Bernard m’envoie à l’instant un cadeau que je ne peux que partager avec vous. Trois indices. C’est fendard. C’est fendard. C’est fendard. Mais vous me direz. Il suffit de cliquer ici.
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Une halte au centre de l’Europe
Je ne peux rien dire de précis. Je ne dois pas. Ce serait profanation. Disons qu’il s’agit d’un projet magnifique mené par un naturaliste et un photographe, bientôt rejoints par un cinéaste. En plein cœur de notre vieille Europe. Là où sévissait encore, il y a vingt ans, la dictature stalinienne. En plein cœur, réellement. Commençons par le naturaliste, dont je ne sais rien, sinon qu’il aura passé des années et des années à arpenter une vallée perdue du nord de ce pays-là. Toutes les sentes, chaque trouée, le moindre recoin ont été explorés par ses soins. Dans cette montagne, car il s’agit d’une montagne, les saisons demeurent marquées. Le souffle du vent secoue les arbres et les bêtes. Le gel paralyse le brin. La neige recouvre les prairies et les pierres. Le monde est dans la beauté du monde.
Le projet, quel projet ? Le naturaliste a proposé au photographe, puis au cinéaste, de documenter la vie sauvage de cette vallée-là. Et cela donne un film d’environ 45 minutes, que j’ai eu l’immense bonheur de regarder trois fois grâce à Joelle, qui me l’a envoyé. Ce n’est pas trop, ce ne sera jamais assez. Ce que l’on voit est rassérénant. J’aime ce mot et son étymologie, qui renvoie à serein, lequel vient droit du latin serenus. Or serenus signifie pur et sans nuage. Autrement dit, ce qui rassérène ramène à la pureté d’un ciel sans nulle ombre. Et tel est l’état de mon esprit après avoir admiré la vie véritable, authentique et sauvage, de la vallée de T.
Il n’y a pas d’homme qui vive. Et je n’aurais pas l’hypocrisie de m’en plaindre. Je défends et défendrai jusqu’à ma fin un point de vue humain sur la crise écologique, qui inclue le combat contre les barbaries, les régressions, les dictatures. Mais nous avons tant besoin d’un ailleurs ! Aussi chimérique, aussi microscopique qu’il paraisse, l’ailleurs est aussi nécessaire à notre existence que l’air et le pain. Il est même de plus en plus vital à mesure qu’il s’évanouit dans le fracas des machines et de la destruction. Le commentaire – en anglais – de ce film slave dit à un moment quelque chose comme : « Qui pourrait croire que nous sommes ici, dans la vieille Europe, alors que tout semble indiquer un bond dans le passé, ou dans l’espace du côté de l’Oural ? ».
Comme c’est juste ! Petite, bien qu’on la sente une géante, la vallée de T. abrite des animaux aussi vieux que nous, mais infiniment plus sages, ce qui n’est pas bien difficile. On y suit des ours, notamment une femelle et ses envoûtants petits. Je dois confesser que je n’avais jamais vu un ours pâturer de la sorte les prés d’altitude avant de s’effondrer au soleil, pour une sieste béate et confiante. La magie est de chaque seconde. Après les ours, les cerfs. Après les cerfs, les loups. Après les loups, le renard, le tétras, le chamois. Les saisons défilent comme le font les fééries. Les oursons glissent sur la neige. Le loup dévore un chevreuil dans un torrent. Des cerfs passent un gué verglacé. Le printemps surprend un couple de grenouilles dans la poudreuse. L’eau, l’eau est partout, jusqu’au bout extrême des branches. Elle ruisselle, serpente, inonde, éclabousse la vue. Elle est la vie qui bat.
Le commentaire en rajoute-t-il ? On ne sait. Il évoque d’ultimes lambeaux de forêt primaire – jamais touchée par l’homme – avant de parler de forêts non exploitées depuis des décennies, ce qui n’est évidemment pas la même chose. Peut-être s’agit-il d’un simple fantasme. Car se pourrait-il que nous n’ayons jamais touché ces merveilles si proches de notre perpétuelle fureur ? Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que l’on peut ici poser son sac pour l’éternité qui nous reste. Nul n’embarrasse le cours perpétuel de la vallée de T. Aucun humain, aucun engin, aucun piège. La vie, la vie possible, la vie certaine. Et nulle agonie des jours vains. Comment devenir la sentinelle que nous devrions être ? Comment regarder, admirer et ne plus toucher au miraculeux arrangement ?
Pour les blaireaux
Une réaction vivante dans ce monde qui semble mort. Le massacre des blaireaux de la Côte d’Or, évoqué ici il y a quelques jours, a déclenché une réaction merveilleuse dont l’un des signes le plus net s’appelle : http://www.blaireaux.info/. Mon ami Thierry Grosjean, Vert de si longue date – mon sectarisme a des limites -, et valeureux depuis encore plus longtemps, est dans ce coup-là. Coup de chapeau ! À nous !
Buter les blaireaux jusque dans leurs chiottes (*)
Comme l’on sait peut-être, il y a blaireau et blaireau. Ne pas confondre notre prodigieux animal – un assez bon imitateur de l’ours, non ? – et ces innombrables imbéciles, vulgaires et souvent méchants, qui hantent les chemins du paradis. L’argot, que je vénère pourtant, a donné aux sombres connards le nom même du croqueur de lombrics et d’escargots. Bah, il faut bien s’en accommoder. En revanche, rien ne nous oblige à supporter l’arrêté que vient de m’envoyer Joelle, et qui me foudroie sur place. Je résume : le préfet de la Côte d’Or vient de faire un cadeau insupportable aux chasseurs du département. Lesquels ont le droit depuis le 4 mars, et jusqu’au troisième dimanche de septembre, de buter autant de blaireaux qu’ils le pourront dans une vaste zone du département incluant dix cantons, dont Pouilly-en-Auxois.
Quelle est la raison de cet arrêté ? Excellente. Il s’agit de limiter la propagation de la tuberculose bovine, dont les blaireaux seraient les vecteurs. Je ne me suis pas transformé en médecin-chef vétérinaire, pas encore, mais je peux en préambule vous dire une chose simple, m’appuyant sur un savoir reconnu. Ce qui suit est extrait d’un article indiscuté paru dans la revue Epidémiologie et santé animale (50, 127-143) en 2006, sous la signature de quatre spécialistes de l’Afssa et de l’École nationale vétérinaire d’Alfort. Voici : « Le plan de lutte collective contre la tuberculose bovine, véritablement commencée en 1954 après une phase infructueuse de prophylaxie libre et individuelle à partir de 1933, a abouti en 2001 à la reconnaissance de l’état indemne de la France par l’Union européenne : d’un taux d’environ 25 à 30% des élevages infectés au début, notre pays est passé à quelques (petites) dizaines de foyers résiduels aujourd’hui. Le succès est incontestable ».
Il est possible que le préfet de la Côte d’Or dispose d’autres informations, mais ce serait alors le moment de les rendre publiques, car pour les blaireaux – les beaux, les vrais -, le temps est désormais précieux. 2 000 auraient déjà été massacrés dans le cadre de ce qu’il faut bien appeler un plan d’éradication. Laissons de côté, par commodité, le débat sur la tuberculose bovine, que je ne saurais d’ailleurs mener sérieusement. Laissons, et concentrons-nous sur l’arrêté-scélérat. Oui, il y a des lois scélérates et des arrêtés-scélérats. Celui-là restera. Il restera, car sous couvert de prophylaxie, comme si souvent par le passé, il exprime à mes yeux une haine profonde de l’animal. Vous jugerez par vous-même, car j’ai placé l’intégralité de l’arrêté dans la partie Commentaires, où vous pourrez le lire.
Je n’ai pas le temps d’un traité, mais les considérants sont bel et bien de nature fantastique. Son auteur – gloire, gloire ! – ne sait pas très bien ce qu’il doit avancer. Le tout est d’une confusion rare. On ne sait pas si l’on veut parler de dépistage – évoqué pour les sangliers et les cerfs – ou d’abattage, ce qui n’est pas tout à fait la même chose lorsqu’on est un blaireau de la Côte d’Or. On ne donne presque aucun chiffre précis, qui aurait permis d’avoir une idée sur l’éventuelle progression d’une éventuelle épidémie. Exemple : combien de cas de tuberculose bovine depuis 2002 ? Mystère. Exemple : combien de cas de tuberculose découverts dans la faune sauvage depuis 2002 ? Mystère. Malgré l’absence de toute mise en perspective, il apparaît pourtant indispensable de « prévenir la circulation de la tuberculose au sein de la population animale sauvage ». Et l’on termine en beauté par une vulgaire pétition de foi qui ne se peut déduire, logiquement, de ce qui précède : « Pour arriver à prévenir cette circulation, il convient de diminuer les populations de blaireaux ».
Roule ma poule, et prépare mon bazooka. Par un simple assemblage de phrases disjointes, comme le seraient les planches d’un meuble de guingois, une autorité administrative donne ainsi le droit de tuer des êtres vivants par milliers. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais moi, je place très bas la signature d’un haut-fonctionnaire, capable de toutes les contorsions, de toutes les manipulations, même pis. Je préfère ne pas y insister. Quoi qu’il en soit, la fédération de chasse du département est donc à la noce depuis le 4 mars, et pour elle, rien de trop beau. Fromage et dessert. Carnage et fun. Mais voyons ensemble.
D’abord le ton, militaire et glacial : « Des opérations d’élimination de blaireaux sont ordonnées ». Ou encore : « Les animaux prélevés seront placés dans des sacs étiquetés et numérotés ». Ensuite, les armes. En dehors des missiles Exocet, je ne vois guère ce qui serait oublié. On a le droit, outre les barbares techniques de déterrage jusqu’au fond du terrier de la bête, d’utiliser des colliers à arrêtoir – « y compris en gueule de terrier » – que l’on placera dans les coulées où se faufile le blaireau. Les tirs de nuit, « y compris avec des sources lumineuses », sont aimablement offerts pour le même prix. Enfin, la rédaction follement laxiste dans la forme est comme un message subliminal adressé aux tueurs.
On n’est pas obligé de me suivre, mais je juge ce dernier point évident. On entend que les chasseurs tuent en masse, se défoulent et soient heureux de réduire en pâtée d’admirables animaux qui ne demandaient qu’à vivre. Je ne prendrai que deux derniers exemples. Le premier, qui vaut son pesant de cynisme : « Ces opérations devront prioritairement être mises en œuvre à proximité des parcelles où pâturent les bovins des cheptels infectés par la tuberculose bovine et des zones où ont été détectés des sangliers reconnus infectés par l’agent de cette maladie ». Vous remarquerez par vous-même le sens véritable de cette phrase. Pour la frime, on prétend donner une « priorité » à quelques parcelles, mais chacun sait, le rédacteur du texte en premier, que ce ne sera que mise en bouche meurtrière. Quand la lourde colonne des 4X4 et des bedaines sera lancée, elle poursuivra son chemin jusqu’au bout.
D’ailleurs, faut-il continuer d’argumenter ? Lisez avec moi ce laisser-passer, ce laisser-tuer en bonne et due forme : « La déclaration de piégeage en mairie ainsi que le compte rendu annuel des prises ne sont pas nécessaires ». Un seul mot d’ordre, car c’est en effet un ordre : mort au blaireau. On voudrait habiter ailleurs, avec d’autres que ceux-là.
(*) En 1999, Vladimir Poutine déclarait qu’il fallait « buter les Tchétchènes jusque dans les chiottes »
Les tueurs sont parmi nous (sur le thon)
Je vais être bref pour de vrai, pour une fois. Vous devez tous savoir qu’un affrontement en mer a eu lieu le 4 juin, au large de Malte, entre un thonier-senneur français – spécialiste de la pêche au thon rouge – et des équipes de Greenpeace. Un militant de 45 ans, Frank Hewetson, a été blessé à la jambe par un croc, non de boucher comme dans l’imagination malade de Sarkozy *, mais de forban. Je veux d’abord saluer le courage exemplaire de ceux qui osent aller au contact de montagnes d’acier, menées et dominées par des [bip.bip.bip]. Oui, moi qui ai pu tant critiquer Greenpeace, et qui récidiverai quand j’en verrai le sens, je tire mon chapeau aux habitants des Zodiac.
Et au-delà ? Il est une leçon, parmi d’autres, que je tire aussitôt des événements. Toute la petitesse de notre espèce est là. Je m’inclus, je nous inclus tous, cela va de soi. Mais en la circonstance, c’est bien de ces pêcheurs que je veux parler. La trentaine de thoniers de Sète continuent de gagner des fortunes en vendant au prix très fort des thons rouges au Japon, où un seul poisson de 150 kilos peut approcher les 160 000 euros. Vous avez bien lu : un seul poisson peut être vendu 160 000 euros sur le marché tokyoïte de Tsukiji.
Qu’importe, dans ces conditions, que le thon rouge de Méditerranée, qui accompagne nos civilisations depuis 9 000 ans dans le bassin de Mare Nostrum, soit au bord de l’extinction. Ces crétins iront au bout, jusqu’à l’ultime prise. Comme l’ont fait les Canadiens avec la morue de Terre-Neuve avant le moratoire de 1992, qui n’aura pas permis le sauvetage de cette espèce royale. Pleurons ? Oui, pleurons, car je ne vois pas ce que nous pourrions faire d’utile. Nous sommes en face du fatum des Latins – le destin, écrasant -, et même de l’hybris des Grecs, cette démesure qui conduit droit à la tragédie de l’atè, l’égarement. Je crois, je suis raisonnablement certain que nous ne voyons là que les prodromes, les tout premiers débuts d’un affrontement planétaire, monumental, historique entre deux visions antagoniques de l’avenir.
Autant dire ce que j’ai déjà écrit tant de fois : les écologistes officiels qui tapent sur le ventre du ministre, et vont répétant que nous sommes sur la voie de l’accord, du rassemblement, de la lucidité partagée, du sursaut, se trompent affreusement. Et nous mènent tous, pardon pour l’exécrable jeu de mots, en bateau. À mes yeux, il y a définitivement eux et nous. Cela peut sembler contradictoire avec d’autres paroles consignées ici, mais je ne crois pas que cela soit le cas. Je suis pour l’union, la réunion de tous ceux qui, venant des plus lointains horizons, sont en marche. Mais les tueurs de thons sont les tueurs de nous tous. Et je refuse de transiger avec cette canaille-là.
* Nicolas Sarkozy a promis il y a quelques années de pendre à un croc de boucher Dominique de Villepin, qu’il juge coupable de manipulation contre lui dans le cadre de l’affaire dite Clearstream.