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De quoi pèse notre argent

Sauf si je me trompe, j’interromps ce rendez-vous pendant quelques jours. On survivra.

Après le tigre, la poule ? Oui, la poule et ses poussins, la poule et ce flambard de coq. Avec la vache, les cochons, le boeuf et le taureau. Sans oublier le cheval, l’âne, les oies, le lapin, les canards de la mare, le dindon et le mouton. Il ne manque plus au tableau que la fermière et son vaste tablier, le fermier et sa herse. Bien entendu, n’oublions pas les chenapans qui se battent sur le tas de fumier plutôt que de réviser leurs verbes. Bienvenue à la ferme.

Il n’est pas impossible, après tout, que je sois nostalgique de ce qui n’a jamais existé. Que celui qui n’a jamais rêvé sa vie m’adresse en retour tous les reproches qu’il veut. Moi, je préfère le songe, de toute éternité. Et l’initiative de PMAF me permet justement de partir vers un monde meilleur, où l’on ne martyriserait plus impunément les animaux qui nous servent de nourriture.

Je vous présente PMAF, qui veut dire Protection mondiale des animaux de ferme. Avant les compliments, les gars, je peux vous dire que vous avez traduit l’acronyme anglais de naissance – Compassion In World Farming (CIWF) – comme des cochons. C’est bien parce que j’aime les animaux, croyez-moi. Car défendre la cause de PMAF est une rude entreprise. Pourquoi pas SDECE ou OCDE ?

Passons. PMAF est donc le bureau français d’une association britannique créée par un éleveur de vaches en 1967. Le temps passe, mais il n’efface pas le crime. Depuis que l’élevage industriel a été inventé, des milliards d’animaux ont été traités comme des morceaux. Comme les éléments d’une usine à viande où nous pourrions jusqu’à la fin des temps prendre et remplacer. Il est saisissant de penser que la grande chaîne d’assemblage des bagnoles Ford, dès 1913, a trouvé son inspiration dans la Disassembly line des abattoirs de Chicago, visités par un technicien de Ford en 1906. Il n’y aucune solution de continuité entre la tuerie organisée et la production de masse.

Passons de nouveau. Le grand massacre finira-t-il un jour ? Oui. Mais comme j’en ai marre d’attendre, je vais donner un peu de mon argent à PMAF, malgré son sigle baroque. Car les excellentes personnes qui dirigent l’association ont un projet qui me remplit de joie. Moi. De joie. Si. Il s’agit d’installer en France une vaste ferme, qui accueillerait des centaines d’animaux maltraités. Qui leur assurerait une retraite paisible, loin de la cruauté.

On y verrait donc des vaches aux pis desséchés, de vieux chevaux de retour des guerres humaines, des cochons de réforme à la queue coupée par les marchands, des poules rescapées de la grande catastrophe. Cette ferme servirait, au passage, de siège à PMAF. Cette goutte d’eau dans la mer de nos souffrances communes, ce ne serait rien ? Sans doute, sauf si elle nous abreuve avant de disparaître. Et moi, je vous le dis, cette nouvelle me remplit l’âme et me fait briller le coeur. Je vais donner de l’argent.

Jamais je ne quitterai le tigre

Jamais je ne quitterai le tigre. Jamais il ne quittera mon rêve. Et je sais bien pourquoi : il est le dieu de la forêt, le Grand Van de Sibérie. Un esprit, si vous préférez ce mot. Je reste hanté à jamais par les récits de Nicolas Baïkov, officier russe installé à Harbin, ville chinoise de Mandchourie.

Oh, je vous parlerais bien volontiers de Nicolas, qui le mérite tant. Mais je n’ai pas le temps, ni la place d’ailleurs. Ses meilleures nouvelles sur le tigre sont réunies dans la petite collection Payot, si le coeur vous en dit. Permettez-moi ce court extrait : « Il y a environ quarante ans, le tigre dont nous parlons, encore jeune à cette époque-là, fut pris dans les filets lors d’une chasse impériale chinoise et destiné au jardin zoologique de Pékin, mais des hommes savants de la cour de Chine reconnurent en lui le Grand Van et le remirent avec respect en liberté. L’empereur chinois assista en personne à cette cérémonie et le tigre, se sentant libre, s’approcha tranquillement du souverain, lui fit un salut profond et retourna lentement vers ses forêts natales. Telle est la légende ».

Baïkov fait bien de le préciser : une légende. Car la réalité est autre. Amba, le grand héros de la taïga, cher au coeur du chasseur Dersou Ouzala, vient de passer environ deux millions d’années en notre compagnie. Comme c’est étrange ! Il a notre âge, celui de l’espèce humaine. Bien qu’on ne sache pas tout, bien que nous sachions si peu, il est admis que le tigre est né dans le territoire qu’on appelle aujourd’hui la Sibérie.

Et puis il a étendu son pays, gagnant la Caspienne, les îles de la Sonde, l’Inde, la Chine bien sûr. Pendant le temps d’une longue inspiration, le tigre s’est contenté de bondir, de rugir et d’élever sa progéniture. Le XXème siècle héroïque des hommes l’a changé en vagabond, en maraudeur, en splendide intrus de notre monde malade. Trois des huit sous-espèces de l’animal ont tour à tour disparu : les tigres de Bali et Sumatra, celui de la Caspienne aussi.

Et il ne reste plus aujourd’hui que 3500 tigres vrais sur terre. Car les autres, ceux qui croupissent au fond des prisons humaines, comment les appeler ? Je vous jure que j’en suis infiniment malheureux, moi qui n’ai jamais vu de tigre qu’en cage. Malheureux et furieux contre ces « conservationnistes » – c’est le mot, désolé – qui se contentent une fois de plus d’alerter. La belle affaire !

Je ne supporte plus les comptables du désastre. J’ai beau savoir que nous avons besoin d’eux, je ne les supporte plus. Je me souviens encore d’une réunion de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), qui s’était tenue en Floride, en 1994. Déjà, et après vingt autres engagements solennels, la communauté mondiale des protecteurs avait annoncé des mesures présentées comme essentielles.

Depuis, la situation n’a cessé de se dégrader encore, inexorablement. En novembre 2004, une autre réunion tenue à Hanoï (Vietnam) lançait un nouvel appel. Le tigre de Chine du sud ne comptait plus à ce moment que 20 individus peut-être. L’année suivante, le secrétaire de la Cites adressait une lettre – une lettre ! – au Premier ministre indien pour lui proposer une réunion – ! – consacrée au sort du tigre dans son pays. La courageuse journaliste indienne Ritu Gupta venait de révéler comment les bureaucrates indiens truquent les chiffres concernant le tigre. Elle avait démontré l’existence d’animaux fantômes, dont les traces étaient laissées dans la jungle par des employés modèles, pour complaire à l’industrie touristique mondiale.

Vous savez comme moi qu’il n’y a pas de solution miraculeuse. Mais il est évident aussi que la stratégie suivie jusqu’ici a lamentablement échoué. Dans quelques années, l’affaire sera réglée. Sauf si l’on tente autre chose. Il y a un préalable : que l’on reconnaisse ce qui est. Que l’on écarte les structures incapables de faire face à la situation, de la Cites au WWF, très présent en l’occurrence.

On finira par croire que j’en veux spécialement à ce dernier. Ce n’est pas vrai. Mais je constate les limites flagrantes de son travail d’équilibriste, entre financement par l’industrie et arrangements avec les États. La cause du tigre, qui est celle de l’homme, mérite mieux qu’un choeur de pleureuses professionnelles. Il faut clamer que l’animal – cet être en général – a une place, une valeur indépendante de celle qu’on accorde à l’homme. L’animal doit vivre. Et l’homme doit s’adapter. Il doit réduire sa puissance et son emprise. Parce qu’il est (hélas) le maître.

Ma journée commence. Je retourne à Baïkov. Chez lui du moins, Amba ne mourra pas. Le tigre, dit-il, hypnotise. Pas le sanglier, on ne sait trop pourquoi. Mais le cerf, le chevreuil, le chien, l’ours, si. Pris d’une transe nerveuse dès qu’ils aperçoivent le regard « perçant et pleinement conscient de sa force invincible » du tigre, ils se soumettent à ses griffes. Même certains chasseurs aguerris se montrent incapables de lever leur fusil sur l’esprit de la forêt. Amba !

Veaux, vaches, cochons, sales cons

Ne surtout pas dire du mal d’Yves Rénier, ancien commissaire Moulin. On ne sait jamais, avec les flics. Ne surtout pas avouer que je n’ai regardé aucun des épisodes d’une série qui aura duré plus de trente ans. On ne sait jamais, avec TF1. Penser à l’avenir, se concentrer sur la promotion d’éventuels livres à venir, ne pas oublier de plaindre PPDA, qui serait dans la peine, plus près de la porte que de l’augmentation de fortune.

Si je vous parle de Rénier, c’est pour rire un peu. Il faut. J’ai découvert une vidéo formidable, sur laquelle défilent une quinzaine de minutes d’un entretien accordé par madame Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à l’Écologie je crois, à trois éminentes personnalités, dont Yves Rénier (dailymotion.com).

Ce dernier n’est pas que flic : il est en effet doté d’une âme, qui saigne dès qu’on parle des animaux domestiques. La preuve immédiate ici, où il affirme à sa manière virile : « Dire qu’il y a des cons qui critiquent Bardot…». Ben oui, quoi, il y a des cons qui ne supportent pas le mélange infernal autant qu’insupportable du racisme le plus rance et de la cause animale. Heureusement qu’Yvon est là pour remettre les choses d’aplomb. Je l’appelle Yvon, car je suis un familier, je me permets.

Yvon est bon. Bon. Je ne vous suggère pas de vous infliger les 15 minutes interminables entre la sous-ministre et Rénier, n’exagérons pas. Mais si vous savez manier le curseur, arrêtez-le sur 5 minutes et 20 secondes. Madame Kosciusko-Morizet dit quelque chose d’intéressant : « L’Agriculture est leader sur ce sujet au sein du gouvernement ». Évidemment, ce n’est plus du français. Mais passons, je vous prie.

De quoi parle-t-elle ? D’une initiative intéressante de son ami et collègue Michel Barnier, ministre de l’agriculture intensive. Comme cela commence aujourd’hui, je crois qu’un commentaire s’impose. Il s’agit d’un raout nommé « Animal et société », qui se veut la poursuite du Grenelle de l’Environnement de l’automne (tré)passé. Le gouvernement, dans cette infinie sagesse qui ne peut que toucher le noble Yvon, a décidé de changer les choses. Si. Il faut changer, il faut que les animaux soient mieux traités, il faut se montrer humains.

Comme tout Grenelle qui se respecte, trois groupes de travail vont plancher, en vue d’un rapport prévu en juin. Trois groupes, trois présidents (agriculture). Je ne peux ni ne veux vraiment tout détailler. Juste deux points. Le premier concerne le poulet industriel. Je ne vous décris pas l’horreur, c’est inutile ici. 80 % des poulets mangés en France viennent directement de prisons de haute sécurité.

Voilà un beau sujet pour monsieur Barnier. Seulement, la messe a déjà été dite, de longue date (poulets). Le gouvernement français, travaillé au corps par le lobby avicole, s’oppose de toutes ses forces, puissantes en la matière, à la moindre réforme en faveur des 630 millions de poulets intensifs zigouillés chaque année chez nous.

Voilà pour le premier point. Le second porte sur le troisième groupe de travail, dont le nom est un programme : « Animal, économie, territoire ». Le mot central, comme vous pouvez constater, est : économie. Et le président de ce groupe s’appelle Jérôme Bignon, député de la Somme et depuis peu président du Conservatoire du Littoral.

Il est Nouveau Centre, autrement dit Vieille Droite. J’ai eu l’occasion de me heurter à lui, violemment, sur le sujet des biocarburants. C’était en octobre 2007, sur France-Info. Il m’a paru que cet homme défendait un à un tous les arguments du lobby industriel. Et le voilà donc président d’une commission appelée à améliorer le sort des animaux.

C’est prometteur, pour deux raisons principales. La première, c’est que Bignon est cosignataire d’une proposition de loi tendant à faire du foie gras – supplice des oies compris – une « partie du patrimoine culturel et gastronomique protégé en France ». Anecdotique autant que plaisant. Torturons, torturons, il en restera toujours quelque chose.

La suite est un peu plus imposante, et si vous en avez le temps, je vous renvoie à ma prose du 5 décembre 2007 (fabrice-nicolino.com). Bignon est l’ami de toujours des chasseurs les plus extrémistes de la baie de Somme, dont il est l’élu.

En juillet 2002, Bignon est présent au cours d’une assemblée de chasseurs-huttiers. Il ne fait aucun doute qu’une partie de ces gueulards ont participé au début de lynchage de l’ancien député socialiste du coin, Vincent Peillon. Il faudrait être de très bonne composition pour ne pas voir en eux des ennemis de la République. Cette République, rappelons-le à tout hasard, qui paie et entretient Bignon à longueur d’année.

Or que dit Bignon ce jour-là aux excités, ceint peut-être de son écharpe de député ? Ceci textuellement : « L’administration française, les juridictions qui s’occupent de la chasse, le tribunal administratif comme le conseil d’Etat sont plombés par les Verts qui contrôlent le système ». Ne s’agirait-il pas d’un appel à peine déguisé à passer outre les juridictions en place ? Ne pourrait-on considérer le tout comme un début d’appel factieux ? Je vous laisse le soin d’y réfléchir en votre âme et conscience.

Mais pour en revenir à ce « Grenelle des animaux », mieux vaut encore en rire. À moins que vous n’ayez une autre idée ?

L’éternel retour des farines animales

Nous avons beau vivre par miracle en paix – nous, pas ceux d’ailleurs et du lointain – depuis presque 63 années, une guerre non déclarée nous est faite jour après jour par le système industriel et marchand. Vous pouvez estimer que j’exagère, bien entendu. Mais attendez tout de même quelques lignes, s’il vous plaît.

À l’automne 2007, le lobby du porc demande à rencontrer notre ministre de l’Agriculture, Michel Barnier. Ces gens-là n’en peuvent plus. Disent-ils. Tout coûte de plus en plus cher, à commencer par cette nourriture à base de céréales qu’ils sont contraints d’offrir à leurs prisonniers depuis la funeste affaire de la vache folle. Ils demandent au ministre de revoir l’interdiction des farines carnées pour les animaux d’élevage, décidée par l’Europe en 2000. Barnier botte précautionneusement en touche, et parle d’études en cours. Courageux, mais pas téméraire.

Depuis, le prix des céréales n’a fait qu’augmenter, et les éleveurs industriels n’ont cessé, au cours d’innombrables réunions, de réclamer le droit de donner de la viande aux cochons. Et aux poulets, tant qu’on y est. Avec un allié qui compte et qui s’appelle le Sifco ou Syndicat des industries françaises des coproduits animaux. Le nom, déjà, fait envie. Coproduits. Lisez par vous même, mais surtout pas avant de manger : www.sifco.fr. Le Sifco fabrique des farines animales, mais a eu la grande sagesse de les rebaptiser Protéines animales transformées, ou PAT. C’est mieux, éPATant, même.

Pour l’heure – quel inconcevable gâchis ! – les déchets ont deux destinations principales. Les restes d’animaux malades partent brûler dans les cimenteries. Et les autres sont changés en PAT qui nourrissent nos chats et nos chiens. Avec une variante intéressante : on en fait aussi de l’engrais. Le sang, pour sa part, « enrichit » la diète des poissons d’élevage, poissons dont on tire à l’occasion des farines destinées à l’alimentation des porcs et des volailles. Voilà un système astucieusement pensé.

L’Europe va-t-elle céder ? Elle est visiblement soumise à un pilonnage en règle des lobbies, et n’est plus si éloignée de dire oui. Pour l’heure, elle se contente de financer, à hauteur de 1,7 million d’euros, l’élaboration d’un test. Qui permettrait de savoir de quel animal provient telle farine. Pas bête. Car l’Europe, d’une cruauté sans nom à l’encontre des éleveurs, ne veut pas entendre parler de cannibalisme. En clair, un porc ne saurait nourrir un porc. Un poulet, un poulet, etc. Pour une raison en fait très pragmatique : il convient d’empêcher la transmission de maladies au sein d’une même espèce.

Je pense que vous apprécierez comme moi le propos d’un des grands manitous du porc industriel en France, Paul Auffray, qui est secrétaire général de la section porcine de la Fédération nationale des exploitants agricoles (Fnsea) : « Il ne faudrait pas que ça effraie le consommateur, et puis auprès des distributeurs qui communiquent sur le tout végétal dans l’alimentation animale, c’est pas évident ». Mais si : web-agri.fr. Et voyez cette étonnante réplique de McDo : « À supposer que les conditions de sécurité sanitaire soient réunies, comment l’expliquer au consommateur ? » (ouest-france.fr).

Je dois dire que j’adore cette ultime phrase du marchand de frites et de gras. Car je ne vois pas comment dépasser une telle perfection. Le problème, le seul problème, c’est de fourguer. Peu importe quoi, peu importe croyez-moi. Fourguer. Un emblème. Un blason.

Vive les écoguerriers ! Evviva !

Des fois, et de plus en plus souvent, je craque, je bous ! On n’a pas toujours envie de discuter, cela se saurait. Non, il arrive aussi qu’on brûle du désir d’agir. Là et maintenant. Maintenant ou jamais. Autant vous dire que j’applaudis de toutes mes forces les bandits océaniques de Sea Shepherd. Oh oui ! Je ne sais si vous êtes au courant de leurs aventures, et dans le doute, je résume.

Paul Watson, un ancien de Greenpeace né en 1950, a créé la Sea Shepherd Conservation Society (site). Le berger des mers. C’est un très brave, cité par Time, en 2 000, dans sa courte liste des Héros de l’Environnement du 20ème siècle. Je sais, Time n’est pas une référence. C’est pour vous dire qu’il est connu.

Watson est un vrai combattant, cela ne se discute pas. Et Sea Shepherd est devenu le symbole de l’action, bien davantage que Greenpeace, du moins dans le monde anglosaxon. J’en arrive à leur dernière fantaisie. Le 2 mars, un bateau de la noble association a pratiquement abordé dans l’Antarctique (afp) le baleinier japonais Nisshin-maru. À dix mètres seulement – il faut imaginer ce que sont 10 mètres dans un océan comme celui-là -, les écologistes ont balancé sur le pont des bouteilles d’acide butyrique, tiré donc du…beurre. Regardez plutôt cette belle photo ! Moi, cela me fait envie, je dois le reconnaître.

Vous l’imaginez, la bande à Watson voulait empêcher ces salopards d’encore prélever des baleines destinées aux restaurants de Tokyo. Le Japon a violemment protesté, affirmant que trois marins auraient été brûlés aux yeux, ce que démentent les écologistes, qui disent avoir tout filmé. Pour eux, l’acide ne sert qu’à rendre le pont glissant et impraticable pendant des jours, tout en emplissant l’air d’une odeur insupportable. Bon, je vais vous dire : dans le pire des cas, je doute que les effluves de beurre provoquent autant de mal que les harpons à tête explosive lancés sur le corps magnifique des rorquals.

Les ecowarriors – les écoguerriers – sont des frères. Ni plus ni surtout moins. Aux États-Unis, ces activistes sont traqués par le FBI d’une façon qui surprendrait encore un peu en France. Au dernier congrès de l’Association américaine pour l’avancement des sciences, un sociologue visiblement ami des flics a mis en garde contre « l’écoterrorisme ». Lequel serait pire aux États-Unis que la violence d’extrême droite. Ces sociologues-là sont plaisants. Je rappelle pour mémoire l’attentat fasciste perpétré le 19 avril 1995 dans le centre d’Oklahoma City par Timothy McVeigh : 168 morts, dont 19 enfants et un secouriste. Une (courte) paille.

Il n’empêche que le FBI flippe, car les écoguerriers seraient des « gens instruits » – je cite -, ce qui compliquerait leur tâche. Après avoir beaucoup défendu l’usage de la violence en mes jeunes années, je confesse que j’ai changé de point de vue. Je suis devenu un non-violent actif. Ce qui veut dire ? Ce qui veut dire que, tant qu’on ne s’en prend pas aux hommes et à tout ce qui vit, l’opposition à ce monde doit conserver un espace, dût-il déplaire aux policiers des âmes et des corps.

Il y aura bientôt quatorze ans, j’ai rencontré à Fontainebleau un certain Samuel Baunée, qui avait créé là-bas un groupe clandestin appelé Bleau-Combat. Il était un écoguerrier, décidé à bien des actes pour sauver la forêt de Fontainebleau d’une exploitation industrielle. Comme je ne sais pas ce que je peux révéler ici, disons seulement qu’il a combattu, avec une poignée d’autres. Contre les engins. Contre les coupes. Contre les résineux. Contre une vision déchaînée de l’exploitation des arbres, qui forment à mes yeux, avant tout autre considération, une communauté hautement respectable. Je n’espère qu’une chose : que le récit de ce qu’il faut bien appeler du sabotage soit un jour publié. Moi, j’en ai pleuré de rire.

Je me suis constamment amusé avec Samuel, qui est un garçon de grande élévation. Et je lui garde, il le sait, une amitié vive. Son action on ne peut plus illégale a fini par le conduire en prison – mais oui, c’est vrai -, sans qu’il ne renie rien de ce qui fut. Et moi, je continue de m’interroger. Jusqu’où peut-on aller pour défendre une cause aussi essentielle que la vie sur terre ? Jusqu’où ?

PS : Je signale à toutes fins utiles que l’éditeur Gallmeister entreprend d’éditer ou rééditer les livres d’Ed Abbey, l’auteur de l’admirable Désert solitaire (Payot). Abbey fut un vaillant écoguerrier, et son roman Le gang de la clé à molette rapporte en partie des événements réels.