Archives de catégorie : Beauté

En souvenir de Jean-Paul Brodier

Je suis triste. Il y a des tristesses comme heureuses, et d’autres qui font pleurer. Je pleure la mort d’un homme que je n’ai vu qu’une seule fois, Jean-Paul Brodier. Il m’avait invité chez lui à Metz, au soir d’une conférence que j’avais donnée pour l’Association des amis du Monde Diplomatique, et j’avais découvert alors un type charmant.

Je ne savais pas qu’il était épatant. Je l’ai compris peu à peu, grâce à Planète sans visa, dont Jean-Paul était un habitué. Il suggérait des améliorations, il traduisait pour moi, pour vous, des textes anglais. J’ai commencé d’apprécier sa vive culture technique, sa vraie culture tout court. J’ai le sentiment d’avoir perdu un ami lointain. Il avait 66 ans et bien sûr, je pense très fort à lui, et à son épouse, que j’ai eu le temps de croiser, ce soir d’il y a plusieurs années, à Metz.

Vous trouverez ci-dessous un hommage que le blogueur SuperNo lui a rendu, et qui précise tout ce que je serais bien incapable de dire.

PS : merci à Viviane, qui m’a transmis cette affreuse nouvelle

In memoriam Touchatout

touchatout

Je n’arrive pas à croire ce que je suis en train d’écrire. Vous l’auriez vu, il y a ne serait-ce que deux mois : grand, svelte, déconnant, lisant le Canard, faisant du vélo tous les jours, mangeant bio. J’ignorais qu’il avait déjà des ennuis de santé, ça ne se voyait pas, et il n’en parlait pas.

Et ce putain de cancer, qui devait le ronger de l’intérieur depuis de nombreuses années, en silence, avant de faire une apparition brutale.

J’étais allé le voir une première fois à l’hôpital de Mercy avec Madame Turandot. C’était il y a trois semaines, il venait d’être opéré en urgence, après avoir maigri de 10 kg en un mois. Déjà allongé, même s’il faisait quelques pas dans les couloirs. Moi qui déteste les hôpitaux, abasourdi de le voir dans cet état. On ne savait pas encore précisément ce qu’il avait, même si on s’en doutait. Mais jamais on n’aurait pensé que ça irait aussi vite. Il s’exprimait encore normalement, je me souviens qu’on avait parlé politique, comme d’habitude, des élections européennes. Pour occuper les longs mois de convalescence qu’on lui supposait, on s’était cotisés pour lui acheter une liseuse, que je lui avais remplie à ras la gueule. Après tout, quand on passe ses journées allongé, on n’a que ça à faire, de lire.

Quelques jours plus tard, il a été transféré dans une maison de repos. Turandot et moi sommes retournés le voir, la liseuse déconnait, je lui ai réparé le truc. Il bougeait de moins en moins, parlait de plus en plus mal, on avait un peu de mal à le comprendre. Et la liseuse, il ne s’en est quasiment pas servi, il était déjà trop fatigué pour lire.

Je l’ai revu une dernière fois dimanche dernier, toujous avec Turandot et avec Raoul, un autre fidèle du blog, qui était en Lorraine ce week-end là. Et il nous a vraiment fait peur, tant son état s’était dégradé en quelques jours. Sa parole était faible et inintelligible, il avait encore maigri, il s’est endormi plusieurs fois pendant que nous discutions… En sortant, on s’est demandé si on le reverrait. Même si j’étais encore loin d’imaginer que 4 jours plus tard ce serait fini.

Je viens donc d’apprendre que Touchatout est mort ce matin.

Je le connaissais depuis quelques années seulement. On habitait à moins de 10 km l’un de l’autre, mais c’est par l’intermédiaire d’un forum photo sur Internet qu’il m’a contacté. Ah oui, il portait bien son surnom de Touchatout : curieux et passionné de tout un tas de trucs, de préférence originaux. Il collectionnait les appareils photo. Il avait le projet de bidouiller un logiciel pour faire la mise au point de l’image transmise par sa dernière acquisition à partir d’un écran de PC. Il avait dégoté un code source, il voulait le compiler et le modifier en Linux, il m’avait demandé de l’aider. Je lui avais dit que je n’avais pas le temps, qu’on reverrait ça quand je serai au chômage. Je suis maintenant au chômage, mais lui il est mort…

Du forum photo, je suis passé au blog, et il m’a bientôt proposé son aide pour relire et corriger mes billets. Pas le contenu, hein, jamais il ne s’est permis de me changer un mot. De toute façon, si on s’entendait si bien, c’est d’abord parce qu’il pensait à peu près comme moi. Ou l’inverse. Mais il changeait tout le reste. L’orthographe (enfin, pas trop j’espère), la syntaxe, la ponctuation, la typographie. C’était “Monsieur espace-non-sécable”. A chaque fois que j’écrivais un billet (et à une époque c’était souvent !) il repassait derrière, rajoutait des espaces non-sécables, enlevait ou rajoutait des tirets, corrigeait mes fôtes. Il m’avait fait changer la police du blog pour une “sérif”. “Tu comprends, quand le texte est long à lire, il faut que la police soit sérif”. Bien monsieur.

Nombreux sont ceux qui se sont fait allumer après un commentaire, non pas forcément pour la teneur du commentaire lui-même, mais simplement parce qu’ils avaient oublié un tiret, une virgule, ou ajouté un “s” superfétatoire. Ben ouais, il était comme ça.

Nous étions allés ensemble à Paris, invités par le journal Marianne, à l’époque où ils avaient besoin de nous. On avait rencontré l’équipe de l’époque (notamment le patron, Philippe Cohen, autre victime du cancer disparu récemment et prématurément), et un paquet de blogueurs vedettes. Certains avaient même cru que SuperNo, c’était lui !

Touchatout travaillait à son compte. Il s’occupait de la version française d’un magazine d’électronique néerlandais. Ca tombe bien, il avait habité aux Pays-Bas, et il était électronicien. C’était aussi le roi du gadget. Tout le monde se souvient de l’un de ses favoris, un émetteur qui arrivait à brouiller le réseau téléphonique sur une bonne distance, et qu’il utilisait discrètement dans le train dès qu’une conversation déplaisante arrivait à ses oreilles, se délectant de l’incompréhension et des mimiques du casse-couilles coupé dans son élan blablatique et ainsi rappelé de force à la bienséance.

Parmi ses particularités, il possédait un taxi anglais. Ca lui allait bien. Il lisait des tas de bouquins en anglais, et et a été membre de la “dream team” qui a monté le site banksters.fr (un peu en sommeil en ce moment, ça va peut-être revenir…). Et au caricatures planplan de Plantu, Il préférait celles du Sud-Africain Zapiro.

A Metz, c’était un militant assidu. De Gauche, écolo, décroissant. Il était aussi un fidèle du blog de Fabrice Nicolino. Il ne ratait aucune conférence, aucune projection de film militant. Il fréquentait le Café-Repaire et les Amis du Diplo. Discret, d’une culture exceptionnelle, il possédait un humour pince sans rire très apprécié. Et il était fana de contrepèteries et de pataphysique. Avez-vous entendu quelqu’un d’autre employer les mots “luthomiction” ou “coproclaque” ?

Sa dernière blague, il l’avait faite il y a deux semaines à l’hôpital, alors qu’il était déjà cloué sur son lit, incapable de se déplacer seul. En voulant attraper quelque chose, il s’était tordu l’épaule et était tombé du lit, se retrouvant par terre sans pouvoir bouger, dans l’obscurité. Il a donc attendu que quelqu’un vienne lui porter secours. Mais personne n’est venu, à part une envie de pisser de plus en plus pressante. Farfouillant avec sa main, il est tombé sur la télécommande de la télé. Lui qui ne la regardait jamais, il l’a donc allumée, et a monté le son au maximum. Une télé qui braille dans une maison de repos, en principe ça aurait dû attirer du monde. Ben là, non. Fouillant encore, il trouve le téléphone portable que sa famille lui a confié. Il déteste ce genre de gadget, mais, là, pas le choix. Et il compose… le 18, et appelle les pompiers ! Et là, après avoir eu toutes les peines du monde à convaincre le planton qu’il ne s’agissait pas d’une plaisanterie de sale môme, il a donné son nom, l’adresse de l’hôpital, son numéro de chambre, et a attendu que le personnel, prévenu immédiatement, accoure affolé le délivrer de sa fâcheuse posture. Il nous racontait ça en se marrant.

Moi je n’ai plus envie de me marrer. Il n’avait que 66 ans. Son vrai nom, c’était Jean-Paul. Le gouvernement, le MEDEF et les banksters se réjouissent, en voilà un qui n’aura pas coûté un centime aux caisses de retraite puisqu’il travaillait encore tout récemment.

On l’a déjà vu avec Reiser ou Desproges (pour ne prendre que deux exemples parmi des millions d’autres), le cancer manque singulièrement de goût pour choisir ses proies. Faites-vous dépister, bordel ! Et surtout profitez de la vie, ça peut manifestement être court.

Condoléances à Mireille, sa femme que je connais à peine, à sa famille.  Et que ceux qui lisent ce billet fassent circuler le triste message…

[PS : oui, Touchatout, je sais, à peine t’es parti que c’est déjà le bordel, “In memoriam”, c’est une locution latine, donc en italique… En même temps va mettre de l’Italique au milieu d’un titre de WordPress, toi...]

Total éventre la Patagonie argentine

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 28 mai 2014

Notre transnationale du pétrole bousille une réserve naturelle à la recherche de gaz de schiste, fracturation hydraulique en prime. Pendant que Margerie fait ici des risettes télévisées, ses engins s’en prennent là bas aux Indiens et aux pumas.

Avant de dire tout le mal nécessaire de Christophe de Margerie et de Total, sa pauvre chose, deux mots sur le génial Guillermo Enrique Hudson, appelé en anglais William Henry Hudson. Né en 1841, Hudson a décrit la pampa d’Argentine, jusqu’à la Patagonie, comme aucun autre (1). Avis autorisé de Joseph Conrad : « Il écrit comme l’herbe pousse ».

La Patagonie reste un lieu à part. Une immensité de steppes, de pampas, de montagnes, de glaciers, d’archipels. Une beauté insupportable pour la transnationale conjuration du gaz de schiste. Car voilà où nous en sommes : tandis que l’entreprise Total joue ici le fabliau du « développement durable » et de la « responsabilité environnementale », elle est en train de dévaster là-bas la Patagonie argentine.

Voyons l’insupportable détail. Total est présent en Argentine depuis 1978, au travers de sa filiale Total Austral S.A, et produisait entre 2009 et  2012 30 % du gaz argentin. Mais il s’agissait encore de gaz conventionnel alors que les réserves estimées de gaz de schiste désignent le pays comme un des principaux producteurs mondiaux de demain, juste derrière les États-Unis et la Chine.

On se souvient sans doute qu’une loi votée en quelques semaines, à l’été 2011, interdit en France l’usage de la fracturation hydraulique, qui oblige à injecter dans le sous-sol de grosses quantités d’eau sous pression, surchargée de dizaines, voire de centaines de produits chimiques toxiques. Sans ce cocktail de la mort, pas de « fracking », pas d’explosion de la roche, pas de libération du gaz.

Total a mis la main sur une zone longtemps oubliée de tous, dans la province de Neuquén, au nord-ouest de la Patagonie, tout contre la cordillère des Andes. Les Indiens y ont été gaiement massacrés au cours de la « Conquête du désert » de 1879, et il ne reste sur place que des Mapuche, dont tout le monde se contrefout.

Parmi les concessions accordées à Total, une attire fatalement l’œil, car elle est située dans une réserve naturelle en théorie protégée, Auca Mahuida. Un premier puits, Pampa las Yeguas X1, a déjà été percé. La zone est pourtant un territoire mapuche très riche en mammifères sauvages, au point que des biologistes la considèrent représentative de la « steppe patagonienne ». On y on trouve des guanacos – sortes de lamas -, des pumas, des maras – des rongeurs -, des grands tatous velus, des furets de Patagonie, et même des condors. Mais que comptent ces crétins en face des grandioses perspectives d’extraction ?

Tout autour de la réserve, 11 permis ont été accordés à Total, et le bal tragique des foreuses et des camions a déjà commencé autour de certains puits. Exemplaire, l’association Les Amis de la Terre vient de pondre un rapport très documenté (http://www.amisdelaterre.org/rapportargentine.html) qui ne laisse place à aucun doute sur le scrupuleux respect, par Total, de ses hautes valeurs morales. Carolina Garcia, ingénieure et militante locale, y raconte par ailleurs : « Le puits Pampa las Yeguas et les infrastructures qui y sont liées menacent [une] réserve de biodiversité, notamment des espèces telles que le nandou choique [ressemblant à une autruche], le condor, le guanaco ou le chat andin… Au-delà de cette aire, nous sommes mobilisés avec de nombreux habitants et communautés de la province, mais l’unique réponse des autorités est la répression et le déploiement d’une campagne de propagande pour soutenir l’industrie pétrolière  ».

Comme il se doit, Total jure que tout est en règle, et que toutes les autorisations ont été données. Qui ignore encore les paroles de cette chanson du business ? Margerie, le patron à moustache, est au mieux chez nous avec Hollande, qu’il rencontre quand il veut grâce à son cousin par alliance Jean-Pierre Jouyet, Secrétaire général de l’Élysée. Interdite chez nous à cause des désastres écologiques qu’elle provoque, la fracturation hydraulique est employée en Argentine contre les Mapuche, les condors, les pumas. Total, entreprise citoyenne.

(1) Voir par exemple Un flâneur en Patagonie et Sous le vent de la pampa (Petite bibliothèque Payot)

Le vautour, la ministre et les vilains marchands

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 7 mai 2014

Un médicament pour les troupeaux risque de faire disparaître les vautours d’Europe, comme il a tué il y a dix ans 99% de ceux vivant en Inde. Les lobbyistes de l’industrie pharmaceutique se contrefoutraient-ils de la biodiversité ?

Les vautours vont-ils crever ? Quatre espèces de ces oiseaux splendides – quelques centaines de couples au total – vivent tant bien que mal en France : le fauve, le moine, le percnoptère et le gypaète barbu. Mais une menace de mort plane désormais sur eux, qui s’appelle le voltarène. Notre ministre de l’Écologie,  Ségolène Royal tient un dossier en or dans les mains, mais va-t-elle se bouger ?

Dans cette affaire sinistre, tout commence dans le sous-continent indien. À la fin des années 90, la population de vautours, colossale – autour de 80 millions d’individus pour l’Inde seule –, commence à décliner. Tout s’emballe en deux années, au point que 85%, puis 90%, puis 99% des rapaces meurent, bouleversant des chaînes alimentaires stables depuis des milliers d’années. Avec des conséquences inattendues, comme la prolifération des chiens errants, débarrassés de la concurrence des vautours, suivie d’une propagation de la rage.

Virus, bactérie ? Les autopsies ne révèlent rien de probant. Fin 2003, après une enquête de terrain au Pakistan, le biologiste vétérinaire Lindsay Oaks publie une étude retentissante. Le coupable du grand massacre est un anti-inflammatoire largement distribué au bétail, que les vautours ingurgitent à leur tour quand ils boulottent les carcasses. Et qui leur bousillent les reins.

Le diclofénac est-il à ce point nécessaire ? Apparu dans les années 90 en Inde après une intense campagne de lobbying industriel, ce médicament est censé protéger les troupeaux contre la boiterie, la fièvre, les douleurs et tout ce qu’on voudra pour le même prix. Alors qu’il ne reste plus que quelques milliers de vautours dans le pays, le gouvernement de Delhi interdit en 2006 le produit pour ses usages vétérinaires.

Fin de l’histoire ? Début d’une autre. Comme on devrait commencer à savoir, les transnationales ne lâchent jamais. Ni pour la clope, qui tue les humains par millions. Ni pour le pesticide Gaucho, qui tue les abeilles par milliards. Chassé d’Inde et du Pakistan, le diclofénac réapparaît en Europe sous ses différents noms commerciaux, dont Voltarène, bien connu en France. D’ores et déjà, deux pays ont accordé une autorisation de mise sur le marché vétérinaire : l’Italie d’une part, et surtout l’Espagne, le grand territoire européen des vautours.

À terme, le poison sera distribué dans toute l’Union européenne, à commencer par la France, où les petites mains de Novartis, qui commercialise chez nous le Voltarène, ont commencé leur travail de sape. Les protecteurs des vautours commencent à gueuler, et deux légendes vivantes – les frères Michel et Jean-François Terrasse – tentent avec Bougrain-Dubourg et la LPO de remuer les ministères.

Les Terrasse, sur le front des vautours depuis 1968, sont parvenus à les réintroduire dans les gorges de la Jonte et les Alpes. Michel, longtemps président de la Vulture Conservation Foundation  (http://www.4vultures.org) est inquiet : « L’usage vétérinaire du diclofénac en Europe signerait l’arrêt de mort des énormes efforts consentis pour sauver ces oiseaux, et nous cherchons tous les moyens pour essayer d’agir et obtenir une interdiction ». Parallèlement, une pétition internationale circule (1), qui demande évidemment l’interdiction de cette saloperie : il ne s’agit pas seulement des vautours d’Europe, mais aussi de ceux d’Afrique, où le diclofénac/voltarène se répand à la vitesse des bakchichs.

Le plus connard de cette affaire, c’est que des substituts non toxiques du diclofénac existent, dont le méloxicam. Mais connard est-il le bon mot ? Il existait aussi des substituts sans danger de l’amiante, dont la belle invention des frères Blandin, torpillée par les lobbyistes. Et l’on connaît 73 substituts du bisphénol A, qui s’attaque aux équilibres élémentaires des vivants, qui n’ont pas même été testés. Va raconter tout ça à l’industrie pharmaceutique, à ses Jérôme Cahuzac, à ses Aquilino Morelle, à tous ses bons amis de la politique.

(1) http://www.birdlife.org/europe-and-central-asia/news/vulture-killing-drug-now-available-eu-market air max command air max command

Et si on achetait une auberge naturaliste ?

Jean-Marie Ouary est un rouge. Un vrai rouge comme je continuerai à les aimer jusqu’à la fin. Dur aux forts, tendre aux faibles. Un partageux, un partageux tel qu’il étend son sens de la justice au monde des animaux et des plantes. Rien à voir – faut-il le préciser ? – avec les pauvres copies qui font de la retape ici ou là, et qui me servent de cibles perpétuelles. Je ne cite personne. Jean-Marie est un rouge et un prolo dans l’âme, grandi à Noisy-le-Sec, tout près des lieux de mon enfance.

C’est un prolo devenu savant. Il n’aimera pas ce mot, mais je le maintiens. Il sait faire quantité de choses que la plupart ignorent. Sortir sous la mitraille, empoigner par le col les vilains, reconstruire une automobile, convoyer des expéditions jusqu’au Mali pour sauver les derniers éléphants de l’Ouest africain. Il aime puissamment les bêtes et les gens. Et j’ajoute qu’il est un naturaliste de terrain comme il en est peu. Sur le plateau du Vercors – l’un des lieux les plus beaux parmi ceux que je connais -, il surveille comme aucun autre la piste des loups. Car les loups sont là, répartis en trois meutes, et Jean-Marie, Véronique Thiery – des bises ! – et leurs potes de l’association Mille Traces (ici) veillent au grain. C’est-à-dire qu’ils empêchent les tirs des quelques fiérots locaux qui voudraient faire un carton sur le bel animal.

Il y a quelques soirs, j’ai dîné à Paris avec Jean-Marie et l’un des piliers de Mille Traces, François Morel. François, que je ne connaissais pas, m’a fait forte impression. Figurez-vous qu’il fabrique dans le Diois (Drôme), depuis près de 35 ans, des appeaux en bois magnifiques (ici). C’est un artiste, d’évidence, qui passe des mois à parfaire ses créations. Elles sont hallucinantes, et si je peux le dire ainsi, c’est parce que François m’a offert trois de ses œuvres : le coucou, la huppe fasciée, le rouge-gorge. Souffler dedans vous transporte au paradis.

Pourquoi vous parler d’eux ? Pour la raison simple qu’ils cherchent des sous pour un projet que je soutiens, et que je trouve exaltant. Il s’agit d’ouvrir au pied de l’immense Réserve naturelle des Hauts-Plateaux du Vercors – 17 000 hectares parcourus par des loups, des bouquetins, des tétras, des vautours fauves -, la toute première Auberge naturaliste de France. La maison est déjà la, avec ses chambres, ses espaces, ses hôtes. Aux alentours, les pentes du Grand Veymont, dont la beauté m’a fracassé un été d’il y a neuf ans.

On pourra aussi bien se reposer et dormir que boire, manger, rencontrer des amis, échanger sur la vie et les bêtes, glaner quelques idées heureuses sur la marche du monde. Un tel lieu ne se refuse pas, mais il coûte. Une SCI a été constituée, et vous trouverez quelques détails dans les docs ci-dessous appelés Auberge 1 et Auberge 2. Il manque environ 100 000 euros, répartis en parts de 100. Ce n’est rien, à peu près rien. Je ne vous oblige pas, mais pour ce qui me concerne, je vais souscrire, car on ne peut passer à vie à crier contre le monde, comme je le fais sans arrêt. Il faut aussi admirer ce qui reste debout.

Je vais donc acheter quelques parts, qui me permettront de penser que je n’ai pas tout perdu de mon argent gagné. Si vous avez trois sous, je vous jure que l’action le mérite, et bien au-delà. Si vous n’avez pas un rond, envoyez toujours un mot de soutien. Et retenez l’adresse, car cette auberge va ouvrir, sûr et même certain. Vous voulez en être ? On se croisera peut-être là-bas.

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Avec tant de retard (sur le Loup et les plantes)

La procrastination est un mal commun. Le mot désigne cette faculté largement – mais inégalement – répartie de remettre au lendemain la tâche qui nous attend sur l’immense étagère que vous savez. Je suis donc en retard d’au moins une quinzaine de livres, mais je vais commencer par deux revues qui méritent un coup de chapeau.

D’abord un spécial Loup du Courrier de la Nature, la revue de la Société nationale de protection de la nature (SNPN). En 76 pages, d’excellents naturalistes passent en revue quelques-unes des grandes questions posées par le retour de Canis lupus, notre cher Grand Méchant Loup, chez nous. Je signale d’emblée l’article signé François Moutou, longtemps épidémiologiste à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Anses), que je connais assez pour le saluer au passage. Moutou nous livre un aperçu très riche des origines du Loup, de son écologie, de son comportement, de ses capacités de reproduction. Comme il est agréable de lire un homme savant qui sait écrire pour tous ! J’ai appris différentes choses, mais la plus considérable est qu’il existe des loups en Afrique, passés totalement inaperçus des observateurs, qui les confondaient avec les chacals dorés ! Combien ? Moutou parle de 80 000 femelles, ce qui est gigantesque. Pour mémoire, il y aurait environ 35 000 loups dans tout le Canada, et autour de 10 000 en Alaska.

Les autres articles sont de belle qualité. Le Suisse Jean-Marc Landry nous offre une histoire du Loup en France, s’appuyant à la fois sur les travaux de François de Beaufort et sur ceux de l’historien Jean-Marc Moriceau, malmené par de nombreux naturalistes pour avoir rapporté plusieurs milliers d’attaques de loups sur l’Homme dans notre pays. Anne Lombardi raconte l’aventure, la grande aventure du Réseau Loup-Lynx qui permet à des centaines de correspondants de suivre chaque année, sur le terrain, la trace de ces magnifiques animaux.

Vincent Vignon, pour sa part, décrit le rôle considérable du Loup dans la défense et illustration de la biodiversité, sujet central de tant de polémiques. On le sait, les ennemis du Loup prétendent que les ovins, en montagne, sont les meilleurs agents de la biodiversité, et que les loups en seraient les adversaires, voire les ennemis. Lire Vignon permet de comprendre simplement la complexité des liens écosystémiques. Quand il note : « Le loup est en position de contrôle du système herbivore », on a envie d’applaudir, car cette phrase est le point d’orgue d’un vaste développement sur ce qui unit prédateurs, ongulés, végétation. Oui, croyez-moi, c’est intéressant.

L’autre revue, que certains de vous connaissent certainement, s’appelle La Garance voyageuse. Je reçois ce cadeau des cieux chaque trimestre, et le dernier numéro, le 104, a pour thème « Plantes et villes ». Je crois sincèrement que tout est à lire, mais comme il me faut choisir, je vous signale un papier d’Alain Baraton, le jardinier du parc du château de Versailles, que j’ai eu la chance d’interroger sur place il y a quelques années. Baraton raconte ce qu’il pense de l’arbre dans les villes, où il subit tant de malheurs quotidiens. J’ai également aimé une déambulation urbaine de Patrick Derennes et un zoom de Boris Presseq sur les si curieuses stratégies de dispersion des plantes soumises aux règles de la ville. Admirez avec moi la graine d’Erodium ciconium, dont la forme hallucinée de tire-bouchon fonctionne un peu comme une vrille, qui lui permet de s’enfouir au profond des friches. Et encore ce texte de Jean-Michel Lecron sur les intenses amours entre les murs et les plantes. Et encore, et encore, et encore.

Cela fait des années que je souhaite parler de cette revue hautement improbable, dont le siège se trouve dans un village cévenol de Lozère, Saint-Germain-de-Calberte. Je connais mal l’histoire du groupe de bénévoles qui publie La Garance, mais j’ai souvent pressenti qu’elle était, au-delà des fatigues et départs inévitables, une fort belle aventure. Les articles, accompagnés d’une véritable iconographie, sont précis, instructifs, savants même, mais avant tout, ils transportent. N’importe où en France, n’importe où dans le monde, dans l’histoire, dans les livres, dans le destin de quantité de naturalistes et voyageurs des temps passés ou présents. Et je vous assure qu’un non-botaniste comme moi y est toujours le bienvenu. Bref. Formidable.