de profondeur, des organismes utilisant la chimiosynthèse au lieu de la photosynthèse pour créer de la vie. Tout cela pour dire que nous vaincrons. Et si ce n’est pas nous, ce sera d’autres. La vie n’a pas fini de nous surprendre.

Gravity-defying: The goats clearly have a head for heights as they hoof it across the near-vertical wall of the damDon't look down: The goats have no fear of falling

La fulgurante avancée des ours d’Espagne

Posons-nous une seconde. La nouvelle est merveilleuse, simplement merveilleuse. Les ours de la cordillère cantabrique, au nord de l’Espagne, se portent au mieux. Un journal régional, La Nueva España (lire ici) écrit : « Los osos viven un auténtico «baby boom» en Asturias. Los guardas del Principado han identificado al menos 21 madres con un total de 43 oseznos, 12 más que el año pasado ». Je traduis par acquit de conscience : les gardes de la région ont identifié au moins 21 mères et 43 oursons. Un autre journal, El Diario de León (lire ici) note qu’à la surprise générale, les ours des monts Cantabriques ne seraient pas autour de 110 – en deux noyaux -, comme on le pensait, mais environ 170 !

170 ours dans les Cantabriques ! Et moins de 20 dans la totalité de la si vaste chaîne pyrénéenne ! On connaît le mot de Pascal dans Les Pensées : « Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».  En France, un ministère de l’Écologie déconsidéré refuse tout renfort de population ursine chez nous, condamnant la petite vingtaine d’ours à végéter, avant de mourir tôt ou tard. Cela, l’année de la biodiversité. Cela, l’année où Borloo aura à peu près tout tenté pour devenir Premier ministre de Sarkozy. Mais ce soir, pour une fois, on s’en fout, de leur nullité. Ce soir, pensons aux ours. Là-bas, de l’autre côté, ils vivent, et pour de vrai. C’est le bonheur.