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Les baleines bleues lancent-elles un message ?

 Reconstitution de Pakicetus

Mais qui est donc ce curieux animal ? Vous le saurez si vous avez le courage de lire ce qui suit. Et sinon, je n’ose tout simplement pas y penser. Attention, ça commence.

Ne croyez surtout pas les vedettes actuelles, aussi titrées soient-elles. Ne les croyez vraiment pas. Un garçon comme Aristotélês, autrement dit Aristote,  né pense-t-on 384 années avant Jésus, n’était-il pas un intellectuel de haut vol ? Cela ne l’empêchait pas, à l’occasion, de proférer de graves sornettes. Ainsi pensait-il, et disait-il, que les cétacés appartenaient à la vaste famille des poissons. J’espère vivement n’avoir vexé personne en rappelant cela, sachant que beaucoup de nous croient encore la même chose. Or, et mille excuses à Aristote, mais les cétacés ont des poumons. Il leur faut régulièrement remonter à la surface des eaux, faute de quoi, ils se noient.

Ben oui, c’est comme ça. Mais au fait, un cétacé, c’est quoi, tonton ? Un monstre marin, mon petit, K?tos comme l’appelaient les Grecs anciens. On met dans ce grand sac à merveilles les baleines, les dauphins, les marsouins, les narvals. Entre autres. On a donc pensé longtemps qu’ils étaient tous des poissons. Il faut dire que si les dauphins d’eau douce n’ont pas à plonger profondément, certaines baleines sont, elles, capables de tenir sous l’eau plus d’une heure, comme la baleine boréale. Pour un observateur d’il y a 2400 ans, au temps d’Aristote, cela ne pouvait signifier qu’une chose : ces animaux étaient des poissons. De gros poissons. De monstrueux poissons.

Les temps ont bien changé. Ils changent sans arrêt, d’ailleurs, c’est un peu énervant. Connaissez-vous le naturaliste Peter Artedi ? Si oui, j’ai affaire à forte partie. Ce Suédois, né en 1705, est mort noyé, comme une vulgaire baleine, en 1735. À seulement trente ans. Mais il était génial, soit dit en passant. Et comptait parmi ses amis un autre Suédois, Carl von Linné, qui hérita de ses manuscrits. Et publia deux livres d’Artedi après sa mort, Bibliotheca Ichthyologica et Philosophia Ichthyologica. Je précise que l’ichtyologie est cette branche des sciences naturelles qui s’intéresse aux poissons. Artedi était sans doute génial, mais il avait tout de même placé les cétacés parmi les poissons, les appelant plagiures. Dans les premières éditions de son grand œuvre, Systema Naturæ, Linné reprit sans hésiter la classification d’Artedi, avant de se ressaisir et d’enfin ranger les cétacés dans la classe des mammifères. Ouf !

Tout cela était bien joli, mais parfaitement insuffisant. Car que fichaient donc des mammifères au milieu des océans, dites-moi ? Et en effet. Comme je ne suis pas en train d’écrire un livre, je suis bien obligé d’écourter. Alors voilà. Grâce à la paléontologie, grâce à la découverte de plusieurs fossiles, on a fini par comprendre que les cétacés avaient suivi un bien étrange chemin. Chacun sait que la vie est – semble – née d’un bouillonnement au fond des océans. Et que nous viendrions donc de l’eau. En ce cas, les cétacés ont joué une autre carte. Ils étaient sur terre, ils se sont mis à nager, et fort bien.

Restait à trouver leurs ancêtres terrestres. On a cru longtemps qu’ils étaient des sortes de charognards, carnivores en tout cas, avant d’obtenir de nouvelles informations obtenues par des analyses génétiques. En résumé, on pense aujourd’hui que les cétacés font partie d’un ordre de mammifères ongulés appelés cétartiodactyles, car ils possèdent un nombre pair de doigts, deux ou quatre. On trouve dans ce fourbi les cétacés bien entendu, mais aussi les pécaris, les sangliers et donc les porcs, les ruminants, les hippopotames. Selon les spécialistes, dont je ne suis évidemment pas, cette nouvelle donne serait confirmée par la découverte d’un fossile au Pakistan, en 1983. Le fossile d’un Pakicetus, celui-là même qui est reconstitué en haut de cette page. Quand vivait-il ? Oh, disons 50 millions d’années.

Amis lecteurs, vous n’allez pas le croire, mais cette espèce de hyène abîmée a donné naissance, tout bien considéré, au plus gros animal ayant jamais existé – en attendant mieux, peut-être – sur notre planète, j’ai nommé : la baleine bleue. La baleine bleue est un animal en tout point mythologique. Elle peut dépasser 30 mètres de longueur et peser 170 tonnes, soit autant qu’un troupeau d’éléphants. Vous pensez bien que de braves chasseurs comme nous sommes n’allaient pas laisser passer une occasion pareille. Au début difficile, faute de moyens techniques, la chasse à la baleine bleue devint peu à peu une promenade de santé, à coup de bateaux à vapeur et de harpons propulsés par des canons. Entre 1930 et 1931, nous aurions tué 29 400 baleines bleues dans les seules eaux de l’Antarctique. On pense qu’au pire moment, il ne restait plus dans cette zone magique que 0,15 % de la population de baleines bleues d’origine.

Ailleurs était à peine mieux. In extremis, le massacre fut stoppé, juste avant l’extinction. Il semble, mais il faut être prudent, que depuis le début des mesures de protection, il y a quelques décennies, la population mondiale a légèrement augmenté. Mais quelle sinistre différence avec la stupéfiante diversité, avec la merveilleuse profusion d’antan. Autour de l’Antarctique, il ne resterait que 1 % des effectifs du passé d’avant la chasse criminelle des hommes. 1 %. Et voilà que j’apprends – tel est le motif véritable de mon article – que le chant de la baleine bleue a changé (ici). Le chant est à la baleine ce que la parole est à notre espèce. C’est du moins ce que je crois, sans nulle preuve, bien sûr. En tout cas, le mâle de la baleine bleue entonne, sous l’eau, de prodigieuses mélopées qui montent à 190 décibels, ce qu’atteignent à peine nos abominables avions de ligne à réaction.

Ce chant peut parcourir sans peine 100 km, parfois bien plus s’il est porté par des courants marins favorables. Eh bien, deux Américains, Mark McDonald et John Hildebrand, viennent de comparer des centaines d’enregistrements de chants de baleines bleues, effectués depuis les années 1960. Et il n’y a aucun doute : ce chant est émis dans des tonalités de plus en plus graves. Ce ne peut être le fait du hasard, expliquent les chercheurs. Quoi que ce soit – stratégie sexuelle, pollution croissante des océans -, il se passe quelque chose chez les baleines bleues. Sans jeu de mots, quelque chose de grave, au moins d’important.

Moi, je suis totalement ignorant dans ces savantes matières, mais je m’interroge comme humain, un humain qui partage avec ces cathédrales de la vie sauvage la même planète. Que se passe-t-il, grands dieux ? Que se passe-t-il ? Au risque de paraître bêtasse, au risque d’être moqué, je me demande s’il ne s’agit pas d’une sorte de message. Les animaux ne sentent-ils pas le danger, bien mieux que nous ? Dans toutes les catastrophes naturelles, l’on voit les animaux sentir bien mieux que nous l’imminence du danger. Tel a été le cas, semble-t-il, avec le tsunami sur les côtes asiatiques, à la fin 2004 (ici).

Alors, et je vous le demande sans verser dans le New Age pour autant : les baleines bleues, qui sont dotées d’une intelligence dont nous ne savons rien, mais apparemment stupéfiante, les baleines bleues ne sont-elles pas en train de lancer un avertissement solennel et universel ? Que les rieurs rient, j’ai l’habitude.

PS : afin de limiter la liste innombrable d’éventuels malentendus, je précise que le soubassement du texte ci-dessus n’est pas une théorie, ni même une hypothèse. Il ne s’agit que d’une rêverie. La mienne.

Madame Kosciusko-Morizet, immortelle combattante de l’écologie

Rendons à César. L’information qui est à l’origine de ce billet a été publiée par Bakchich (ici), avant d’être reprise et développée par Rue89, où je l’ai trouvée.

Je ne connais aucunement madame Kosciusko-Morizet, que les journalistes appellent NKM, heureux qu’ils sont de sembler partager quelque chose que les autres n’auraient pas. Je dois avouer de suite que ce dernier article de 2009 frôle la catégorie people, ce qui n’est pas glorieux pour moi. Mais bon, j’essaie de dire ce que je pense, et comme je viens de découvrir une abracadabrantesque historiette sur le site Rue89 (ici), je me sens tenu d’ajouter mon petit grain de sel, qui se trouve être de poivre vert. Désolé pour les pressés, mais on ne retrouvera cette fable qu’à la suite d’une longue présentation, moqueuse comme à l’habitude. Irrévérencieuse, oui, je dois en convenir.

Madame Kosciusko-Morizet est une politicienne aux cheveux flottant au vent. C’est un genre. Paris-Match lui avait offert le 23 mars 2005 une série de photos où elle posait, enceinte, couverte d’une robe diaphane dans son jardin, en compagnie – miracle – d’une harpe. Un coup de pub mémorable, mais qui ne fut pas compris comme cela. Que non ! L’inénarrable journaliste Anna Bitton – signataire d’un livre sur Cécilia ex-Sarkozy – écrivait pour l’occasion, et je vous demande de vous taire (1)  : « Il fallait un éclair d’audace. Oser, quand on est députée UMP, se prêter, pour Paris-Match, au jeu d’une photo artistique, symboliste, un tantinet New Age, et finalement très glamour. Nathalie Kosciusko-Morizet , benjamine des femmes de l’Assemblée nationale, est alanguie sur le papier glacé et sous un soleil mythique. Le chignon sage dont la belle polytechnicienne ne se départit jamais est, cette fois, défait. Les cheveux blond vénitien cascadent longuement sur une robe nacre de mousseline douce. Un bras lascif à bracelet d’or repose noblement sur un banc de pierre moussu, une main baguée caresse un ventre arrondi par la maternité. Un pied blanc et nu effleure les feuilles d’automne qui tapissent le jardin de sa maison de Longpont-sur-Orge. Une harpe, la sienne, luit en arrière-plan; deux bibles précieuses du XVIIe trônent à ses côtés »

Ce n’était qu’un début, un tout petit début. Je ne prétendrai pas que tous les événements médiatisés auxquels a été mêlée madame Kosciusko-Morizet ont été montés de la sorte, et donc pensés, mais enfin, cela se pourrait bien. Citons le pseudo-clash avec Borloo sur les OGM, qui lui avait permis, en avril 2008, d’évoquer un « concours de lâcheté et d’inélégance », avant que de devoir s’excuser. Citons la bise ostensiblement claquée sur la joue de José Bové en janvier 2008, et surtout le commentaire de l’altermondialiste, très éclairant : « Oui, on travaille ensemble depuis des années sur ces dossiers, et une relation d’amitié s’est construite entre nous. Et on se fait la bise à chaque fois qu’on se voit ! ».

Et arrêtons ce qui serait vite litanie. Madame Kosciusko-Morizet sait à la perfection se servir des médias et leur faire accroire qu’elle n’est pas comme les autres. Ceux de la droite ancienne, recroquevillée, poussiéreuse. Je pourrais aisément faire un florilège de plusieurs pages en ne citant que le titre de papiers hagiographiques parus ces dernières années. Et pas seulement dans la presse de droite, il s’en faut ! Des journaux comme Libération ou Le Monde se sont plus d’une fois surpassés dans ce qu’il faut bien nommer de la flagornerie. Je m’en tiendrai à un exemple hilarant, involontairement hilarant, paru dans Le Monde  du 9 janvier 2009. C’est un portrait, et il est long. Extrait premier : « Une femme n’est jamais plus belle que dans le regard de son amant. Le moins que l’on puisse dire est que Jean-Pierre Philippe, ex-militant et élu socialiste, aujourd’hui dirigeant d’une société de conseil, est amoureux de sa femme, Nathalie Kosciusko-Morizet. “Vous ne trouvez pas, demande-t-il, qu’elle est l’incarnation de la femme contemporaine ?” ».

Extrait second : « Il est indéniable que Nathalie Kosciusko-Morizet, dite « NKM » dans son entourage comme sur la scène publique, est d’une réelle beauté – une peau claire qui capte le moindre grain de lumière, le cheveu blond ramassé en chignon savamment indiscipliné, une panoplie de tenues déstructurées à l’élégance recherchée, jusqu’à ces mitaines qui allongent encore sa main de harpiste intermittente. Ce visage intemporel serait-il le secret de son inexorable ascension politique ? Ce serait faire injure à une femme convertie au féminisme par la lecture des deux Simone, Beauvoir et Weil, entrée très tôt en écologie, l’une des premières sur les bancs de la droite française ».

La chose est entendue. Les journalistes se pâment. Bové embrasse, et les associations écologistes pleurent quand Sarkozy décide, en janvier 2009, de la remplacer par Chantal Jouanno au secrétariat d’État à l’Écologie. Elles pleurent, littéralement, car tout le monde a visiblement eu droit aux bécots de madame. Arnaud Gossement, de France Nature Environnement : « Elle a été celle qui a fait monter le dossier environnement au sein de la droite ». Le WWF, de son côté, salue un « beau travail. Elle a fait bouger les moins de 40 ans à l’UMP. Elle démontre que les jeunes générations à droite se préoccupent d’écologie d’une manière intéressante (ici) ». Dès avant cela, en 2007, Nicolas Hulot avait déclaré avec un apparent sérieux : « Au sommet de Johannesburg, j’ai découvert sa constance, son immense compétence et son indéniable conviction. Il est rare que les trois soient réunis en politique ».

Nous y sommes enfin. Elle est belle comme le jour. Elle est incroyablement sincère. Elle est terriblement compétente. Elle est follement écologiste. Ma foi, s’il n’en reste qu’un à ne pas croire cette fantaisie, je crois bien que je serai celui-là. Bien sûr, je n’ai jamais visité l’intérieur de sa tête, et ne suis d’ailleurs pas candidat. Il est possible, il est probable qu’elle a mieux compris qu’un Sarkozy la gravité de la situation écologique. Il n’y a d’ailleurs pas de difficulté. Il est possible, il est probable qu’elle considère les questions afférentes à la crise de la vie comme méritant quelques mesures. Mais pour le reste, je suis bien convaincu qu’elle est une politicienne on ne peut plus ordinaire.

Ceux qui la vantent tant, y compris dans des groupes écologistes, ont fini par croire qu’elle était compétente. Mais en quoi, pour quoi ? Sa carrière est vite résumée. Née en 1973 dans une famille bourgeoise, elle entre à Polytechnique, puis devient Ingénieur du génie rural et des eaux et des forêts (Igref). Quelle pépinière d’écologistes ! Ce corps d’ingénieurs d’État est responsable au premier rang des politiques menées depuis la guerre en France contre les ruisseaux et rivières, les talus boisés, les forêts, et pour le remembrement, les nitrates, les pesticides. Elle n’en est pas coupable ? Non, mais quand on choisit un corps comme celui-là sans ruer dans les brancards très vite, eh bien, justement, l’on choisit.

Et nul doute que madame Kosciusko-Morizet a choisi. Entre 1997 et 1999, elle travaille à la direction de la Prévision du ministère de l’Économie, autre antre de la deep ecology. Elle poursuit sa route comme conseillère commerciale à la direction des relations économiques extérieures du même ministère. Au passage, je serais ravi qu’elle publie la liste des dossiers sur lesquels elle a alors travaillé. Par exemple sur son blog (ici), qui sait ? À côté des envolées d’Anna Bitton, ce serait du meilleur effet. Mais poursuivons. Après 2001 – nous nous rapprochons -, elle devient conseillère auprès du directeur de la stratégie d’Alstom. Alstom ! Le bâtisseur d’une grande partie des turbines du barrage chinois des Trois-Gorges ! Elle, conseillère, en stratégie, auprès d’Alstom ! Derechef, je ne serais pas mécontent que madame nous parle des conseils stratégiques qu’elle a pu donner à un tel ami de la nature.

La suite ? C’est la rencontre avec Chirac, et la mise sur orbite de la Charte de l’Environnement. Elle prépare pour lui le Sommet de la terre de Johannesbourg, l’été suivant. Mais avant toute chose, et je le répète, avant toute chose, elle s’arrange pour devenir la suppléante du député Pierre-André Wiltzer dans l’Essonne, aux législatives de 2002. À 29 ans. Sans la moindre preuve, je pense que le coup était préparé par ce vieux renard de Chirac. Car dès le gouvernement Raffarin II désigné, un certain Pierre-André Wiltzer se retrouve comme par hasard ministre. Et madame Kosciusko-Morizet devient aussitôt député, poste qu’elle occupera jusqu’à sa nomination ministérielle de 2007, et qu’elle retrouvera sans aucun doute.

And so what ? Je l’ai dit et le répète pour les sourds et les malentendants : madame Kosciusko-Morizet est une politicienne ordinaire, qui a découvert par hasard une formidable niche écologique et qui l’occupe du mieux qu’elle peut, tout en fourbissant les armes de son avenir. Et son avenir, elle le voit à l’Élysée, ni plus ni moins. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est elle. Dans son livre : « Tu viens ? », paru chez Gallimard, elle lâche le morceau : « Je veux être Présidente de la République ! ». Dès lors, tout devient d’une grande limpidité. Comme elle n’a que 36 ans, près de 20 ans de moins que Sarkozy, elle peut évidemment attendre au moins autant d’années. Et se forger en attendant une image de rebelle – je ne peux m’empêcher de rire aux éclats en associant l’image de la dame et celle du rebelle -, de femme compétente, de mère admirable, de harpiste incomparable, d’écologiste passionnée (et passionnante).

Voyez-vous, l’une des raisons du drame où nous sommes tous plongés est cet état de confusion régnant dans la presque totalité des cerveaux. Il suffit à des gens en apparence raisonnables – dont certains sont même écologistes- d’un battement d’yeux, d’un baiser sur la joue et de bimbeloterie diverse sans être variée pour qu’ils croient aussitôt la chose arrivée. Je me moque, c’est exact, mais ce sont eux qui l’ont cherché, pas moi. Si madame Kosciusko-Morizet était écologiste, au sens que je donne à ce noble mot, elle aurait évidemment refusé avec hauteur le secrétariat d’État à l’économie numérique que lui a refilé Sarkozy, qui ne la souffre pas. Voyons ! Si elle pensait ne serait-ce qu’un peu que la planète est à feu et à sang, accepterait-elle d’aller inaugurer les chrysanthèmes électroniques ? Voyons.

Si elle était écologiste, elle aurait démissionné avec fracas, déclarant avec pour une fois une flamme sincère, que la droite au pouvoir n’a évidemment rien compris – comme la gauche, d’ailleurs – à la crise écologique. Mais elle s’est couchée devant le maître, comme le font tous les autres depuis toujours. Et l’écologie attendra un moment plus favorable. S’il fallait une preuve supplémentaire, mes pauvres lecteurs de Planète sans visa, elle serait dans la place qu’occupe madame Kosciusko-Morizet au sein du dispositif de la droite. Le saviez-vous ? Elle est, depuis mars 2008, secrétaire général adjoint de l’UMP. Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? Du temps passé dans les innombrables embrouilles et magouilles d’un parti de cette nature ? Vous rendez-vous compte ? J’ajoute un dernier mot sur son « amitié indéfectible » avec Rachida Dati, hautement et publiquement revendiquée. Deux femmes, comme on peut voir. Et deux ego aussi démentiels que ceux de leurs pairs hommes. Nous voilà bien.

Et bientôt arrivés. Que raconte donc le site Rue89, que j’évoquais tout là-haut, pour commencer ce vilain papier ? Presque rien. Nous sommes un peu avant l’été 2008, et madame Kosciusko-Morizet est toujours secrétaire d’État à l’Écologie, poste très enviable qui permet de passer dans les journaux presque chaque jour. Il y a eu le Grenelle de l’Environnement, on parle de taxe carbone, la réunion de Copenhague se profile à l’horizon. En bref, la place est bonne. Oui, mais la sous-ministre n’est pas tranquille, car Sarkozy, qui sait tout des bonnes relations qu’elle a entretenues avec Chirac, ne lui passe rien.

Elle veille donc au grain, au moment même où son mari, ancien socialiste devenu – devinez – sarkozyste, écrit un livre intitulé : « Où c kon va com ça ? Le besoin de discours politique ». Un ouvrage dont la France pouvait se passer, ce qu’elle a fait d’ailleurs, mais sur intervention révulsée de cette chère madame Kosciusko-Morizet. Le livre de monsieur, déjà mis en page, devait atterrir dans les librairies en septembre 2008. Que cachait-il de si terrible ? Selon les informations de Bakchich et de Rue89, le livre était barbant comme tout, mais faisait quelques allusions au maître de l’Élysée, Sarko 1er. Et cela, pour madame et ses ambitions, n’était simplement pas concevable.

Selon Bakchich, elle aurait menacé de divorcer en cas de publication ! Selon Rue89, elle se serait ridiculisée au cours d’un repas d’anthologie avec l’éditeur de son mari, Marc Grinsztajn. Ce dernier raconte : « On a convenu d’un dîner à mon retour de vacances. Au départ ça devait être un dîner pour discuter (…) mais ça s’est transformé en dîner officiel avec sa femme au ministère ». Diable ! Au ministère de madame Kosciusko-Morizet ? Pour un livre écrit par son mari ? Certes. Et voici la suite, telle que racontée par le même : « Elle feuilletait le livre tout au long du dîner en disant : “Ça c’est subversif, ça c’est subversif…” ». Guilleret, hein ? Et pour la bonne bouche, ces propos attribués à la si subversive madame par Marc Grinsztajn : « Normalement, je ne lis pas les livres de mon mari, pour qu’on ne m’accuse pas de les censurer. Mais quand Libé a appelé pour faire un portrait de mon mari sur le thème “Jean-Pierre Philippe, premier opposant de Nicolas Sarkozy”, ça m’a mis la puce à l’oreille. J’ai demandé à un conseiller de le lire, qui m’a dit : “Madame, le livre ne peut pas sortir en l’état. Si le livre sort, vous sautez.” ».

Voilà. Voilà celle que tant d’écologistes, voire d’altermondialistes, considèrent comme l’une des leurs. La prochaine fois que vous la verrez aux actualités, ce qui ne saurait tarder, rappelez-vous cette phrase-étendard : « Ça c’est subversif, ça c’est subversif…». Et riez de bon cœur.

(1) Le soir du premier tour des présidentielles de 1995, dans un numéro inoubliable, le candidat battu Édouard Balladur avait crié à ses partisans, qui apparemment voulaient en découdre verbalement avec Chirac, passé in extremis devant leur champion : « Je vous demande de vous taire ! ». Des images comme on aimerait en voir plus souvent.

PS : Cette histoire, à la réflexion, me fait penser à Panaït Istrati, écrivain roumain. Je l’ai beaucoup lu, je le tiens pour un grand de la littérature du siècle écoulé. En outre, il était incapable de mentir. Compagnon de route du parti stalinien à la fin des années 20, il se rend en Union soviétique à l’heure où tant d’autres écrivent des odes à Staline. Je ne parviens pas à remettre la main sur un livre écrit, je crois, en 1930, et qui s’appelle Vers l’autre flamme. Si je me trompe, ce sera sur des détails. Donc, Istrati ramène d’un long séjour en Union soviétique ce livre, dans lequel, à la différence de (presque) tous les autres, il dit la vérité. Il a vu le malheur, la dictature, la mendicité, il a vu les innombrables vaincus du pouvoir stalinien. Et comme, sur place, il se plaint auprès de ses hôtes, l’un d’eux, probablement un écrivaillon aux ordres, lui dit : « Mais, camarade Istrati, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ». Alors, Istrati lui répond : « Camarade, je vois bien les œufs cassés, mais où est l’omelette ? ».

Il ne s’agit que d’un rapprochement, pour sûr, car je place Istrati bien au-dessus des lamentables mièvreries évoquées ci-dessus. Simplement, je trouve que Panaït permet de reprendre ses esprits, quand on les a perdus. Or un nombre considérable de gens de bonne foi n’ont plus les yeux en face des trous dès qu’il est question de madame qui vous savez désormais. D’où ce rappel en apparence incongru du grand homme oublié que fut Istrati.

Comment se lancent les débats (sur la viande)

Je viens à peine, plus haut, de signaler une tribune que j’ai écrite ce mardi dans le journal Le Monde. Et voilà que je découvre que le même numéro est barré par un titre de “une” sur la viande. Et quel titre, mes chers aïeux ! Ni plus ni moins que Manger moins de viande pour sauver la planète ? La journaliste qui signe le papier, Gaëlle Dupont, m’a appelé ici même, d’où je vous écris, et ma foi, je n’ai aucune raison de me plaindre. Avant de vous livrer ci-dessous son texte, laissez-moi vous dire mon plaisir. Il y a trois mois, juste avant que ne paraisse Bidoche, mon livre sur l’élevage industriel, personne ou presque ne se hasardait sur ce terrain. Je ne prétendrai pas – ce serait ridicule – être le seul à m’être bougé, mais il est au moins certain que mon travail aura servi à quelque chose. Ce quelque chose qui n’est presque rien, mais qui m’oblige, sans aucun doute possible. L’article de Gaëlle Dupont :

Manger moins de viande, c’est bon pour la planète. Impossible d’ignorer le message : la consommation de produits carnés a fait, à l’occasion du sommet de Copenhague sur le climat, l’objet d’attaques inédites.

L’ancien Beatles Paul McCartney a ouvert les hostilités en appelant, début décembre, depuis la tribune du Parlement européen, à ne pas en consommer un jour par semaine. Plusieurs personnalités françaises, dont les politiques Corinne Lepage et Yves Cochet, l’écologiste Allain Bougrain-Dubourg et le botaniste Jean-Marie Pelt, ont observé à Copenhague une « grève de la viande ». Leur message : l’industrie de l’élevage est une « aberration » qui produit des dégâts considérables sur l’environnement. Un repas avec viande et produits laitiers équivaut, en émissions de gaz à effet de serre, à 4 758 km parcourus en voiture, contre 629 km pour un repas sans produits carnés ni laitiers. Pour protéger la planète, il est donc aussi efficace – sinon plus – de se priver de viande que de rouler à vélo ou de baisser le chauffage.

Les éructations des ruminants produisent 37 % du méthane émis du fait des activités humaines. Le potentiel de réchauffement global du méthane est 23 fois supérieur à celui du CO2. Le stockage et l’épandage de fumier sont responsables de 65 % des émissions d’oxyde nitreux, le plus puissant des gaz à effet de serre. La déforestation pour convertir des terres en pâturages ou en cultures fourragères (destinées à l’alimentation du bétail) est responsable de 9 % des émissions de CO2. Selon la FAO, 70 % des terres autrefois boisées d’Amérique du Sud sont aujourd’hui consacrées à l’élevage.

L’élevage est, de fait, responsable de 18 % des émissions totales de gaz à effet de serre, davantage que les transports, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Il est, de plus, responsable d’autres dégradations : pollution des eaux, érosion des sols, perte de biodiversité…La production de viande capte en outre des ressources considérables en terres et en eau. Elle mobilise 70 % des terres arables. Environ 9 % des quantités d’eau douce consommées chaque année y sont consacrées.Dans toutes leurs projections, les experts désignent l’augmentation de la demande de viande comme un des principaux facteurs des pénuries à venir. Or la consommation de produits carnés connaît une croissance fulgurante. Relativement stable dans les pays développés (autour de 80 kg par an et par habitant), elle augmente fortement dans les pays en développement, à mesure que la population croît, mais aussi que l’urbanisation et les revenus progressent.« La viande est un signe extérieur de richesse », commente Fabrice Nicolino, auteur de Bidoche (éd. Les liens qui libèrent), un réquisitoire contre l’industrie de l’élevage publié en septembre. « En consommer démontre l’accès à un statut social privilégié. » Sa consommation devrait passer, dans les pays en développement, de 28 kg par an et par habitant en moyenne aujourd’hui à 37 kg en 2030.Il faut entre trois et neuf calories végétales, selon les espèces, pour produire une calorie animale. Déjà, quelque 40 % des céréales cultivées dans le monde sont destinées à alimenter le bétail. Selon les projections de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), pour répondre à la demande, la production mondiale de viande devra doubler d’ici à 2050, passant de 229 à 465 millions de tonnes. « Où ferons-nous pousser les céréales pour nourrir tous ces animaux ?, interroge M. Nicolino. Si la tendance se poursuit, on peut s’attendre à avoir une concurrence entre alimentation animale et humaine. » D’où la baisse de consommation prônée par les détracteurs de la viande. Selon ceux-ci, cela aurait, en outre, des avantages pour la santé, car la viande accroît le risque de maladies cardio-vasculaires, d’obésité et de diabète.

L’interprofession bovine a vite riposté à ce feu nourri de critiques, par le biais d’une page de publicité dans la presse. Elle met en avant plusieurs arguments. Tout d’abord, dans la majorité des élevages en France, les vaches sont nourries à l’herbe, un mode d’élevage respectueux de l’environnement, qui ne concurrence pas l’alimentation humaine et permet de séquestrer du carbone.

La consommation de viande dans le pays est, par ailleurs, en baisse : elle est passée de 150 grammes par jour en 1999 à 117 grammes en 2007. « Certaines catégories de la population n’en mangent pas assez, comme les femmes et les personnes âgées », commente Pascale Hébel, du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). Le Centre d’information des viandes (CIV) souligne, de son côté, que la viande fournit des nutriments indispensables (fer, vitamine B12, zinc, sélénium). Le gouvernement recommande d’ailleurs, dans le cadre du programme national nutrition santé, de consommer de la viande, du poisson ou des oeufs une à deux fois par jour, tout en alertant sur les dangers de la consommation de viande grasse.

« L’homme ne serait pas devenu ce qu’il est s’il n’était pas omnivore », s’insurge Louis Orenga, président du CIV, qui voit dans cette campagne « une utilisation d’arguments environnementaux pour promouvoir le végétarisme ». C’est effectivement l’Association végétarienne de France (AVF) qui est à l’origine de la grève de la viande de Copenhague. Paul McCartney et Rajendra Pachauri, président du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), qui a soutenu son appel, sont tous deux végétariens.

« L’alimentation a une dimension psychologique importante, explique Alain Méry, président de l’AVF. L’argument environnemental parle plus aux gens que la défense des animaux, qui est culpabilisante. » Selon M. Méry, les réticences sur le sujet restent cependant « très fortes » en France. M. Orenga, lui, voit dans la campagne du « jour sans viande » une menace. « Les politiques continueront-ils à soutenir financièrement une activité dont le grand public est persuadé qu’elle pollue et est dangereuse pour la santé ? », s’interroge-t-il.

A la FAO, sans recommander la diminution de la consommation de viande dans les pays du Nord, les experts prônent « une stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre visant l’élevage de manière spécifique« , affirme l’économiste Pierre Gerber, parlant au nom de l’organisation. « Les modes de production vont devoir changer, sans quoi la croissance de la production se fera au prix d’atteintes très importantes à l’environnement », poursuit-il.

Des recherches sont en cours pour réduire la production de méthane par les ruminants. Des scientifiques de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) sont parvenus à faire baisser leurs émissions d’un tiers en intégrant dans les rations de l’huile de lin. Un chercheur de l’université du Missouri, Monty Kerley, affirme qu’une sélection génétique rigoureuse permettrait de diminuer la ration alimentaire des vaches de 40 %. Des changements de méthodes culturales permettraient aussi de stocker davantage de carbone dans les sols. Reste à savoir si ces techniques seront suffisantes, et si tous les paysans du monde, y compris les plus petits, auront la volonté et les moyens de les mettre en oeuvre. L’élevage fait vivre un milliard de personnes pauvres dans le monde.

 Gaëlle Dupont

Un début de vérité sur la grippe porcine (dite H1N1)

Thibault Schneeberger, de Genève, vient de m’envoyer un cadeau royal, et je l’en remercie chaleureusement. Il s’agit d’un documentaire de la télé suisse romande, remarquable de la première à la dernière image. Vite, vite ! On peut, pour le moment en tout cas, le visionner depuis un ordinateur (ici). De quoi parle-t-il ? De cette grippe porcine que les autorités officielles ont préféré – opportunément – appeler H1N1.

Je vous ai parlé plus d’une fois de cette affaire extraordinaire, dès ce printemps (ici), m’étonnant que personne ne pointe le doigt sur le village mexicain de La Gloria, où se trouve une immense porcherie industrielle, Granjas Carroll,  filiale du géant américain Smithfield Foods, le plus gros producteur mondial de porcs. Smithfield Foods, et je vous souhaite bon appétit, est le propriétaire en France de Justin Bridou et de Cochonou, entre autres. La première victime de la grippe porcine est un gamin de La Gloria, ce que les autorités ont longtemps nié (ce point n’est pas dans le film).

Je crois, et si je me trompe, qu’on me pardonne, que le journaliste Ventura Samara est le seul, en tout cas en langue française, à avoir mené une enquête à La Gloria. Je ne vais pas vous raconter le film, mais vous livrer quelques impressions, brut de décoffrage. On y voit le réel, c’est aussi simple que cela. J’ajoute que je connais le Mexique, et que, quand j’entends Dona Teresa Hernandes Rivera – une petite dame – parler de la corruption généralisée, je n’ai guère besoin de preuves. Quand j’entends le ministre de la Santé José Angel Cordoba dire : « Tous les standards de l’environnement et de l’eau [à la porcherie Granjas Carroll ] sont respectés. Le problème pourrait venir des familles qui détiennent à la maison des porcs, dans des conditions qui ne sont pas les meilleures », je n’ai pas réellement besoin d’une autre démonstration.

Et pourtant ! Et pourtant ce film m’a soufflé. Il y a plus de neuf chances sur dix pour que la grippe qui affole notre système de santé soit né autour de cet élevage concentrationnaire de porcs. Immonde est encore un faible mot. Des centaines de cadavres de porcs croupissent en permanence dans des fosses au contact du sol et de la nappe phréatique. Savez-vous combien cette soi-disant ferme compte de porcs ? 100 000 ! La nourriture OGM vient par trains du Canada ou des États-Unis, aucun officiel, aucun vétérinaire autre que ceux de la transnationale ne pénètrent dans les locaux, où tout est automatisé. Une poignée d’ouvriers règne sur un empire de bidoche. Des lagunes sont emplies de merde de cochons et de seringues qui ont servi à piquer les animaux à coup d’hormones et d’antibiotiques. Les rats prolifèrent, les chiens errants prolifèrent, qui bouffent du porc mort au champ d’horreur, avant d’aller se faire caresser par les gosses du village.

Aucune analyse d’eau, d’air, de poussière n’a été ordonnée. Sur les centaines de prises de sang effectuées sur les villageois, aucune n’a été rendue publique. Officiellement, seul un petit gosse aurait donc été touché par la grippe. C’est crédible. Très. Des centaines d’habitants de La Gloria et des environs ont été touchés, et le sont, par des maladies respiratoires atypiques. Mais tout le monde s’en contrefout car, comme le dit sans ciller le ministre, « les investisseurs étrangers sont les bienvenus ». Tu parles ! Le traité de libre-échange Alena, préparé sous Bush père, mais signé par Bill Clinton, a changé le Mexique en une colonie. À La Gloria, les médecins ne veulent pas parler, car ils ont PEUR. L’un d’eux, masqué, raconte l’incroyable sort sanitaire fait aux habitants, et conclut que, si personne ne veut parler, c’est parce que chacun craint d’être tué. Tué, c’est aussi simple que cela.

Ce que j’appellerai un énième chapitre de l’histoire vraie du monde, au temps du choléra planétaire.

PS : Que faire ? Ce qui précède n’est pas une réponse à cette question obsédante. Je tenterai de donner d’ici peu un article sur le sujet, mais en attendant, réfléchissons un peu. Il faudra de toute façon commencer par quelque chose. En l’occurrence, s’il existait un mouvement réel de la société, il est évident que nous serions une bonne centaine à occuper jour et nuit le siège de Justin Bridou. Et que nous n’en sortirions pas, en tout cas pas volontairement, tant qu’une mission indépendante n’aurait été formée pour enquêter à La Gloria sur la situation des riverains de la porcherie industrielle. Il me paraît qu’une action de cette nature aurait un sens. Mais le mouvement susceptible de lancer ce genre de choses n’existe pas. Il est à inventer.

Le Centre d’information des viandes (CIV) est un lobby rigolo (si)

Oh, il faudra bien que je raconte un jour certains épisodes de l’écriture de mon livre Bidoche. Il ne faut pas croire qu’on trime sans rigoler. Non pas. Il y a des instants étonnamment plaisants, où l’on rit à gorge déployée. Mais aujourd’hui, je me vois contraint de prendre la mine sérieuse pour vous parler d’un prodigieux communiqué du Centre d’information des viandes (CIV). Le CIV est le noyau central du lobby de la viande industrielle en France. La place a été bonne, elle commence à être moins enviable.

De tous côtés, comme vous le savez sans doute, la critique monte contre la consommation de viande. L’industrialisation de ce qui était, jadis, une nourriture, a été un projet pensé, mené, réalisé par une petite armée de technocrates des années soixante, au premier rang desquels il faut mettre Edgard Pisani, ancien ministre de l’Agriculture de De Gaulle. La critique monte parce que la situation devient folle. La viande industrielle est mauvaise pour la santé humaine, nous menace d’épouvantables épizooties se changeant en épidémies, contribue à la destruction des forêts tropicales et à la violation des droits de l’homme dans des pays comme l’Argentine ou le Paraguay – via le soja – et aggrave la crise climatique par des émissions majeures de gaz à effet de serre. On a connu mieux.

Au passage, les animaux ont été changés en morceaux de barbaque auxquels tous les traitements possibles sont applicables. On appelle cela de la barbarie. Une pure et simple barbarie. Là-dessus, mon livre. Là-dessus, une grève symbolique de la viande pendant Copenhague, lancée par une dizaine de personnes, dont je suis (ici). Pour la toute première fois de son existence, le lobby français de la viande est placé dans une situation où il lui faut défendre son…beefsteak. Dès la parution de mon livre, ses chefs ont décidé de refuser tout débat avec moi. Bien des médias ont proposé des face-à-face : refus indigné. Je sens le soufre. Je suis le diablotin des abattoirs et je le revendique d’ailleurs. Sauf que Copenhague. Sauf que l’élevage mondial émet davantage de gaz à effet de serre que tous les transports humains réunis, dont la sainte bagnole. Sauf que la critique commence à faire mouche.

Alors, un communiqué sublime du CIV, que vous trouverez en annexe de ce texte. Il est sublime pour une première raison. C’est qu’il est patriotard. Dans un univers mondialisé comme l’est celui de la bidoche, il faut avoir un culot d’acier pour prétendre que tout serait pour le mieux à l’intérieur de nos frontières. Ce communiqué nous rejoue le fandango – avec castagnettes – du nuage de Tchernobyl, qui n’avait pas eu le droit de franchir la frontière française sur ordre des autorités publiques. À en croire le texte savoureux du CIV, il y aurait la France vertueuse et le reste du monde, dont ces damnés Américains.

Oh, je suis sûr que cela marche auprès des ignorants. Mais comme écrivit je ne sais plus qui, « si le mensonge règne sur le monde, qu’au moins cela ne soit pas par moi ». Et ce ne sera pas par moi. Évidemment, le communiqué ne parle que du bœuf, le plus présentable de la famille industrielle. Et pour cause ! Voyez le cas du porc, élevé au soja dans des élevages hors sol où se répandent comme la poudre des joyeusetés comme le Sarm (ici). La France est non seulement l’un des principaux producteurs dans le monde, mais ses exportations ne cessent d’augmenter. Entre 2002 et 2006, elles sont passées de 604 900 tec (tonne équivalent carcasse) à 660 700 en 2006. Qui dit mieux ?

Le poulet ? Extrait d’un document du très officiel Institut technique de l’aviculture (Itavi) : « Depuis 1970, le développement de nos exportations de volailles a accompagné le développement du marché mondial caractérisé par une forte hausse des niveaux de consommation et un développement du commerce international. De 1970 au milieu des années 80, le développement des exportations françaises s’est fait essentiellement à destination des marchés du Proche et Moyen Orient. Les ventes à destination du marché intra communautaire ont ensuite pris le relais, elles ont quintuplé de 1985 à 1997 ». En 2008, le solde du seul secteur de l’exportation de volailles de chair était positif de 526 millions d’euros.

Et vers qui ces bons seigneurs exportent-ils ? Entre autres, vers l’Afrique. Reportez-vous à la belle campagne nommée Exportations de poulets, l’Europe plume l’Afrique (ici). Voici un extrait de texte qui accompagne l’action, et vous m’en direz des nouvelles : « Dans presque tous les pays en développement l’élevage de volailles par les familles pauvres, rurales ou urbaines, participe au renforcement d’une agriculture familiale vitale pour les emplois et la sécurité alimentaire. Or, en Afrique, les importations de volaille augmentent depuis 1999 de près de 20 % chaque année, et mettent en péril les filières avicoles locales.

Ce marché africain porteur est convoité par les entreprises multinationales qui contrôlent des filières industrielles totalement intégrées, de l’élevage à la transformation, jusqu’au consommateur final. Parmi elles, des entreprises européennes, en particulier françaises, intensifient toujours plus la production, délocalisent au Brésil ou en Thaïlande pour réduire leurs coûts de production et tirer les prix à la baisse ».

La France, cette France dont ne parle pas le CIV, est le cinquième producteur mondial de volaille, le deuxième producteur mondial de canard, le deuxième producteur mondial de dinde, mais aussi le premier producteur de volaille de l’Union Européenne et le premier producteur européen de dinde et de pintade. Mais heureusement pour le lobby, il y a donc les bovins. Ce qu’il ne peut écrire, c’est  que la France est le premier producteur européen de cette noble marchandise, et qu’elle abat le quart des vaches de l’Union européenne. Ni qu’elle est le premier consommateur de cette viande en Europe. Ni qu’elle exporte pour 1 044,8 millions € de bovins vivants en 2008. Ni qu’elle exporte 1 022,1 millions € de viande déjà abattue, en 2008 toujours. Ni que ces animaux profitent de certaines des plus belles avancées de l’industrie, comme l’usage massif d’antibiotiques et l’ajout de compléments alimentaires comme les tourteaux de soja ou de maïs ensilé dopé aux engrais et pesticides. Ni bien entendu que les veaux sont retirés à leur mère un ou deux jours après leur naissance – laissés libres, ils téteraient au moins huit mois -, puis contraints dans des espaces qui leur interdisent à peu près tout mouvement. La viande de veau doit être blanche, savez-vous ?

Mais alors, que dit le CIV ? N’importe quoi. Des chiffres sans aucune référence – pour cause -, des rapprochements, des têtes-à-queue, des proclamations. Concernant les questions de santé publique évoquées dans le communiqué ci-dessous, vous m’excuserez de ne pas développer, car je l’ai longuement fait dans mon livre, et ce coup-ci, ce n’est pas de la publicité, mais plus simplement que j’ai un travail, rémunéré, à terminer. Je note deux détails, qui révèlent le tout. Le premier : l’usage si commode du mot moyenne. Les nourrissons, les grabataires, les végétariens, les gens raisonnables – ils existent – sont enrégimentés dans les chiffrages fantaisistes du CIV. Deuxième détail : le CIV note avec une kolossale finesse qu’au « au regard de ces chiffres, comment peut-on rendre les viandes de boucherie responsables, en France, de l’augmentation des maladies chroniques (cancer, obésité, maladies cardio-vasculaires…) ? ».

Ce truc est vieux comme le monde. Personne, à ma connaissance en tout cas, n’écrit que « les viandes » seraient « responsables » de l’augmentation des maladies chroniques. Il s’agit d’une manière évidente de disqualifier avant qu’il ait ouvert la bouche le moindre contradicteur. Personne ne l’écrit, mais des études, fort nombreuses, publiées dans les meilleures revues scientifiques de la planète, mettent en évidence des liens entre forte consommation de viande rouge et de charcuterie et ces fameuses maladies.

What else ? Je me marre à nouveau, car quand on en est réduit à de si pauvres arguments en face d’une telle mise en cause globale, argumentée, documentée, c’est qu’il y a le feu au lac pour l’industrie de la bidoche. Peu m’importe, vous pouvez me croire, que le lobby oublie volontairement de parler de Bidoche, mon livre. Ou plutôt, sérieusement, je dois dire que je m’en félicite. Car c’est la preuve, à mes yeux décisive, que le lobby n’a rien à répondre. Rien d’important. Rien de convaincant. D’un côté mon travail, qui pointe des dizaines de questions sans réponse. Et de l’autre le vide.