Archives de catégorie : Beauté

Vive le Loup (et tous à Lyon le 16 janvier) !

Chers amis, chers lecteurs, un vaste crime est en cours, dont tout le monde se contrefiche. Ce crime, c’est la chasse au Loup généralisée, qui a conduit déjà à la mort « légale » de 32 animaux depuis les arrêtés ministériels de juillet 2015, signés Le Foll et Royal. Ces textes scélérats autorisaient l’abattage de 36 loups entre juillet 2015 et juin 2016. Il ne fait donc guère de doute que le compte sera dépassé.

Mon engagement en faveur du Loup m’a valu quelques désagréments. Dont une rupture, silencieuse mais totale, avec quelqu’un(e) que je tenais pour un(e) ami(e). Rien n’aurait été pire que de se taire, car le Loup est une question cruciale, directement anthropologique. Ou nous tolérons des formes de vie qui nous gênent, ou non. Mais dans ce cas, regardons le tableau sans frémir : nous continuons à nous comporter comme les brutes à front bas que nous avons si longtemps été. Le Loup est un marqueur philosophique. Au passage, il sépare les « environnementalistes » des écologistes. Les uns considèrent ce qui « environne » les humains. Les autres regardent l’ensemble des relations que le vivant entretient avec lui-même. Dieu sait que ce n’est pas la même chose.

Le 16 janvier, je serai à Lyon avec beaucoup d’autres je l’espère (ici). Avec vous, je l’espère. Et vous trouverez ci-dessous une tribune publiée à l’automne 2014 par l’association Ferus, qui me l’avait demandée.

———————La tribune publiée par Ferus dans La Gazette des grands prédateurs en 2014

Ce que nous n’avons pas su faire

Qui ne voit l’évidence ? Aucun politique de ce pays n’entend défendre la biodiversité, qui passe évidemment par la présence de grands prédateurs en France. C’est inouï, mais la messe est dite, et  elle l’est d’ailleurs depuis de nombreuses années.

La situation s’aggrave à mesure que les animaux s’installent dans le paysage. Certains contemporains, très actifs dans nos montagnes, ne cessent de recuire leur vieille haine du sauvage et de la nature, et l’autorité publique, incapable même de faire respecter les lois, croit pouvoir les satisfaire en jetant par-dessus bord des principes que l’on croyait acquis. De ce point de vue, l’incroyable autorisation donnée aux chasseurs du Var et des Alpes-Maritimes de tuer des loups au cours de leurs battues ordinaires marque un tournant. On pourrait donc, désormais, les traiter comme du gibier. Comme du gibier de potence.

Un concurrent direct
La situation de l’ours, que les lecteurs de La Gazette connaissent bien, n’est pas meilleure, au point que Ferus a imaginé la création de sentinelles actives pour déjouer les infinies manœuvres des braconniers. On se doute que, malgré les efforts des bénévoles sur le terrain, cela ne suffira pas. La question que l’on peut, que l’on doit légitimement se poser, au stade atroce où nous sommes rendus, est bien de savoir ce que nous devons faire.
S’il est une évidence à mes yeux, c’est que l’opposition au Loup, à l’Ours, au Lynx repose sur la haine. Une haine d’autant plus inexpiable qu’elle paraît gravée dans la mémoire profonde d’une partie de l’espèce humaine. Il y a comme un vaste choc anthropologique, qui fait ressurgir des centaines de milliers d’années de cohabitation acrobatique entre nous et eux. Et surtout entre le Loup et nous. Car Canis lupus a été fort longtemps un concurrent direct dans l’appropriation des ressources alimentaires, avant de devenir, au fil de temps plus calmes, un formidable véhicule de tous les fantasmes.
Dans son genre, l’Ours a également de belles qualités à faire valoir. Ne l’appelle-t-on pas encore, dans certains foyers pyrénéens, Lo Moussou, le Monsieur ? Contes et légendes ne fourmillent-elles pas d’ours levés sur leurs pattes arrière, dans une saisissante imitation des…hommes ? Ne leur a-t-on prêté d’innombrables exploits sexuels et des mariages au fond des grottes avec de jolies femmes blondes ?

La fuite éperdue des paysans
Bref. L’arrière-fond psychologique de ce drame, car c’en est un, plonge ses racines au plus loin de nos imaginaires. Et la situation nouvelle en France – le retour de loups et d’ours – éveille au passage un autre sentiment, qui redouble les craintes les plus anciennes. Je veux parler de la fin des paysans. On n’y pense plus guère, mais la civilisation rurale, stable pendant environ mille ans, malgré les guerres et les épidémies, a été engloutie en quelques décennies. Le grand historien Fernand Braudel, dans son livre L’identité de la France, note ceci : « Le chambardement de la France paysanne est, à mes yeux, le spectacle qui l’emporte sur tous les autres, dans la France d’hier et, plus encore, d’aujourd’hui », ajoutant ces mots terribles : « La population a lâché pied, laissant tout en place, comme on évacue en temps de guerre une position que l’on ne peut plus tenir ».
Ce traumatisme a laissé de multiples traces, et je gage qu’il joue un rôle important dans la mobilisation en cours contre les grands prédateurs. Mon hypothèse – car c’en est une – est que la psyché d’un certain nombre d’éleveurs, de ruraux, et même d’urbains, est tenaillée par un fort sentiment de culpabilité. Sur le territoire de la France actuelle, l’Homme n’a jamais cessé d’avancer et de conquérir depuis le Néolithique au moins. La quasi-totalité de l’espace a été parcouru, modifié, brûlé, planté. Les vastes forêts du temps de l’invasion romaine, où l’Ours était un dieu – lisez, si ce n’est fait, L’ours, histoire d’un roi déchu, par Michel Pastoureau – ont été défrichées dans les siècles qui ont suivi, symbole désolant de la toute-puissance humaine.

La grande leçon des cartes postales
J’ai toujours aimé regarder les cartes postales anciennes. Celles que l’on trouve dans les villages de montagne montrent toutes la même chose : les plus hautes vallées, voici un siècle et plus, étaient occupées. Les troupeaux y paissaient, et dans la mesure du possible, on y plantait quelques grains. Le spectacle d’aujourd’hui est si différent que l’on a parfois du mal à se convaincre que l’on regarde le même paysage. La forêt est souvent au bord des premières maisons. L’Homme a bien, d’un certain point de vue, reculé. Après avoir constamment avancé d’un bon pas pendant des milliers d’années. Et c’est sur ce fond d’abandon des terres que les animaux les plus sauvages – dans nos contrées – font leur réapparition.
Le Loup et l’Ours reviennent au moment où les hommes se replient, et je crois que cette vision angoisse, désoriente, et culpabilise même nombre d’acteurs locaux, qui se reprochent sans peut-être s’en douter de ne pas avoir tenu bon. De ne pas avoir empêché le retour de la Bête. Ces gens-là peuvent éventuellement être de bonne foi, et à mon sens, il faut y penser et s’en souvenir, même si cela n’excuse ni n’excusera jamais la haine de la nature.
L’un des paradoxes de la situation, c’est que la France moderne des routes, autoroutes, et d’internet, est redevenue sans le dire un pays sauvage. Mais oui ! Qui se promène beaucoup n’ignore pas la révolution des paysages en cours. La déprise agricole a libéré des millions d’hectares, qui ont changé de destination en deux générations au plus. La forêt gagne, les terres ingrates, qui ne sont plus cultivées, s’embuissonnent, les hommes ne pénètrent pratiquement plus certains espaces. Le retour naturel du Loup, comme l’exceptionnelle adaptation des ours de Slovénie dans les Pyrénées s’expliquent en partie par l’existence de « nouveaux espaces », où l’Homme n’est que plus que de passage.

Serons-nous un peu moins barbares ?
C’est une chance, une magnifique chance de montrer de quoi nous sommes capables. La biodiversité restera-t-elle un slogan vide du moindre contenu ? Permettra-t-elle enfin de mobiliser positivement ceux qui entendent la défendre ? Le fait indiscutable, c’est que la présence chez nous de grands prédateurs nous offre l’occasion historique de prouver que nous sommes (un peu) moins barbares que nos pères ancestraux. La question posée est de civilisation : serons-nous, une fois encore, des éradicateurs ? Tuerons-nous, de nouveau, ce que nous ne parvenons pas à contrôler et à soumettre ? Notre Terre appartient-elle, ou non, à tous ceux qui l’habitent, hommes, bêtes et végétaux ?
Le débat me semble mal engagé, et je suis désolé de l’écrire ici, dans le bulletin d’une association dont je pense du bien. Mon propos est au reste d’ordre général et concerne tous ceux qui défendent et défendront toujours le droit des ours, des loups et des lynx à vivre dans un pays qui est aussi le leur. Ce que je crois est simple : nous sommes perpétuellement sur la défensive. Et du même coup, fatalement, nous perdons du terrain. Certes, en bon ordre, et avec les honneurs, mais nous perdons pied, peu à peu. Un exemple me semble significatif, et soyez sûrs que je ne souhaite polémiquer avec personne. Je défends la grande valeur du travail de l’historien Jean-Marc Moriceau. Lequel, au cas où vous l’ignoreriez, a fortement documenté des attaques de loups contre les hommes, en France, entre les XVème et XIXème siècles.

Certains d’entre vous contestent ce travail, je le sais, mais allons plus loin. Pourquoi diable ne serait-on pas capable de défendre avec ardeur un animal qui, sous certaines conditions précises, peut tuer des humains ? Oui, pourquoi ? L’abeille ne tue-t-elle pas ? La vipère ? Et le chien ? Et l’homme lui-même, le plus grand massacreur de tous les temps ? Je crois bien que nous n’osons pas sortir notre drapeau en plein soleil de midi.

Déployer notre bannière
Or notre drapeau, je le dis au risque d’être moqué, est le plus beau. C’est celui de la vie, du partage de l’espace et des ressources, c’est celui de l’humanisme réel, qui étend ses principes à tous les êtres menacés par la puissance et la violence. Non seulement nous ne devons pas avoir honte, mais tout au contraire, nous devons relever la tête, être fiers, et ne plus jamais courber l’échine. D’autant plus que le pire nous attend. La dynamique naturelle des loups promet des installations de meutes bien au-delà des quelques massifs où elles sont aujourd’hui présentes. Que ferons-nous demain, quand le loup sera à Fontainebleau ou dans la grande banlieue de Lyon ?
En quelques mots, mon sentiment. Un, la défense de la biodiversité est un devoir, élémentaire, et ce devoir nous oblige tous. Donc, on ne lâche rien. Deux, il est sûr que la cohabitation avec les activités humaines pose de vrais problèmes, peut-être davantage sur le plan psychologique que matériel. Trois, une très forte majorité de l’opinion française souhaite la présence des grands prédateurs sur notre territoire. Quatre, la question ne saurait être discutée qu’au plan national, car le fond de l’affaire est national, et même planétaire.
Pour ma part, je suis pour un pacte qui permette enfin à la société elle-même de s’exprimer sur le sujet. Un pacte solennel conclu entre ruraux et urbains. Entre la ville et la campagne. Entre défenseurs et éradicateurs. C’est utopique ? Je le confirme, c’est utopique, pour le moment du moins. Mais je crois néanmoins que cette direction est la bonne. Après tout, si les trois quarts des Français veulent la coexistence, il n’est que temps de savoir ce qu’ils sont prêts à consentir. Cela passe par une sorte de paix des braves, assortie d’un plan concret de mesures susceptibles d’au moins isoler les quelques extrémistes locaux qui pourrissent toutes les initiatives.

Un grand pacte national
Oui, nous devons signer un pacte engageant les deux parties. Pas avec des promesses, avec des moyens et des actes. En échange d’un vaste effort collectif des éleveurs en faveur de la coexistence, la société française reconnaîtrait en somme, officiellement, la place et le rôle de nos derniers paysans et bergers.
Une dernière chose, qui n’est pas la moindre. Je ne trouve pas choquant que la France subventionne des activités agricoles. On sait que l’élevage ovin est devenue, mille fois hélas, une activité largement artificielle. Sans les aides multiples, tant françaises qu’européennes, combien resterait-il d’éleveurs, et où ? J’ai le plus grand respect pour ceux qui vivent de leurs troupeaux, même dans ces conditions si singulières. Mais je crois devoir écrire, et cela vaut pour nous tous, que les droits impliquent des devoirs. Ceux qui acceptent sans état d’âme les subventions d’un État qu’ils honnissent dès leur chèque encaissé, doivent redescendre sur terre. La société, et nous en sommes tous, les aide à vivre, et c’est à mon sens légitime. Mais en retour, les éleveurs doivent accepter des contraintes, même ceux qui les refusent obstinément. La loi, comme par exemple la Convention de Berne, n’est pas une option, mais une obligation.
Pour ce qui me concerne, je ne supporte plus le ton déchaîné de ceux qui ont trouvé dans la nouvelle guerre au loup et à l’ours comme une manière de vivre, peut-être plus excitante qu’auparavant. Je suis évidemment pour la discussion, et même le compromis. Mais pour obtenir ce que nous voulons, au moins en partie, il faut être forts. Or nous sommes bien trop faibles, et les gueulards que nous connaissons tous le sentent. Il faut grandir. Il faut se compter. Il faut s’additionner. La mort ne vaut ni ne vaudra jamais la vie.

Frédéric Wolff nous parle

Je reste un peu hors-jeu, et ne peux plus réellement écrire pour Planète sans visa. Ça reviendra, à n’en pas douter, car le lien noué avec vous tous, y compris certains adversaires, m’est précieux. Ça va revenir, et peut-être plus tôt que je ne pouvais le craindre. En attendant, place à Frédéric Wolff, lecteur et ami, même si je n’ai jamais eu la chance de le rencontrer. Qui est-il ? Je dois avouer que je n’en sais à peu près rien. Mais depuis quelques années, il envoie de temps à autre de puissants commentaires, servis par une langue forte et belle, en tout cas comme je les aime.

Vous lirez pour commencer un texte de juin, publié ici, mais sans doute pas autant lu qu’il l’aurait mérité. Puis un commentaire de ces tout derniers jours, inédit. Frédéric, je vous salue avec affection.

          Lettre à mon poisson rouge

Mon cher poisson rouge,
Grâce à toi, je viens d’apprendre deux informations de la plus haute importance pour la suite de ma vie et de la tienne aussi.
Longtemps, je t’ai regardé tourner en rond dans ton bocal où il m’a semblé apercevoir d’étranges reflets entre le monde et toi, entre le monde et moi.
Je revois ce jour où tu es arrivé ici, avec Pascal, le fiston, pas peu fier d’avoir emporté le challenge de l’équipe de travail qu’il venait de rejoindre deux semaines plus tôt. Le trophée, c’était toi. Cette victoire s’ajoutait à celle d’avoir été embauché par une entreprise pleine d’avenir.
Le soir où il a débarqué avec toi et une tablette dans ses bras, je m’apprêtais à souffler en solo mes quarante-cinq printemps. Depuis plusieurs mois, mes journées étaient interminables à attendre une lettre au courrier du matin, une sonnerie de téléphone. Pour occuper mes heures désœuvrées, j’ai navigué entre mon nouvel écran et les eaux claires que tu habites. Certains jours, confusément, une impression étrange s’emparait de moi : celle de vivre dans un bocal, moi aussi, un bocal de la taille de la tablette où s’écoulaient mes heures.
Pascal était très pris par son travail, mais heureusement, il y avait les écrans. De temps en temps, on s’envoyait des nouvelles : un message, des photos pleines de sourires. Chacun se voulait rassurant sur lui-même et rassuré sur l’autre. Chacun avait envie d’y croire. On se construit des histoires qui finissent par devenir des vérités, pendant un certain temps au moins.
Et un jour, tout s’effondre. Ce jour-là, je m’en souviens, le téléphone a sonné. La voix au bout du fil était celle de Martine qui partageait ses jours avec Pascal.
– Je t’appelle parce que…
Elle n’a pas pu aller au bout de sa phrase. Tout de suite, j’ai su.
– J’arrive.
C’est tout ce que j’ai su dire.
On s’est retrouvé dans un couloir d’hôpital. Elle m’a appris ce que je savais déjà : l’épuisement des journées de plus en plus longues, la peur au ventre chaque matin, les objectifs impossibles à atteindre, le couple qui vacille, la solitude connectée avec le monde entier…
On l’avait découvert sans connaissance dans les toilettes de l’entreprise, une boite de gélules vide sur le carrelage et, dans la poche de sa veste, un mot écrit à la main : « Je ne peux plus. J’abandonne. Pardon. Pascal. »
Pourquoi je te raconte tout ça, cher poisson rouge ? Pour essayer de comprendre, peut-être, comment il est possible de ne pas basculer, dans ce monde où nous sommes, toi et moi.
Souvent, je me suis demandé par quel miracle tu pouvais vivre sans compagne, sans compagnon à tes côtés, sans autre horizon qu’une paroi de verre où s’arrête ta vie.
Ce matin, je crois tenir une explication. Ta capacité de concentration serait de neuf secondes. Neuf secondes pour passer à autre chose et ne pas devenir fou à force de tourner en rond tout seul, toujours.
Une deuxième information m’a permis d’y voir plus clair sur un autre mystère : comment nous, les humains, pouvons tenir encore debout dans une époque aussi peu digne d’humanité. Il y a bien des manières de se protéger, parmi lesquelles le déni, le travail, le jeu, l’absence à soi, la consommation, la drogue, les écrans… Mais ces parades ne durent qu’un temps. Très vite, il faut de nouvelles défenses qui nous exposent un peu plus encore, sitôt passée l’illusion d’un réconfort.
Nous en arrivons à cette seconde information que j’évoquais plus haut : Notre attention à nous, les humains, ne dépasserait pas huit secondes. Soit une seconde de moins que toi, mon poisson rouge, et quatre de moins qu’il y a quinze ans. Cet exploit, nous le devons aux écrans, à leur capacité à nous distraire, à nous pousser à être là sans y être, à faire une chose sans y penser, à griller notre cervelle, notre mélatonine réparatrice. Bref, à faire de nous des absents. Et, immanquablement, à force de s’absenter de soi et du monde où nous sommes, on finit par s’absenter de la vie, un jour ou l’autre. Le remède – provisoire – devient le poison.
Ainsi donc, cher poisson rouge, sans le vouloir expressément, nous avons pris modèle sur toi. L’écran est devenu notre bocal, notre horizon de plus en plus, notre machine à ne plus lire vraiment les livres importants, à ne plus lire en nous, à supporter l’insupportable. Comment ne plus penser ? L’écran apporte une réponse inédite. Au-delà de cette limite – huit secondes –, notre ticket n’est plus valable, nous nous mettons en danger de prendre la mesure de ce qu’est devenu notre existence, l’insignifiance et pire que ça, le désastre auquel nous participons. Vite, vite, un écran de fumée, passer à des choses plus légères, penser à sourire pour nos prochains selfies, mettre à jour notre mur Face-book, twitter, liker, nous connecter partout, toujours, à grands renforts d’énergies climaticides, de métaux rares, échapper d’urgence au temps de rêverie, d’ennui, de présence à nos profondeurs, à nos semblables de chair et de vive voix… Faire mille et une choses à la fois pour oublier le grand vide et notre grand écart au-dessus du grand vide. Se dire que, malgré tout, la toile qui nous étouffe a du bon et qu’il ne tient qu’à nous d’en faire un outil d’émancipation, comme si nous maîtrisions quoi que ce soit dans la méga-machine qui domine. Ne plus voir ce qu’il y a de sordide dans la marchandisation, la « servicisation » – pour ne pas dire la sévicisation – de chaque moment de l’existence.
Huit secondes pour ne pas devenir fou, dans nos bocaux à quatre roues, à micro-ondes, à écrans plats, à emplois inutiles et nuisibles, à perfusions chimiques. Huit secondes aujourd’hui et combien demain ? Sept, six, cinq… Le compte à rebours de notre décervelage a commencé. Et j’ai bien peur que notre mémoire, notre discernement, nos capacités cognitives, notre âme, connaissent une évolution semblable. Heureusement, plus nous sommes abrutis, plus les objets qui nous entourent deviennent intelligents ; ils se souviennent pour nous, décident et pensent à notre place. Bienvenue parmi les miradors et les garde-chiourmes électroniques. Souriez, vous êtes irradié, empoisonné, localisé, fliqué, géré, piloté à distance. Mais réjouissez-vous, tout cela est progressiste et innovant. Et on ne peut pas être contre le progrès et l’innovation, n’est-ce pas ?
Alors quoi ? Alors la vie n’est pas dans un bocal de verre ou de plasma. Tout à l’heure, je vais rejoindre Pascal, de retour du grand vide. Nous allons marcher sous les arbres. Je t’emporterai avec moi et je te déposerai dans une mare où nagent d’autres poissons de ta famille.
J’ai débranché les écrans entre moi et la vie. J’essaie d’être là où je suis, dans chaque chose, chaque pensée qui m’habite. Je réapprends, un peu comme on réapprend à marcher après une longue période immobile. Je reviens vers la vie. C’est ce que je te souhaite aussi.

————————-

Frédéric vient de m’envoyer ceci, qui se réfère au livre que je viens de publier : « Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture »
A contretemps du monde qui décidément m’échappe de plus en plus, à contre-courant mais rattrapé parfois par la vague, quelques mots volés à la grande lassitude trop souvent, quelques mots pour dire ce qui m’apparaît comme une évidence même si je manque de chiffres, mais il se trouvera peut-être un jour des experts pour accréditer mon hypothèse.

Si nous prenions en compte les terres pillées et massacrées, les vies saccagées, les forêts anéanties, les eaux empoisonnées, le climat chaviré, si nous faisions la somme des subventions, des aides et des milliards dépensées pour tenter de réparer l’irréparable, la conclusion serait sans appel : nous avons inventé l’agriculture la plus improductive du monde et, je le crains, de tous les temps. Je manque de temps pour illustrer mon propos dans le détail, mais je suis sûr que chacun, chacune, ici, comprendra de quoi je parle.

Pourtant, par des artifices comptables et rhétoriques, on nous martèle le contraire. Par un découpage factice du temps et de l’espace, on ne voit pas plus loin que le rendement à l’hectare, à l’unité de bétail animal et humain.
Ce qui vaut pour l’agriculture industrielle vaut pour la société industrielle dans son ensemble, évidemment.
Mais comment chiffrer la souffrance, comment mesurer le prix d’une vie sans congédier l’essence même de la vie, sans céder finalement à l’écologie palliative, à l’image des soins du même nom, cette écologie d’accompagnement escortant les agonisants vers la mort, les agonisants et la civilisation qui les achève. Cette escrologie là parle une langue morte, celle des technocrates à la pensée désincarnée.
Il faudrait, autant qu’il est possible, fuir cet univers morbide et rechercher le sens ailleurs, habiter chaque lieu, chaque instant de nos vies, chacun de nos liens, de nos paroles et de nos actes. Il faudrait habiter chaque pourquoi.
Merci à Fabrice pour cette nouvelle contribution que je n’ai pas encore lue mais que je devine combative. Merci et courage.

Le pape est avec nous (une Encyclique miraculeuse)

À Dominique Lang

C’est un très grand jour. Celui de la publication de l’Encyclique du pape François, appelée Laudato si – Loué sois-tu -, « sur la sauvegarde de la maison commune ». Qu’est-ce qu’une Encyclique ? Un texte souverain qui engage le pape, et derrière lui, en théorie du moins, toute l’Église et le 1,2 milliard de catholiques de la planète. Or cette Encyclique-là, par quelque miracle que je ne prétends pas expliquer, est écologiste.

Vous avez bien lu : écologiste. Je sais bien que l’on peut y trouver toutes les limites que l’on veut, mais avec ce texte, le pape François fait un mouvement prodigieux dans notre direction. Vous lirez les quelques extraits saisis au vol – désolé, non, je n’ai pas eu le temps de tout lire – et vous comprendrez pourquoi je considère dès ce jour François comme un formidable allié dans l’immense combat en cours pour la défense de la vie.

J’imagine que certains d’entre vous se récrieront. Comment ? Se prosterner devant le calotin des calotins ? J’assume sans aucune gêne. Je sais que bien des questions forment un vaste fossé entre lui et moi. Et de même entre la hiérarchie catholique et des mécréants de mon espèce. Mais ceux qui ne voient pas le changement venir risquent de finir bien seuls, ce que je ne leur souhaite pas.

Ma position est claire : il faut bâtir des alliances autour de valeurs, ce qui exclut beaucoup de monde, il est vrai. Dans le temps qui reste avant les vraies dislocations, il est inconcevable que nous puissions convaincre assez de monde pour renverser la table. Notez que ce serait ma préférence. Renverser la table, je veux dire, et donner la leçon qu’ils méritent à tous les médiocres salopards qui tiennent si mal les rênes de nos affaires communes.

Nous n’avons plus le temps. Et nous avons donc un besoin immédiat de renfort, d’aide, de compréhension, de mouvement, et j’ose le mot, d’amour. L’Église Catholique a beaucoup de choses à se faire pardonner – parmi lesquelles de grands massacres -, mais elle est toujours debout. Nous ne savons parler aux grandes masses humaines qu’elle influence et parfois guide. Son virage écologiste, s’il se maintient, sera un fabuleux accélérateur de conscience.

L’accélération est un moteur, qui comme son nom latin – m?tor – l’indique, remue. En l’occurrence, les esprits et les cœurs. Les paroles, d’évidence sincères, de François, sont désormais à la portée de tous. Rien ne sera plus comme avant. Je sais ce bout de phrase usé jusqu’à la corde, mais c’est bien cela que je veux dire. Rien ne sera jamais plus comme avant, car nul ne pourra effacer ce qu’une grande conscience humaine a pu un jour écrire. Chaque homme sur cette Terre pourra désormais s’appuyer, quoi qu’il arrive, sur cette immense et majestueuse tirade.

Malgré ma radicalité résolument totale, je ne crois pas être un sectaire. À la fin de 2008, j’ai lancé avec mon ami Dominique Lang – un prêtre catholique – une revue nommée Les Cahiers de Saint-Lambert (Ensemble face la crise écologique). Vous en saurez plus ici. Pour des raisons absurdes, cette revue a cessé de paraître à l’été 2011, mais elle avait le vent en poupe, croyez-moi. Elle matérialisait la nécessaire rencontre entre catholiques – Dominique – et écologistes – moi. Dominique était le directeur, Olivier Duron l’excellentissime directeur artistique, et moi le rédacteur-en-chef. Je vous le dis sans trépigner : je suis fier des dix numéros parus, dont vous trouverez le PDF du dernier ici.pdf.

Je me répète, mais la cause est la bonne : ce jour est historique, et je m’endors dans un bonheur simple et vrai. Et toutes mes excuses à ceux qui n’aimeront pas, que je crois assez nombreux.

——————————————-

EXTRAITS DE L’ENCYCLIQUE DU PAPE FRANÇOIS (je le répète, je n’ai pas lu le texte dans sa totalité, de loin)

La poésie

Si nous prenons en compte la complexité de la crise écologique et ses multiples causes, nous devrons reconnaître que les solutions ne peuvent pas venir d’une manière unique d’interpréter et de transformer la réalité. Il est nécessaire d’avoir aussi recours aux diverses richesses culturelles des peuples, à l’art et à la poésie, à la vie intérieure et à la spiritualité.

La propriété privée

Par conséquent, toute approche écologique doit incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des plus défavorisés. Le principe de subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens et, par conséquent, le droit universel à leur usage, est une ‘‘règle d’or’’ du comportement social, et « le premier principe de tout l’ordre éthico-social ». La tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu ou intouchable le droit à la propriété privée.

La richesse de la culture

Il ne s’agit pas de détruire, ni de créer de nouvelles villes soi-disant plus écologiques, où il ne fait pas toujours bon vivre. Il faut prendre en compte l’histoire, la culture et l’architecture d’un lieu, en maintenant son identité originale. Voilà pourquoi l’écologie suppose aussi la préservation des richesses culturelles de l’humanité au sens le plus large du terme.

Sur les écologistes

Le mouvement écologique mondial a déjà fait un long parcours, enrichi par les efforts de nombreuses organisations de la société civile. Il n’est pas possible ici de les mentionner toutes, ni de retracer l’histoire de leurs apports. Mais grâce à un fort engagement, les questions environnementales ont été de plus en plus présentes dans l’agenda public et sont devenues une invitation constante à penser à long terme.

Des points de rupture

Il suffit de regarder la réalité avec sincérité pour constater qu’il y a une grande détérioration de notre maison commune. L’espérance nous invite à reconnaître qu’il y a toujours une voie de sortie, que nous pouvons toujours repréciser le cap, que nous pouvons toujours faire quelque chose pour résoudre les problèmes. Cependant, des symptômes d’un point de rupture semblent s’observer, à cause de la rapidité des changements et de la dégradation, qui se manifestent tant dans des catastrophes naturelles régionales que dans des crises sociales ou même financières, étant donné que les problèmes du monde ne peuvent pas être analysés ni s’expliquer de façon isolée. Certaines régions sont déjà particulièrement en danger et, indépendamment de toute prévision catastrophiste, il est certain que l’actuel système mondial est insoutenable de divers points de vue, parce que nous avons cessé de penser aux fins de l’action humaine.

L’anthropocentrisme

Les Évêques d’Allemagne ont enseigné au sujet des autres créatures qu’« on pourrait parler de la priorité de l’être sur le fait d’être utile »42. Le Catéchisme remet en cause, de manière très directe et insistante, ce qui serait un anthropocentrisme déviant : « Chaque créature possède sa bonté et sa perfection propres […] Les différentes créatures, voulues en leur être propre, reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté infinies de Dieu. C’est pour cela que l’homme doit respecter la bonté propre de chaque créature pour éviter un usage désordonné des choses ».

Le dérèglement climatique

Le changement climatique est un problème global aux graves répercussions environnementales, sociales, économiques, distributives ainsi que politiques, et constitue l’un des principaux défis actuels pour l’humanité. Les pires conséquences retomberont probablement au cours des prochaines décennies sur les pays en développement. Beaucoup de pauvres vivent dans des endroits particulièrement affectés par des phénomènes liés au réchauffement, et leurs moyens de subsistance dépendent fortement des réserves naturelles et des services de l’écosystème, comme l’agriculture, la pêche et les ressources forestières. Ils n’ont pas d’autres activités financières ni d’autres ressources qui leur permettent de s’adapter aux impacts climatiques, ni de faire face à des situations catastrophiques, et ils ont peu d’accès aux services sociaux et à la protection. Par exemple, les changements du climat provoquent des migrations d’animaux et de végétaux qui ne peuvent pas toujours s’adapter, et cela affecte à leur tour les moyens de production des plus pauvres, qui se voient aussi obligés d’émigrer avec une grande incertitude pour leur avenir et pour l’avenir de leurs enfants.

Une solidarité universelle

Malheureusement, beaucoup d’efforts pour chercher des solutions concrètes à la crise environnementale échouent souvent, non seulement à cause de l’opposition des puissants, mais aussi par manque d’intérêt de la part des autres. Les attitudes qui obstruent les chemins de solutions, même parmi les croyants, vont de la négation du problème jusqu’à l’indifférence, la résignation facile, ou la confiance aveugle dans les solutions techniques. Il nous faut une nouvelle solidarité universelle.

Un appel pour les renards

J’ai reçu un message d’une lectrice régulière de Planète sans visa, Anne, et je ne pouvais faire moins que le relayer. Faut-il le rappeler ? La barbarie est une.

—————————
Salut,

L’autre jeudi, l’amicale des chasseurs d’Assérac est venue sur le petit pré de Kermalinge dans lequel nous faisons du foin depuis 12 ans et qui appartient depuis peu au Conservatoire du Littoral. Ils ont fait venir un spécialiste de vénerie souterainne, afin d’éradiquer le terrier de renard qui se trouvait là.

Ils ont massacré des renardeaux de 2 mois en les faisant dechiqueter par leurs chiens au fond du terrier. Barbarie absolue. Je suis choquée, je ne décolère pas. Et Marc aussi. Je pleure « mes » petits renards de Kermalinge. De plus, ils ont roulé en bagnole dans notre beau foin prêt à être fauché… alors qu’une partie de ces gens sont eux-même agriculteurs.

Les renards sont toujours classé comme « nuisibles » dans notre beau pays de France. Ils sont donc persécutés sans pitié. Et ce, même hors période de chasse. Puisqu’il faut encore le préciser en ce début de 21 ème siècle, les renards sont indispensables à l’équilibre des écosysèmes. Ce sont des amis précieux pour la biodiversité dont ils font partie.

Dans le petit pré de Kermalinge, par exemple, ils participent à la régulation d’une importante population de lapins de Garenne qui sans prédateur sera en surpopulation, deviendra malade, et dégradera l’équilibre de la dune grise voisine. Mais partout, ils sont les alliés des écosystèmes et de l’agriculture ( un renard prélève 10 000 campagnoles par an).

L’ASPAS a ouvert une pétition pour la Ministre de l’écologie. Si ce n’est déjà fait, je voudrais bien que vous la signez.

Voici le lien: http://www.mesopinions.com/petition/animaux/protegeons-renards/13081

Merci

Nos loups sont leurs éléphants

Je suis toujours à l’hosto. Bien sûr. Une kiné formidable – Hélène – a eu ce jour une idée purement magique. Grâce à un appareillage très simple, elle a immensément amélioré ma vie quotidienne. Il s’agit d’un équipement que j’installe sur mon pied droit pour compenser des pertes occasionnées par les balles du 7 janvier. Et en plus, j’ai vu le soleil.

—————————————-

Vous trouverez ci-dessous un papier de Sciences et Avenir, basé sur un reportage de l’AFP au Botswana, pays africain comparable au nôtre par la taille. On se doute que les ressemblances s’arrêtent vite, mais il n’est pas interdit de faire un rapprochement. On verra – vous verrez peut-être – comme il est dur de cohabiter des éléphants capables de ravager un champ de maïs en un quart d’heure.

Quand on est pauvre, il est inconcevable de préférer la liberté des éléphants à la pitance de ses gamins. Sûr. Pourtant, si l’on veut sauver au moins une partie de la si grandiose diversité des espèces vivantes, il faudra bien trouver quelque chose. D’autant que l’éléphant est une espèce parapluie. Cette expression est utilisée en écologie scientifique pour désigner des animaux dont la protection entraîne peu ou prou celle de beaucoup d’autres qui vivent sur leur territoire. Sauver l’éléphant, c’est certainement protéger des milliers d’autres formes vivantes, y compris d’ailleurs végétales.

Donc, aucun doute : il faut se battre avec les paysans pauvres, ceux que le marché mondial pulvérise chaque jour un peu plus, et pour les éléphants. Le rapprochement – un simple rapprochement, j’y insiste – avec la France permet de se poser des questions bien plus proches de nos existences. Pourquoi un pays riche, qui possèdes des millions d’hectares de forêts et de friches, est-il incapable de supporter la présence de 300 loups ? Je ne vous en parle pas – j’ai tort -, mais une sorte de petite guerre – malsaine et sordide – est en train de s’emparer des Alpes et de l’Est, et bientôt des Cévennes, voire de Fontainebleau.

Indiscutablement, le Loup progresse chez nous, après 70 ans d’absence. Pas un politique n’est capable de dire que les envolées lyriques au sujet de la biodiversité – celles des tribunes de l’Unesco, par exemple – doivent s’appliquer, en priorité, au Loup. Le Loup, cet éternel mal-aimé qui réunit contre lui la droite, la gauche et une partie notable du mouvement dit altermondialiste.

C’est tragiquement simple : si nous reculons à propos de 300 loups, il ne se trouvera aucun raison de se battre pour les requins, les phoques, les tigres, les éléphants bien sûr. Et ne parlons pas de ces sales bêtes de vipères et de guêpes.

PS : Défendre le Loup comme je le fais depuis tant d’années est d’une facilité totale. Je ne risque rien. Sauf quelques vrais désagréments. Ainsi, une journaliste radio que je tenais pour une amie depuis plus de quinze ans, et qui m’invitait pour la sortie de mes livres, a-t-elle décidé que je n’existais plus. Ma foi, c’est comme cela.

Éléphants du Botswana : quand intérêts humains et conservation s’affrontent

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’interdiction de chasser l’éléphant d’Afrique ne met pas tout le monde d’accord. Et ses premiers opposants sont les Botswanais eux-mêmes, qui dénoncent ses conséquences désastreuses sur l’économie et l’agriculture.

Les pachydermes du Botswana, au sud de l'Afrique, représentent plus d'un tiers de la population totale d'éléphants d'Afrique (Loxodonta africana). © Alexander Joe/AFP

Les pachydermes du Botswana, au sud de l’Afrique, représentent plus d’un tiers de la population totale d’éléphants d’Afrique (Loxodonta africana). © Alexander Joe/AFP

DISPARITÉS. La population des éléphants d’Afrique connaît une situation paradoxale. Au centre et à l’est du continent, les troupeaux deviennent de plus en plus petits, victimes d’un braconnage intense. Au sud et à l’ouest, ils grandissent, à raison de 4% par an. Au sud, pour poursuivre cet effort de conservation jusque-là payant, le Botswana a adopté une mesure radicale. L’état qui abrite plus d’un tiers des pachydermes africains, a interdit en janvier 2014 la chasse de ces animaux. Problème : les conséquences économiques sur la population rendent la mesure très impopulaire tout en faisant des locaux des ennemis de la conservation de l’espèce.

Des conséquences économiques terribles

Le village de Mabele est l’un des plus impactés par l’interdiction. Situé entre plusieurs réserves ouvertes, il est souvent la cible des incursions des pachydermes. Debout au milieu de son champ de maïs ravagé par les éléphants, Minsozie, mère de sept enfants, témoigne de sa lassitude auprès de l’AFP : « Quand on pouvait chasser les éléphants, ça n’arrivait pas. Les éléphants ont tout mangé, nous n’aurons pas de récolteJe ne sais pas ce que nous allons faire. L’argent que gagne mon mari, ça ne suffit pas. Et l’État compense trop peu. » Avant l’interdiction, les villages regroupés en communautés disposaient d’un quota d’éléphants qu’ils pouvaient abattre, principalement des vieux mâles. Ces permis de tuer étaient rachetés par des agences de safari spécialisées, générant des revenus substantiels pour les habitants et les fonds de conservation. « La chasse nous rapportait plus de 400.000 euros par an. Nous avions investi dans des services pour la population, (en achetant) notamment six tracteurs pour l’agriculture » raconte Amos Mabuku, président du fonds de conservation de l’Enclave de Chobe, qui administre Mabele et quatre autres villages.

Les safaris photographiques apportent un revenu aux habitants. Malheureusement, il n’est pas encore suffisant pour égaler celui découlant de la chasse.© Tim Sloan/AFP

Trouver un compromis

Le gouvernement, qui a déjà mis en place des aides financières, souhaite avant tout trouver un accord. Pour lui, l’écotourisme est la solution. Il souhaiterait en effet voir se développer dans des villages jouxtant les réserves comme Mabele des lodges, des safaris photographiques et autres services touristiques. « La chasse ne fournit des emplois que pendant la saison désignée, c’est une forme de revenus fondée sur la consommation« , explique Tshekedi Khama, ministre de l’Environnement. « Nous préférons des formes de revenus durables, qui permettent de préserver les espèces. » Malheureusement, si plusieurs villageois sont déjà employés dans le secteur du tourisme, leurs revenus sont loin encore de compenser ceux apportés par la chasse. Et les habitants attendent du gouvernement une solution immédiate. Ce que promet justement la ré-autorisation de la chasse, contrôlée par des quotas promet des retombées immédiates, bien plus perceptibles que les bénéfices lents mais durables d’un écotourisme, qui a pourtant fait ses preuves ailleurs.  « L’attitude des gens a changé. Avant, on leur disait ‘protégez, et vous en tirerez un profit’. Aujourd’hui, ils nous demandent : « Protéger ? Pour quoi faire ? » Le message est brouillé« , déplore Amos Mabuku.