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De si beaux morceaux (sur les animaux et leur usage)

Je serai bref, non pour la raison que j’aurai cessé d’être bavard, mais parce que sono nei guai, comme on dit ailleurs. Dans les ennuis et même les emmerdes informatiques. Un technicien de France Telecom doit passer jeudi à la maison, c’est vous dire. Mais sera-ce bien un homme de France Telecom ? Le trouble est si grand qu’il serait aisé d’imaginer une coalition des services du monde entier, NSA, DIA, CIA, DGSE et FSB contre moi.

Je crois plutôt qu’il me faut maudire le lien que j’ai créé avec la machine. Bon. Michèle Scharapan, inlassable avocate des animaux, attire mon attention sur une histoire bien folle (ici). L’Europe, vous le savez peut-être, a lancé le programme Reach, censé faire le ménage dans les dizaines de milliers d’assemblages chimiques qui font de notre monde un lieu d’empoisonnement universel. J’ai fait la critique plusieurs fois de cette mise en scène sponsorisée par l’industrie chimique, et je n’y reviens pas.

Reste que pour arriver à la conclusion de Reach, il est bien possible que 54 millions d’animaux soient sacrifiés dans les laboratoires rutilants de la «science» au cours des dix prochaines années. Jusqu’ici, on pensait qu’il suffirait d’en zigouiller 2,5 millions. Je ferai trois brefs commentaires. Un, ce programme admet, de fait, l’extrême dangerosité de la situation présente. Il FAUT tuer des animaux pour éventuellement sauver des hommes. Deux, ce nouvel holocauste est à coup certain le signe d’un dérèglement en profondeur de notre espèce. Mutatis mutandis, j’y vois la poursuite des sacrifices de l’Antiquité, quand les humains tremblaient de peur devant les dieux. La science – ce qu’elle est devenue – et son alliée indéfectible appelée technologie ne sont-ils pas les Zeus et Poséidon de notre temps ?

Troisième et dernier point : les animaux sont vraiment devenus des choses. Des meubles. Des objets. Des marchandises qu’on entasse dans le noir, qu’on tire, qu’on pousse, qu’on éventre, qu’on découpe, qu’on dévore. Et sur lesquels il est licite de se livrer à toutes les expériences jugées nécessaires. La France massacre chaque année plus d’un milliard d’animaux pour notre seule nourriture. Je vous préviens que vous n’avez pas fini de m’entendre, car je sors le 30 septembre un livre dont le titre est BIDOCHE. Et le sous-titre : L’industrie de la viande menace le monde. Je serais étonné que tout le monde soit content.

À vos portefeuilles ! (aider Terre de liens, tout de suite)

Vous me direz si le contre-emploi me va bien au teint. Car, retenez votre souffle, je vais vous parler d’une information heureuse autant que positive. Je sais bien que cela ne saurait annuler à vos yeux les milliers de mauvaises nouvelles dont je vous abreuve depuis bientôt deux ans, mais on fait ce qu’on peut. Appelons cela un début. Qui ne risque rien n’a rien, et pierre qui roule n’amasse pas mousse, même si tout ce qui brille n’est pas or.

Terre de liens (ici) est une association géniale, qui a créé en 2006, avec la Nef, société coopérative de finances solidaires (ici), un outil. Ni tranchant comme une faucille, ni contondant comme un marteau. Un outil de rêve, qui serait une treille, une maille, un pont de lianes aussi solide que celui, en acier, de Tancarville. Mais qui tiendrait dans la main, et qui tendrait d’ailleurs la main à qui le veut bien. Je m’égare ? Je m’égare.

Cet outil, c’est une épargne collective qui permet d’acheter des terres agricoles partout en France, puis de les mettre à disposition de paysans bio sous la forme d’un bail particulier. Voilà des gens qui en ont marre de seulement radoter. Ils agissent, constatant que 200 fermes continuent de disparaître chaque semaine en France, et que 160 hectares de terres agricoles sont sacrifiées chaque jour au dieu Béton de notre monde de pacotille. Ils agissent, alors que ce gouvernement ne sait pas quoi faire pour honorer sa minuscule promesse de faire passer l’agriculture bio de 2 % de la surface agricole à 6 % en 2012. Ils agissent, au moment où 50 % des produits bio consommés en France sont importés, pour la raison centrale que la FNSEA et tous les pouvoirs depuis 1945 ont étouffé de concert toute chance de vrai renouveau de l’agriculture humaine, écologique et prospère.

J’arrête là ma péroraison. Les gens de Terre de liens ne se contentent pas d’acheter et d’offrir des baux très avantageux. Là où leurs forces le permettent, ils tentent de faire de la politique, dans le sens simple et vrai de ce mot. Ils mettent en mouvement, interrogent les acteurs locaux, remuent les inerties et les courbatures, créent de nouveaux espaces vivants de combat. Alors, je vais vous dire : ils peuvent compter sur mon argent. Et j’espère bien, si vous en avez un peu, sur le vôtre. Car en l’occurrence, nulle lamentation en vue : de l’action, du concret, et même au passage la grande joie de participer à une œuvre utile à tous et à soi.

Courant juillet, mon ami Patrick m’a montré au passage de son auto un lieu superbe, en bordure de rivière, où Terre de liens était en train d’installer des paysans. Je ne sais si cela marchera, on s’en doute. Mais enfin, j’en trépignais intérieurement. La propriété se compose d’1,5 hectare de terre cultivable et arrosable, de 2 hectares de pâtures, de 15 hectares de bois. Une misère, dans l’univers productiviste des saigneurs en place. Pourtant, un homme a décidé de relever le gant, et de se lancer dans le maraîchage biologique, à l’aide de la traction animale. La remarquable association Prommata (ici) donnera la main, car elle pense, cette rétrograde, que l’animal est moderne, et pour tout dire, éternel.

Eh bien voilà, je vous ai dit ce que je souhaitais vous dire. En espérant que le choc de tant d’optimisme ne vous aura pas fait perdre de vue que je suis toujours le même.

PS : Je dois ajouter que le réseau de boutiques BIOCOOP (ici) joue un rôle de premier plan dans toute cette histoire. Ces magasins sont une bénédiction.

Ajout (triste) sur le parc national des Pyrénées

D’abord merci à l’un de mes lecteurs, Maraudeur, qui me signale une nouvelle qui m’avait échappé. Je signalais l’autre jour une grande farce en cours au parc national des Pyrénées (ici). L’État – qui, dans l’État ? – avait décidé de nommer au conseil d’administration de ce parc une ennemie jurée de l’ours. En lieu et place de l’association régionale de protection de la nature, qui détenait depuis des lustres ce strapontin.

Bon, quelles sont les nouvelles ? Il y a recul, et la madame qui déteste tant les ours n’aura finalement pas son siège au conseil d’administration (ici). Ce pourrait être un moment de joie partagée pour tous ceux qui disent – j’en suis – que l’ours a sa place, toute sa place, dans ce grand paradis que sont les Pyrénées. Mais la fête, si elle a lieu, se fera sans moi.

J’ai sous les yeux le texte de l’Uminate, l’association régionale fédérée à France Nature Environnement. La vie reprend. Celle d’avant. Celle des réunions calmes et sages. Celle des compromis qui se changent peu à peu en compromissions. Je n’accuse pas des personnes, je désigne un processus par lequel ceux qui devraient défendre la vie sauvage ne cessent de reculer et de s’excuser d’être encore là. Je le rappelle, l’ours est dans ce pays que nous occupons depuis environ 250 000 ans, une époque où les humains ne se bousculaient pas au portillon.

En quelques petits siècles, le déclin de cette espèce fabuleuse n’a cessé de la rapprocher du néant, en France du moins. Ne remontons pas à ce bon vieux Mathusalem. L’ours était présent en Franche-Comté il y a 150 ans seulement. Dans les Alpes, jusqu’en 1937, date à laquelle les Pyrénées « françaises » en abritaient encore entre 150 et 200. En 1954, il en restait sans doute 70, et 36 en 1970. Et 18 en 1981. En 1988, le 6 octobre précisément, notre Mitterrand proclamait sans rire : « En 1982, j’avais lancé un appel pour la sauvegarde de l’Ours ; et bien ! Je recommence ! », ajoutant ce mot admirable : « À quoi servirait-il de protéger les ours si dans un même moment on détruit leur habitat ? ».

Et en effet, vieux renard, à quoi bon ? Il n’y a pratiquement plus d’ours autochtones dans les Pyrénées. Deux, peut-être trois entre Ossau et Aspe, auxquels il faut ajouter ceux qu’on a fait venir de Slovénie, et qui ont été relâchés dans les Pyrénées centrales. Une génération humaine aura suffi pour achever 250 000 années de présence ursine. Un tel désastre mériterait peut-être qu’on s’y arrête. Qu’on réfléchisse. Qu’on parle avant que d’agir d ‘une manière enfin déterminée contre tous ceux qui empêchent la cohabitation.

Je constate que bien des acteurs, y compris du côté naturaliste, sont incapables du courage nécessaire au sursaut. Il faut, il faudrait une assemblée constituante, seule capable de définir une vraie stratégie, et de s’y tenir. Une stratégie enfin offensive, unifiant toutes les forces disparates qui défendent encore l’animal. Cela ne serait peut-être pas suffisant, certes. Mais c’est devenu nécessaire. Obligé. Jouer le jeu de la concertation avec des gens et des structures qui ont tué ce rêve sans égal ne peut mener nulle part. Ne mène nulle part. N’aura mené qu’à la destruction définitive du pacte immémorial passé sans un mot entre nous et eux.

Croyez-le ou non, mais j’ai honte.

Farce estivale dans les Pyrénées (avec montreur d’ours)

Sur le papier, ce n’est pas très drôle. Mais comme je suis un dur à cuire, je me marre tout de même. Pensez ! Les écolos pyrénéens de France Nature Environnement (FNE) sont colère. Je parle là de la grande association régionale nommée Uminate (Union Midi-Pyrénées nature environnement, devenue depuis peu France Nature Environnement Midi-Pyrénées, ici. Faut suivre, je vous jure).

Donc, Uminate est colère. Et le fait savoir par un communiqué de presse qui parle de provocation dirigée contre la protection de la nature et de l’ours. Je cite : « Les associations de protection de la nature viennent de prendre connaissance de l’arrêté du Ministère de l’Ecologie désignant les nouveaux membres du Conseil d’Administration du Parc National des Pyrénées (…) Désormais, avec cet arrêté, c’est une représentante de l’Association pour la Protection du Patrimoine pyrénéen (ASPP 65) qui siègera pour la défense des fragiles écosystèmes et de la biodiversité de nos montagnes. Jusqu’ici, Mme Broueilh siégeait déjà au CA du Parc, comme représentante de la chambre d’agriculture des Hautes-Pyrénées. Créée en 2000, l’ASPP 65 représente en effet essentiellement divers éleveurs et agriculteurs du département ».

Disons-le, c’est farce, et grandiose. L’association qui « représentait » officiellement la nature au conseil d’administration du parc national des Pyrénées s’est fait piquer sa place par une madame Broueilh, qui s’occupe donc de l’ASPP. Ce nom, déjà : on en mangerait. Si vous avez l’envie de vous distraire, allez donc faire un tour sur le site de madame Broueilh (ici), car l’on y rigole follement. Extrait : « La montagne offre un paysage que les visiteurs aiment parcourir ; c’est l’oeuvre du paysan avec les troupeaux qui n’ont cessé d’y inscrire leurs empreintes depuis trois mille ans.
Aujourd’hui, l’implantation artificielle de fauves bénéficiant de toutes les protections vient saccager ce résultat et annonce la disparition de l’élevage et avec lui la remarquable biodiversité que nous rencontrons dans les Pyrénées »
.

Ainsi donc, le Parc national des Pyrénées (PNP) défendra désormais l’ours en confiant le dossier à qui veut se débarrasser de « fauves ». Avouons-le, c’est nouveau et intéressant. Un mot sur ce parc imbécile, qui ne nous fera pas de mal. Créé en 1967,  le PNP a dès les origines essayé d’éviter l’ours, découpant son territoire central de manière qu’il ne soit pas situé dans sa zone centrale, là où la protection pouvait jouer à plein.

Si j’écris imbécile, ce n’est pas, malgré l’apparence, pour insulter. Je sais le travail proprement admirable de tant d’agents de ce parc en faveur de la nature. Non, je ne parle pas d’eux, mais de cette structure faiblarde, trouillarde, paniquarde à l’occasion, où des petits bureaucrates faisant carrière ont toujours démissionné devant les gueulards. Le fait est qu’en 1967, il y avait dans l’ouest des Pyrénées une trentaine d’ours. Le fait est qu’il en reste trois, ou deux. Moins, qui sait ?

L’espèce est perdue. On a réintroduit dans les Pyrénées centrales – ohé, Alain Reynes, ohé François Arcangeli ! – des ours capturés en Slovénie, qui ont fait la preuve évidente que les Pyrénées pourraient accueillir une forte population d’ours. Mais ne nous mentons pas : le lien entre cette montagne et ses ours, qui avait tenu tant de milliers d’années, est rompu. Et c’est une tragédie qui renvoie évidemment à notre impuissance collective.

Pour en revenir à Uminate, j’ajouterai ma poignée de poivre habituelle. Comment se fait-il qu’une association écologiste – mais l’est-elle ? – a pu laisser disparaître une espèce comme l’ours sans le moindre cri authentique ? Et pourquoi ? La vilaine manière de l’arrêté de création du conseil d’administration du parc n’a été possible que parce que le pouvoir savait où il mettait les pieds. Il les mettait, les met et les mettra là où il sait que nul ne le poussera hors du chemin.

Je pourrais et devrais poursuivre, mais je suis un poil démoralisé. Je devrais, car toute la chaîne pyrénéenne est en ébullition relative. Les ennemis de l’ours et de la vraie nature se mobilisent partout. Un Jean Lassalle, député du Modem, grand défenseur du tunnel du Somport, grand contempteur de l’ours malgré toutes ses palinodies, vient d’écrire à Sarkozy (1) une lettre bouffonne. Il y proteste contre une réforme du parc national, dont la surface doit être multipliée ar cinq, accusant « Paris » de vouloir changer les valléens – les siens – en « sous-hommes surveillés jour et nuit dans [des] réserves » . Cet homme a l’art du ridicule, poussé à l’extrême. Où s’arrêtera-t-il ? Je l’ignore, mais il ira loin, bien plus loin encore.

Des potentats dans son genre, souvent plus petits encore, les Pyrénées en sont pleines. C’est à pleurer. Louis Dollo, par exemple, dont j’ai du mal à seulement écrire le nom (lire ici). Il annonce triomphalement la création d’une nouvelle association, qu’il présente de la sorte : « Comité des vallées, d’Aspe, Ossau, Barétous et Ouzoum libre, pour la défense des droits des valléens, de leurs us et coutumes mais aussi le développement durable et la biodiversité (ici) ». Ces gens sont bien entendu les amis de madame Broueilh, citée au début de ce trop long papier.

Alors ? Alors et bien sûr, plus aucune avancée n’aura lieu sans un vrai débat public à l’intérieur du mouvement écologiste. Avec au programme quelques questions qui ne sont pas souvent abordées, sans doute parce que la réponse fait peur. Par exemple : à qui appartiennent les Pyrénées ? Par exemple : à qui appartiennent les ours ? Par exemple : la défense de la biodiversité ne crée-t-elle pas un droit nouveau, neuf et supérieur ? Par exemple.

En attendant ce jour heureux qui tarde tant, je jette un coup d’oeil sur le vallon, depuis la fenêtre. Mon vallon à moi. Il est toujours là, toujours aussi merveilleux. Il y avait hier une martre dans l’un des champs en contrebas. Qu’on ne vienne pas me chercher ici !

(1) Je ne parviens pas à rendre valide l’adresse où l’on peut lire en intégralité la lettre de Lassalle. Voici le lien, pour les aficionados : www.pyrenees-pireneus.com/PNP-Jean-Lassalle-ecrit-au-President-republique-sarkozy-1-juillet-2009-Parc-National-Pyrenees.pdf –

Pour Pascal Wick, berger nomade (un livre magnifique)

Il y a des jours de bonheur. Oh que oui ! Malgré cette satanée crise de la vie, j’adore être sur terre. Et voir. Et entendre. Et parler. Et le reste, ô combien ! Il y a des jours où une lettre, à elle seule, vous fait sauter de joie. Comme celle que je viens de recevoir. Comme celle de Pascal Wick, berger et nomade. Je vous en livre des extraits : « Déjà bien des lunes que nous nous sommes croisés. J’espère que tu vas bien et que la vie te traite avec tout le respect qui t’est dû. De mon côté, je n’ai aucune raison de me plaindre. L’Ancien est toujours nomade et se lève de bonheur (…) Au cours de ma vie j’ai vendu, en dehors de ma force de travail, des agneaux, des fromages, des légumes, du bois de chauffage, et j’en passe (…) Pour l’instant, je suis en douce Drôme, où je m’occupe pas mal de potagers pour les amis. J’ai aussi un mulet avec qui je fais des tours. L’année dernière, nous avons traversé une bonne partie de l’Espagne ensemble ».

Pascal Wick. Je l’ai rencontré il y a dix ans, au printemps 1999. Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que cet homme grand de taille et de front était aussi doté d’esprit, et de cœur. Il vivait dans une camionnette aménagée, en compagnie de Clark, un beau border-collie. Quelqu’un m’avait signalé son existence, car il éduquait dans les Pyrénées des chiens appelés à défendre les troupeaux contre les (très) rares attaques d’ours. Pascal était, d’après ce « découvreur », exceptionnel. Eh bien, je confirme : exceptionnel.

Sa vie était restée accrochée au chalet de son enfance dans les Alpes. Gosse, il vivait là, isolé pendant des mois par la neige, entouré de chiens, de chats, de brebis et même de lagopèdes et de tétras-lyres. Même à la belle saison, on n’y parvenait qu’à pied ou à cheval. Pour la raison inepte qu’il ne fichait rien à l’école, il fut envoyé en pensionnat, à Annecy si ma mémoire ne défaille pas. Et ce fut la fin du monde. De ce monde réel, idéel, imaginaire.

Que fit-il ? Je ne sais plus très bien. Il obtint un doctorat en économie, travailla en Algérie, découvrit les États-Unis et ses universités, passa des temps considérables à écouter du jazz dans des boîtes comme il existe là-bas, rencontra en Tunisie un poète analphabète qui lui apprit combien la vie est courte, magnifique, incertaine et précieuse. Après quelques détours, malgré une proposition de l’université canadienne McGill – de celles qu’on ne refuse pas -, il devint berger itinérant entre Drôme et Méditerranée, avec femme et bientôt enfant. Vers 1973.

Berger itinérant, c’est-à-dire avec troupeau perpétuellement transhumant de la mer à la montagne et retour. Toute l’année. Ne cherchez pas, cela n’existe pas. Mais cela existe. Je n’ai plus eu aucun contact avec Pascal depuis dix ans, depuis que ne m’arrive cette lettre qui me fait tant plaisir. Que devient-il ? Si vous avez envie de le savoir, lisez donc le livre unique qu’il vient de publier au Seuil : Journal d’un berger nomade. Et si vous êtes déçu, n’hésitez pas à me secouer les puces en retour. Mais vous ne le serez pas.

Ce que raconte Pascal, sous la forme donc d’un éphéméride, c’est sa vie de berger. Il a la langue précise, heureuse, directe en même temps qu’imagée. Disons qu’il nous aide à voyager, à cheminer avec lui par mille détails et anecdotes. Ses tribulations commencent le 11 avril 1996, par un matin sans nuages, tandis qu’une petite brise descend de la sierra Nevada, en Espagne andalouse. Pascal écrit : « Nous allons bientôt prendre la route du nord, quitter Yegen… ». Yegen ! Croyez-vous au hasard, gens de peu de foi ? Ce nom-là a fait vibrer des cordes jusqu’au plus profond de moi. Yegen ! L’écrivain britannique Gerald Brenan a écrit un livre inoubliable sur les années qu’il passa à Yegen, dans les années 20 du siècle passé. Al sur de Granada – je l’ai lu en espagnol, faute de traduction française – veut dire Au sud de Grenade. C’est un chef-d’œuvre qui raconte cette région des Alpujarras, tout imprégnée encore de la présence arabe, jusque dans la conception de ces villages blancs accrochés à la pente, face à la Méditerranée. J’y suis allé. À Yegen. J’y reviendrai, car je ne peux faire autrement.

Et retour à Pascal. En ce printemps 1996, il part avec deux chiennes. D’abord Maïza, « la rapidité, la vivacité », ensuite Brook, « le calme et le sérieux ». Il les aime. Il est presque incroyable de voir une telle intensité dans le regard d’un humain pour une bête. Si, je sais ce que j’écris. Presque. Les étapes se succèdent. Draguignan. Les Juges. Ambel. On retrouve des amis, on se prépare pour la grande traversée. Le 12 mai, notre homme et ses chiennes sont à Paris. Le 13, il débarque à Detroit, satisfait d’entrer aux États-Unis par la file des « Non Citizens Aliens ». Avec les Aliens. Avec les autres et les étranges étrangers, toujours. Il retrouve ses animaux et poursuit sa route.

Mais je dois bientôt arrêter, car je ne vais pas refaire tout le voyage. Pascal se rend à Billings, dans le Montana, où un propriétaire, Teddy Thompson, lui donne 1200 dollars par mois pour garder son troupeau. Le lieu se situe dans les Rocheuses, une zone sauvage appelée du nom indien d’Absaroka. Il y entend chanter le loup, il y aperçoit le puma, il y croise d’innombrables coyotes. Mais surtout, surtout, il doit composer avec la présence d’ours, dont le fameux grizzli. Je vous laisse découvrir ses jugements, que je ne partage pas nécessairement. C’est en tout cas passionnant. Il est passionnant qu’un berger amoureux du Grand Dehors comme l’est Pascal Wick nous parle de la coexistence si difficile entre l’homme et tout ce qui n’est pas lui.

Bon. Vous ferez ce que vous voulez. Pour qui n’a pas d’argent, 19 euros représente une somme, je le sais. Il n’y a pas le feu, pas au point de dévaliser la banque du coin. Le livre de Pascal Wick est là pour un moment, qui durera. Au-delà, j’ai ressenti en lisant, et je ressens encore en écrivant que la vie ne peut être la soumission aux conditions qui nous sont faites. Je prendrai volontiers le livre de Pascal pour un doux appel caché à la révolte la plus radicale qui soit. Jeunesses, n’avouez jamais vos rêves, et vivez-les ! Jeunesses, n’acceptez rien de ce qu’on attend de vous ! Jeunesses, attrapez la queue du lion de montagne à pleines mains, aussi courte soit-elle, aussi difficile que cela soit ! Jeunesses, marchez ! Et vieillesses de même.