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Connaissez-vous l’Ageca (un one-man-show parisien) ?

Appelons cela de l’autopromotion, domaine dans lequel je crois rester discret. En tout cas, ce vendredi 11 décembre, à 20h30, je causerai de mon livre Bidoche à Paris, à l’invitation de Catherine Chalom, qui a ouvert un très beau magasin bio (ci-dessous).

Le retour à la terre

Vitrine du magasin

Le Retour à la Terre
114 avenue Philippe Auguste
75011 Paris
01 44 93 81 81

La soirée a lieu dans une salle appelée Ageca, qui se trouve 177 rue de Charonne, dans le 11ème parisien, au métro Alexandre Dumas. J’essaierai d’être là vers 20 heures, et si quelques-uns d’entre vous veulent se joindre à nous, ce sera avec un vrai plaisir de mon côté. Un dernier point : il serait préférable de s’inscrire à l’adresse suivante : bidoche@leretouralaterre.fr

Cette fois, je vous ai tout dit. Portez-vous bien.

James Hansen, suivi d’une authentique grève de la viande

Je n’ai pas l’admiration facile, mais elle est tout acquise à James E.Hansen. Cet homme est de la race des prophètes, de ceux qui effraient sans parvenir à convaincre. Sa vie entière, pour qui la connaît – c’est mon cas – est un cinglant démenti aux malheureux délires des « climato-sceptiques ». Hansen est né le 29 mars 1941 dans une petite ville du nord de l’Iowa, Denison. Son père, fermier avant-guerre, était ensuite devenu barman. Dans l’ensemble, une vie pauvre, dans laquelle les six gosses de la famille se partageaient deux chambres. James – Jim – avait la tête dans les étoiles, et l’y aura gardée, par chance.

À la suite d’événements impossibles à résumer, Hansen est devenu l’un des meilleurs connaisseurs du climat dans le monde. Il est le directeur de l’Institut Goddard pour l’étude de l’espace (Goddard Institute for Space Studies), qui dépend de la Nasa. Auteur d’articles révolutionnaires sur la crise climatique, dont un datant de 1981, il a lancé une première alerte devant le Sénat des États-Unis dès 1987. Et n’a cessé depuis. Bête noire du lobby pétrolier, censuré sous George W Bush, il a continué son combat, qui se confond avec sa vie. Dernièrement, sa femme Anniek et lui ont adressé une lettre-supplique à Michèle et Barack Obama. Sans aucun succès.

Cet homme vient de donner un entretien que je juge exceptionnel au quotidien britannique The Guardian (ici) . Il y explique souhaiter un ÉCHEC de la conférence de Copenhague sur le climat et je suis absolument d’accord avec lui. Il ajoute : « Je préfèrerais que cela n’arrive pas [un accord à Copenhague] si les gens doivent le considérer comme la bonne voie parce que c’est la voie du désastre (…) C’est semblable au problème de l’esclavage affronté par Abraham Lincoln ou au problème du nazisme auquel Winston Churchill a fait face (…) Sur ce genre de problèmes, vous ne pouvez pas faire de compromis. Vous ne pouvez pas dire : “réduisons l’esclavage, trouvons un compromis et réduisons-le de 50% ou réduisons-le de 40%”(ici en français) ».

Par ailleurs, je dois vous informer que je suis le signataire d’un Appel des dix, en compagnie de Pierre Rabhi, Jean-Claude-Pierre, Allain Bougrain-Dubourg, Jean-Marie Pelt, Jean-Paul Besset, Franck Laval, Corinne Lepage, Sandrine Bélier, Jean-Paul Jaud. Il s’agit d’un acte purement symbolique, qui nous engage à faire la grève de la viande pendant le rendez-vous de Copenhague. Mais vous verrez, ce n’est qu’un tout petit début. Il y a un site sur le net, que je vous engage à visiter et à faire connaître au plus vite : www.viande.info.

Est-ce tout pour ce soir ? Presque. Mon livre Bidoche, que je suis de plus en plus heureux d’avoir écrit, est réimprimé pour la deuxième fois. Ce serait navrant d’être dans les derniers à l’acheter, ne croyez-vous pas ?

PS : Il est possible que je passe ce soir dans le journal télévisé de France 2. Je sais qu’il est tard pour l’annoncer, car il est exactement 19h32. Mais, qu’on le croie ou non, je l’avais oublié.

Eraste Petrovitch Fandorine, la viande et moi (en trois mouvements)

Je ne sais pas, évidemment, si vous connaissez Boris Akounine, un écrivain largement lu dans son pays, la Russie. Moi, qui le dévore en français depuis des années, je le tiens pour un très grand romancier populaire, dans la lignée d’Alexandre Dumas. Il a inventé un personnage magnifique, Eraste Petrovitch Fandorine. Fandorine ! Je ne peux en dire plus ici, sauf que j’aime follement ce personnage de détective aux tempes prématurément blanchies.

M’appuyant sur sa manière si personnelle de présenter un problème – en trois temps -, je vous dirais ce  3 décembre 2009 que, et d’un, l’élevage est au centre de la crise climatique planétaire. L’élevage, c’est-à-dire essentiellement l’élevage industriel dont je parle dans mon livre Bidoche. La FAO, en 2006, estimait dans un rapport jamais traduit en français – mystère – que 18 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine proviennent de l’élevage (ici). Soit davantage que tous les transports humains, de la bagnole à l’avion, en passant par le bateau et le train. Mais attendez la suite. Une étude publiée dans une revue américaine sérieuse, WorldWatch (ici) affirme, de son côté, que 51 % des émissions anthropiques de gaz seraient le fait de l’élevage. Selon les auteurs du travail, Robert Goodland et Jeff Anhang, la FAO aurait oublié en route des données essentielles concernant le méthane, la respiration de milliards d’animaux et le changement d’usage des terres, incluant la déforestation.

Mais revenons à Fandorine. Où en étais-je ? Et de deux, quoi qu’il en soit, la meilleure façon de lutter contre le dérèglement climatique en cours serait de diviser par trois ou quatre l’hyperconsommation de viande qui est devenue notre règle. Notre santé serait meilleure, les écosystèmes de la planète et ses animaux survivants pourraient enfin souffler un peu. Et la conférence de Copenhague sur le climat commencerait enfin à devenir intéressante.

Mais, et de trois, cher Éraste, la question ne sera pas posée. Et Copenhague parlera d’autre chose. Pourquoi ? Parce qu’il faudrait s’attaquer à une industrie surpuissante, celle de la bidoche. Et que cela ne se peut, car l’industrie est le principe organisateur de notre monde malade. Attaquer ne fût-ce qu’une industrie, c’est remettre en  cause tout. Tout. Ce sera donc rien.

Boris Akounine est édité aussi en poche, dans la collection 10/18.

Coup de frime sans précédent (de moi)

Ce n’est pas tous les jours dimanche, ni d’ailleurs mardi. Dans l’édition datée de ce mercredi, mais publiée hier à Paris, le journal Le Monde – que je n’ai pas ménagé par ailleurs – publie une tribune signée par moi-même en personne. Il n’y avait pas de raison que je ne la mette en ligne ici. D’autant plus – ô joie enfantine ! – qu’elle écrase de son poids une (bien) plus petite tribune de deux ministres de la République, Valérie Pécresse et Luc Chatel. Avant d’éventuellement la lire, cette info effarante, qui vient juste de sortir. Selon une étude publiée dans la revue Nature Geoscience (ici), les émissions de gaz à effet de serre mondiales ont augmenté de 29 % entre 2000 et 2008, et de 41 % entre 1990, point zéro retenu à la conférence de Kyoto de 1997, et 2008. Autrement dit, dans l’état actuel des choses, le scénario le plus noir se profile à l’horizon. Un basculement global. Une terre rendue inhabitable sur des millions, peut-être des dizaines de millions de km2. Je crois pouvoir écrire que notre espèce, outre qu’elle est imbécile, est également folle. Voici ma tribune (le lien) :

Quand mettra-t-on un terme aux ravages de l’industrie de la viande ?, par Fabrice Nicolino

LE MONDE | 17.11.09 | 14h13  •  Mis à jour le 17.11.09 | 14h13

Désolé de se montrer brutal, mais il arrive que des rendez-vous officiels, pour ne pas dire universels, soient de pures foutaises. C’est peut-être bien le sort qui attend le sommet mondial sur la sécurité alimentaire, qui a lieu à Rome du 16 au 18 novembre. L’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), puissance invitante, y tiendra les propos que l’on attend d’elle. La faim est une honte, le monde est mal organisé, il faut absolument réagir.
La FAO serait peut-être mieux inspirée d’expliquer pourquoi tous les engagements passés ont pu, à ce point, rater leurs objectifs. En 1996 déjà, un autre sommet mondial de l’alimentation promettait de diviser par deux, en 2015, le nombre d’affamés. Cinq ans plus tard, en 2001, la FAO réclamait au cours d’une nouvelle réunion internationale « une plus grande détermination politique et un échéancier rigoureux de mesures ». Le résultat est tragique : notre planète compte plus de 1 milliard d’affamés chroniques, dont 100 millions supplémentaires au cours de cette année.

En décembre, comme on commence à le savoir, le dérèglement climatique en cours sera au centre d’un immense forum planétaire à Copenhague. Nul ne sait ce qui en sortira, car nul n’imagine un échec. Ni d’ailleurs un succès. Un petit monde de bureaucrates, enfermés dans un jargon incompréhensible pour les peuples, prétend y régler le sort commun à coup de « compensation carbone », d' »additionnalité », de mécanisme de développement propre (MDP) ou de réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD). On pourrait, bien entendu, choisir d’en rire, mais en même temps, il ne fait aucun doute que Copenhague marquera une date importante, bien qu’on ait des doutes. Le probable est que la discussion, qu’elle aboutisse ou non, restera technique et confuse. Or, il existe bel et bien une autre voie, audacieuse mais simple, volontaire mais limpide. Et cette autre voie, qu’elle concerne le sommet de Rome ou celui de Copenhague, s’appelle la viande.

Pour le meilleur et plus souvent le pire, la viande est devenue une industrie. Elle connaît ses crises répétées de surproduction, ses usines, ses ouvriers, ses Bourses, ses traders. Produit anthropologique par excellence, la viande puise ses racines dans la mémoire la plus archaïque de notre espèce, et la plupart des civilisations ont associé sa consommation à la force, à la puissance, à la santé, pour ne pas dire à la virilité.

Mais avec le tournant industriel opéré en France dans les années 1960, les consommateurs ont été incités par de multiples méthodes publicitaires à en manger de plus en plus souvent. Chaque Français, en moyenne, en mangerait plus de 90 kg par an, soit environ trois fois plus qu’avant la seconde guerre mondiale. Mutatis mutandis, tout l’Occident a suivi le même chemin, inspiré par l’exemple américain.

Catastrophe ? Oui, tel est bien le mot qui s’impose. Evidemment, les promoteurs de ce bouleversement n’imaginaient aucune des conséquences fâcheuses de leurs décisions. Les jeunes zootechniciens de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) d’après-guerre ne souhaitaient que nourrir les hommes et montrer leur savoir-faire. Plus tard, un Edgard Pisani, ministre de De Gaulle, croyait faire son devoir moderniste en transformant la Bretagne en usine à viande et à lait de la France. Inutile de faire le moindre procès rétrospectif. Ce serait facile, mais surtout vain. Il vaut bien mieux juger la situation présente, qui est grave. Car l’industrie de la viande n’a plus désormais qu’un but : avancer en perdurant dans son être. Mais, ce faisant, elle dévaste tout sur son passage.

La famine ? Elle ne peut que s’aggraver à mesure que la demande de viande s’accroîtra dans les pays dits émergents. Si les courbes actuelles de croissance du cheptel mondial devaient se poursuivre, nous devrions cohabiter sur terre, à l’horizon 2050, avec environ 36 milliards de veaux, vaches, cochons et volailles. Cela n’arrivera pas, pour une raison évidente : il n’existe pas assez de terres agricoles pour nourrir une telle quantité d’animaux. Lesquels sont, dans l’ensemble, de bien mauvais transformateurs d’énergie. On estime qu’il faut entre 7 et 9 calories végétales pour obtenir une seule calorie animale. En clair, l’alimentation animale requiert des surfaces géantes d’herbes et de céréales.

La planète ne comptera probablement jamais 36 milliards d’animaux d’élevage, mais en attendant, la consommation de viande, en Occident ou dans des pays comme la Chine se fera toujours plus au détriment de l’alimentation humaine. En France, bien que personne ne s’en soucie, près de 70 % des terres agricoles servent déjà à l’alimentation du bétail (« Rapport Dormont », Afssa, 2000). Entre 2005 et 2031, si rien ne vient arrêter cette machine infernale, la Chine verra sa consommation de viande passer de 64 millions de tonnes à 181 millions de tonnes par an (Lester Brown, « Earth Policy », 2005). Où sont les terres susceptibles de produire un tel « miracle » ? En tout cas, pas en Chine.

La seule voie d’avenir, dans ce domaine, consiste à diminuer notre consommation de viande de manière organisée. Et de s’appuyer autant qu’il sera possible sur des régimes à base végétale, les seuls à même d’éventuellement nourrir plus de 9 milliards d’humains en 2050. L’hyperconsommation de viande, telle qu’elle existe chez nous et dans la plupart des pays développés, conduit à des famines de plus en plus massives. Mais la FAO parlera-t-elle de la viande le 16 novembre à Rome ?

Et la confrérie des experts climatiques réunie quelques jours plus tard à Copenhague ouvrira-t-elle ce dossier brûlant ? On aimerait le croire. Par un clin d’oeil de l’histoire, c’est la FAO qui a mis les pieds dans le plat en publiant en 2006 un rapport saisissant qui, à notre connaissance, n’a pas été traduit en français (Livestock’s Long Shadow). Par quelle bizarrerie ?

Quoi qu’il en soit, ce document change la donne de la crise climatique en cours. Citation du communiqué de presse de la FAO : « A l’aide d’une méthodologie appliquée à l’ensemble de la filière, la FAO a estimé que l’élevage est responsable de 18 % des émissions des gaz à effet de serre, soit plus que les transports ! » Oui, vous avez bien lu. L’élevage mondial, en calculant l’ensemble du cycle de production de la viande, joue un rôle plus néfaste encore que la voiture, le train, le bateau et l’avion réunis. Quelque 18 % des émissions de gaz à effet de serre anthropiques, c’est-à-dire causées par l’action humaine. Une énormité.

Dans un monde plus ordonné que le nôtre, il va de soi que ces données changeraient la face de la grande conférence de Copenhague. Au lieu d’amuser la galerie avec des taxes carbone, dont l’effet sera dans le meilleur des cas dérisoire, l’on pourrait enfin s’attaquer à une cause massive du dérèglement climatique. Mais les Etats, mais les gouvernements trouveraient alors sur leur chemin l’un des lobbies industriels les plus puissants, en l’occurrence, celui de l’agriculture et de l’élevage industriels. En France, chacun sait ou devrait savoir que tous les gouvernements depuis soixante ans, de droite comme de gauche, ont cogéré le dossier de l’agriculture en relation étroite avec les intérêts privés.

La cause serait donc désespérée ? Elle est en tout cas difficile, et bien peu d’oreilles se tendent. Mais indiscutablement, les bouches commencent à s’ouvrir. En janvier 2008, l’Indien Rajendra Pachauri, président du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC) – à ce titre Prix Nobel de la Paix – déclarait au cours d’un passage à Paris : « S’il vous plaît, mangez moins de viande ! Ce n’est pas très bon pour la santé et c’est un produit fortement émetteur de gaz à effet de serre. » Il nous reste quelques jours pour lui donner raison. Chiche ?

Fabrice Nicolino est auteur de « Bidoche » (éditions Les Liens qui libèrent, 386 p., 21 €).

Cet autre 14 juillet 2009 (merci à Raton Laveur)

Sans l’un des lecteurs réguliers de ce blog – Raton Laveur-, je n’aurais jamais découvert une dépêche de l’AFP datée du 14 juillet passé. Souvenez-vous – cela ne coûte rien – qu’en 1789, une poignée de grands délirants, dont certains étaient sûrement ivres de mauvais vin, s’attaquèrent à une prison parisienne. La suite est assez connue, qui donna naissance au mythe de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Bien entendu, ce n’était pas sérieux. Enfin, voyons : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».

Il n’empêche. La blague étant savoureuse, elle fit rire des générations entières, dont certaines, l’arme au poing, la prirent pourtant au pied de la lettre. Venons-en aux faits d’aujourd’hui. Il existe sur le net un site dédié au landgrabbing, que je vous invite à visiter au plus vite (ici). Il vient d’être créé par une ONG parmi les plus intelligentes au monde, Grain (ici, en français), et vous serez probablement parmi les premiers à y jeter un œil en France.

Le landgrabbing est un crime moderne contre l’humanité souffrante. Il s’agit de l’accaparement des terres dans les pays du Sud par des sociétés transnationales du Nord, des pays émergents – la Chine -, des pétromonarchies sans terre comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite. Ces très braves gens achètent des terres arables par millions d’hectares. Pour spéculer. Pour assurer leur consommation – de viande, surtout – à long terme. Par détermination stratégique, chez ceux qui ont compris que l’avenir appartient aux terres agricoles.

Bref. Un crime épouvantable de plus, qui se marie avec celui des biocarburants. Admirablement, je dois le dire. Je vous laisse lire la dépêche AFP avec laquelle j’ai commencé ce billet. Elle est datée,  je radote affreusement, du 14 juillet, qui laissa des souvenirs et d’infinis regrets. Lisez.

DELTA DE LA RIVIERE TANA (Kenya) « Nous pouvons être expulsés à n’importe quel moment. Ils vont devoir assécher la zone et tout ce qu’il nous restera sera la pauvreté ». Bernard Onyongo, pêcheur de 65 ans, voit son mode de vie menacé par la ruée sur les terres arables africaines. Confrontés à un projet agricole qatari et trois autres de bio-carburants sur des dizaines de milliers d’hectares, Bernard et 20 000 villageois du delta de la rivière Tana, au nord-est du Kenya, ont fait ces derniers mois l’amère découverte d’un phénomène mondial, le “land grabbing” ou accaparement de terres.

Une ressource vitale et abondante, l’eau, a modelé dans cette région du nord-est du Kenya un paradis terrestre, exemple rare d’harmonie entre l’activité humaine – pêche, agriculture, élevage – et une faune sauvage foisonnante d’hippopotames, crocodiles et autres oiseaux. Ce fragile équilibre est menacé de mort par plusieurs projets du gouvernement kényan et de compagnies étrangères qui veulent y cultiver de la canne à sucre et du jatropha pour produire des bio-carburants. Le plus avancé est mis en oeuvre par la principale compagnie sucrière kényane, la Mumias Sugar Compagny (MSC), en collaboration avec l’agence gouvernementale de gestion du site.

De même, un protocole d’accord passé fin 2008 entre le Kenya et le Qatar, confirmé à l’AFP par une source à la présidence kényane, prévoit l’allocation au Qatar d’environ 40 000 hectares pour des fins agricoles en échange de la construction d’un port moderne sur l’île voisine de Lamu. Si les communautés locales affirment ne pas être opposées par principe à ces projets susceptibles de générer des revenus, elles rejettent catégoriquement celui de la MSC, qui entraînerait selon elles le déplacement de 22 000 villageois et l’assèchement des terres humides. En dépit du soutien d’ONG kényanes, elles ont perdu leur première bataille : la Haute cour de Malindi (est) a rejeté leur plainte courant juin, permettant de fait la reprise du projet gelé depuis fin 2008.

Les habitants du delta ne sont pas les seuls concernés par ces projets: la rivière Tana et un réseau complexe de petits lacs attirent des dizaines de milliers de têtes de bétail du grand nord-est Kényan à la saison sèche. « Depuis de nombreuses années, le delta est utilisé par les pastoralistes pour les pâturages, surtout en saison sèche. Si vous enlevez le delta (…), leur mode de vie disparaîtra », résume Hadley Becha, président d’une ONG environnementaliste, la East African Wildlife Society. « Le bétail n’aura d’autre endroit (de pâturage) qu’une fine bande entre la rivière et le projet. (…) Les crocodiles vont se retrouver concentrés dans la rivière, une situation dangereuse pour les troupeaux et les humains », s’alarme Maulidi Kumbi Diwayu, responsable associatif local.

Au coeur de ce litige figure la question, centrale au Kenya, de la propriété foncière: l’ultra-majorité des populations locales Orma ou Pokomo n’a pas de titre de propriété et l’Agence (gouvernementale) pour le développement des rivières Tana et Athi affirme être le vrai propriétaire foncier. Rares sont ceux – à l’image du chef de village de Didewaride, le septuagénaire Worede Dela Godana Jara – à pouvoir exhiber un titre de propriété délivré en 1923 à son aïeul par l’administration coloniale britannique… Reste un mince espoir pour les communautés locales: leur site pourrait être prochainement classé au sein de la Convention internationale « Ramsar » sur les zones humides qui, sans exclure les projets agricoles, prévoit une gestion durable des ressources naturelles.

(©AFP / 14 juillet 2009 09h34)