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À lire avant tout acte sexuel

Est-ce ce printemps si chaud ? J’ai écrit, dans le numéro d’avril 2010 du magazine Terre Sauvage, une série sur le sexe chez les animaux. Y repensant tout à l’heure, grattouillant mon plâtre – voir les épisodes précédents – autant qu’il m’est possible, j’ai fini par tout relire. Et il m’a semblé que vous deviez tous être informés des mœurs inqualifiables de certains animaux, pourtant vénérés. Ce n’est pas chez nous, les humains, qu’on verrait des choses pareilles, pas ? Nous représentons la civilisation, pas ? La victoire de l’esprit sur la libido et la luxure, pas ?

Je ne sais pas pour vous, mais quant à moi, j’admire et j’envie les personnages qui suivent.

————————————–Terre Sauvage, avril 2010———————-

Le lion

Attention aux épines, Madame

Un conseil d’ami : ne pas se tromper de phéromone. Ce dernier est un message chimique qu’envoient les bêtes – donc nous – et les végétaux pour signaler quelque chose. Quand le lion se sent d’humeur folâtre, suivez bien le mouvement, il se sert hardiment de son organe voméronasal. Non, ce n’est pas ce que vous croyez. Découvert par le Danois Ludvig Jacobson en 1813, il se trouve caché quelque part dans le nez. Et il permet de détecter les phéromones, ce qui est bien utile.

Le lion est donc folâtre, et pour peu qu’une femelle elle-même tentée par une aventure se trouve dans les parages, le roi des animaux se met en position de flehmen. C’est-à-dire qu’il s’approche de la belle, retrousse sa lèvre supérieure et ouvre la gueule d’une manière qu’on pourrait qualifier de suggestive. Ça y est, ça y est presque, son organe de Jacobson vient de sentir les bons phéromones.

Disons-le avec froideur, il faut faire vite, car la lionne n’est féconde que tous les deux mois environ, et sa période d’œstrus  – les « chaleurs » – ne dure pas plus de quatre jours. De vous à moi, le lion n’est peut-être pas aussi malin qu’il en a l’air. Car enfin, sa belle se contorsionne sous ses yeux, frotte sa tête contre son cou, se jette même à ses pieds. Que lui faut-il de plus ? Pour finir, elle adopte la position dite lordose, qui consiste à creuser sa colonne vertébrale. La femelle est alors à plat ventre, avec la croupe en avant, ce qui ne peut être plus pratique. Faut-il vous faire un dessin ?

Cette fois, le lion a compris sa chance. Il s’avance, et pénètre dans une contrée que certains présentent comme enchantée. Il n’a pas l’air d’être sûr, car pour commencer, il saisit la nuque de l’épousée entre ses crocs, et serre pour la maintenir au calme. Cela marche ? Oui, jusqu’à un certain point. Car quelques secondes plus tard, trente au plus, madame bondit en poussant un rugissement, rompant comme on se doute tout charme. Elle se retourne même vers l’impétrant, en lui montrant des dents qu’elle a fort pointues, on craint le pire quelques secondes.

Que se passe-t-il donc ? Elle a mal. À cause de lui. À cause de son pénis à lui. Pour vous dire toute la honteuse vérité, le lion a la verge hérissée de ce qu’il faut bien appeler des épines. Disons donc des protubérances dermiques effilées, ce qui ne change rien au tableau. On croit savoir que ces épines stimulent l’ovulation, et peut-être l’excitation. La lionne serait-elle un poil masochiste ? Le fait est qu’après s’être calmée – comptez quinze minutes -, elle recommence exactement le même menuet. Lordose, fesses surélevées, etc. Le lion y retourne, mettez-vous donc à sa place. Et comme l’étreinte est fort brève, ainsi que déjà signalé, elle peut se répéter souvent. En fait, très souvent. Jour et nuit, si vous voulez tout savoir. Chez les plus actifs de ce sport extrême, l’acte d’amour peut se renouveler entre 200 et 300 fois au cours de l’épisode d’œstrus de la femelle.

Cela fait rêver ? Peut-être. Mais c’est surtout une nécessité proprement vitale. Car – sigh -, à peine un œstrus sur cinq se conclut par une naissance. On peut le dire autrement : si vous prenez cinq lionnes en chaleur qui acceptent le sport sans chambre décrit plus haut, une seule donnera naissance à des lionceaux, en moyenne trois. Mais seulement un quart des nouveau-nés parviendra à l’âge adulte. Ce qui met le lion adulte autour de 3 000 copulations préalables.

Reste le grand tabou de l’homosexualité. La littérature scientifique oublie le plus souvent de raconter que les grands mâles à fourrure et crinière ne dédaignent pas mamours et caresses entre compagnons. Certaines estimations évoquent le pourcentage de 8 % des accouplements qui seraient consentis entre messieurs. Quant aux dames, on ne sait pas trop quoi penser. En captivité, l’amour physique entre prisonnières a bel et bien été constaté. Mais dans la nature, pas encore. Peut-être aura-t-on regardé ailleurs.

Le mouflon du Canada

Celui qui a les plus grosses (cornes)

C’est assez navrant, mais chez le mouflon du Canada, Ovis canadensis, celui qui a les plus grosses s’en sort nettement mieux que les autres. Le drôle, c’est que l’on parle en la circonstance des…cornes. L’aventure commence début septembre et dans un premier temps, court jusqu’à la mi-octobre environ. Il faut imaginer des prés d’altitude que la neige n’a pas encore fait disparaître. Il y a encore de l’herbe et même quelques fleurs, sans compter la testostérone, cette hormone qui déclenche tant de mouvements guerriers chez tant d’espèces différentes.

Les mâles forment alors entre eux, et seulement entre eux, des groupes à l’intérieur desquels ils vont concourir. Pour ne rien vous cacher de la triste réalité, il s’agit de déterminer une hiérarchie libidineuse. Les spécialistes ont repéré six manières de se montrer, de se comparer, six manières de savoir qui dominera les autres et profitera ensuite des joies de la copulation. Dans quelques cas, heureusement rares pour les animaux, la confrontation se change en combat. Un combat qui consiste en de terribles coups de bélier – c’est le mot juste – face à face. Il faut et il suffit pour en arriver là que deux mâles aient des cornes de dimension à peu près égale. Ou que deux bandes étrangères ne se croisent.

Quoi qu’il en soit, admirons le résultat. Les adversaires s’éloignent d’une dizaine de mètres, et se jettent – hardi, les petits – la tête la première contre celle de l’autre. Le choc est si violent que l’on peut, dans certaines circonstances, l’entendre à un kilomètre de distance ! Qui dit mieux ? La nature ayant horreur du vide dans la tête, le sommet du crâne des béliers dispose d’une double couche osseuse qui épargne le cerveau. Le cerveau peut-être, mais l’intelligence ? Ces affrontements très ritualisés peuvent s’étendre d’une heure à…plus de 24 ! Quant à savoir qui est le perdant, de nombreux observateurs scientifiques avouent y avoir perdu leur latin. À priori, le premier qui s’arrête a perdu. Mais qui est le premier ?

Quand ces charmants garçons ont fini leur période d’entraînement, ils retrouvent ces dames, comme par enchantement, et commencent – nous sommes vers le 10 novembre – à se renseigner sur l’état de chacune d’entre elles. Celle-ci serait-elle prête à accepter des avances ? Et celle-là ? L’excitation monte ainsi jusqu’à la première copulation, qui a lieu, en général, fin novembre. À ce stade, de deux choses l’une. Ou la phase précédente a fait de vous un dominé, un vulgaire subordonné, et il va falloir courir. Ou bien vous êtes considéré comme un bélier dominant, et il faudra aussi courir. Mais moins tout de même.

Prenons le dernier cas, celui d’un mâle ayant gagné le concours de cornes. Il va se livrer, autour d’une femelle en chaleur – l’œstrus dure en général 24 heures – à ce qu’on appelle une défense. Facile. Il empêche tous les autres mâles d’approcher, quitte à leur rentrer dans le crâne. De la sorte, il profite largement des heureuses dispositions de sa partenaire. Mais les autres, au fait ? Comme les dominés n’ont pas envie de faire tapisserie, ils ont inventé une technique bien à eux qu’on appelle simplement la poursuite.

Un ou plusieurs mâles viennent narguer le dominant, tout à son affaire. Et commencent même les hostilités. La femelle en chaleur, lorsqu’elle sent que sa défense n’est plus assurée, court se réfugier dans la partie la plus accidentée des pâturages, au milieu des rochers. Et c’est là, sans parade nuptiale, sans apprêt, sans grâce, que plusieurs mâles, dominés et jeunes, se jettent sur elle pour un échange précipité. C’est rusé comme tout, mais dangereux, car le vide, souvent, est si proche que des animaux meurent régulièrement en pleine épectase, c’est-à-dire pendant l’amour.

Résultat des courses – vous voyez un autre mot ? -, il vaut mieux être dominant. Dans un groupe qui compte une vingtaine de femelles gestantes, les deux ou trois dominants seraient responsables d’environ 60 % des naissances d’agneaux. Les « poursuiveurs » se partageraient le reste, soit 40 %. Encore un effort du côté des cornes, pour l’an prochain !

La mante religieuse

Cette croqueuse qui cache son jeu

Oh ! le pauvre petit gars. D’abord, c’est un minus, qui semble à l’œil deux fois plus petit que son ogresse. En vérité, il ne lui manque que deux centimètres pour atteindre la taille de la femelle, qui est de huit. Mais comme il est également moins dodu, il faut bien avouer que ce mâle ne fait pas le poids à l’heure fatidique de la reproduction.

Pourtant, il faut ce qu’il faut. Avant d’aborder sur le fond ce lourd dossier cannibale, faisons un saut chez Jean-Henri Fabre. Né en 1823, mort en 1915, ce génial observateur, auteur de Souvenirs entomologiques – il frôla au passage le Nobel de littérature -, nous livre un regard sans fard sur les amours de la mante religieuse. Il a placé à la maison, dans des élevages, des couples de mantes qu’il regarde sans jamais se lasser. Nous sommes fin août, et attention, la séance va bientôt commencer. « Le mâle, écrit Fabre, fluet amoureux, juge le moment propice. Il lance des œillades vers sa puissante compagne (…) Il se rapproche ; soudain il étale les ailes, qui frémissent d’un tremblement convulsif (…) Il s’élance, chétif, sur le dos de la corpulente ».

Il y est ? Il y est. L’accouplement peut durer cinq ou six heures, vous avez le temps d’aller faire vos courses. D’après Fabre, cela ne se gâte que le lendemain. Crouch ! La femelle vient de broyer la nuque du mâle, avant de déguster tout le reste, sauf les ailes. Et ce n’est qu’un début, car dit Fabre, la femelle « n’est jamais assouvie d’embrassements et de festins conjugaux ». Il lui offre un deuxième mâle, un troisième, un quatrième, un cinquième, un sixième, un septième enfin. À chaque fois, cette épouvantable croqueuse d’hommes accepte les ébats, puis dévore ses soupirants. Fabre : « Le résultat de mon enquête est scandaleux ».

Voilà. La messe est dite. D’autant que, dans le droit-fil de Fabre, certains petits malins ont élaboré une théorie qui semble parfaite. Voyez le tableau. Le centre nerveux de la reproduction se trouve chez le mâle dans un ganglion situé au bout de l’abdomen. Lucas Baliteau, un jeune entomologiste français, a observé dans un élevage, en 2002, un mâle décapité par sa belle qui continuait pourtant à copuler pendant…quatre heures.

Il s’agirait d’une simple stratégie de reproduction, car les mouvements sexuels du mâle deviendraient, sa tête une fois coupée, plus vigoureuse encore, libérant ainsi davantage de spermatozoïdes. Mieux, le mâle accepterait de se « sacrifier » pour assurer à sa cruelle compagne l’apport en protéines – sa tête – sans lequel la descendance ne serait pas aussi bien assurée.

Vous trouvez que cela se tient ? Eh bien oui, il faut l’admettre. Mais cette vision a pourtant quelque chance d’être fausse. D’autres observateurs pensent que Fabre et quantité d’autres après lui ont été victimes d’un vulgaire biais scientifique. Ils ne se seraient pas rendu compte qu’en observant les mantes essentiellement en captivité, ils ne regardaient plus tout à fait le même animal. Une étude sérieuse de 1987 démontre que les mantes chinoises – une autre espèce que notre religieuse – ne pratiquent pas le cannibalisme quand des conditions plus naturelles d’observation sont respectées.

Et une autre, qui date de 1992, montre que la copulation des religieuses dure environ cinq heures de rang en captivité, mais seulement deux en liberté. Preuve que la cage changerait bien des choses. En réalité, à chaque pas de l’observateur dans la nature, de nouvelles questions se posent. Cette même étude de 1992 indique que 31 % des mâles observés, en liberté, seraient dévorés, mais sans qu’on sache ce qui s’est passé avant. Il est bien possible que la femelle, déjà fécondée par un autre, ne voie alors dans le nigaud en vadrouille qu’une simple proie comme un autre.

Ce qui nous ramène, il est vrai, à cette vilaine interrogation existentielle : qui porte la culotte, et dans quel sens ?

Le gibbon était vraiment agile

Le gibbon agile n’a pas de queue, et il est défendu de rire. Cela ne l’empêche pas de vivre, comme on va se rendre compte. D’abord deux mots de présentation. Hylobates agilis est un singe plutôt petit de 40 à 60 centimètres, dont le poids se situe entre 5 et 6 kilos. Le mâle est un peu plus grand et lourd que la femelle, mais il faudrait un œil de lynx pour s’en rendre compte dans la nature. Car le gibbon vole.

De branche en branche, mais il vole vraiment, à la vitesse stupéfiante de 30 kilomètres à l’heure. À chaque bond, le gibbon peut franchir jusqu’à huit mètres ! Il faut dire que cette manière de se déplacer – la brachiation – est favorisée par des os du poignet très singuliers. Dernier point avant de passer aux réjouissances : le gibbon agile vit dans les forêts humides de Sumatra et de Bornéo. Où les tronçonneuses morcellent d’année en année un peu plus son territoire.

Quand le gibbon mâle a entre sept et huit ans, il est enfin mûr pour la grande aventure de l’amour. C’est du moins ce que pensent ses pauvres parents, qui le mettent à la porte du paradis familial. Il s’accroche à la branche autant qu’il peut, et puis il part à la recherche d’un nouveau pays bien à lui. Dès qu’il pense l’avoir trouvé, il se met à chanter la sérénade. Il est temps de signaler que le gibbon agile mâle est un chanteur de charme. Il vocalise, et tend l’oreille lorsqu’il entend d’autres gibbons chanter aussi. Car à la vérité, les gibbons, tous âges confondus, forment des chorales dans les arbres. Toutes les familles de gibbons chantent le matin, au lever du soleil.

Et on les entend de loin ! La femelle commence, suivie par ses filles éventuelles, le mâle prend la suite, épaulé par son ou ses fils s’il en a, et pour finir, tous forment un chœur. Le tout dure une quinzaine de minutes. Apparemment, ces chants sont très utiles pour marquer leur territoire d’une quarantaine d’hectares, où ils sont les rois de l’acrobatie aérienne.

Mais revenons au sort de notre jeune mâle solitaire. Avec un peu de chance, ayant chanté tant et plus, il entendra une voix féminine jeune et avenante. Est-ce une réponse ? Il faudra attendre encore avant d’en être sûr. Si tout se passe bien, la jeunette sort de son propre clan familial, et rejoint l’amoureux transi sous les hauts ramages. Et. Et. Et… Et l’on ne sait pas très bien, il faut le reconnaître. Car le gibbon ne pose pratiquement jamais le pied à terre, et ses parades nuptiales, à trente mètre de hauteur, camouflées par de grandes feuilles, manquent de témoins directs et fiables. Gageons cependant que l’agilité extrême du primate lui autorise des fantaisies dont nous préférons tout ignorer.

Ce qu’on peut dire avec certitude, c’est que le monsieur gibbon dépose une petite graine dans l’œuf de la maman, et qu’en bref et résumé, sept mois plus tard, une cigogne dépose un petit gibbon entre les bras de ses parents. De ses parents, oui. Car, redevenons sérieux, les gibbons sont des géniteurs parfaits.  Le couple ne donne naissance qu’à un seul petit, tous les deux ou trois ans. Et en dehors de la lactation proprement dite, les soins aux jeunes sont semble-t-il partagés à égalité. Le père comme la mère portent le nourrisson, chacun l’épouille, chacun joue avec lui.

Par quel doux miracle ? Pour reprendre l’expression de l’éthologue Anne Teyssèdre (1), « à chacun sa chacune ». Les gibbons étant dispersés, un mâle n’aurait de toute façon pas la moindre chance de défendre plus d’une femelle contre les ardeurs d’un concurrent. Alors, sagement, il se contente d’une seule, qu’il aime jusqu’à ce que l’un des deux ne meure. Au passage, il n’a de la sorte aucun doute sur la paternité des petits gibbons qu’il devra élever, ce qui stimule ses penchants paternels. On ne peut certes pas en dire autant des bonobos ! Le gibbon agile, qu’on se le dise et qu’on se le répète dans les chaumières, est résolument monogame. Cela rappelle des souvenirs ? Oui, celui des contes de fée de notre enfance. Un jour, le prince viendra. Et ce sera un gibbon. Agile, forcément agile.

(1) In Les stratégies sexuelles des animaux (Nathan)

L’éléphant de mer

Le pacha impose sa loi (et son os pénien)

A-t-on le droit de traiter un animal d’odieux personnage ? Heureusement, non. L’éléphant de mer, de toute façon, n’existe pas. Il y a deux espèces, séparées par l’histoire géologique. Au nord, Mirounga angustirostris, qui vit le long du Pacifique, entre l’Alaska et la Basse Californie. Au sud, Mirounga leonina. Pour favoriser la démonstration, concentrons l’attention sur ce dernier.

Le mâle est un étonnant gaillard qui peut atteindre 7 mètres de long pour un tour de poitrine de 3 à 4 mètres et un poids de 4 tonnes. Mais en moyenne, il se situe autour de deux tonnes – seulement ? -, pour une longueur de 4 mètres. Vous le reconnaîtrez sans peine, car il possède une sorte de corne de brume au-dessus des narines. Cette trompe, qu’on appelle en langage savant proboscis, se gonfle quand ce charmant garçon est énervé ou lorsqu’il veut impressionner son monde. L’organe devient alors une caisse de résonance, et en ce cas, courage fuyons.

La femelle paraît, dans ces conditions dantesques, une fluette gamine. Elle ne pèse en moyenne, cette malheureuse, que 500 kilos. Vous vous demandez donc comment ça se passe ? Terre Sauvage aussi. D’abord, sachez que, contrairement aux mâles de chez nous, l’éléphant de mer dispose d’un os pénien. Avouons d’emblée, en dehors de toute idéologie, que c’est bien pratique. Cet instrument est, bien entendu, utilisé pendant la copulation, et sa taille évolue logiquement en fonction de l’âge du capitaine. Chez un nourrisson, il atteint déjà la longueur notable de 10 centimètres. Avant d’atteindre 23 centimètres à quatre ans, 31 à cinq et 34 à huit ans.

Mais cela ne règle pas la question. Comment ? Si le poussah se met si peu que ce soit sur sa partenaire, il va de soi qu’il l’étouffe, ce qui limite les possibilités de reproduction de l’espèce. Et c’est pourquoi, dans son immense sagesse, dame Nature a ordonné à ce balourd de se placer à côté de la promise. Ce qu’on appelle l’amour côte à côte. Mais l’affaire est loin d’être terminée, ou plutôt, elle est loin d’avoir commencé.

Jugez plutôt. L’éléphant de mer vit l’essentiel de sa vie en mer, où il pêche en profondeur des calmars et des poissons. L’un d’entre eux a pu être suivi, grâce à une balise Argos, jusqu’à…1998 mètres de profondeur. Quand arrive la saison des amours, il se pose sur un bout d’île antarctique, et commence par faire régner la terreur chez les autres mâles, surtout les petits jeunes. Nous parlons là de ces pachas qui se permettent tout, en contradiction avec l’ensemble des législations féministes péniblement obtenues ailleurs. Le « pacha », donc, mord et blesse tout ce qu’il peut, jusqu’au moment où les autres lui reconnaissent son rôle. Nous sommes en septembre, et les femelles, notez bien, ne sont pas encore là. Mais dès leur arrivée, elles sont prises en main – façon de parler – par le pacha, qui s’octroie un véritable harem, dont le nombre varie en général de 20 à 40 femelles. Et attention au petit malin qui aurait des intentions, car la trompe et les dents ne sont pas seulement là pour créer l’ambiance.

À peine installées sur un coin de plage, les femelles donnent naissance à leur unique petit. Pardi ! Celui-là a été conçu l’année précédente, l’œuf restant dans un état de dormance pendant trois mois, avant de se développer dans l’utérus. L’allaitement du nouveau-né est à peine terminé que le mâle sort son os pénien pour commencer les étreintes de la nouvelle année.

Il faut imaginer le tableau ! Le seigneur et maître copule à tout va sous le regard dépité des autres mâles, qui n’ont droit, théoriquement du moins, qu’à tenir la chandelle. Alors qu’ils pourraient probablement enfanter dès l’âge de quatre ou cinq ans, il leur faut souvent patienter jusqu’à neuf ou dix ans. Sympa. Heureusement, le patron ne peut être au four et au moulin. Une équipe britannique menée par Anna Fabiani a pu montrer qu’un nombre non négligeable de petits éléphants de mer n’avaient pas pour père le titulaire du harem… Bien fait.

Le tétras centrocerque

Quand le monsieur est choisi par la dame

Séquence immersion. À perte de vue, la prairie. La grande prairie américaine, ou ce qu’il en reste. Un seul impératif pour que l’opération du Saint Esprit – appelons-la ainsi – se réalise : il faut la présence d’armoise argentée. Il s’agit d’un arbrisseau dont le feuillage est recouvert d’un duvet blanc argenté, presque soyeux. Mais on allait oublier la sauge. Il faut également de la sauge, qui servira à nourrir la bête. Les bêtes.

Présentons le coq (1), autrement appelé gélinotte des sauges, ou tétras centrocerque. Nous sommes au printemps, vers la mi-mars, et notre ami va montrer à ces dames celui qui est le plus beau. Le mot concours s’impose. Pour commencer, il choisit un lek, c’est-à-dire une arène d’herbe courte dont il va occuper quelques mètres carrés en défendant son nouveau territoire contre tout autre envahisseur mâle. Nous y sommes ? Nous y sommes. Le coq se met à se pavaner, tel le paon qu’il n’est pas.

Tout soudain, il avale en quelques secondes à peine jusqu’à quatre litres d’air, ce qui lui permet de gonfler une poche œsophagienne. Ce pourrait être une apothéose, ce n’est qu’un début. Il fait glisser cette poche d’air jusqu’à sa gorge, ce qui dévoile en même temps deux splendides taches  orange vif. Au même moment, l’oiseau déploie en éventail les plumes de sa queue, brunes et tachetées de blanc.

Suspense. Que va-t-il se passer ? Évoquons pour bien se faire comprendre une cornemuse. Le tétras comprime sa poche, dont il sort un son à la fois sec et suffisamment fort pour avertir tout le lek. Le mot assourdissant reste faible pour suggérer le tintamarre, car un lek peut contenir entre 20 et 200 mâles, qui ont tous grand besoin de se faire voir et entendre. Cette stupéfiante parade dure de l’aube jusqu’au milieu de la matinée. Quant aux gélinottes femelles, après avoir atterri aux abords du lek, elles viennent très simplement faire leur marché. On n’est plus très loin d’un spectacle de chippendales !

Précisément, chaque femelle revient deux ou trois jours de suite visiter le même lek. Elle hésite, la poulette (1), il faut la comprendre. Mais il arrive tout de même un moment où l’un des mâles lui semble mériter le détour. Elle s’approche par une « démarche sur le côté (2) » de l’heureux élu, s’immobilise en pliant les pattes, et c’est alors que paie enfin l’épuisante parade au son de la cornemuse. Le coq ne se le fait pas répéter et hop ! le voilà sur le dos de celle qui vient de le choisir. Au passage, signalons la robustesse de la poule, qui ne pèse qu’un kilo environ, soit deux fois moins que le plastronneur.

Sitôt l’acte consommé, la femelle se met à la recherche d’un bouquet d’armoise argenté – on y revient – sous lequel elle bâtit un nid abrité par des touffes d’herbe. Seule – le mâle se moque apparemment des suites de l’aventure commune -, elle pondra de sept à huit œufs, dont l’incubation dure entre 25 et 27 jours. Reste la question redoutable de la recherche en paternité. Car n’allez surtout pas croire que chaque mâle profite de la situation de la même manière. Du tout !Chez les tétras, il y a surtout beaucoup de perdants. 10 % des coqs ont droit à  80 copulations sur 100.  Autrement dit, 90 % de ces messieurs doivent se contenter de 20 % des opportunités, malgré les magnifiques efforts consentis. Disons-le tout net, ce n’est pas juste.

Quelle est l’explication ? Personne ne la connaît, et la controverse fait rage chez les (très) rares connaisseurs du dossier. Signalons tout de même deux hypothèses. La première : certains mâles mèneraient leur parade sans jamais donner de signes de fatigue. Et la prime irait alors au champion. La deuxième : il y aurait, sur les leks où se retrouvent les mâles des places bien plus favorables que d’autres, qui attireraient irrésistiblement l’œil enamouré des gélinottes femelles. Ce qui serait un coup très dur porté à la vanité masculine. Mais nous n’en sommes pas là.

(1) Chez les tétras, le mêle est aussi appelé coq et la femelle poule, Terre Sauvage ne se serait pas permis.
(2) In « Les stratégies sexuelles des animaux », par Anne Teyssèdre (Nathan)

Un homme et quelques milliers de vers de terre

(Pour ceux qui ne le savent pas, j’ai reçu plusieurs balles au cours de la Grande Tuerie à Charlie-Hebdo, le 7 janvier dernier)

Comment je vais ? Je ne souhaite pas m’étendre, mais c’est plus dur que cela n’a été. Il me faut admettre quelque chose d’insupportable : je ne les reverrai pas. Bernard Maris, avec qui j’échangeais ce jour fatal des bourrades rieuses. Mon Tignous, avec qui j’étais allé à Notre-Dame-des-Landes. Mon Charb, qui sautait sur ses pieds quand il me voyait rappliquer le mercredi matin, un quart d’heure avant que ne débute la réunion hebdomadaire. Et tous les autres, tous mes autres. Un vent froid s’est emparé de moi.

J’ai du mal à concentrer mon attention, mais ce matin, je me suis dit que je devais vous offrir quelque chose. Ce sera un entretien que j’avais mené en 2004 pour le journal Terre Sauvage. J’espère que la vision de Marcel Bouché, chemineau des routes de France, sa bêche de paysan sur l’épaule, vous plaira. Salut à vous tous, et un immense merci pour votre présence.

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 Aristote les nommait les “intestins de la terre” et Cléopâtre avait édicté des lois pour les protéger. Qui ? Les vers de terre. Depuis, leur rôle bénéfique a souvent été occulté. Marcel Bouché, ancien directeur du laboratoire de Zooécologie du sol à l’Inra, est le premier à en avoir établi une classification exhaustive et démontre combien ils sont essentiels à la vie.

Terre Sauvage : Marcel Bouché, qui êtes-vous ?

Marcel Bouché : Un être inculte, qui n’a que son certificat d’études primaires, et qui du reste l’a obtenu certainement par une chance inouïe. J’ai en effet ce jour-là réussi à faire moins de dix fautes en cinq lignes, ce qui ne m’était sans doute jamais arrivé. J’étais en effet profondément “ anorthographique ”, eh oui. Je suis d’un milieu ouvrier, et je doute d’avoir entendu chez moi le mot université, ou bien par hasard. À quinze ans, en 1952, j’ai souhaité devenir jardinier et j’ai réussi le concours pour devenir jardinier de la ville de Paris. Et pendant trois ans, j’ai suivi les cours de l’école, qui était à Joinville.

TS : Vous avez donc été jardinier.

M.B : Jamais. J’ai mal tourné. À l’école, je me suis immédiatement intéressé à la diversité végétale, et je me suis donc retrouvé devant des collections avec des noms latins.  Cette orthographe barbare me paraissait encore plus terrible, compte tenu de mon inaptitude, mais bizarrement, cela a tout changé pour moi. Ces plantes portaient des noms avec des racines latines ou grecques qui m’ont tout fait comprendre enfin. Chlorophylle, par exemple, était l’association de deux mots qui voulaient dire vert et feuille. J’ai soudain compris que l’orthographe était porteuse de sens, et j’ai pris de l’intérêt pour les mots.

TS : Mal tourné, disiez-vous. Qu’est-ce que cela veut dire ?

M.B : À l’école, un type de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique, NDLR) venait nous faire des cours sur les ennemis des cultures, ces ravageurs contre lesquels il fallait lutter à coups de pesticides. Or ce gars était en plus un bon zoologiste, et nous avions ensemble, régulièrement, des discussions. Si bien que quand je suis arrivé à la fin de ma formation de trois ans, il m’a proposé d’entrer à l’Inra comme aide de laboratoire, autrement dit femme de ménage (rires). Le fait d’avoir un boulot en sortant de l’école, pour moi qui venais d’un milieu modeste, c’était important. De sorte que je suis entré à l’Inra par cette toute petite porte. Et je me suis retrouvé en zoologie, domaine où je ne connaissais strictement rien. Au bout de quelques années, l’Inra a créé un labo appelé Faune du sol, où je suis devenu technicien, grâce à un avancement formidable (sourire), et je me suis mis à laver de la terre pour en sortir les petites bêtes qui s’y trouvaient.

TS : Et ça vous intéressait ?

M.B : Ah oui ! C’était passionnant, il y avait une telle diversité à observer. Dans les sols grouillent des animaux microscopiques ces insectes primitifs qu’on appelle des collemboles, ou les acariens, qui sont des sortes d’araignées elles aussi primitives. Prenez une motte de terre et vous pouvez en trouver cent, deux cents, trois cents qui ne se voient pas à l’œil nu. Je découvrais un monde proche de Microcosmos, dont personne n’avait jamais entendu parler. Le temps passant, j’ai réalisé que ma position n’était pas si brillante que cela et qu’avec mon certificat d’études, je n’allais pas aller bien loin. J’ai donc demandé un aménagement d’horaires pour suivre des cours du soir, mais cela m’a été refusé. Ce qui m’a rendu un grand service, car je me suis mis à l’enseignement par correspondance pour préparer le bac. J’ai commencé, puis je suis allé faire la guerre en Algérie pendant vingt-sept mois, et quand je suis revenu, je dois dire que je n’étais pas frais. Entre-temps, le gouvernement avait fait passer une loi qui permettait d’entrer à l’université sans bac à condition d’en avoir le niveau. J’ai donc passé un examen pour entrer à la fac des sciences, et ça s’est très bien passé. Mais mon patron a refusé que j’organise mon travail pour suivre parallèlement des cours et j’ai démissionné. Par chance, j’ai eu une Bourse, et j’ai fini par obtenir une licence. Je suis retourné à l’Inra en passant un concours d’entrée, cette fois comme scientifique. On m’a remis dans le service Faune du sol (rires) où m’attendait un sujet deux fois abandonné, dont personne ne voulait.

TS : Les vers de terre, enfin !

MB : Les vers de terre, bien sûr, ces animaux présentés, pardonnez-moi, comme dégueulasses et répugnants. Je n’avais aucune connaissance, et d’ailleurs, on ne savait pratiquement rien sur ces animaux du sol. On m’a dit, sans autre consigne : vous vous occuperez des vers de terre. Mais mon grand patron de l’époque, qui était un homme cultivé et qui comprenait l’importance des vers, a pensé que je devais me former à l’étranger puisque personne en France ne savait grand-chose. En Europe, au mieux, il y avait un seul chercheur voué au ver de terre par pays, et là où la densité était la plus forte, l’Angleterre, il y en avait deux. C’est là que je suis allé voir les professeurs Raw et Satchell, des gens charmants, so british.

TS : Mais vous parliez donc anglais ?

MB : Mais non ! J’ai appris sur le tas, avec l’Assimil dans la poche gauche et le dictionnaire dans la poche droite. J’ai pataugé comme j’ai pu, mais dans les mois qui avaient précédé ce voyage, j’avais commencé à travailler sur le terrain, et je m’étais aperçu qu’il fallait savoir se servir d’une bêche, ce qui est après tout  mon premier métier.

TS : Grâce aux vers, vous retrouviez les gestes du jardinier.

MB : Oui. Pendant toute ma carrière, le fait d’avoir été jardinier m’a énormément aidé et sur deux plans. D’une part, parce que je sais me servir d’une bêche alors que tous les grands universitaires que j’ai pu croiser ne le savent pas et passent du même coup à côté de prises très importantes. Ils cassent les manches, par exemple. D’autre part, je connaissais les plantes ! Et quand j’arrivais dans un paysage, je savais choisir l’emplacement où il faut chercher les bêtes.

TS : Mais comment ?

MB : Parce que la végétation parle. On ne voit pas les vers de terre, mais les plantes, en revanche, si. Quand elles changent, on peut être certain qu’on ne trouvera pas les mêmes espèces de vers de terre au-dessous.

TS : Pardonnez-moi, Marcel Bouché, mais nous avons oublié l’Angleterre en route.

MB : Bon. J’avais quand même ouvert quelques livres pour essayer de mettre des noms latins sur les vers de terre que j’avais dénichés. Arrivé en Angleterre, je découvre que mes deux scientifiques n’avaient jamais fait cet effort-là !  Ils étaient très contents d’avoir à faire à quelqu’un qui s’intéresse à la taxonomie, cette fameuse science du classement qui m’intéressait en fait depuis les collemboles et les acariens, et même les plantes du temps où j’étais jardinier. D’un autre côté, ils étaient très en avance sur ma manière de pensée et ils m’ont mis au courant immédiatement, par exemple, du PBI, le programme biologique international, dont personne ne parlait en France, où il était jalousement accaparé par quelques mandarins. Ce programme scientifique international n’était pas biologique, mais écologique, avec cette forte ambition qui reste en partie à accomplir : comparer le fonctionnement des écosystèmes. Dans mon domaine, les vers de terre, il s’agissait d’une révolution. Moi qui avais tendance à me concentrer sur leur typologie, leur classement, je découvrais grâce aux Anglais leur rôle dans les sols. Quand je suis rentré, j’étais une sorte de graine d’écologue et j’ai pu me faufiler pour profiter de certains crédits du PBI. Énorme avantage : ces moyens étaient accordés hors hiérarchie, à une époque où un chercheur dépendait à 100% de sa hiérarchie. J’entrais ainsi dans la recherche moderne.

TS : Nous sommes donc au début des années 60. À cette date, y a-t-il d’autres spécialistes des vers de terre en France ?

MB : Il y a des scientifiques qui se servent de vers comme matériel biologique, pour des études ponctuelles, souvent très intéressantes. Mais des gens qui étudient cet animal comme je le fais alors, non.

TS : Je me permets, pour les lecteurs de Terre sauvage, de préciser quelque chose que votre modestie vous interdit de dire. Vous êtes aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands, probablement le plus grand spécialiste mondial des lombriciens. Qu’avez-vous découvert sur eux en quarante ans de travail ?

MB : De 1966 à 1969, j’ai fait un sorte de tour de France du ver de terre, en faisant au total 1500 prélèvements. Je faisais un point environ tous les vingt kilomètres. A la bêche, tout seul. Ce qui m’intéressait, c’était de relier les milieux aux espèces que je capturais. Je n’ai jamais eu un sou pour ce travail, et je profitais des mes déplacements professionnels, y compris les samedis et les dimanches. Quand je voyais un endroit intéressant à l’œil, je m’arrêtais sur le bord de la route, et hop, je bêchais. Tout ça faisait de moi un personnage bizarre. Je ne compte pas les contrôles de gendarmerie que j’ai dû subir ! Ils trouvaient très étrange de me retrouver 30 km plus loin à farfouiller dans un champ. Avant mon travail, il y avait eu 20 ou 25 espèces décrites en France. Je suis arrivé à 170 environ, après avoir découvert des choses extraordinaires, dont de nouvelles familles, avec des trucs qu’on n’imaginait même pas, comme les vers géants de 1,10m et plus. Et je me suis retrouvé au passage avec une masse de données énormes, en 1970, alors qu’on ne parlait pas encore d’informatique. Par chance, à la fin d’une conférence sur ce qu’on appelait plutôt les cartes perforées, deux types venant des Eaux et Forêts ont demandé à l’assistance qui était intéressé par le traitement des données. Eh bien, personne. Personne, sauf moi, qui me retrouvais avec 1500 points de prélèvements à traiter, et disons une dizaine d’espèces de vers à chaque fois ! La rencontre avec ces informaticiens a été miraculeuse. On a tout rentré dans un ordinateur qu’il fallait ventiler, qui prenait toute une pièce, mais dont la puissance de calcul n’était pas même celle d’une calculette d’aujourd’hui. Grâce à quoi j’ai pu réaliser la première cartographie sur les invertébrés assistée par ordinateurs ! (rires)

TS : Toutes ces aventures scientifiques vous ont-elles calmé un peu ?

MB : Non, car en 1972, je n’avais pas encore étudié le rôle et l’écologie des vers de terre. C’est en travaillant sur une prairie permanente de l’abbaye de Citeaux, dont on connaissait l’histoire depuis des siècles, que j’ai pu mettre en œuvre des techniques que j’avais mises au point. Avec des collaborateurs, j’ai ainsi pu mettre en évidence les quantités réelles de vers de terre présentes dans le sol. Ainsi que les réseaux de galeries en relation avec le nombre de vers présents. Et j’ai également étudié les micro-organismes qui vivent sur la paroi de ce réseau, ce qui n’avait jamais été fait.

TS : Alors, combien trouve-t-on de vers sur un hectare ?

MB : Une tonne cent et c’est curieusement la valeur moyenne de tout ce que j’ai pu mesurer en France. Pour situer les choses, on trouve en France 55 kilos d’hommes sur la même surface, et deux à trois kilos d’oiseaux seulement. A eux seul, les vers représentent entre 60 et 80% de la masse des animaux de nos écosystèmes. Les autres animaux, c’est négligeable. Voilà la base du fonctionnement d’un écosystème : les plantes, les micro-organismes et les vers de terre. Les plantes capturent l’énergie et la transforment. Les micro-organismes et les vers de terre décomposent. Mais parmi eux, qui fait le boulot physique ? Les vers de terre.

TS : Mais c’est fabuleux ! Quelle vision ! Comment pourriez-vous résumer leur rôle ?

MB : On estime qu’en France et en moyenne, ils avalent 300 tonnes de terre par hectare, rejetées sous forme de fèces. Ils fournissent ainsi, grâce au brassage opéré – on peut comparer ce travail à celui des brasseurs de bière ! -, une quantité très importante des éléments nutritifs nécessaires aux plantes. Autre rôle : leur aptitude à creuser des galeries, au total autour de 5 000 km par hectare, qui permet une percolation de l’eau dans le sol très rapide. Autour de Montpellier, où nous sommes aujourd’hui, 160 mm d’eau de pluie peuvent s’écouler en seulement une heure de temps grâce à ces galeries. Or il ne pleut ici que 1000 mm par an !

TS : Ce qui veut dire qu’une terre où existent ces galeries peut absorber en une heure 160 mm d’eau, soit 16% de ce qui tombe en un an ?

MB : Oui, un gros orage ne pose donc pas de problème, sauf en cas de phénomène de résurgence dans le calcaire. Dans la garrigue, l’eau s’infiltre sans aucune difficulté, mais pas dans les vignes ou les zones céréalières, traitées aux pesticides, où les vers ont disparu. Les inondations dont on parle tant ne sont catastrophiques que là où on a détruit les vers de terre. Et cette disparition pose aussi problème à d’autres animaux, car cette fameuse masse de 1,1 tonne de vers à l’hectare, c’est une manne biologique. C’est même la première masse de protéines animales disponible, dont dépendent plus de 200 espèces de vertébrés, oiseaux et mammifères. Le sanglier en consomme l’équivalent d’un beefsteak  par jour. Le merle passe son temps à guetter le ver et il sait admirablement le tirer de ses galeries. La bécasse se nourrit jusqu’à 93% de vers de terre !

TS : Sait-on à peu près, désormais, combien il y a d’espèces de vers ?

MB : Non ! En France, on en a décrit 300, et 2 000 dans le monde, mais il pourrait y en avoir plus de 10 000, voire 50 000. J’ai pu distinguer trois grandes catégories de vers : les épigés, les endogées et les anéciques. Pour ces derniers, j’ai dû forger un mot, car ils n’avaient jamais été distingués.

TS : Dites-moi, pour un homme qui avait tant de mal avec l’orthographe, vous voilà devenu créateur de mots !

MB : Oui, et c’est du beau grec, en plus. J’ai inventé des micro-thermomètres pour mettre dans le corps des anéciques, et je me suis rendu compte que ce sont des animaux qui régulent leur température en choisissant la couche du sol où il fait 12°. Pas 11,5°, pas 12,5°, 12. Ils remontent la nuit par leurs galeries jusqu’à la surface, parce qu’il y a moins de prédateurs, tirent des feuilles mortes à l’intérieur, et les mangent tout en les mélangeant avec des éléments minéraux.

TS : Tout ce que vous dites montre à quel point ils sont essentiels à la vie. Mais quelle est leur situation en France ?

MB : Souvent très bonne dans les prairies non traitées ou en forêt. Mais ailleurs ! L’agronomie intensive a totalement ignoré le fonctionnement réel des champs. Elle a considéré les sols comme un support sur lequel on apporte des graines, des engrais, des labours pour préparer. Et s’est contentée de regarder les rendements sans tenir compte en aucune façon des coûts environnementaux et même financiers. Je regrette de le dire, mais il ne sert à rien de faire de la recherche, de démontrer le rôle des vers de terre, car on n’en tient pas compte. C’est un fait. Je suis un emmerdeur.

TS : Attendez ! Ne nous quittez pas ainsi ! Vous détenez un savoir extraordinaire, utile à toute la société, et vous dites que ça ne sert à rien ? Mais pourquoi ?

MB : Ça ne peut pas servir. Ça ne pourra pas s’en servir tant qu’on  ne s’occupera pas d’écologie. C’est-à-dire de cette “ science globale des rapports des organismes entre eux et avec le monde extérieur ”, selon la première définition du mot, créé par l’Allemand Ernst Haeckel en 1866.

L’émotion doit-elle conduire le monde (à propos du Loup) ?

C’est le délire. Je l’avais prévu, mais j’en reste cloué sur place, et bientôt sur la porte de grange de tous les tueurs de France et de Navarre. Notre pays se rejoue une scène déjà maintes et maintes fois montée : la mort du Loup. Tel maire de la Meuse (ici) offre 2 000 euros pour la capture d’un loup. Telle FDSEA – la structure départementale du syndic(at) de faillite appelé FNSEA – propose 1 000 euros à qui butera une malbête sur le territoire historique du Gévaudan (ici). Tel Laurent Wauquiez – insupportable roitelet du Puy-en-Velay, inqualifiable freluquet – piétine le droit européen (ici) sans s’attirer la moindre critique, osant même ces mots : « On n’acceptera pas que les bobos parisiens nous expliquent comment on doit vivre chez nous. Il y a eu des assouplissements pour l’abattage du loup mais ce n’est pas à la hauteur. Il continue de se développer. On demande une évolution de la règlementation européenne. A nos territoires de fixer les règles en la matière. »

Un si gentil voyage de presse

Le Loup est une nouvelle fois menacé de mort. Présent pendant des centaines de milliers d’années dans ce territoire présomptueusement appelé la France, il n’y aurait plus sa place. Qui le dit ? La droite rance, certes oui, de laquelle il n’y a jamais rien eu à attendre. Mais aussi – à quoi bon se taire ? – la plus grande partie de la gauche. Celle du pouvoir, bien entendu, qui ne cesse de mentir et de se ridiculiser, Ségolène Royal en tête (ici). Mais aussi l’essentiel de cette gauche dite altermondialiste, environnementaliste et le plus souvent sympathique. Je range dans cette catégorie un peu fourre-tout des gens comme José Bové ou encore la Confédération paysanne. Je précise : environnementaliste, et donc nullement écologiste.

La Confédération paysanne, très remontée contre le Loup, a organisé en septembre un voyage de presse auprès de certains de ses membres, éleveurs de brebis des Alpes ou des pré-Alpes. J’ai noté, mais cela n’a rien d’exhaustif, des articles dans Libération (ici) ou encore Politis (Voir l’article au bas de la page). Je connais les deux auteurs et j’entretiens avec Patrick Piro, de Politis, des relations espacées, mais très amicales. Ce n’est pas trahir un secret qu’ils sont tous deux des « altermondialistes ». Mais tous deux insistent pourtant sur l’impossibilité d’une coexistence entre pastoralisme et grands prédateurs, en l’occurrence le Loup. J’ajoute que j’ai perdu, irrémédiablement je crois, le lien d’amitié établi il y a une dizaine d’années avec une journaliste de radio bien connue des milieux alters. Jusqu’ici, elle avait toujours soutenu et défendu mon travail. Et puis, tout soudain, plus un mot. Mon dernier livre, pourtant au centre de ses préoccupations ? Silence total, silence de mort.

Coincé au fin fond de la vallée

Je n’ai pas de certitude, mais par recoupements, et grâce à des amis communs, il m’est revenu que mes prises de position en faveur du Loup (ici) lui restaient en travers de la gorge, elle qui est liée au monde des éleveurs. J’aurais aimé une explication, mais je ne l’ai pas eue. Est-ce que je regrette ? Son attitude, certainement, mais pas la mienne. Que non. J’ai pris une position mûrement réfléchie, et je ne vois pas que je puisse en changer de sitôt. Avant de dire un mot sur le fond, une anecdote. Il y a une dizaine d’années, j’étais en reportage dans les Pyrénées pour le magazine Terre Sauvage. Le sujet ? L’Ours, autre magnifique mal-aimé. La Confédération paysanne – déjà – était très majoritairement contre. Dans l’Ariège, où je me trouvais, il n’y avait qu’une poignée de valeureux, plaidant pour une « cohabitation pastorale ». Je me devais d’aller interroger ceux qui refusaient dans les alpages la présence du Moussu, ce Monsieur-Ours, comme il a été si longtemps appelé dans les hautes vallées.

Un samedi après-midi, je téléphonai à un éleveur de brebis installé au-dessus d’Ax-les-Thermes, membre de la Confédération paysanne, néo-rural ainsi qu’on désigne ces anciens jeunes venus des villes après le grand ébranlement de 68. Nous prîmes rendez-vous chez lui pour le lendemain dimanche, au matin, et j’arrivai tranquillement, ravi par la beauté des lieux, oubliés au fin fond d’une vallée perdue. J’arrêtai ma voiture, l’éleveur vint m’accueillir, mais sans me dire qu’à l’intérieur, il y avait un comité d’accueil, et quel ! Une dizaine d’éleveurs avait fait le déplacement, et je dois dire qu’ils étaient très énervés, énervés contre moi. J’avoue que je ne compris pas, mais comme j’ai connu divers moments de haute tension dans ma vie, je compris vite qu’un mot de travers pouvait faire valser les tables et le journaliste que j’étais. Je commencai donc un discours « diplomatique », sans voir tout d’abord que le maître de maison se rapprochait d’une table portant un fax, car on était encore à l’heure du fax.

Qui veut donc d’un pacte national ?

Je continuai à parler, étalant mon empathie et ma compassion pour le sort des éleveurs et le malheur des brebis éviscérées, et ce n’était au fond pas difficile, car je ne jouais pas. J’étais sincère. Mais j’entendis tout à coup, dans la pièce, à haute voix, les premières lignes d’une chronique que je reconnus aussitôt. Malédiction ! Le fax avait chauffé et fait atterrir chez mon éleveur la copie de ce texte, paru deux ou trois ans avant, dans lequel je moquais ouvertement la Confédération paysanne et son refus de défendre les ours et les loups. Aïe ! Aïe, aïe, aïe ! Pour être franc, je me vis assez mal barré. Je m’en sortis je ne sais plus comment, mais je me revois commenter des photos de brebis éventrées en promettant d’en parler dès le début de mon reportage.

Et je le fis, car je suis et demeure SENSIBLE à la souffrance réelle que peuvent avoir des éleveurs dont les troupeaux sont régulièrement visités par des loups ou des ours. Ce n’est pas un rôle de composition. Il faut tenir compte de cette dimension psychologique si pesante, et ouvrir une discussion de longue durée, conduisant, ainsi que je j’ai écrit tant de fois, à un pacte national entre la société et les éleveurs. Si la première veut vraiment – et il faudra bien le prouver – des loups et des ours, alors elle doit trouver les mots et moyens pour montrer sa sincérité aux seconds.

Le degré zéro de la réflexion

Même si nous en arrivons là un jour, cela n’effacera pas la peine, le découragement, la colère de cette (petite) fraction des éleveurs qui aiment réellement la montagne, la campagne, leurs bêtes. Et c’est à ce moment-là que je me désigne à mon tour comme une cible, car voici : l’émotion n’est heureusement pas tout. Je comprends ainsi celui qui a envie de buter le salopard qui a tué son épouse ou violé son gosse. Et je comprendrais même celui qui passerait à l’acte. Mais par chance, la société s’interpose par la loi, et refuse la peine de mort. Il en va de même pour toutes les questions, aussi dérangeantes soient-elles. Prétendre régler le sort du sauvage – je parle du vrai sauvage, celui qui dérange les activités humaines – en s’appuyant sur la seule émotion de quelques acteurs en effet victimes, c’est le degré zéro de la politique.

Il est effarant que des supposés altermondialistes veuillent fonder un point de vue général sur des phénomènes de cette nature. Au passage, il est marquant de voir l’union nationale réalisée sur le dos de la Bête. Si les esprits fonctionnaient normalement, il est certain qu’un José Bové et tant d’autres s’interrogeraient davantage sur cette quasi-unanimité, qui relie les plus obtus de nos contemporains – ceux par exemple qui ont tabassé à Nantes de pauvres ragondins (ici) et ceux qui affirment vouloir régler les si graves problèmes de l’humanité.

Le spectre de notre mort

C’est finalement simple : j’affirme qu’il existe en la matière un principe supérieur, dans le cadre duquel tout doit être pensé. Et ce principe, c’est celui de la biodiversité. J’en ai tant marre, des proclamations, des conférences et des larmes de crocodile. Mais tant ! Nous vivons la sixième crise d’extinction des espèces dans l’histoire de la vie sur Terre, qui a commencé voici 4,6 milliards d’années, d’après ce qu’on peut en savoir. La crise précédente, il y a 65 millions d’années, a emporté les dinosaures et des milliers d’autres espèces. Peut-être celle-ci, directement reliée aux activités humaines, sera-t-elle pire. Un tel événement, pratiquement inconcevable, devrait être à l’arrière-plan de la totalité des décisions publiques. Il devrait évidemment obliger tous les éradicateurs du Loup à repenser leurs folles entreprises, et à les remiser. Au lieu de quoi l’on assiste à une frénétique danse du scalp autour d’une poignée d’animaux miraculeusement revenus chez nous.

Ce retour pourrait être vu comme un cadeau des cieux. Sur le papier au moins, il nous offre la liberté de nous comporter d’une façon moins barbare que nos ancêtres. Tout au contraire, il libère chez les humains de droite et de gauche le même fond angoissant, qui n’est autre que la détestation de la vraie nature et du vrai sauvage. Hypocrites de tout bord, arrêtez vos faux-semblants. Puisque vous refusez la présence de 300 animaux dans un pays qui regorge de chevreuils, de chamois, de cerfs, de sangliers et de marcassins, osez aller jusqu’au bout. Il faut en appeler à la mort des éléphants, qui détruisent tant de cultures précieuses pour les paysans pauvres d’Afrique. Et à celle du tigre. Et à celle de ces requins qui croquent parfois une jambe de surfer. Et à celle des innombrables animaux qui ne demandent qu’à vivre, quand nous préférons les savoir dans la cire ou la paille, au Muséum.

Ennemis du Loup, de l’Ours, du Lynx, pourquoi ne pas avouer ? Vous nous préparez un monde où les hommes seront seuls présents, seuls survivants, juste avant qu’ils ne se jettent les uns sur les autres. Ennemis du sauvage, vous incarnez notre mort à tous.

——————–Le papier de Patrick Piro dans Politis
Par Patrick Piro – 18 septembre 2014
Ils vivent avec l’angoisse du loup

Alors que l’animal gagne de nouveaux territoires, la multiplication des attaques sur les troupeaux rend impossible sa cohabitation avec le pastoralisme, juge la Confédération paysanne.

Elle a mis un peu de temps à parler de son cas, comme si elle doutait de sa légitimité. Ses collègues éleveurs, autour de la table, possèdent à peine quelques centaines de brebis – « et en bio, bien sûr ! ». Son troupeau a culminé à 2 500 bêtes, « et nous achetons le fourrage sur le marché conventionnel ». Membre de la Confédération paysanne, Claire Giordan a accepté de témoigner, lors d’un voyage de presse organisé dans les Alpes par le syndicat, afin d’expliciter son hostilité envers la présence du loup dans les zones de pâturage. Fille d’éleveur transhumant, la jeune femme de 31 ans est installée avec son mari dans la vallée de la Roya, en zone « cœur » du parc national du Mercantour (Alpes-Maritimes).

Le loup a toujours empoisonné sa vie professionnelle. Éradiqué de France dans les années 1930, l’animal y est réapparu au début des années 1990, dans le Mercantour, via l’Italie. Cet été, Claire Giordan et son mari ont encore connu quatre attaques. Chaque fois, ce sont plusieurs brebis blessées ou tuées, sauf s’ils parviennent à effaroucher les prédateurs. « On se lève jusqu’à six fois la nuit, dès que l’on perçoit des mouvements suspects dans le troupeau. On voit des traces presque tous les jours. On déjeune, on dîne, on vit “loup”. Nous passons notre temps au cul du troupeau, à compter les bêtes, c’est obsessionnel… » Son mari passe tout son temps sur l’exploitation. La bergerie, à une heure de piste, est désormais clôturée, fenêtres fermées même en été. « On a peur que le loup saute à l’intérieur. Car il suffit de s’absenter une demi-heure… Mon mari a le fusil en permanence. » Il y a quelques semaines, un voisin a connu un petit relâchement à l’heure du regroupement des bêtes. Quelques-unes sont restées à l’extérieur de la clôture : 98 brebis tuées.

Alain Barban, berger depuis vingt-cinq ans dans les Hautes-Alpes, est estomaqué par le témoignage de la jeune femme. « Qui accepterait aujourd’hui de telles conditions de travail ? C’est une régression sociale. Et vous arrivez à en “sulfater” ? » Oui, souffle-t-elle à voix basse. Pas de noms ni de chiffres : les tirs sont interdits en zone cœur des parcs nationaux. Mais cette réalité est connue jusqu’au sommet de l’administration. Laurent Pinatel, porte-parole de Confédération paysanne, fait état d’une rencontre avec Stéphane Le Foll, le 30 juin. « “On sait qu’il s’en braconne, et ce n’est pas plus mal”, nous a dit le ministre de l’Agriculture. »


Des agressions en hausse

Qualifié de « conquérant », le loup, réapparu en France il y a deux décennies, est aujourd’hui présent de manière permanente ou occasionnelle dans près de 30 départements, principalement dans les zones montagneuses (Alpes, Jura, Vosges, Massif central). Estimée à 300 individus, sa population est en croissance de 20 % par an. L’espèce reste cependant classée parmi les « vulnérables », strictement protégée dans l’Union européenne par la Convention de Berne (1979) et la directive Habitat. Des dérogations sont cependant possibles en cas de dégâts importants sur les élevages. Ainsi la France a-t-elle autorisé, pour 2014, l’abattage de 24 à 36 loups : le bilan officiel des victimes, qui constatait une quasi-stabilisation l’an dernier, est reparti à la hausse en 2014, avec 4 900 animaux d’élevages tués fin août contre 4 000 un an plus tôt. La France consacre près de 10 millions d’euros par an aux mesures de protection des éleveurs.

Alain Barban, lui, vient de connaître son baptême du loup avec trois attaques en cinq jours début juillet. Il garde 1 500 moutons sur les alpages de la Lavigne, dans le Valgaudemar, en zone cœur du parc national des Écrins, pour le compte d’un groupement pastoral. Bilan : 22 brebis tuées et 19 disparues. Un berger voisin a relevé 120 bêtes tuées : affolées par une attaque, elles ont chuté au pied d’une barre rocheuse. S’agissait-il de loups isolés ou d’une meute en quête d’installation et susceptible de harceler le troupeau des mois durant ? Après constat de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), Alain Barban a eu droit, outre une indemnisation, à l’affectation d’un aide-berger. « Le plus dur, c’est de ne pas savoir si le loup est parti. Alors il faut rester vigilant… » Pour la première fois depuis septembre, les deux hommes ont pourtant laissé le troupeau pour descendre présenter leur témoignage au refuge du Clot. Alain Barban reste pondéré. « Je pense qu’il sera impossible de se débarrasser du loup, il faudra accepter un peu de casse de temps à autre. Mais il faut remettre des bergers auprès des troupeaux. »
La première mesure consiste à regrouper les moutons chaque nuit au sein d’un parc monté avec quelques centaines de mètres de filets mis sous tension électrique. Mais, dans son alpage, exigu comme c’est fréquent à ces hauteurs, impossible de créer un « couchage » unique pour les bêtes. Combien de bergers de plus faudrait-il ? Même la présence de patous, chiens massifs dressés pour affronter les loups, ne réduirait guère cette vulnérabilité. Quant aux battues d’effarouchement, dont celle qui a soulevé un tollé début juillet chez les écologistes pour avoir été menée en zone cœur du parc  [1], elles font sourire sur place : « On ne fait que déplacer le problème chez les voisins. » Idem pour la possibilité « expérimentale » de tirer les loups lors de battues de chasse classiques, octroyée par un arrêté ministériel d’août. « Quand on voit le taux d’échec des battues spécifiquement organisées pour “prélever” des individus… »

La vie se complique encore plus pour les éleveurs qui gardent eux-mêmes leurs bêtes, confrontés à des bouleversements dans leurs pratiques. Alors qu’ils ne montaient visiter leur troupeau qu’une fois par semaine sur l’estive, ce qui leur laissait du temps pour d’autres tâches, ils n’ont d’autre choix que d’opter pour une garde permanente, comme le couple Giordan, ou bien de parquer le troupeau à demeure sur l’exploitation, renonçant aux riches pâturages d’altitude. « Encore faut-il qu’il y ait suffisamment de surface disponible dans les vallées, très sèches en été », commente Julien Bellon, éleveur à la Chapelle-en-Valgaudemar. Ses moutons sont gardés par Amélie Moncombe, qui croise les doigts : pas d’attaques à ce jour. « Je m’y prépare. Le relief de mon alpage permet de regrouper toutes les bêtes la nuit. » Mais à quoi bon, sans patou (son patron est réticent à cause des touristes) et sans parc (la terre, trop grasse, devient vite un bourbier où les moutons attrapent le piétin, maladie contagieuse qui les fait boiter) ?

« J’ai tiré, c’était ça ou le RMI »
Autant de dilemmes désormais archivés pour Thomas Vernay. Jeune éleveur de chèvres cachemire à Glandage, commune de 100 habitants dans la vallée de la Vière, sur les hauteurs de la Drôme, il a jeté l’éponge en 2012. Deux ans plus tôt, une meute  [2] s’était installée sur les flancs boisés des Bois noirs. À la première attaque, il ramasse 23 carcasses, qu’il faut parfois dénicher dans la forêt, sous 48 heures pour toucher l’indemnisation – notamment la tête quand elle a été séparée du corps, avec la boucle d’identification. « C’est indescriptible. » L’estive est à cinq kilomètres du village, des tours de surveillance sont organisés avec les agents de l’ONCFS. Échec.

« En raison de contraintes de budget, ils partaient à 3 heures du matin. Les loups attaquaient ensuite. On n’a pas droit à la moindre erreur. La pression était si forte qu’on a décidé de redescendre sur l’exploitation. » Parc, clôtures électriques et acquisition de deux chiens bergers d’Anatolie : les dommages régressent. « Mais, en 2012, l’enfer de nouveau… » Car le loup est habile, et son mode opératoire s’est adapté : les meutes affolent le troupeau, qui finit par faire exploser le parc, et c’est l’attaque. Les chiens n’interviennent pas, dressés pour rester dans l’enceinte par mesure de sécurité pour les promeneurs. Le populaire patou, parfois difficile à contrôler, fait d’ailleurs l’objet de controverse dans le monde ovin. Plusieurs bergers sont sous le coup de plaintes de la part de promeneurs mordus, le chien ayant jugé le troupeau menacé par leur présence. Venu au métier par vocation, Thomas Vernay abandonne, à bout. Il est aujourd’hui animateur national sur le dossier loup à la Confédération paysanne.

« Nous n’étions pas prêts. Nous pensions que le loup s’attaquait aux gros troupeaux des éleveurs industriels des Alpes-Maritimes. J’ai cru possible la cohabitation, je n’y crois plus. » Son voisin, Philippe Faure, résiste encore, passé de 500 à 250 brebis pour mieux gérer les agressions. « J’ai abandonné l’estive, je les rentre toutes les nuits. » Et surtout, il a tiré. Évasif : « J’en ai eu… un certain nombre. La tranquillité est revenue. C’était ça ou le RMI. » Dans la Drôme, en 2013, 80 % des attaques ont eu lieu dans les exploitations même. Dans les Alpes-Maritimes, elles sont toutes intervenues sur des troupeaux respectant les mesures de protection préconisées – parcs de nuit électrifiés, aides-berger, chiens de garde, tirs d’effarouchement, voire de défense (sous condition), etc. « Le bilan est clair, ça ne marche pas, la cohabitation entre le pastoralisme et le loup est impossible », conclut Olivier Bel, éleveur à La Roche-des-Arnauds (Hautes-Alpes) et responsable de la communication sur le loup à la Confédération paysanne.

Le syndicat, longtemps en proie à des divergences internes sur le sujet, a décidé de mener campagne pour réclamer le démantèlement des lois conférant au loup un statut d’espèce menacée en Europe, afin de donner les moyens aux pouvoirs publics de maîtriser réellement son expansion – tirs sans quota (y compris dans les parcs nationaux), piégeage, destruction de meutes, etc. « Et ce n’est pas aux éleveurs de régler le problème, aujourd’hui tenus de se transformer en dresseurs de chien de défense ou de passer le permis de port d’arme. Car enfin, à quoi riment les plans de sauvetage de la filière ovine, dans les conditions actuelles ? Si l’on ne veut plus du pastoralisme en France, qu’on le dise clairement ! D’une certaine façon, le loup sert les intérêts de l’agro-industrie, promotrice de l’élevage hors-sol. »

« Je suis écolo, moi ! »
La Confédération paysanne, partenaire de mouvements sociaux et écologistes sur de nombreux terrains – lutte contre les OGM ou le productivisme, pour la souveraineté alimentaire et l’agroécologie, etc. –, veut tenter de les gagner à la cause du pastoralisme. « Cette pratique a façonné les paysages depuis des siècles, des études ont montré qu’elle contribue à la richesse des espèces vivantes. Pourquoi le loup est-il considéré comme un emblème de la biodiversité ? », interroge Olivier Bel. Des échanges pourraient avoir lieu avec la fédération France nature environnement, moins radicale que d’autres associations naturalistes sur ce brûlant dossier. Leur« incompréhension » fait bouillir Fanny Métrat, qui a choisi, à 20 ans, « de faire bergère plutôt qu’histoire de l’art ». À 32 ans, elle élève ses moutons à Antraigue-sur-Volane (Ardèche), où elle a connu une première attaque de loups cet été. « Si nous arrêtons, il n’y a plus de pâture dans la commune, nous sommes les derniers. Je suis fatiguée de me faire traiter d’intégriste par les environnementalistes et par la gauche en général, comme si nous étions des gros bourrins. Car je suis écolo, moi ! Le manque de solidarité, y compris au sein de la Confédération paysanne, c’est ça qui nous fait le plus mal. »

[1] Voir Politis du 24 juillet.

[2] Soit en général sept ou huit loups.

Qui se soucie des ragondins ?

Vous allez lire l’info ci-dessous, et regarder la vidéo sans doute. Comment insulter dignement ces salopards ? Spontanément, on a envie de dire : les porcs ! Mais les porcs sont des animaux merveilleux, et ce serait les offenser sans bonne raison. Les pauvres types qui ont foutu le souk dans Nantes en ont bien entendu le droit, à la différence des zadistes. Mais regardez le plaisir que ces mecs prennent à tataner des ragondins. Et leurs t-shirts payés par la FNSEA, qui dit : “Laissez-nous produire”. Certains disaient tranquillement aux témoins : “Les ragondins, c’est comme Ségolène Royal, c’est des nuisibles”.

Je ne crois pas que cela soit anecdotique. Je sens – j’espère me tromper – monter une grande vague régressive, qui s’apprête à déferler sur les défenseurs de la vie sur Terre. Nous tous, en somme. Serrons les rangs, car le vent glacial va bientôt souffler. Désolé.

Ragondins maltraités : l’étrange et cruelle manif des agriculteurs [VIDÉO]

Ragondins maltraités : l'étrange et cruelle manif des agriculteurs [VIDÉO]

A Nantes et Angers, les agriculteurs en colère ont « lâché » des dizaines de ragondins devant des bâtiments administratifs, avec de nombreux gestes de maltraitance envers ces « nuisibles ». Le but, symboliser les « nuisibles » du gouvernement.

[Mis à jour le 6 novembre 2014 à 11h31] Les agriculteurs manifestaient ce mercredi leur « ras-le-bol » dans plusieurs grandes villes de France contre les réglementations, notamment environnementales, qui les étouffent, en plein débat sur le barrage de Sivens, grand pourvoyeur en eau espéré par les agriculteurs du Tarn. Une mobilisation qui, comme d’habitude, devait marquer les esprits à grands coups de fumier déposé et de légumes pourris déversés par milliers devant les bâtiments symbolisant le pouvoir. Mais certains agriculteurs, comme à Nantes, ont carrément choisi de se défouler sur des animaux. Dans la capitale de la Loire-Atlantique, des agriculteurs ont lâché des ragondins devant la préfecture. Une espèce protégée depuis juillet 2013.

Une vidéo, postée sur YouTube par Télénantes (voir ici), montre ces quelques personnes amenant des ragondins dans des chariots de supermarché et lançant leurs occupants dans un enclos dont les barreaux sont trop large pour eux. Pour les contenir, les coups de pieds commencent à pleuvoir, puis un manifestant se saisit d’une bombe de peinture rouge et badigeonne plusieurs animaux. Les quelques minutes de ce reportage se terminent sur l’image d’un ragondin écrasé, probablement par un véhicule agricole, et sur les propos d’un agriculteur se vantant d’avoir rossé un des animaux. La question de la maltraitance des bêtes, posée par le journaliste, sera éludée. Un agriculteur, lui, politise l’usage des animaux à la fin de cette séquence de cruauté assez choquante : « Les ragondins, c’est comme Ségolène Royal, c’est des nuisibles ! »

Ragondins : des « actes de cruauté » dénoncés

D’autres slogans comme « l’escrologie nous protège », « Ségolène tu nous emmerde » ont été entendus selon l’AFP qui rapporte par ailleurs que des animaux morts ont été jetés par les agriculteurs sur des tas de déchets agricoles déversés devant la préfecture. Parmi eux, des ragondins encore une fois, mais aussi le cadavre d’un sanglier.

Les réactions sont vives sur les réseaux sociaux depuis la mise en ligne de la vidéo. La Fondation Brigitte Bardot a d’ores et déjà indiqué qu’elle allait porter plainte « contre les actes de cruauté perpétrés aujourd’hui à Nantes lors de cette manifestation ». L’association compare les agriculteurs à des « casseurs » et elle appelle le gouvernement a « faire preuve d’une très grande fermeté face au comportement inacceptable de cette Fédération qui se sent, depuis trop longtemps déjà, au-dessus des lois ». La FNSEA, Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, est nommément visée dans les propos de la Fondation.

———————-Une autre histoire sinistre

Communiqué de presse, le 4 novembre 2014

Ils chassent des sangliers en enclos avec des chiens de combat : l’administration n’y trouve rien à redire !

Les 1er et 2 novembre derniers, des chasseurs se sont fait plaisir en contemplant la lente agonie des sangliers coincés dans des enclos et jetés en pâture à des dogues argentins. Avertie, l’administration est restée MUETTE ! L’ASPAS porte plainte pour chasse illégale et acte de cruauté.

Les faits se sont déroulés dans le Var, à Signes (83), au sein d’un établissement spécialisé dans l’élevage de chiens et dans les chasses commerciales en parc clos. Les responsables organisent depuis plusieurs années des concours où des meutes de dogues argentins sont lâchées à la poursuite de sangliers captifs.

Ces chiens de groupe 2 (type molossoïde) sont connus pour la puissance de leurs mâchoires, pour leur mordant et pour leur ténacité. Leur utilisation dans un tel mode de mise à mort est totalement illégale.

Avertie de l’organisation prochaine d’un tel concours, l’ASPAS (Association pour la protection des animaux sauvages) avait alerté les différents services de l’État qui n’ont pas jugé utile de faire cesser cette barbarie.

L’ASPAS porte donc plainte contre X, ce jour, devant le tribunal de grande instance de Toulon pour ces faits qui constituent les infractions de :
– Chasse avec mode prohibé.
– Sévices graves, actes de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité.

En effet, les risques de souffrance profonde et de longues agonies concernent autant les chiens que les sangliers. De telles fêtes sanglantes ont donc encore lieu aujourd’hui, près de chez nous. L’ASPAS entend mettre au grand jour de telles pratiques afin de les arrêter définitivement. Avec ou sans l’administration.

Des vidéos et photographies de ces chasses sont aisément accessibles en tapant « dogue argentin chasse sanglier » sur un moteur de recherche web. Par respect des droits d’auteurs, nous ne sommes pas en mesure de vous fournir ces visuels.

Contacts presse :

Marc Giraud, Vice-Président de l’ASPAS
Service juridique de l’ASPAS

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De quoi Ebola est-elle le nom ?

Cet article a été publié le 6 août 2014 par Charlie Hebdo, sous un autre titre

Derrière les maladies émergentes, dont la fièvre Ebola qui dévaste l’Afrique, l’Internationale des gougnafiers. Un siècle de déforestation massive et d’agriculture intensive explique largement la dissémination de nouveaux fléaux.

Qui sait ? Peut-être que la Grande Peste – de 30 à 50 % de la population européenne meurt  entre 1347 et 1352 – a commencé comme cela. Ou encore la « grippe espagnole » de 1918, qui zigouilla davantage – 20 millions de morts – que la Première Guerre mondiale, celle qui devait être la dernière.

Une chose est sûre, et c’est que la fièvre hémorragique dite Ebola – une rivière de la République démocratique du Congo – est hors de contrôle. Après le Liberia et la Sierra Leone, tous les pays voisins sont désormais menacés, dont le Nigeria et ses 170 millions d’habitants. L’un des virologues au contact des malades, le Sierra Léonais Sheik Umar Khan, est mort la semaine passée, frappé lui aussi par le virus.

C’est donc l’angoisse dans des pays où les systèmes de santé croulent déjà sous le poids d’autres maladies. En attendant mieux, il n’est pas interdit de se poser une ou deux questions bien emmerdantes. La principale est celle-ci : pourquoi tant de maladies émergentes ? Selon les sources les plus sérieuses, leur nombre explose depuis cinquante ans, que l’on parle d’Ebola, du sida, du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), des hantavirus, du virus du Nil occidental, entre autres joyeusetés.

Il serait stupide de vouloir tout expliquer par la dévastation écologique de la planète, mais il serait franchement con de passer à côté. Car d’évidence, une des clés de la situation s’appelle déforestation. Dans un texte impeccable (1) publié par la FAO (Organisation des nations unies pour l’agriculture et l’alimentation), les chercheurs Bruce Wilcox et Brett Ellis expliquent par le menu l’arrière-plan de ces émergences (ou réémergences). Grossièrement, l’essentiel du phénomène viendrait de « changements dans le couvert végétal et l’utilisation des terres, notamment les variations du couvert forestier (en particulier la déforestation et la fragmentation des forêts), ainsi que l’urbanisation et l’intensification de l’agriculture ».

Les hommes pénètrent toujours plus loin dans les forêts tropicales, sortent virus et autres micro-organismes pathogènes de l’extrême stabilité écologique où ils se trouvaient, entrent au contact d’animaux de toutes sortes – primates, rongeurs, chauve-souris – qui deviennent les vecteurs de ces infections. On est très loin de tout comprendre, mais il est certain que le bouleversement de centaines de millions d’hectares de steppes et prairies, et surtout de forêts, a mis au contact des êtres vivants qui ne l’étaient pas dans le passé proche.

Wilcox et Ellis vont encore plus loin, écrivant : « Les premiers pathogènes responsables de fléaux tels que la variole seraient nés en Asie tropicale, au début de l’histoire de l’élevage et lorsque les forêts ont commencé à être défrichées à grande échelle, au profit de cultures permanentes et d’établissements humains ». La France n’est nullement à l’abri : une étude parue en 2008 dans la revue Nature (2) propose la première carte mondiale des maladies émergentes, et notre beau pays tempéré y occupe une place de choix.

Pourquoi ? Parce que nous avons beaucoup de ports – sur la Méditerranée, l’Atlantique, la Manche et la mer du Nord -, où les bateaux débarquent sans cesse des hôtes inattendus. Et parce que les anciens liens coloniaux font atterrir chaque année à Roissy, Marseille ou Lyon des centaines de milliers d’habitants de pays tropicaux. Le reste s’appelle dérèglement climatique, qui fait irrésistiblement remonter vers le Nord des espèces jusqu’ici confinées plus au sud.

Charlie, qui n’est pas devin, ne sait rien de ce qui va se passer, mais la promiscuité toujours plus grande entre les hommes, les animaux sauvages et les milliards de prisonniers de l’élevage concentrationnaire ne saurait annoncer le printemps. Pour que la situation s’améliore, il faudrait commencer par respecter ces équilibres écologiques qui emmerdent tout le monde, à commencer par les aménageurs-massacreurs. À moins de devenir sages, et même très sages, Ebola n’est qu’un début.

(1) http://www.fao.org/docrep/009/a0789f/a0789f03.html
(2) http://www.nature.com/nature/journal/v451/n7181/full/nature06536.html